La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/05/2013 | FRANCE | N°332581

France | France, Conseil d'État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 22 mai 2013, 332581


Vu l'ordonnance n° 0802917 du 6 octobre 2009, enregistrée le 8 octobre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président du tribunal administratif de Poitiers a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par Mme A...C..., veuve E...B..., demeurant ...en Algérie ;

Vu la requête, enregistrée le 5 décembre 2008 au greffe du tribunal administratif de Poitiers, présentée par MmeC..., et tendant à l'annulation de la décision du 23 octobre 2008 du ministre

de la défense rejetant sa demande de pension de réversion ;

Vu les a...

Vu l'ordonnance n° 0802917 du 6 octobre 2009, enregistrée le 8 octobre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président du tribunal administratif de Poitiers a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par Mme A...C..., veuve E...B..., demeurant ...en Algérie ;

Vu la requête, enregistrée le 5 décembre 2008 au greffe du tribunal administratif de Poitiers, présentée par MmeC..., et tendant à l'annulation de la décision du 23 octobre 2008 du ministre de la défense rejetant sa demande de pension de réversion ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment ses articles 61-1 et 62 ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959 ;

Vu la loi n° 81-734 du 3 août 1981 ;

Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 ;

Vu la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 ;

Vu la décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 du Conseil constitutionnel ;

Vu la décision n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011 du Conseil constitutionnel ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Guichon, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;

Sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de la défense et par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat :

1. Considérant que si les ministres défendeurs soutiennent que la requête doit être rejetée comme irrecevable, faute pour MmeC..., qui réside en Algérie, de l'avoir régularisée pour satisfaire aux exigences de l'article R. 431-8 du code de justice administrative, qui prévoit que les parties non représentées devant un tribunal administratif qui ont leur résidence hors du territoire de la République doivent faire élection de domicile dans le ressort de ce tribunal, il ne résulte ni de ces dispositions, qui ne sont pas applicables aux instances devant le Conseil d'Etat, ni d'aucune autre disposition, que Mme C...ait été tenue de procéder à une telle régularisation ; que, dès lors, cette fin de non-recevoir doit être écartée ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

2. Considérant que Mme C...veuveB..., de nationalité algérienne, a demandé le 29 juillet 2008 à bénéficier de la réversion de la pension militaire de retraite qui avait été attribuée, lors de sa radiation des cadres de l'armée française le 30 octobre 1945, à M. E... B..., son mari, décédé le 19 octobre 1975 ; que, par une décision du 23 octobre 2008, le ministre de la défense a rejeté cette demande au motif que les conditions d'antériorité du mariage posées par les dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite applicables à son cas n'étaient pas satisfaites ; que, par une requête du 5 décembre 2008, Mme C...a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler le refus opposé par le ministre à sa demande ; que, par une ordonnance du 6 octobre 2009, le président du tribunal administratif de Poitiers a transmis cette requête au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative ;

3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation " ; qu'aux termes du deuxième alinéa de son article 62 : " Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause " ; qu'enfin, aux termes du troisième alinéa du même article : " Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. " ;

4. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 62 de la Constitution qu'une disposition législative déclarée contraire à la Constitution sur le fondement de l'article 61-1 n'est pas annulée rétroactivement mais abrogée pour l'avenir à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ; que, par sa décision n° 2010-108 QPC en date du 25 mars 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que " si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. " ;

5. Considérant que, lorsque le Conseil constitutionnel, après avoir abrogé une disposition déclarée inconstitutionnelle, use du pouvoir que lui confèrent les dispositions précitées, soit de déterminer lui-même les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause, soit de décider que le législateur aura à prévoir une application aux instances en cours des dispositions qu'il aura prises pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il appartient au juge, saisi d'un litige relatif aux effets produits par la disposition déclarée inconstitutionnelle, de les remettre en cause en écartant, pour la solution de ce litige, le cas échéant d'office, cette disposition, dans les conditions et limites fixées par le Conseil constitutionnel ou le législateur ;

6. Considérant que, par sa décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, le Conseil constitutionnel a notamment déclaré contraires à la Constitution les dispositions de l'article 26 de la loi de finances rectificative du 3 août 1981 et les dispositions de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002, à l'exception de celles de son paragraphe VII ; qu'il a jugé que " afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, l'abrogation des dispositions précitées prendra effet à compter du 1er janvier 2011 ; afin de préserver l'effet utile de la présente décision à la solution des instances actuellement en cours, il appartient, d'une part, aux juridictions de surseoir à statuer jusqu'au 1er janvier 2011 dans les instances dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles et, d'autre part, au législateur de prévoir une application des nouvelles dispositions à ces instances en cours à la date de la présente décision." ;

7. Considérant que, à la suite de cette décision, l'article 211 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 a défini de nouvelles dispositions pour le calcul des pensions militaires d'invalidité, des pensions civiles et militaires de retraite et des retraites du combattant servies aux ressortissants des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France ; que, par ailleurs, son paragraphe VI prévoit que " le présent article est applicable aux instances en cours à la date du 28 mai 2010, la révision des pensions prenant effet à compter de la date de réception par l'administration de la demande qui est à l'origine de ces instances." ; qu'enfin, aux termes du XI du même article : " Le présent article entre en vigueur au 1er janvier 2011." ;

8. Considérant que, comme il a été dit, le Conseil constitutionnel a jugé qu'il appartenait au législateur de prévoir une application aux instances en cours à la date de sa décision des dispositions qu'il adopterait en vue de remédier à l'inconstitutionnalité constatée ; que l'article 211 de la loi de finances pour 2011 ne se borne pas à déterminer les règles de calcul des pensions servies aux personnes qu'il mentionne, mais abroge aussi des dispositions qui définissent, notamment, les conditions dans lesquelles est ouvert le droit à une pension de réversion ; qu'ainsi, alors même qu'il mentionne seulement la " révision des pensions ", le paragraphe VI de l'article 211 précité doit être regardé comme s'appliquant aussi aux demandes de pension de réversion ;

Sur la période postérieure au 31 décembre 2010 :

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par un arrêté du 26 décembre 2011 devenu définitif faute d'avoir été contesté dans le délai du recours contentieux, le ministre de l'économie et des finances a concédé la pension de la requérante à compter du 1er janvier 2011 ; que Mme C...a ainsi bénéficié, pour la période postérieure à cette date, de la réversion de la pension militaire de son mari, conformément à sa demande ; que, par suite, ses conclusions tendant à obtenir le bénéfice de cette pension sont devenues sans objet dans cette mesure ; que, dès lors, il n'y a pas lieu d'y statuer ;

Sur la période du 29 juillet 2008 au 31 décembre 2010 :

10. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les dispositions de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 et celles de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002, qui définissaient, à la date de la décision attaquée, les conditions dans lesquelles un droit à pension de réversion était ouvert à la veuve d'un ayant droit de nationalité algérienne, ont été abrogées à compter du 1er janvier 2011 par la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2010 ; qu'en application du VI de l'article 211 de la loi de finances pour 2011, dont la portée a été précisée ci-dessus, il y a lieu d'écarter ces dispositions législatives pour statuer sur le droit à pension de réversion de Mme C... à compter de la date de réception de sa demande par l'administration ; qu'en l'absence au dossier de l'accusé portant notification de cette réception, il y a lieu, pour l'application de ces dispositions, de prendre en compte la date de la demande préalable de Mme C..., soit le 29 juillet 2008 ;

11. Considérant, d'une part, que l'article 211 de la loi de finances pour 2011 n'ayant substitué aucune disposition nouvelle à celles qui doivent ainsi être écartées pour définir les conditions dans lesquelles un droit à pension de réversion est ouvert à la veuve d'un ayant droit étranger, il y a lieu de faire application des dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite relatives aux pensions des ayants cause applicables à la date du décès de l'ayant droit ;

12. Considérant qu'aux termes de l'article L. 47 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction en vigueur le 19 octobre 1975 : " Sont applicables aux ayants cause des militaires dont les droits se trouvent régis par le présent code les dispositions du chapitre Ier du présent titre, à l'exception de celles visées au premier alinéa, a et b, de l'article L. 39, qui sont remplacées par les dispositions suivantes : / Le droit à pension de veuve est subordonné à la condition : / a) Que depuis la date du mariage jusqu'à celle de la cessation de l'activité du mari, celui-ci ait accompli deux années au moins de services valables pour la retraite, sauf si un ou plusieurs enfants sont issus du mariage antérieur à ladite cessation, lorsque le mari a obtenu ou pouvait obtenir la pension prévue à l'article L. 6 (1°) (...) " ; qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L. 39 du code des pensions civiles et militaires de retraite, rendu applicable aux ayants cause des militaires par l'article L. 47 du même code : " Nonobstant les conditions d'antériorité prévues ci-dessus, le droit à pension de veuve est reconnu : / 1° Si un ou plusieurs enfants sont issus du mariage ; 2° Ou si le mariage, antérieur ou postérieur à la cessation d'activité, a duré au moins quatre années. " ; qu'il résulte de l'instruction que Mme C... remplit les conditions ainsi prévues par le code des pensions civiles et militaires de retraite pour l'obtention d'une pension de veuve ; que sa demande de versement d'une pension de réversion du chef de son mari décédé a été reçue par l'administration le 29 juillet 2008 ; qu'elle est donc fondée à demander à bénéficier d'une telle pension à compter de cette date ;

13. Considérant, d'autre part, que l'article 211 de la loi de finances pour 2011 prévoit de nouvelles règles pour le calcul des pensions des personnes qu'il mentionne ; que ces règles sont applicables pour le calcul de la pension de Mme C...;

14. Considérant, dès lors, que la décision du ministre du 23 octobre 2008 doit être annulée en tant qu'elle refuse à Mme C...l'attribution d'une pension de veuve à compter du 29 juillet 2008 dans des conditions conformes aux motifs énoncés ci-dessus ;

Sur la période antérieure à la date de la demande de Mme C...à l'administration :

15. Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 portant loi de finances rectificative pour 1981 : " Les pensions, rentes ou allocations viagères attribuées aux ressortissants de l'Algérie sur le budget de l'Etat ou d'établissements publics de l'Etat et garanties en application de l'article 15 de la déclaration de principes du 19 mars 1962 relative à la coopération économique et financière entre la France et l'Algérie ne sont pas révisables à compter du 3 juillet 1962 et continuent à être payées sur la base des tarifs en vigueur à cette même date. Elles pourront faire l'objet de revalorisations dans des conditions et suivant des taux fixés par décret./ (...) " ; ; qu'aux termes du I de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002 : " Les prestations servies en application des articles (...) 26 de la loi de finances rectificative pour 1981 (...) sont calculées dans les conditions prévues aux paragraphes suivants. " ; qu'aux termes du VI du même article : " Les prestations servies en application des textes visés au I peuvent faire l'objet, à compter du 1er janvier 2002 et sur demande, d'une réversion. L'application du droit des pensions aux intéressés et la situation de famille sont appréciées à la date d'effet des dispositions visées au I pour chaque Etat concerné." ;

16. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées que le droit à la réversion d'une pension militaire de retraite versée à un ressortissant algérien en application de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 s'apprécie au regard de la réglementation en vigueur le 3 juillet 1962, et non au regard de la réglementation applicable à la date du décès de l'ayant droit ; qu'à la date du 3 juillet 1962, l'article L. 64 du code des pensions civiles et militaires de retraite excluait du droit à pension de réversion les veuves dont le mariage avait été célébré postérieurement à la cessation d'activité du conjoint titulaire de la pension, sans tenir compte de ce que des enfants seraient issus du mariage ;

17. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B...a cessé son activité dans l'armée française le 30 octobre 1945 et que son mariage avec la requérante a eu lieu le 3 mars 1951 ; que, ce mariage étant postérieur à la radiation des contrôles de l'armée active de son époux décédé, MmeC..., sa veuve, ne remplit pas les conditions prévues par les dispositions de l'article L. 64 du code des pensions civiles et militaires de retraite en vigueur le 3 juillet 1962 ;

18. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme C...n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du ministre du 23 octobre 2008 en tant qu'elle rejette sa demande d'attribution d'une pension de veuve pour la période antérieure au 29 juillet 2008, date de sa demande à l'administration ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du 23 octobre 2008 est annulée en tant qu'elle refuse à Mme C... le bénéfice d'une pension de réversion de la pension militaire de son mari décédé à compter du 29 juillet 2008 et jusqu'au 31 décembre 2010.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de Mme C... en tant qu'elles concernent la période postérieure au 31 décembre 2010.

Article 3 : L'Etat versera à Mme C...une pension de réversion du chef de son époux à compter du 29 juillet 2008 et jusqu'au 31 décembre 2010 dans les conditions fixées par la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C...est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A...C..., veuveB..., au ministre de l'économie et des finances et au ministre de la défense.


Synthèse
Formation : 4ème et 5ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 332581
Date de la décision : 22/05/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 22 mai. 2013, n° 332581
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hervé Guichon
Rapporteur public ?: Mme Gaëlle Dumortier

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:332581.20130522
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award