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12/11/2012 | FRANCE | N°350109

France | France, Conseil d'État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 12 novembre 2012, 350109


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 juin et 13 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Jean B, demeurant ... ; M. et Mme B demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09MA02232 du 7 avril 2011 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant qu'il a rejeté, après annulation du jugement n° 0202678 du 11 avril 2006 du tribunal administratif de Marseille et évocation, leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser, d'une part, la somme de 41 817,65 euros repr

ésentant le montant cumulé de l'allocation d'éducation spéciale, du ...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 juin et 13 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Jean B, demeurant ... ; M. et Mme B demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09MA02232 du 7 avril 2011 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant qu'il a rejeté, après annulation du jugement n° 0202678 du 11 avril 2006 du tribunal administratif de Marseille et évocation, leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser, d'une part, la somme de 41 817,65 euros représentant le montant cumulé de l'allocation d'éducation spéciale, du complément d'allocation et de l'allocation aux parents d'enfants handicapés qu'ils auraient dû percevoir entre 1991 et 2000 au titre du handicap de leur fille et, d'autre part, une indemnité de 15 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur demande et de leur allouer les sommes demandées avec intérêts au taux légal ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le décret n° 75-1166 du 15 décembre 1975 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. et Mme B,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. et Mme B ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B, fonctionnaire à la direction départementale de l'équipement des Bouches-du-Rhône, et son épouse, ont obtenu, par une décision du 4 juillet 1991 de la commission départementale de l'éducation spéciale le bénéfice, au titre de leur fille handicapée, de l'allocation d'éducation spéciale pour la période du 1er mars 1991 au 1er mars 1994 ; que, toutefois, cette allocation ne leur a jamais été versée par l'administration d'emploi de M. B, qui était alors en charge du service de cette prestation ; que, par ailleurs, M. et Mme B n'ont obtenu, au cours de la période du 1er mars 1994 au 31 août 2000, ni le renouvellement de l'allocation d'éducation spéciale, ni l'attribution du complément de deuxième catégorie de cette allocation, ni le versement de la prestation dite " allocation aux parents d'enfants handicapés " ; que M. et Mme B ont demandé réparation, auprès du tribunal administratif de Marseille puis de la cour administrative d'appel de Marseille, des préjudices financier et moral résultant de l'absence de versement de ces allocations ; que, par une précédente décision du 23 mars 2009, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a jugé, contrairement à ce qu'avaient estimé les juges du fond, que ce litige ne portait pas sur les droits de M. et Mme B aux prestations en cause mais constituait une action en responsabilité fondée sur les carences fautives imputées à l'administration et relevant, par suite, de la compétence de la juridiction administrative ;

2. Considérant qu'eu égard aux moyens qu'ils invoquent, le pourvoi de M. et Mme B doit être regardé comme dirigé contre les seuls articles 2 et 3 de l'arrêt du 7 avril 2011 rendu par la cour administrative d'appel de Marseille sur renvoi du Conseil d'Etat, en tant que cet arrêt a, après annulation du jugement du 11 avril 2006 du tribunal administratif de Marseille et évocation, rejeté leur demande d'indemnisation ;

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur le préjudice financier tiré de l'absence de versement, avant le 1er janvier 2000, de l'allocation d'éducation spéciale et du complément de cette allocation :

3. Considérant que la cour administrative d'appel de Marseille a jugé que l'Etat était fondé à opposer aux requérants l'exception de déchéance, prévue à l'article L. 553-1 du code de la sécurité sociale, selon laquelle " l'action de l'allocataire pour le paiement des prestations se prescrit par deux ans " ; qu'en statuant ainsi, alors que cette prescription n'est pas applicable dans le cadre d'une action en responsabilité, engagée pour obtenir non le paiement de prestations mais la réparation des fautes commises par l'administration, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi dirigés contre cette partie de l'arrêt, M. et Mme B sont fondés pour ce motif à en demander l'annulation ;

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur le préjudice financier tiré de l'absence de versement, entre le 1er janvier et le 31 août 2000, de l'allocation d'éducation spéciale et du complément de cette allocation :

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 541-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction alors applicable : " Toute personne qui assume la charge d'un enfant handicapé a droit à une allocation d'éducation spéciale, si l'incapacité permanente de l'enfant est au moins égale à un taux déterminé. / Un complément d'allocation est accordé pour l'enfant atteint d'un handicap dont la nature ou la gravité exige des dépenses particulièrement coûteuses ou nécessite le recours fréquent à l'aide d'une tierce personne. Son montant varie suivant l'importance des dépenses supplémentaires engagées ou la permanence de l'aide nécessaire " ; qu'aux termes de l'article 4 du décret du 15 décembre 1975 relatif à la composition et au fonctionnement de la commission de l'éducation spéciale, alors en vigueur : " Les demandes d'attribution de l'allocation d'éducation spéciale et de son complément éventuel parviennent à la commission départementale par l'intermédiaire de l'organisme ou service débiteur de cette prestation " ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B a, le 12 février 1994, directement adressé à la commission départementale de l'éducation spéciale des Bouches-du-Rhône une demande de renouvellement de l'allocation d'éducation spéciale attribuée à sa fille en 1991 ; qu'à la suite de cet envoi, M. B a été invité par la commission à respecter la procédure d'instruction des dossiers prévue à l'article 4 du décret du 15 décembre 1975 cité ci-dessus en transmettant sa demande d'allocation à son administration d'emploi, alors en charge du service de cette prestation ; qu'en jugeant, par suite, en l'absence de tout élément permettant d'établir que M. B avait satisfait à cette obligation, qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'administration avait égaré sa demande et commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas dénaturé les pièces du dossier ; que, par suite, M. et Mme B ne sont pas fondés à demander l'annulation de cette partie de l'arrêt qu'ils attaquent ;

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur le préjudice financier tiré de l'absence de versement, entre le 1er janvier 1996 et le 31 août 2000, de la prestation dite " allocation aux parents d'enfants handicapés " :

6. Considérant que, pour rejeter la demande d'indemnisation présentée par M. et Mme B au titre de l'absence de versement de la prestation dite " allocation aux parents d'enfants handicapés ", la cour administrative d'appel de Marseille s'est fondée sur la circonstance que cette prestation d'action sociale, instituée par l'Etat au bénéfice de ceux de ses agents dont l'un des enfants est attributaire de l'allocation d'éducation spéciale, ne donne pas lieu à rappel ; qu'en statuant ainsi, alors que cette circonstance était sans incidence sur l'action en responsabilité engagée par M. et Mme B pour obtenir, non le paiement de cette prestation, mais la réparation des fautes commises par l'administration, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi dirigés contre cette partie de l'arrêt, les requérants sont fondés pour ce motif à en demander l'annulation ;

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur le préjudice moral :

7. Considérant, d'une part, que, pour rejeter la demande d'indemnisation du préjudice moral présentée par M. et Mme B au titre de l'absence de versement de l'allocation d'éducation spéciale du 1er mars 1991 au 1er mars 1994, la cour administrative d'appel de Marseille a estimé qu'en l'absence de notification, par la commission départementale de l'éducation spéciale, de la décision d'attribution de cette allocation à l'administration d'emploi de M. B, aucune faute ne pouvait être reprochée aux services de l'Etat ; qu'en statuant ainsi, alors qu'une carence de la commission départementale de l'éducation spéciale dans l'exercice de ses missions est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, la cour n'a pas exactement qualifié les faits de l'espèce ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi dirigé contre cette partie de l'arrêt, les requérants sont fondés pour ce motif à en demander l'annulation ;

8. Considérant, d'autre part, que pour rejeter la demande d'indemnisation du préjudice moral présentée par M. et Mme B au titre, d'une part, de l'absence de renouvellement de l'allocation d'éducation spéciale et d'attribution de son complément pour la période du 1er mars 1994 au 31 août 2000 et, d'autre part, de l'absence de versement de la prestation dite " allocation aux parents d'enfants handicapés " pour la période du 1er janvier 1996 au 31 août 2000, la cour administrative d'appel de Marseille a relevé, par un arrêt suffisamment motivé et sans dénaturer les pièces du dossier, qu'aucun élément ne permettait d'établir que M. B avait, ainsi qu'il lui incombait, adressé à son administration d'emploi, en 1994, sa demande de renouvellement de l'allocation d'éducation spéciale, à l'attribution de laquelle se trouvaient subordonnées tant l'attribution du complément de cette prestation que celle de la prestation dite " allocation aux parents d'enfants handicapés " ; que, par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de qualification juridique en jugeant que l'absence, pendant ces périodes, de toute décision de la commission de l'éducation spéciale ne revêtait pas de caractère fautif ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille, premièrement en tant qu'il a rejeté, s'agissant du préjudice financier, leurs demandes d'indemnisation tirées, d'une part, de l'absence de versement avant le 1er janvier 2000 de l'allocation d'éducation spéciale et du complément de cette allocation, et d'autre part, de l'absence de versement entre le 1er janvier 1996 et le 31 août 2000 de la prestation dite " allocation aux parents d'enfants handicapés " et, deuxièmement, en tant qu'il a rejeté, s'agissant du préjudice moral leur demande d'indemnisation tirée de l'absence de versement de l'allocation d'éducation spéciale du 1er mars 1991 au 1er mars 1994 ;

10. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, par application de ces dispositions et dans la limite des annulations qui viennent d'être prononcées, de régler l'affaire au fond ;

Sur l'opposition de prescription biennale :

11. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'Etat n'est pas fondé à opposer à M. et Mme B l'exception de prescription biennale prévue à l'article L. 553-1 du code de la sécurité sociale ;

Sur la responsabilité de l'Etat du fait de l'absence de versement, entre le 1er mars 1991 et le 1er mars 1994, de l'allocation d'éducation spéciale :

12. Considérant qu'aux termes de l'article 5 du décret du 15 décembre 1975 relatif à la composition et au fonctionnement des commissions de l'éducation spéciale alors en vigueur, les décisions de la commission de l'éducation spéciale " sont notifiées dans le délai d'un mois aux parents ou personnes ayant la charge effective de l'enfant, au directeur de l'action sanitaire et sociale, aux organismes de sécurité sociale ou d'aide sociale et aux organismes chargés du paiement de l'allocation d'éducation spéciale (...) " ;

13. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la décision du 4 juillet 1991 par laquelle la commission de l'éducation spéciale des Bouches-du-Rhône a attribué à M. et Mme B le bénéfice de l'allocation de l'éducation spéciale pour la période comprise entre le 1er mars 1991 et le 1er mars 1994 n'a pas été transmise par cette commission aux services du ministère de l'équipement, administration débitrice de cette allocation en sa qualité d'employeur de M. B ; que cette carence de la commission, dont il est résulté l'absence de perception de l'allocation par M. et Mme B, présente un caractère fautif et engage la responsabilité de l'Etat ; que leur préjudice financier, égal au montant qu'ils auraient effectivement perçu au titre de l'allocation d'éducation spéciale entre le 1er mars 1991 et le 1er mars 1994, doit être fixé à 3 465 euros ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. et Mme B du fait de la faute commise par l'Etat en l'évaluant à 1 500 euros ; que les requérants ont droit aux intérêts au taux légal sur les montants des indemnités qui leur sont dues à compter, respectivement, compte tenu des dates auxquelles ces sommes ont été demandées à l'administration, du 12 janvier 2002 pour la somme versée au titre du préjudice financier et du 5 juin 2002 pour la somme versée au titre du préjudice moral ;

Sur la responsabilité de l'Etat du fait de l'absence de versement, d'une part, de l'allocation d'éducation spéciale et de son complément entre le 1er mars 1994 et le 31 décembre 1999 et, d'autre part, de la prestation dite " allocation aux parents d'enfants handicapés " entre le 1er janvier 1996 et le 31 août 2000 :

14. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'aucun élément ne permet d'établir que M. B a bien, ainsi qu'il lui incombait, adressé en 1994 à son administration d'emploi sa demande de renouvellement de l'allocation d'éducation spéciale, dont l'attribution conditionnait celles du complément de cette allocation ainsi que celle de la prestation dite " allocation aux parents d'enfants handicapés " ; que, par suite, M. et Mme B ne sont pas fondés à soutenir que l'Etat, qui soutient que ses services n'ont jamais été en possession de cette demande, aurait commis une faute en s'abstenant de leur verser, pour les périodes en cause, l'ensemble de ces prestations ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, en application de ces dispositions, le versement à M. et Mme B de la somme de 7 000 euros, au titre des frais exposés par eux tant en première instance qu'en appel et en cassation ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Sont annulés :

- l'article 2 de l'arrêt du 7 avril 2011 de la cour administrative d'appel de Marseille, premièrement, en tant qu'il a rejeté, s'agissant du préjudice financier, les demandes d'indemnisation de M. et Mme B tirées, d'une part, de l'absence de versement avant le 1er janvier 2000 de l'allocation d'éducation spéciale et du complément de cette allocation et, d'autre part, de l'absence de versement entre le 1er janvier 1996 et le 31 août 2000 de la prestation dite " allocation aux parents d'enfants handicapés " et, deuxièmement, en tant qu'il a rejeté, s'agissant du préjudice moral, leur demande d'indemnisation tirée de l'absence de versement de l'allocation d'éducation spéciale du 1er mars 1991 au 1er mars 1994 ;

- l'article 3 du même arrêt.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. et Mme B la somme de 3 465 euros au titre du préjudice financier et la somme de 1 500 euros au titre du préjudice moral. Ces montants porteront intérêts au taux légal à compter, respectivement, du 12 janvier 2002 pour la somme versée au titre du préjudice financier et du 5 juin 2002 pour la somme versée au titre du préjudice moral.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme B la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les surplus des conclusions du pourvoi et de la requête de M. et Mme B devant la cour administrative d'appel de Marseille sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Jean B et à la ministre des affaires sociales et de la santé.


Synthèse
Formation : 1ère et 6ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 350109
Date de la décision : 12/11/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 nov. 2012, n° 350109
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Bernard Stirn
Rapporteur ?: M. Rémi Decout-Paolini
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:350109.20121112
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