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25/06/2014 | FRANCE | N°356725

France | France, Conseil d'État, 6ème / 1ère ssr, 25 juin 2014, 356725


Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 14 février, 14 mai et 12 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. D...F..., demeurant ... ; M. F...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 62592 du 15 décembre 2011 par lequel la Cour des comptes a confirmé le jugement n° 10-017 du 16 décembre 2010 de la chambre régionale des comptes de la Réunion déclarant M. G...F...comptable de fait des deniers de la commune de Saint-André attribués à l'Amicale du personnel communal de Saint-André, conjoint

ement et solidairement avec le président et le trésorier de cette associat...

Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 14 février, 14 mai et 12 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. D...F..., demeurant ... ; M. F...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 62592 du 15 décembre 2011 par lequel la Cour des comptes a confirmé le jugement n° 10-017 du 16 décembre 2010 de la chambre régionale des comptes de la Réunion déclarant M. G...F...comptable de fait des deniers de la commune de Saint-André attribués à l'Amicale du personnel communal de Saint-André, conjointement et solidairement avec le président et le trésorier de cette association, et a demandé aux comptables de fait de produire un compte dans un délai de trois mois ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) à titre subsidiaire, d'infirmer le jugement de la chambre régionale des comptes de la Réunion n° 10-017 du 16 décembre 2010 en tant qu'il a déclaré M. F...conjointement et solidairement comptable de fait des deniers de la commune de Saint-André ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Saint-André une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 juin 2014, présentée pour M. F... ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Samuel Gillis, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de M. F...;

1. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que l'Amicale du personnel communal de Saint-André, association régie par la loi du 1er juillet 1901, a bénéficié, depuis sa création en 1982, de subventions municipales dans le cadre de conventions annuelles conclues avec la commune de Saint-André ; que, par un jugement du 16 décembre 2010, la chambre régionale des comptes de la Réunion a déclaré M.F..., maire de Saint-André jusqu'en 2008, gestionnaire de fait des deniers de la commune, conjointement et solidairement avec Mme B...et M.E..., respectivement présidente et trésorier de l'association, à raison de l'utilisation de sommes versées par la commune de 2004 à 2007 ; que, par un arrêt du 15 décembre 2011, contre lequel M. F...se pourvoit en cassation, la Cour des comptes a rejeté l'appel de M. F...dirigé contre ce jugement ;

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, que le requérant soutient que la Cour des comptes s'est irrégulièrement abstenue de répondre à un moyen tiré de ce que la copie du jugement de la chambre régionale des comptes dont il a été rendu destinataire ne comportait pas les signatures exigées par l'article R. 241-41, alors applicable, du code des juridictions financières ; qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la Cour des comptes a estimé que le jugement comportait les signatures exigées par cet article ; que le moyen mentionné ci-dessus ne peut, dès lors, être accueilli ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que, pour juger M. F...solidairement comptable de fait, la Cour des comptes a examiné les responsabilités de chacune des personnes concernées, et notamment de l'intéressé ; qu'elle a notamment relevé que les pièces attestaient l'intervention directe du maire, pour seize opérations, sous couvert de délégation générale par voie conventionnelle, que la présidente de l'association, dont le siège était à la mairie, n'avait pas d'autonomie hiérarchique à l'égard des élus, que le maire était, contrairement à ce qu'il soutient, de par sa position, à même de faire cesser les irrégularités, en s'abstenant de donner les instructions précitées et en ne mandatant pas la subvention ; qu'elle a également rappelé le principe constant selon lequel les comptables de fait doivent rendre compte solidairement de leur gestion ; qu'en se prononçant ainsi, la Cour a suffisamment motivé son arrêt ;

4. Considérant, en troisième lieu, que, pour écarter le moyen tiré de ce que le dispositif qui confie, en vertu des dispositions de l'article 9 de la loi 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la gestion de tout ou partie des prestations d'action sociale dont bénéficient les agents à une association régie par la loi du 1er juillet 1901 ne pouvait donner lieu à déclaration de gestion de fait, la Cour des comptes a relevé qu'il ne résulte pas de ces dispositions, ainsi que l'a indiqué le Conseil d'Etat dans un avis rendu le 23 octobre 2003, que le législateur ait entendu déroger aux règles prohibant la gestion de fait et permettre aux collectivités de garder la maîtrise de l'utilisation des deniers versés à ces organismes ; que l'arrêt n'est entaché sur ce point d'aucune insuffisance de motivation ;

5. Considérant, en dernier lieu, qu'aucun texte ne fait obligation à la Cour des comptes, lorsque le parquet n'a pas devant elle la qualité de partie, de communiquer les conclusions de celui-ci ; qu'en procédant cependant à cette communication au requérant un jour avant l'audience la Cour des comptes n'a, en tout état de cause, pas méconnu les droits de la défense ;

Sur le bien-fondé de l'arrêt :

6. Considérant, en premier lieu, que, si le cumul, par un même magistrat de chambre régionale des comptes, des fonctions de rapporteur de la procédure administrative de vérification de la gestion d'une organisme aboutissant à un rapport d'observations se prononçant sur la présomption d'une gestion de fait et transmis, à ce titre, au ministère public près la chambre régionale des comptes à fins de poursuites en application du I de l'article L. 242-1 du code des juridictions financières, d'une part, et des fonctions de juge appelé à se prononcer sur la même gestion de fait, d'autre part, constitue une méconnaissance du principe d'impartialité, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis à la Cour des comptes que le magistrat de la chambre régionale des comptes de la Réunion mis en cause par le requérant dans ses écritures se fût prononcé, dans le cadre de ses fonctions de rapporteur de la procédure administrative de vérification de la gestion de la commune de Saint-André, sur la gestion de fait dont la formation de jugement à laquelle il appartenait était saisie ; qu'au demeurant, les poursuites à l'origine de la déclaration de gestion de fait ont été engagées sur transmission par le procureur de la République des éléments d'une procédure judiciaire relative à des faits de nature à constituer des irrégularités dans la gestion de la commune, en application de l'article L. 241-2-1 du code des juridictions financières ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que la Cour des comptes aurait commis une erreur de droit en ne relevant pas d'office l'irrégularité de la composition de la chambre régionale de comptes de La Réunion ne peut qu'être écarté ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que le requérant a soutenu devant la Cour des comptes que le jugement attaqué méconnaissait le principe d'égalité des armes en raison du net avantage dont disposerait le ministère public, qui a accès à l'ensemble des fonds documentaires des juridictions financières alors que tel n'est pas le cas des autres parties ; que toutefois, en relevant, pour écarter ce moyen, que les parties ont accès à la jurisprudence et à la doctrine et qu'elles peuvent, en outre, solliciter des éclairages durant la procédure et l'audience, la Cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'au stade de la déclaration de gestion de fait, il appartient au juge des comptes de déterminer si chacune des personnes mises en cause a participé de façon suffisamment déterminante aux opérations irrégulières pour être déclarée comptable de fait ; que lorsque plusieurs personnes ont participé de façon indifférenciée et suffisamment déterminante aux opérations irrégulières, le juge des comptes les déclare solidairement comptables de fait ; que, pour confirmer la solidarité prononcée par la chambre régionale des comptes, la Cour des comptes, se fondant sur les motifs rappelés au point 3, a relevé que M.F..., avait, en qualité de maire de Saint-André, pris une part déterminante dans la gestion de l'association ; qu'en statuant ainsi, elle n'a entaché son arrêt ni d'erreur de droit ni de dénaturation des pièces du dossier ;

9. Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte du III de l'article L. 242-1 du code des juridictions financières que le ministère public saisit la formation de jugement lorsqu'il relève, au vu des informations dont il dispose, un élément susceptible de conduire à la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable, ou présomptif de gestion de fait ; qu'est à cet égard sans incidence la circonstance que, parmi les informations dont dispose le ministère public, figureraient des pièces dont la valeur probante est contestable, dès lors qu'il appartient au magistrat chargé de l'instruction, puis le cas échéant à la formation de jugement, d'en apprécier la nature et la portée ; que, dès lors, la Cour des comptes n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit ou dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la saisine de la chambre régionale des comptes de la Réunion était régulière alors même que figurait parmi les pièces du dossier un " audit financier " commandé par le nouveau maire de Saint-André après son élection en 2008 et qualifié de " faux " par le demandeur ;

10. Considérant, en dernier lieu, que, contrairement à ce qui est soutenu, la Cour des comptes n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la conformité de la nature des opérations en cause avec l'objet social de l'organisme qui les a réalisées n'est pas un critère déterminant de l'existence d'une gestion de fait ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. F... doit être rejeté ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat ou de la commune de Saint-André, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par M. F...et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. F...la somme de 3.000 euros, qui sera versée à la commune de Saint-André au même titre ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de M. F...est rejeté.

Article 2 : M. F...versera à la commune de Saint-André une somme de 3.000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. D...F...et à la commune de Saint-André. Copie en sera adressée pour information à Mme C...B..., à M. A...E..., au procureur général près la Cour des comptes et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 6ème / 1ère ssr
Numéro d'arrêt : 356725
Date de la décision : 25/06/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COMPTABILITÉ PUBLIQUE ET BUDGET - RÉGIME JURIDIQUE DES ORDONNATEURS ET DES COMPTABLES - JUGEMENT DES COMPTES - CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES - COMPOSITION DE LA FORMATION DE JUGEMENT STATUANT SUR UNE GESTION DE FAIT - 1) PRINCIPE - POSSIBILITÉ POUR UN MAGISTRAT D'ÊTRE SUCCESSIVEMENT RAPPORTEUR DANS LE CADRE DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE DE VÉRIFICATION DE LA GESTION DE L'ORGANISME PUIS MEMBRE DE LA FORMATION DE JUGEMENT - ABSENCE - DÈS LORS QU'IL S'EST PRONONCÉ SUR LA GESTION DE FAIT DANS LE CADRE DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE [RJ1] - 2) ESPÈCE - COMPOSITION RÉGULIÈRE.

18-01-04-02 1) Le cumul, par un même magistrat de chambre régionale des comptes, des fonctions de rapporteur de la procédure administrative de vérification de la gestion d'une organisme aboutissant à un rapport d'observations se prononçant sur la présomption d'une gestion de fait et transmis, à ce titre, au ministère public près la chambre régionale des comptes à fins de poursuites en application du I de l'article L. 242-1 du code des juridictions financières, d'une part, et des fonctions de juge appelé à se prononcer sur la même gestion de fait, d'autre part, constitue une méconnaissance du principe d'impartialité.,,,2) En l'espèce, magistrat de la chambre régionale des comptes ne s'étant pas prononcé, dans le cadre de ses fonctions de rapporteur de la procédure administrative de vérification de la gestion de la collectivité concernée, sur la gestion de fait dont la formation de jugement à laquelle il a ensuite appartenu était saisie. Par suite, absence d'irrégularité.

PROCÉDURE - JUGEMENTS - COMPOSITION DE LA JURIDICTION - CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES - COMPOSITION DE LA FORMATION DE JUGEMENT STATUANT SUR UNE GESTION DE FAIT - 1) PRINCIPE - POSSIBILITÉ POUR UN MAGISTRAT D'ÊTRE SUCCESSIVEMENT RAPPORTEUR DANS LE CADRE DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE DE VÉRIFICATION DE LA GESTION DE L'ORGANISME PUIS MEMBRE DE LA FORMATION DE JUGEMENT - ABSENCE - DÈS LORS QU'IL S'EST PRONONCÉ SUR LA GESTION DE FAIT DANS LE CADRE DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE [RJ1] - 2) ESPÈCE - COMPOSITION RÉGULIÈRE.

54-06-03 1) Le cumul, par un même magistrat de chambre régionale des comptes, des fonctions de rapporteur de la procédure administrative de vérification de la gestion d'une organisme aboutissant à un rapport d'observations se prononçant sur la présomption d'une gestion de fait et transmis, à ce titre, au ministère public près la chambre régionale des comptes à fins de poursuites en application du I de l'article L. 242-1 du code des juridictions financières, d'une part, et des fonctions de juge appelé à se prononcer sur la même gestion de fait, d'autre part, constitue une méconnaissance du principe d'impartialité.,,,2) En l'espèce, magistrat de la chambre régionale des comptes ne s'étant pas prononcé, dans le cadre de ses fonctions de rapporteur de la procédure administrative de vérification de la gestion de la collectivité concernée, sur la gestion de fait dont la formation de jugement à laquelle il a ensuite appartenu était saisie. Par suite, absence d'irrégularité.


Références :

[RJ1]

Rappr., dans l'état antérieur de la législation, CE, Assemblée, 5 avril 2001, SA Entreprise Razel frères et Le Leuch, n° 206764, p. 176.


Publications
Proposition de citation : CE, 25 jui. 2014, n° 356725
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Samuel Gillis
Rapporteur public ?: M. Xavier De Lesquen
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI ; SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:356725.20140625
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