La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/10/2012 | FRANCE | N°338755

France | France, Conseil d'État, 8ème sous-section jugeant seule, 10 octobre 2012, 338755


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 avril et 19 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour l'établissement public Voies navigables de France, dont le siège est 175 rue Ludovic Boutleux BP 820 à Béthune (62408) ; il demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09VE01667 du 28 janvier 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0702770 du 19 mars 2009 par lequel le tribunal administratif de Versailles, saisi d

u procès-verbal de contravention de grande voirie établi à l'encontre ...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 avril et 19 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour l'établissement public Voies navigables de France, dont le siège est 175 rue Ludovic Boutleux BP 820 à Béthune (62408) ; il demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09VE01667 du 28 janvier 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0702770 du 19 mars 2009 par lequel le tribunal administratif de Versailles, saisi du procès-verbal de contravention de grande voirie établi à l'encontre de M. Damien A, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'intéressé au versement d'une amende de 1 500 euros et à ce qu'il lui soit fait injonction d'enlever son bateau, dénommé " May Flower ", stationnant sans autorisation sur la Seine, au doit de la commune d'Issy-les-Moulineaux, dans le délai de 8 jours, sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard et d'autre part, à la condamnation de M. A au paiement de ladite amende et à l'enlèvement de son bateau du domaine public fluvial dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt, sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. A le versement de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu la loi n° 91-1385 du 31 décembre 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassagnabère, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Tiffreau, Corlay, Marlange, avocat de M. A et de Me Balat, avocat de Voies navigables de France,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Tiffreau, Corlay, Marlange, avocat de M. A et à Me Balat, avocat de Voies navigables de France ;

1. Considérant, d'une part, qu'aux termes des dispositions de l'article L. 774-2 du code de justice administrative : " Dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention, le préfet fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal. La notification est faite dans la forme administrative, mais elle peut également être effectuée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La notification indique à la personne poursuivie qu'elle est tenue, si elle veut fournir des défenses écrites, de les déposer dans le délai de quinzaine à partir de la notification qui lui est faite. Il est dressé acte de la notification ; cet acte doit être adressé au tribunal administratif et y être enregistré comme les requêtes introductives d'instance. " ; qu'il résulte de ces dispositions que le juge de la contravention de grande voirie, dès qu'il est saisi par une autorité compétente, doit se prononcer tant sur l'action publique que sur l'action domaniale, que lui soient ou non présentées des conclusions en ce sens ; qu'eu égard aux particularités de son office, il doit vérifier, au besoin d'office, lorsqu'un moyen tiré de l'irrégularité de la notification des poursuites est soulevé, si la procédure n'a pas été régularisée par la saisine régulière du tribunal administratif par l'autorité compétente ;

2. Considérant, d'autre part, qu'il résulte du paragraphe III de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1991 portant diverses dispositions en matière de transports, applicable au litige, l'établissement public Voies navigables de France est substitué à l'Etat dans l'exercice des pouvoirs dévolus à ce dernier pour la répression des atteintes à l'intégrité et à la conservation du domaine public fluvial qui lui est confié ; qu'en vertu du paragraphe IV de cet article, dans le cas où des atteintes sont constatées, le tribunal administratif territorialement compétent est saisi par le président de Voies navigables de France, le directeur général de cet établissement public s'il a reçu délégation de signature ou les chefs des services extérieurs, qui sont les représentants locaux de l'établissement public, s'ils ont reçu du directeur général une subdélégation de signature ;

3. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que le tribunal administratif est régulièrement saisi du procès-verbal de contravention de grande voirie constatée sur le domaine public fluvial par la transmission par l'une de ces autorités de l'acte de notification du procès-verbal ainsi que de la citation à comparaître dès lors que la délégation de signature, quand elle est nécessaire, a régulièrement reçu publication ; que cette transmission régularise la procédure lorsque le procès-verbal n'a pas été régulièrement notifié au contrevenant ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que si l'acte du 24 octobre 2006 portant notification du procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 13 octobre 2006 par M. Ghislain B, chef d'équipe des travaux publics de l'Etat, et citation à comparaître de M. A a été signé, par Mme C, chef de la subdivision de Voies navigables de France, la demande, enregistrée au tribunal administratif de Versailles le 26 février 2007, a été signée par Mme Marie-Anne D, directrice interrégionale de Voies navigables de France, chef du service de la navigation de la Seine ; que, par décision du 24 juillet 2006, le directeur général de cet établissement public, ayant lui-même reçu délégation de signature du président, a subdélégué sa signature à Mme D pour saisir le tribunal administratif dans le cas où des atteintes à l'intégrité et à la conservation du domaine public fluvial seraient constatées ; que cette décision a été publiée au bulletin officiel du ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer et au bulletin officiel des actes de Voies navigables de France ;

5. Considérant, par suite, qu'en jugeant, alors qu'elle a relevé que Mme D avait régulièrement reçu une subdélégation de signature, que la procédure n'avait pu être régularisée par la transmission au tribunal administratif par la directrice interrégionale de Voies navigables de France, chef du service de la navigation de la Seine, du procès-verbal constatant l'infraction et la notification de ce document citant la contrevenante à comparaître, la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'établissement public Voies navigables de France est fondé à demander l'annulation de l'article 1er de l'arrêt attaqué ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2132-21 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve de dispositions législatives spécifiques, les agents de l'Etat assermentés à cet effet devant le tribunal de grande instance et les officiers de police judiciaire sont compétents pour constater les contraventions de grande voirie. " ; qu'aux termes de l'article L. 2132-23 du même code : " Outre les agents mentionnés à l'article L. 2132-21, les fonctionnaires des collectivités territoriales et de leurs groupements, les adjoints au maire et les gardes champêtres ont compétence pour constater concurremment les contraventions en matière de grande voirie fixées par les articles L. 2132-5 à L. 2132-10, L. 2132-16, L. 2132-17 et les textes pris pour leur application. / Les fonctionnaires mentionnés ci-dessus qui n'ont pas prêté serment en justice le prêtent devant le préfet " ;

8. Considérant que l'établissement public Voies navigables de France a produit la carte de commission de M. Ghislain B, lequel a prêté serment devant le tribunal de grande instance de Nanterre ; que cet agent était ainsi habilité pour dresser le procès-verbal du 14 mars 2006 ; que c'est par suite à tort que le tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur le fait que ce procès-verbal avait été signé par une personne n'ayant pas qualité pour ce faire et a rejeté au motif que la procédure suivie était dès lors irrégulière la demande de l'établissement public tendant à la condamnation du contrevenant ;

9. Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur cette demande ;

10. Considérant qu'aux termes de l'article de l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les riverains, les mariniers et autres personnes sont tenus de faire enlever les pierres, terres, bois, pieux, débris de bateaux et autres empêchements qui, de leur fait ou du fait de personnes ou de choses à leur charge, se trouveraient sur le domaine public fluvial. Le contrevenant est passible d'une amende de 150 à 12 000 euros, de la confiscation de l'objet constituant l'obstacle et du remboursement des frais d'enlèvement d'office par l'autorité administrative compétente " ;

11. Considérant qu'il est constant que le bateau dénommé " May Flower " qui appartient à M. A, stationne, sans autorisation, en rive gauche de la Seine, au P.K. 9.5 sur la commune d'Issy-les-Moulineaux ; que ce fait est constitutif d'une contravention de grande voirie qui a été constatée par un procès-verbal régulièrement établi le 13 octobre 2006 sur le fondement de l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques ;

12. Considérant, en premier lieu, que le procès verbal, qui a été dressé par M. B, agent assermenté à cet effet devant le tribunal de grande instance de Nanterre, a été notifié à M. A par un courrier du 24 octobre 2006 dont il a accusé réception le 27 octobre suivant puis transmis au tribunal administratif le 26 février 2007 ; que la notification de ce procès-verbal postérieurement au délai de 10 jours prévu par l'article L. 774-2 du code de justice administrative n'a pas rendu la procédure irrégulière dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que ce retard aurait eu en l'espèce pour effet de porter atteinte aux droits de la défense de la contrevenante ; que si l'acte de notification du procès-verbal ne comporte pas de date, cette circonstance est également sans incidence sur la régularité de la procédure dès lors qu'il était accompagné d'un courrier de notification comportant la date du 24 octobre 2006 ; qu'en l'invitant à déposer ses observations au greffe du tribunal administratif dans le délai de quinzaine tout en lui indiquant qu'il lui appartenait d'attendre que le tribunal lui communique la demande déposée par l'établissement public, l'acte de notification, qui n'avait pas à mettre en mesure le contrevenant de la possibilité de présenter sa défense préalablement à la saisine du tribunal, s'est conformé aux prescriptions de l'article L. 774-2 de ce code ; qu'il n'a ainsi été porté aucune atteinte aux droits de la défense garantis par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

13. Considérant, en quatrième lieu, que l'action publique doit être regardée comme éteinte en raison de l'absence de tout acte d'instruction ou de poursuite entre le 18 mai 2007 et le 22 octobre 2008 ; que, par suite, les conclusions de l'établissement public Voies navigables de France tendant à la condamnation de M. A au paiement d'une amende sur ce fondement doivent être rejetées ;

14. Considérant, en cinquième lieu, que l'action domaniale est imprescriptible ; que M. A ne peut utilement invoquer ni la tolérance dont il a bénéficié antérieurement de la part de l'établissement public ni la circonstance qu'il lui verse des indemnités d'occupation ; que s'il se prévaut de l'absence de publication des actes concernant les règles de stationnement des bateaux-logement, et notamment des règles afférentes à la gestion des listes d'attente, cette omission, à la supposer établie, ainsi que l'incapacité qu'il invoque de l'établissement public Voies navigables de France à lui trouver une place, ne caractérisent pas des faits de l'administration de nature à exonérer le contrevenant ;

15. Considérant, enfin, que l'obligation de déplacer le bateau appartenant à M. A ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie familiale normale ; que, par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;

16. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'établissement public Voies navigables de France est seulement fondé à demander au titre de l'action domaniale qu'il soit fait injonction à M. A d'enlever son bateau du domaine public fluvial ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de lui impartir un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision et de prévoir à l'expiration de ce délai une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

17. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A la somme de 1 500 euros à verser à l'établissement public Voies navigables de France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par M. A ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 1er de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 28 janvier 2010 et le jugement du tribunal administratif de Versailles du 19 mars 2009 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à M. A d'enlever son bateau dénommé " May Flower " stationnant sans autorisation sur la rive gauche de la Seine, au point PK 9.5 sur la commune d'Issy-les-Moulineaux dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai.

Article 3 : M. A versera une somme de 1500 euros à l'établissement public Voies navigables de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de l'établissement public Voies navigables de France et les conclusions de M. A présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'établissement public Voies navigables de France et à M. Damien A.


Synthèse
Formation : 8ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 338755
Date de la décision : 10/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux répressif

Publications
Proposition de citation : CE, 10 oct. 2012, n° 338755
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Gilles Bachelier
Rapporteur ?: M. Hervé Cassagnabère
Rapporteur public ?: Mme Nathalie Escaut
Avocat(s) : BALAT ; SCP TIFFREAU, CORLAY, MARLANGE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:338755.20121010
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award