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12/03/2014 | FRANCE | N°350065

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 12 mars 2014, 350065


Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 10 juin 2011, 12 septembre 2011 et 16 février 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le département du Gard, représenté par le président du conseil général ; le département du Gard demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07MA04113 du 7 avril 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, statuant sur la requête de Réseau ferré de France (RFF), a, d'une part, annulé partiellement le jugement n° 0500852 du 23 juillet 2007 du tribunal admini

stratif de Nîmes condamnant RFF solidairement avec l'Etat à payer diverses ...

Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 10 juin 2011, 12 septembre 2011 et 16 février 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le département du Gard, représenté par le président du conseil général ; le département du Gard demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07MA04113 du 7 avril 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, statuant sur la requête de Réseau ferré de France (RFF), a, d'une part, annulé partiellement le jugement n° 0500852 du 23 juillet 2007 du tribunal administratif de Nîmes condamnant RFF solidairement avec l'Etat à payer diverses sommes en réparation des dommages résultant d'inondations survenues en 2002 et 2004, en tant qu'il a statué sur des conclusions irrecevables et condamné l'État au paiement de sommes qu'il ne devait plus à la date où il a été statué, d'autre part, mis hors de cause la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), enfin, réformé le jugement contesté en condamnant solidairement le département du Gard et RFF à réparer différents dommages subis par la SARL Pépinières Garcin, les époux B...et la société Groupama Sud Assurances et à supporter les frais d'expertise ;

2°) réglant l'affaire au fond, de mettre hors de cause le département du Gard ou, à titre subsidiaire, de rejeter les conclusions d'appel de RFF, de condamner RFF à réparer à hauteur de 50% les préjudices subis par la SARL Pépinières Garcin et autres et de laisser à la charge des requérants 20 % du montant de ces préjudices ;

3°) de mettre à la charge de toute partie qui succombe les dépens, y compris les frais d'expertise, et la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 72-2 ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 ;

Vu le décret n° 2005-1500 du 5 décembre 2005 ;

Vu le décret n° 2005-1711 du 29 décembre 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Haas, avocat du département du Gard, à la SCP Didier, Pinet, avocat de la SARL Pépinières Garcin, de M. et Mme B...et de la société Groupama Sud Assurances, à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de Réseau ferré de France (RFF) et à la SCP Odent, Poulet, avocat de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'exploitation horticole de la SARL Pépinières Garcin, qui est située sur le territoire de la commune de Pujaut (Gard), a été inondée à deux reprises à la suite de précipitations survenues les 8 et 9 septembre 2002, puis les 16 et 17 août 2004 ; qu'estimant que la route nationale 580 et la ligne de TGV passant à proximité avaient été à l'origine des dommages subis à ces occasions en faisant obstacle au libre écoulement des eaux, la société en cause, ses gérants, M. et Mme B..., et la société Groupama Sud Assurances, son assureur, ont saisi le tribunal administratif de Nîmes, sur le fondement du régime de responsabilité sans faute des ouvrages publics à l'égard des tiers, d'une demande tendant à ce que les propriétaires de ces équipements soient condamnés à les indemniser ; que, par un jugement du 23 juillet 2007, le tribunal administratif de Nîmes a jugé que la moitié des dommages était imputable à l'Etat et à Réseau ferré de France (RFF), le reste demeurant à ...; que le tribunal administratif a ensuite fixé à 75% et à 25% la part de responsabilité incombant respectivement à l'Etat et à RFF ; que, sur l'appel de RFF, la cour administrative d'appel de Marseille a réformé ce jugement par un arrêt du 7 avril 2011 ; qu'elle a substitué d'office le département à l'Etat comme débiteur de l'indemnité due par ce dernier, compte tenu du transfert de la propriété de la route nationale en cause, opéré en application de l'article 18 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, et a réduit le montant du préjudice réparable au titre des pertes de revenus de M. et Mme B...; que le département du Gard se pourvoit en cassation contre cet arrêt ; que la SARL Pépinières Garcin, M. et Mme B...et la société Groupama Sud Assurances, d'une part, et RFF, d'autre part, présentent un pourvoi incident contre le même arrêt ;

Sur le pourvoi principal :

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du III de l'article 18 de la loi du 13 août 2004 précitée : " A l'exception des routes répondant au critère prévu par l'article L. 121-1 du code de la voirie routière, les routes classées dans le domaine public routier national à la date de la publication de la présente loi, ainsi que leurs dépendances et accessoires, sont transférées dans le domaine public routier départemental. (...) Ce transfert est constaté par le représentant de l'Etat dans le département dans un délai qui ne peut excéder dix-huit mois après la publication des décrets en Conseil d'Etat mentionnés à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 121-1 du code de la voirie routière. Cette décision emporte, au 1er janvier de l'année suivante, le transfert aux départements des servitudes, droits et obligations correspondants, ainsi que le classement des routes transférées dans la voirie départementale. (...) Les transferts prévus par le présent III sont réalisés à titre gratuit et ne donnent lieu au paiement d'aucune indemnité, droit, taxe, salaire ou honoraire. (...) " ; qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 1er du décret du 5 décembre 2005 portant application de l'article 18 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales : " Une liste des actes ayant conféré des droits à l'Etat ou fait naître des obligations à sa charge en ce qui concerne la gestion du réseau routier national transféré est annexée aux arrêtés de transfert " ; que, pour l'application de ces dispositions législatives et réglementaires, le préfet du Gard a pris, le 5 décembre 2005, un arrêté déterminant la liste des routes nationales transférées au département du Gard à compter du 1er janvier 2006, parmi lesquelles figure la RN 580 ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le département du Gard a été substitué à l'Etat à compter du 1er janvier 2006 dans l'ensemble des droits et obligations liés aux routes qui lui ont été transférées à cette date en vertu de la loi, sans incidence étant la circonstance que les actions contentieuses liées à ces routes n'auraient pas été mentionnées dans l'arrêté préfectoral du 5 décembre 2005 ; qu'eu égard à leur portée générale, ainsi qu'à l'objet et aux modalités de compensation financière des transferts de compétences, ces dispositions doivent être regardées comme incluant les droits et obligations attachés aux actions pendantes à la date du transfert ; que le moyen tiré de ce qu'une personne publique ne peut être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas est d'ordre public ; que, par suite, en mettant en cause le département du Gard, après l'avoir invité à présenter ses observations sur ce point, et en mettant à sa charge, en application de ces dispositions, le versement des sommes dues à la SARL Pépinières Garcin et autres aux lieu et place de l'Etat, alors même qu'aucune des parties présentes dans l'instance n'avait présenté de conclusions en ce sens, la cour, qui n'a pas méconnu le principe selon lequel le juge doit statuer dans les limites des conclusions dont il est saisi, n'a pas entaché son arrêt d'irrégularité ni d'erreur de droit ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que le moyen, qui n'est pas d'ordre public, tiré de ce que le département du Gard ne pouvait être condamné, faute qu'ait été prévue une dotation particulière de l'Etat au titre de ce contentieux lors du transfert de la RN 580, en méconnaissance de l'article 72-2 de la Constitution et des textes régissant les transferts de compétence et leur compensation financière, n'a pas été soulevé devant la cour administrative d'appel de Marseille ; que, par suite, il ne peut être utilement invoqué devant le juge de cassation ;

5. Considérant, en troisième lieu, que, si la cour a relevé, d'ailleurs au sujet du lien de causalité, qui n'était pas contesté par l'Etat, que le département n'avait pas repris à son compte les écritures de ce dernier, elle a, en tout état de cause, contrairement à ce que soutient le département, statué sur les causes d'atténuation de responsabilité invoquées par l'Etat devant elle en indiquant, de manière précise, les raisons pour lesquelles l'existence d'une situation de force majeure ainsi que d'une faute des victimes devait être écartée, et en reprenant à son compte le partage de responsabilité opéré par les premiers juges entre l'Etat et RFF ;

Sur le pourvoi incident présenté par RFF :

6. Considérant, en premier lieu, que le moyen soulevé par RFF et repris par le département du Gard tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en ne recherchant pas, pour apprécier le lien de causalité entre les dommages litigieux et la ligne de TGV, si les dommages ne résultaient pas, au moins partiellement, de la situation géographique de la pépinière Garcin, est nouveau en cassation ; que, par suite, il ne peut être utilement invoqué pour contester le bien-fondé de l'arrêt attaqué ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que pour caractériser le lien de causalité entre la ligne de TGV et l'aggravation des désordres causés à la pépinière, la cour a souverainement relevé, d'une part, que les ouvrages hydrauliques soutenant la ligne avaient canalisé et accéléré le débit d'évacuation des eaux pluviales en direction de l'exploitation et d'autre part, en s'appuyant notamment sur les conclusions détaillées d'un rapport d'expertise, que si l'existence de ces ouvrages n'avait pas modifié la quantité d'eau qui arrivait dans les propriétés, les vitesses accrues d'écoulement des eaux avaient entraîné des dégâts supplémentaires ; qu'en statuant ainsi, la cour a suffisamment motivé son arrêt ;

8. Considérant qu'en réponse au moyen tiré de ce que les exploitants de la pépinière auraient commis une imprudence fautive susceptible d'atténuer ou d'exonérer la responsabilité des maîtres des ouvrages publics, en s'installant dans un secteur naturellement inondable puis en y développant leur activité, la cour a relevé, au terme d'une appréciation souveraine des pièces du dossier exempte de dénaturation, d'une part, que l'installation de l'entreprise était antérieure aux inondations survenues depuis 1987 et, d'autre part, que la surface occupée par la pépinière entre 1987 et 2004 n'avait pas fait l'objet d'une extension ; qu'en écartant le moyen précité, la cour n'a pas entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique ;

9. Considérant, enfin, que pour dénier aux épisodes pluvieux à l'origine des dommages le caractère d'un événement de force majeure susceptible d'atténuer ou d'exonérer les maîtres des ouvrages publics de leur responsabilité, la cour a souverainement relevé que des inondations étaient survenues localement de manière récurrente en 1987, 1988 et 1991 et que des précipitations de même ampleur s'étaient déjà produites en 1958 et 1963 ; qu'en en déduisant que les épisodes pluvieux litigieux ne présentaient pas un caractère imprévisible et que, par suite, ils ne pouvaient être regardés comme constitutifs d'un cas de force majeure, la cour n'a pas donné aux faits qui lui étaient soumis une qualification juridique erronée ;

10. Considérant que le moyen tiré d'une erreur commise dans l'évaluation du préjudice indemnisé n'est pas assorti de précisions de nature à permettre d'en apprécier le bien-fondé ;

Sur le pourvoi incident de la SARL Pépinières Garcin, des époux B...et de la société Groupama Sud Assurances :

11. Considérant qu'après avoir estimé, pour les raisons exposées au point 9 et contrairement à ce qu'avaient retenu les premiers juges, que les événements pluvieux survenus en septembre 2002 ne pouvaient être regardés comme présentant le caractère d'un événement de force majeure, la cour a relevé, sans méconnaître la portée de leurs écritures, que les intimés se sont bornés devant elle à demander la confirmation du jugement, sans former appel incident, et à conclure à titre subsidiaire à ce que le département du Gard soit substitué à l'État dans les condamnations prononcées ; qu'en en déduisant qu'il ne lui appartenait pas d'augmenter le montant des indemnités dues aux intéressés, la cour n'a ni méconnu son office ni commis d'erreur de droit ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi principal et les pourvois incidents de RFF, d'une part, et de la SARL Pépinières Garcin, de M. et Mme B... et de la société Groupama Sud Assurances, d'autre part, doivent être rejetés ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de la SNCF qui ne sont pas, dans la présente instance, parties perdantes ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le département du Gard, la SNCF et RFF au même titre ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du seul département du Gard la somme globale de 3 000 euros à verser à la SARL Pépinières Garcin, à M. et Mme B...et à la société Groupama Sud Assurances, au titre des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi du département du Gard et les pourvois incidents, d'une part, de RFF et, d'autre part, de la SARL Pépinières Garcin, de M. et Mme B...et de la société Groupama Sud Assurances sont rejetés.

Article 2 : Le département du Gard versera à la SARL Pépinières Garcin, à M. et Mme B...et à la société Groupama Sud Assurances la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par le département du Gard, la SNCF et RFF tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au département du Gard, à la Société nationale des chemins de fer français, à Réseau ferré de France, à la société Pépinières Garcin, à M. et Mme A...B..., à la société Groupama Sud Assurances et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 350065
Date de la décision : 12/03/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 mar. 2014, n° 350065
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Rapporteur public ?: M. Xavier de Lesquen
Avocat(s) : HAAS ; SCP DIDIER, PINET ; SCP ODENT, POULET ; SCP MEIER-BOURDEAU, LECUYER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:350065.20140312
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