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23/06/2014 | FRANCE | N°360709

France | France, Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 23 juin 2014, 360709


Vu le pourvoi, enregistré le 3 juillet 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre délégué chargé du budget ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n°11PA02238 du 27 avril 2012 par lequel la cour administrative de Paris, après avoir annulé le jugement n°0805086 du 8 mars 2011 du tribunal administratif de Paris, a prononcé au bénéfice de la société Kerry la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titr

e des exercices clos en 2003 et 2004 ;

2°) réglant l'affaire au fond, à titre p...

Vu le pourvoi, enregistré le 3 juillet 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre délégué chargé du budget ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n°11PA02238 du 27 avril 2012 par lequel la cour administrative de Paris, après avoir annulé le jugement n°0805086 du 8 mars 2011 du tribunal administratif de Paris, a prononcé au bénéfice de la société Kerry la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2003 et 2004 ;

2°) réglant l'affaire au fond, à titre principal, de remettre ces impositions à la charge de la société Kerry, à titre subsidiaire, de faire droit à sa demande de substitution de base légale et de remettre à la charge de cette société les impositions dont elle a été déchargée, dans la limite de 647 772 euros en base pour 2003, dans leur intégralité pour 2004, avec intérêts de retard ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Vu la directive n° 90/435/CEE du 23 juillet 1990 et la directive n° 2011/96/UE du 30 novembre 2011 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 ;

Vu la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 ;

Vu la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Olléon, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Kerry ;

1. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 145 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions litigieuses : " 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini aux articles 146 et 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : a. les titres de participations doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration ; b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice (...) ; c. les titres de participations doivent avoir été souscrits à l'émission. A défaut, la personne morale participante doit avoir pris l'engagement de les conserver pendant un délai de deux ans. (...). " ; qu'aux termes de l'article 216 du même code : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges (...) " ; qu'aux termes du I de l'article 219 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " (...) a ter. Le régime des plus-values et moins-values à long terme cesse de s'appliquer au résultat de la cession de titres du portefeuille réalisée au cours d'un exercice ouvert à compter du 1er janvier 1994 à l'exclusion des parts ou actions de sociétés revêtant le caractère de titres de participation (...). Pour les exercices ouverts à compter de la même date, le régime des plus ou moins-values à long terme cesse également de s'appliquer en ce qui concerne les titres de sociétés dont l'actif est constitué principalement par des titres exclus de ce régime ou dont l'activité consiste de manière prépondérante en la gestion des mêmes valeurs pour leur propre compte. Pour l'application des premier et deuxième alinéas, constituent des titres de participation les parts ou actions de sociétés revêtant ce caractère sur le plan comptable. Il en va de même (...) des titres ouvrant droit au régime des sociétés mères, (...) si ces (...) titres sont inscrits en comptabilité au compte de titres de participation ou à une subdivision spéciale d'un autre compte du bilan correspondant à leur qualification comptable (...) " ;

2. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) b) (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; (...) L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement. " ; qu'il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, auraient normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Kerry a acquis le 10 décembre 2003, pour un montant de 6 000 000 euros, la totalité des titres de la société Carbo France Chirurgical (CFC) ; qu'elle s'est engagée à conserver ces titres pendant une durée de deux ans et les a inscrits en comptabilité à son actif en tant que valeurs mobilières de placement ; que la société CFC a successivement versé à la société Kerry, le 23 décembre 2003, 1 200 000 euros, et, le 25 juin 2004, 5 000 000 euros de dividendes ; que ces dividendes ont bénéficié du régime des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts précités ; que, parallèlement, la société Kerry a déduit de ses résultats imposables au titre de ces deux exercices des provisions pour dépréciation des titres litigieux en application du deuxième alinéa du a ter du I de l'article 219 du même code pour des montants proches de la valeur des dividendes perçus ; qu'elle a ainsi dégagé, au titre de ces exercices, des gains fiscaux immédiats sous la forme d'économie d'impôt sur les sociétés et des déficits fiscaux reportables ; que, pour juger que les opérations décrites ci-dessus ne constituaient pas un abus de droit au sens des dispositions de l'article L. 64 précité, la cour administrative d'appel de Paris a relevé, d'une part, que les sociétés Kerry et CFC existaient avant les opérations de distribution des dividendes et que les avantages fiscaux litigieux n'avaient pas été obtenus par l'interposition d'une société spécialement créée à cet effet, d'autre part, que les opérations en cause n'avaient pas méconnu les objectifs de l'article 216 du code général des impôts, qui a institué le régime des sociétés mères dans le but d'éliminer la double imposition des dividendes ;

4. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des travaux préparatoires du régime fiscal des sociétés mères, en particulier des travaux préparatoires de l'article 27 de la loi du 31 juillet 1920 portant fixation du budget général de l'exercice 1920, de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1936 portant réforme fiscale, de l'article 45 de la loi n° 52-401 du 14 avril 1952 portant loi de finances pour 1952, des articles 20 et 21 de la loi n° 65-566 du 12 juillet 1965 modifiant l'imposition des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers et de l'article 9 de la loi de finances pour 2001, ainsi que de la circonstance que le bénéfice de ce régime fiscal a toujours été subordonné à une condition de détention des titres depuis l'origine ou de durée minimale de détention, et, depuis 1936, à une condition de seuil de participation minimale dans le capital des sociétés émettrices, que le législateur, en cherchant à supprimer ou à limiter la succession d'impositions susceptibles de frapper les produits que les sociétés mères perçoivent de leurs participations dans des sociétés filles et ceux qu'elles redistribuent à leurs propres actionnaires, a eu comme objectif de favoriser l'implication de sociétés mères dans le développement économique des sociétés filles pour les besoins de la structuration et du renforcement de l'économie française ; que le fait d'acquérir des sociétés ayant cessé leur activité initiale et liquidé leurs actifs, dans le but d'en récupérer les liquidités par le versement de dividendes exonérés d'impôt sur les sociétés en application du régime de faveur des sociétés mères, sans prendre aucune mesure de nature à leur permettre de reprendre et développer leur ancienne activité ou d'en trouver une nouvelle, va à l'encontre de cet objectif ; qu'en jugeant que les opérations litigieuses ne contrevenaient pas aux objectifs du régime fiscal des sociétés mères, la cour a ainsi méconnu les objectifs de ce régime et entaché son arrêt d'une erreur de droit ; qu'il suit de là qu'en jugeant que les opérations litigieuses n'étaient pas constitutives d'un abus de droit, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique des faits ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

5. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

6. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 qui est applicable au présent litige : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : / a) Qui donnent ouverture à des droits d'enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevés ; / b) Ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; / c) Ou qui permettent d'éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffre d'affaires correspondant aux opérations effectuées en exécution d'un contrat ou d'une convention. / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification " ; qu'en vertu du b de l'article 1729 du code général des impôts, une majoration de 80 % est appliquée en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et est ramenée à 40 % lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire ; que cette majoration constitue une sanction ayant le caractère d'une punition au sens de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

8. Considérant que la société Kerry soutient que, faute de préciser les cas de fraude à la loi susceptibles d'être sanctionnés sur leur fondement et en raison de la rétroactivité qui s'attache à l'interprétation jurisprudentielle qui en a été faite par le Conseil d'Etat, les dispositions précitées portent atteinte aux principes de légalité des délits et des peines et de non rétroactivité de la loi pénale garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, à la garantie des droits résultant de l'article 16 de la même Déclaration et à l'article 34 de la Constitution ; que, toutefois, il résulte des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, telles qu'interprétées par le Conseil d'Etat selon une jurisprudence constante depuis sa décision n° 19079 du 10 juin 1981, que lorsque l'administration use des pouvoirs qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes, même s'ils n'ont pas un caractère fictif, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ; que, depuis sa décision n° 284565 du 28 février 2007, le Conseil d'Etat subordonne en outre la qualification d'abus de droit, s'agissant d'un acte n'ayant pas un caractère fictif, à la condition que l'acte en cause procède de la recherche du bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs ; qu'au regard de cette interprétation résultant d'une jurisprudence constante, l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, et le b de l'article 1729 du code général des impôts en tant qu'il institue une majoration en cas d'abus de droit, ne présentent aucune ambiguïté en ce qui concerne la définition des infractions qu'ils sanctionnent ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les articles 1729 du code général des impôts et L. 64 du livre des procédures fiscales portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

Sur les autres moyens de la requête d'appel :

10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société CFC, dont la société Kerry a fait l'acquisition en décembre 2003, avait cessé toute activité, que ses actifs étaient constitués essentiellement d'obligations d'une société luxembourgeoise de participations financières et qu'elle n'employait aucun personnel ; que les distributions successives de dividendes ont eu pour effet de priver la société CFC des moyens susceptibles de lui permettre de retrouver une activité ; que si la société Kerry remplissait les conditions légales pour bénéficier du régime des sociétés mères prévu par les articles 145 et 216 du code général des impôts dans leur rédaction alors applicable, si elle a pris l'engagement de conserver les titres pendant deux ans et si les opérations litigieuses n'ont pas été rendues possibles par l'interposition d'une ou de sociétés spécialement créées à cette fin, il résulte des circonstances rappelées ci-dessus que la société Kerry n'a pris aucune mesure de nature à favoriser le développement de la société qu'elle venait d'acquérir ; que les opérations litigieuses ont, en revanche, grâce à la déduction immédiate des provisions correspondant à la dépréciation des titres et à l'exonération d'impôt dont ont bénéficié, à l'exception d'une quote-part, les dividendes reçus de la société fille en application du régime des sociétés mères, permis à la société Kerry de dégager d'importants déficits fiscaux pour partie imputables sur ses autres bénéfices et, pour le reste, reportables ; que si, dans le dernier état de ses écritures, la société fait état d'un " gain financier " d'environ 500 000 euros, égal à la différence entre les dividendes qu'elle a reçus de la société CFC et le montant de la provision qu'elle a constituée pour tenir compte de la perte de valeur consécutive à cette distribution, une telle différence comptable ne peut être regardée comme de nature à justifier le montage litigieux, dès lors qu'en l'absence de tout autre effet de l'opération, elle ne peut résulter que d'un partage de l'avantage fiscal entre le cédant et le cessionnaire de la société CFC ; qu'il suit de là que l'administration doit être regardée comme ayant apporté la preuve lui incombant de ce que les opérations litigieuses ont été inspirées par un but exclusivement fiscal et ont méconnu les objectifs poursuivis par le législateur lorsqu'il a institué le régime des sociétés mères, et de ce qu'elles constituaient ainsi un abus de droit ; que la circonstance que la loi du 29 décembre 2010, qui a prévu certaines dispositions anti-abus liées au régime des sociétés mères, n'a pas expressément interdit les opérations litigieuses, lesquelles n'ont été expressément prohibées que par la loi du 16 août 2012, ne faisait pas obstacle à ce que l'administration poursuive les redressements litigieux, qui se rapportent à des faits antérieurs, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

11. Considérant que l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au procès équitable ne peut être utilement invoqué pour contester des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés devant le juge de l'impôt, qui ne statue pas en matière pénale et ne tranche pas des contestations sur des droits et obligations à caractère civil, quand bien même ces cotisations résultent de la mise en oeuvre de la procédure prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales relatif à l'abus de droit en matière fiscale ; que le moyen tiré de ce que la méconnaissance de l'intention du législateur pour caractériser un abus de droit serait, en contrariété avec l'article 6 de la convention, un critère trop flou, ne garantissant pas une sécurité juridique suffisante pour les contribuables concernés, en particulier dans un cas comme celui de l'espèce où le législateur n'a expressément interdit les opérations litigieuses qu'après de nombreuses années ne peut donc en tout état de cause qu'être écarté ;

12. Considérant que la société Kerry soutient que l'application qui a été faite en l'espèce des dispositions des articles 145 et 216 du code général des impôts méconnaît les dispositions de la directive n° 2011/96/UE du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents ; que, toutefois, aux termes du 2 de l'article 1er de cette directive, " La présente directive ne fait pas obstacle à l'application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d'éviter les fraudes et abus " ; que, dès lors et en tout état de cause, les dispositions de cette directive ne faisaient pas obstacle à ce que l'administration mette à la charge de la société des impositions supplémentaires sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

13. Considérant que lorsque l'administration procède à un rehaussement d'impositions antérieures, les contribuables ne sont en droit d'invoquer, sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, que des interprétations et appréciations antérieures à l'imposition primitive ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'administration aurait décidé, à la fin de l'année 2007, soit postérieurement aux impositions primitives objets du redressement en litige, de ne pas poursuivre un rehaussement dirigé contre une autre société pour des faits comparables ne peut en tout état de cause qu'être écarté ;

14. Considérant, enfin, que si la société soutient qu'aucune majoration pour abus de droit ne pouvait être mise à sa charge sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts, dès lors que le redressement litigieux a été poursuivi sur le terrain du principe général de répression de la fraude à la loi, ce moyen ne peut qu'être écarté, dès lors que le redressement litigieux a été notifié à la société sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et après mise en oeuvre de la procédure prévue à cet article ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Kerry n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2003 et 2004 ;

Sur les conclusions présentées par la société Kerry au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société Kerry au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 27 avril 2012 est annulé.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Kerry.

Article 3 : La requête présentée par la société Kerry devant la cour administrative d'appel de Paris est rejetée.

Article 4 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi que les pénalités correspondantes auxquelles la société Kerry a été assujettie au titre des exercices clos en 2003 et 2004 sont remises à la charge de cette société.

Article 5 : Les conclusions présentées par la société Kerry au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à la société Kerry.


Synthèse
Formation : 9ème et 10ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 360709
Date de la décision : 23/06/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 23 jui. 2014, n° 360709
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Olléon
Rapporteur public ?: M. Frédéric Aladjidi
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:360709.20140623
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