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19/02/2014 | FRANCE | N°369177

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 19 février 2014, 369177


Vu l'ordonnance n° 70 du 17 mai 2013, enregistrée le 10 juin 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le juge-commissaire près le tribunal mixte de commerce de Papeete, avant de statuer sur la liquidation judiciaire de M. E...A...C..., a demandé au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article 179 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, d'examiner la conformité au bloc de légalité défini par cet article des dispositions de l'article LP 6 de la " loi du pays " n° 2011-27 du 26 septembre 2011 portant modi

fication du code des impôts et autres mesures en matière de ...

Vu l'ordonnance n° 70 du 17 mai 2013, enregistrée le 10 juin 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le juge-commissaire près le tribunal mixte de commerce de Papeete, avant de statuer sur la liquidation judiciaire de M. E...A...C..., a demandé au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article 179 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, d'examiner la conformité au bloc de légalité défini par cet article des dispositions de l'article LP 6 de la " loi du pays " n° 2011-27 du 26 septembre 2011 portant modification du code des impôts et autres mesures en matière de recouvrement et de fiscalité communale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

Vu l'ordonnance n° 98-581 du 8 juillet 1998, dans sa rédaction issue de la loi n° 99-1122 du 28 décembre 1999 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Bereyziat, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Odent, Poulet, avocat de M. A...C...;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 179 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : " Lorsque, à l'occasion d'un litige devant une juridiction, une partie invoque par un moyen sérieux la contrariété d'un acte prévu à l'article 140 dénommé ' loi du pays' avec la Constitution, les lois organiques, les engagements internationaux, ou les principes généraux du droit, et que cette question commande l'issue du litige, la validité de la procédure ou constitue le fondement des poursuites, la juridiction transmet sans délai la question au Conseil d'Etat, par une décision qui n'est pas susceptible de recours. Le Conseil d'Etat statue dans les trois mois. Lorsqu'elle transmet la question au Conseil d'Etat, la juridiction sursoit à statuer (...) " ; qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative saisie, sur le fondement de ces dispositions, d'une question en appréciation de la conformité d'une " loi du pays " au bloc de légalité ainsi défini, de trancher d'autres questions que celle que lui a renvoyée la juridiction ;

2. Considérant qu'à l'occasion d'un litige devant le tribunal mixte de commerce de Papeete et relatif à l'arrêté des créances à inscrire au passif de M. A... C..., commerçant établi en Polynésie française et faisant l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, le liquidateur de M. A... C...a soutenu que l'article LP 6 de la " loi du pays " du 26 septembre 2011 portant modification du code des impôts et autres mesures en matière de recouvrement et de fiscalité communale était contraire au bloc de légalité défini à l'article 179 cité ci-dessus ; que le tribunal mixte de commerce a sursis à statuer, par une ordonnance du 17 mai 2013 prise sur le fondement des dispositions organiques citées au point 1 ; qu'il ressort de l'ensemble des énonciations de cette ordonnance que le tribunal a transmis au Conseil d'Etat les seules questions, d'une part, de la compétence des autorités polynésiennes pour modifier, par les dispositions du premier alinéa de l'article LP 6, l'ordre des privilèges qui résultait jusque là de l'article 2101 du code civil dans sa rédaction applicable en Polynésie française, d'autre part, du bien-fondé des dispositions du même alinéa au regard du droit de propriété et des principes gouvernant l'ordre des privilèges ; que le liquidateur de M. A...C...n'est, dès lors, pas recevable à soumettre au Conseil d'Etat des moyens tirés de l'irrégularité de la procédure d'adoption de l'article LP 6 ou relatifs au bien-fondé du second alinéa de l'article LP 6, non plus que des moyens contestant, pour d'autres motifs que ceux ainsi désignés par la juridiction de renvoi, le bien-fondé du premier alinéa du même article ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de la combinaison des articles 13 et 14 de la loi organique du 27 février 2004 que la Polynésie française est compétente en matière de droit civil, à l'exception de l'état et de la capacité des personnes, de l'autorité parentale, des régimes matrimoniaux, des successions et des libéralités ; qu'en vertu de l'article 140 de la même loi organique, l'assemblée de la Polynésie française peut, par des actes dénommés " lois du pays ", prendre des mesures relevant du domaine de la loi, lorsque ces mesures ressortissent à la compétence de la Polynésie française en application de l'article 13 ; qu'il s'ensuit que l'assemblée de la Polynésie française est compétente pour déterminer, par des dispositions d'une " loi du pays " et sans qu'y fassent obstacle, contrairement à ce que soutient le liquidateur de M. A...C..., les termes de l'article 34 de la Constitution, les créances qui bénéficient du privilège défini par l'article 2095 du code civil, lequel dispose, dans sa version applicable en Polynésie française : " Le privilège est un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d'être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires " ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que le premier alinéa de l'article LP 6 de la " loi du pays " du 26 septembre 2011 dispose : " Les produits de nature non fiscale recouvrés par les comptables publics dont la mission est exercée en Polynésie française bénéficient d'un privilège de même nature et qui prend immédiatement rang après celui dont disposent les contributions, droits et taxes de toute nature établis par la Polynésie française, tel que défini par l'article 1er de l'ordonnance n° 98-581 du 8 juillet 1998 portant actualisation et adaptation des règles relatives aux garanties de recouvrement et à la procédure contentieuse en matière d'impôts en Polynésie française " ; qu'en adoptant ces dispositions, les autorités polynésiennes ont exercé les compétences qu'elles tenaient en matière de droit civil, ainsi qu'il a été dit au point précédent, de l'entrée en vigueur des articles 13 et 14 de la loi organique du 27 février 2004 ; que, dès lors, ces dispositions se sont substituées, en ce qui concerne les produits qu'elles visent, à celles de l'ordonnance du 8 juillet 1998 mentionnée par ces mêmes dispositions, qui étaient antérieurement en vigueur ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport de présentation n° 75-2011 soumis le 4 août 2011 à l'assemblée de la Polynésie française en vue de l'examen du projet de " loi du pays " duquel est issu l'article LP 6, que, pour justifier l'institution du privilège prévu au premier alinéa de cet article, les autorités polynésiennes ont fait valoir l'intérêt général qui s'attache à ce que les collectivités publiques améliorent les taux et délais de recouvrement de leurs créances ; qu'eu égard à l'objectif d'intérêt général qu'elles entendent ainsi poursuivre, ces dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété des autres créanciers privilégiés établis en Polynésie française ; que l'ordre des privilèges que ces dispositions ont pour effet d'instituer n'est pas davantage entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, alors même qu'est attribué au privilège bénéficiant à l'ensemble des créances non fiscales recouvrées par les comptables publics, à ce seul titre et sans égard pour la cause de ces créances, un rang élevé et supérieur, notamment, à celui qui est attaché aux créances relatives aux frais funéraires, aux frais de dernière maladie ou aux créances salariales autres que celles dues, en cas de sauvegarde, de redressement ou liquidation judiciaire de l'employeur, aux salariés et apprentis pour les soixante derniers jours de travail ou d'apprentissage ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de déclarer le premier alinéa de l'article LP 6 contraire au bloc de légalité défini à l'article 179 de la loi organique du 27 février 2004 ;

Sur les conclusions du liquidateur de M. A... C... présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant que si, aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ", la présente décision se borne à statuer sur la question, transmise par une juridiction sur le fondement des dispositions de l'article 179 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, de la conformité des dispositions d'une " loi du pays " au bloc de légalité défini par cet article ; que ces conclusions sont donc irrecevables au stade de la décision statuant sur cette seule question ;

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de déclarer illégal le premier alinéa de l'article LP 6 de la " loi du pays " n° 2011-27 du 26 septembre 2011.

Article 2 : Les conclusions présentées par le liquidateur de M. A... C...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée M. E... A...C..., à M. D...B..., au président de la Polynésie française, au président de l'assemblée de la Polynésie française et au directeur général du port autonome de Papeete.

Copie en sera adressée au juge-commissaire à la liquidation de M. E... A...C...près le tribunal mixte de commerce de Papeete, au ministre des outre mer, au ministre de l'économie et des finances et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.


Synthèse
Formation : 10ème et 9ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 369177
Date de la décision : 19/02/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Analyses

46-01-02-02 OUTRE-MER. DROIT APPLICABLE. STATUTS. POLYNÉSIE FRANÇAISE. - 1) CONTESTATION DE LA CONFORMITÉ D'UNE LOI DU PAYS AU BLOC DE LÉGALITÉ DÉFINI PAR L'ARTICLE 179 DE LA LOI ORGANIQUE DU 27 FÉVRIER 2004 - TRANSMISSION DE LA QUESTION AU CONSEIL D'ETAT - A) OFFICE DU JUGE - OFFICE LIMITÉ À LA RÉSOLUTION DE LA QUESTION RENVOYÉE - B) CONCLUSIONS PRÉSENTÉES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE L. 761-1 DU CJA - RECEVABILITÉ - ABSENCE - 2) A) PRIVILÈGE INSTITUÉ AU BÉNÉFICE DES PRODUITS DE NATURE NON FISCALE RECOUVRÉS PAR LES COMPTABLES PUBLICS DONT LA MISSION EST EXERCÉE EN POLYNÉSIE FRANÇAISE (ART. LP. 6 DE LA LOI DU PAYS DU 26 SEPTEMBRE 2011) - ATTEINTE ILLÉGALE AU DROIT DE PROPRIÉTÉ DES AUTRES CRÉANCIERS - ABSENCE - B) ORDRE DES PRIVILÈGES INSTITUÉ PAR L'ARTICLE LP. 6 - ERREUR MANIFESTE D'APPRÉCIATION - ABSENCE.

46-01-02-02 1) a) Il n'appartient pas au Conseil d'Etat saisi, sur le fondement des dispositions de l'article 179 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, d'une question en appréciation de la conformité d'une loi du pays au bloc de légalité défini par cet article, de trancher d'autres questions que celle que lui a renvoyée la juridiction.,,,b) Des conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (CJA) sont irrecevables au stade de la décision statuant sur cette seule question.... ,,2) a) Eu égard à l'objectif d'intérêt général qui s'attache à ce que les collectivités publiques améliorent les taux et délais de recouvrement de leurs créances, que les dispositions du premier alinéa de l'article LP. 6 de la loi du pays du 26 septembre 2011 entendent poursuivre, le privilège qu'elles instaurent au bénéfice des produits de nature non fiscale recouvrés par les comptables publics dont la mission est exercée en Polynésie française ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété des autres créanciers privilégiés établis en Polynésie française.... ,,b) L'ordre des privilèges que ces dispositions ont pour effet d'instituer n'est pas davantage entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, alors même qu'est attribué au privilège bénéficiant à l'ensemble des créances non fiscales recouvrées par les comptables publics, à ce seul titre et sans égard pour la cause de ces créances, un rang élevé et supérieur, notamment, à celui qui est attaché aux créances relatives aux frais funéraires, aux frais de dernière maladie ou aux créances salariales autres que celles dues, en cas de sauvegarde, de redressement ou liquidation judiciaire de l'employeur, aux salariés et apprentis pour les soixante derniers jours de travail ou d'apprentissage.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 fév. 2014, n° 369177
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Bereyziat
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : SCP ODENT, POULET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:369177.20140219
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