La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/11/2014 | FRANCE | N°352974

France | France, Conseil d'État, 10ème sous-section jugeant seule, 14 novembre 2014, 352974


VU LA PROCEDURE SUIVANTE :

Procédure contentieuse antérieure

Par un jugement n° 0708147/2 du 7 juillet 2009, le tribunal administratif de Paris a prononcé, au bénéfice de la société Financière MN, venant aux droits des sociétés Entreprise Legros Burette et compagnie, Laboratoires Henri Vial, UBK French property compagny n° 1, UBK French property compagny n° 2 et UBK French property compagny n° 4, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de la contribution additionnelle de 10% et des pénalités correspondantes auxquelles elle a ét

é assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2003 et 2004 à raison de...

VU LA PROCEDURE SUIVANTE :

Procédure contentieuse antérieure

Par un jugement n° 0708147/2 du 7 juillet 2009, le tribunal administratif de Paris a prononcé, au bénéfice de la société Financière MN, venant aux droits des sociétés Entreprise Legros Burette et compagnie, Laboratoires Henri Vial, UBK French property compagny n° 1, UBK French property compagny n° 2 et UBK French property compagny n° 4, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de la contribution additionnelle de 10% et des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2003 et 2004 à raison de la remise en cause de l'exonération prévue par l'article 145 du code général des impôts.

Par un arrêt n° 09PA06362 du 29 juillet 2011, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le ministre du budget, contre ce jugement.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi, enregistré le 27 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09PA06362 du 29 juillet 2011 de la cour administrative d'appel de Paris ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Paquita Morellet-Steiner, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Hivea

1. D'une part, aux termes de l'article 145 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions litigieuses : " 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini aux articles 146 et 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : a. les titres de participation doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration ; b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice (...) ; c. les titres de participation doivent avoir été souscrits à l'émission. A défaut, la personne morale participante doit avoir pris l'engagement de les conserver pendant un délai de deux ans. (...)." et aux termes de l'article 216 du même code : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges (...) ". Par ailleurs, les dispositions du I de l'article 219 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, prévoient que : " (...) a ter. Le régime des plus-values et moins-values à long terme cesse de s'appliquer au résultat de la cession de titres du portefeuille réalisée au cours d'un exercice ouvert à compter du 1er janvier 1994 à l'exclusion des parts ou actions de sociétés revêtant le caractère de titres de participation (...). Pour les exercices ouverts à compter de la même date, le régime des plus ou moins-values à long terme cesse également de s'appliquer en ce qui concerne les titres de sociétés dont l'actif est constitué principalement par des titres exclus de ce régime ou dont l'activité consiste de manière prépondérante en la gestion des mêmes valeurs pour leur propre compte. Pour l'application des premier et deuxième alinéas, constituent des titres de participation les parts ou actions de sociétés revêtant ce caractère sur le plan comptable. Il en va de même (...) des titres ouvrant droit au régime des sociétés mères, (...) si ces (...) titres sont inscrits en comptabilité au compte de titres de participation ou à une subdivision spéciale d'un autre compte du bilan correspondant à leur qualification comptable (...) ".

2. D'autre part, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) b) (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; (...) L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, auraient normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SAS Financière MN, aux droits de laquelle sont venues, successivement, la SAS Esol puis la SAS Hivea, a acquis le 8 décembre 2003, le 1er janvier, le 20 avril, les 12, 14 et 21 mai et le 13 octobre 2004, les titres, respectivement, des sociétés Cathecor, OM Consulting, JSM Music, Profadi puis Sogefa, pour un montant total de 9 341 123 euros. La société Financière MN, après s'être engagée à les conserver pendant une durée de deux ans, les a inscrits en comptabilité à son actif en tant que valeurs mobilières de placement. Avant la clôture des exercices de 2003 et 2004, ces sociétés ont versé à la société Financière MN des dividendes d'un montant total de 2 436 794 euros, soit 6 904 329 euros de moins que le coût d'acquisition des titres, qui ont bénéficié du régime des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts cités au point 1. Parallèlement, la SAS Financière MN a déduit de son résultat imposable une provision pour dépréciation des titres litigieux et a ainsi dégagé un déficit fiscal qui lui a permis de réaliser une économie immédiate d'impôt sur les sociétés de 14 405 euros au titre de l'exercice clos en 2003 et de 18 755 euros au titre de l'exercice clos en 2004. La société des entreprises Legros Burette et compagnie, aux droits de laquelle sont venues, successivement, la SAS Financière MN, la SAS Esol puis la SAS Hivea, a acquis les titres de la société JSM Music le 30 décembre 2003 pour un montant de 7 472 552 euros et, après s'être engagée à les conserver pendant une durée de deux ans, les a inscrits en comptabilité à son actif en tant que valeurs mobilières de placement. Avant la clôture de l'exercice de 2003, la société JSM Music a versé à la société des entreprises Legros Burette et compagnie des dividendes d'un montant total de 7 150 000 euros, soit 322 552 euros de moins que le coût d'acquisition des titres, qui ont bénéficié du régime des sociétés mères. Parallèlement, la société des entreprises Legros Burette et compagnie a déduit de son résultat imposable une provision pour dépréciation des titres litigieux et a ainsi dégagé un déficit fiscal qui lui a permis de réaliser une économie immédiate d'impôt sur les sociétés de 2 232 129 euros au titre de l'exercice clos en 2003. La SA Laboratoires Henri Vial, aux droits de laquelle sont venues, successivement, la SAS Financière MN, la SAS Esol puis la SAS Hivea, a acquis les titres de la société SEP 2, le 22 juin 2004, pour un montant de 1 708 135 euros.et, après s'être engagée à les conserver pendant une durée de deux ans, elle les a inscrits en comptabilité à son actif en tant que valeurs mobilières de placement. Avant la clôture de l'exercice de 2004, la société SEP 2 a versé à la SA Laboratoires Henri Vial des dividendes d'un montant total de 1 632 000 euros, soit 176 135 euros de moins que le coût d'acquisition des titres, qui ont bénéficié du régime des sociétés mères. Parallèlement, la SA laboratoires Henri Vial a déduit de son résultat imposable une provision pour dépréciation des titres litigieux et a ainsi dégagé un déficit fiscal qui lui a permis de réaliser une économie immédiate d'impôt sur les sociétés de 296 358 euros au titre de l'exercice clos en 2004. La SA UBK French property compagny 1, aux droits de laquelle sont venues, successivement, la SAS Financière MN, la SAS Esol puis la SAS Hivea, a acquis, le 20 septembre, les 8 et 15 novembre, et les 16 et 29 décembre 2004, les titres, respectivement, des sociétés LHOM, et des trois sociétés, LB, Mat et Raymond pour un montant total de 9 945 279 euros. Après d'être engagée à les conserver pendant une durée de deux ans, elle les a inscrits en comptabilité à son actif en tant que valeurs mobilières de placement. Avant la clôture de l'exercice de 2004, ces sociétés ont versé à la SA UBK French property compagny 1 des dividendes d'un montant total de 5 975 360 euros, soit 3 969 919 euros de moins que le coût d'acquisition des titres, qui ont bénéficié du régime des sociétés mères. Parallèlement, la SA UBK 1 a déduit de son résultat imposable une provision pour dépréciation des titres litigieux et a ainsi dégagé un déficit fiscal qui lui a permis de réaliser une économie immédiate d'impôt sur les sociétés de 1 568 562 euros, au titre de l'exercice clos en 2004. La SA UBK French property compagny 2, aux droits de laquelle sont venues, successivement, la SAS Financière MN, la SAS Esol puis la SAS Hivea, a acquis ,les 9 et 10 novembre et le 15 décembre 2004, les titres, respectivement, des sociétés Equid et Deregnaucourt pour un montant total de 6 607 972 euros. Après d'être engagée à les conserver pendant une durée de deux ans, elle les a inscrits en comptabilité à son actif en tant que valeurs mobilières de placement. Avant la clôture de l'exercice clos en 2004, ces sociétés ont versé à la SA UBK French property compagny 2 des dividendes d'un montant total de 6 157 125 euros, soit 450 847 euros de moins que le coût d'acquisition des titres, qui ont bénéficié du régime des sociétés mères. Parallèlement, la SA UBK French property compagny 2 a déduit de son résultat imposable une provision pour dépréciation des titres litigieux et a ainsi dégagé un déficit fiscal qui lui a permis de réaliser une économie immédiate d'impôt sur les sociétés de 1 798 408 euros au titre de l'exercice clos en 2004. Enfin, la SA UBK French property compagny 4, aux droits de laquelle sont venues, successivement, la SAS Financière MN, la SAS Esol puis la SAS Hivea, a acquis le 19 octobre, les 16 et 18 novembre et le 27 décembre 2004, les titres, respectivement, des sociétés BMC, Joly Bijoux et GD Finances pour un montant total de 3 534 330 euros. Après s'être engagée à les conserver pendant une durée de deux ans, elle les a inscrits en comptabilité à son actif en tant que valeurs mobilières de placement. Avant la clôture de l'exercice clos en 2004, ces sociétés ont versé à la SA UBK French property compagny 4 des dividendes d'un montant total de 3 200 596 euros, soit 2 031 777 euros de moins que le coût d'acquisition des titres, qui ont bénéficié du régime des sociétés mères. Parallèlement, la SA UBK French property compagny 4 a déduit de son résultat imposable une provision pour dépréciation des titres litigieux et a ainsi dégagé un déficit fiscal qui lui a permis de réaliser une économie immédiate d'impôt sur les sociétés de 817 947 euros au titre de l'exercice clos en 2004.

4. Pour juger que les opérations décrites au point 3 de la présente décision ne constituaient pas un abus de droit au sens des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales citées au point 2, la cour administrative d'appel de Paris a relevé, en premier lieu, que la SAS Financière MN, ainsi que les sociétés Entreprise Legros Burette et compagnie, Laboratoires Henri Vial, UBK French property compagny 1, UBK French property compagny 2, UBK French property compagny 4, existaient avant les opérations de distribution des dividendes et la constitution des provisions décrites au point 3 et que les avantages fiscaux litigieux n'avaient pas été obtenus par l'interposition d'une société spécialement créée à cet effet, en deuxième lieu, que l'administration ne contestait pas que ces achats de titres avaient permis à la société Financière MN et aux sociétés qu'elle avait absorbées d'améliorer leur trésorerie et, enfin, que ces opérations n'avaient pas méconnu les objectifs poursuivis par l'article 216 du code général des impôts, qui a institué le régime des sociétés mères dans le but d'éliminer la double imposition des dividendes. .

5. D'une part, la cour administrative d'appel a accueilli l'argument de la société Financière MN tiré de ce que les opérations décrites au point 3 poursuivaient un but non exclusivement fiscal au motif qu'elle lui avait permis d'améliorer sa trésorerie alors qu'il ressortait des pièces du dossier que celle-ci fondait son argument sur le seul accroissement des bénéfices comptables qui en avait résulté pour elle et les sociétés qu'elle avait absorbées et la seule perception des dividendes provenant de leurs filiales, et non pas sur le gain net résultant de la différence entre le prix d'acquisition des titres de ces filiales et leur dividendes. En jugeant ainsi, alors qu'il résultait des pièces du dossier qui lui était soumis que les opérations auxquelles ont procédé la SA financière MN et les sociétés qu'elle a absorbées ne se sont pas traduites par un tel gain net, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique des faits.

6. D'autre part, il résulte de l'ensemble des travaux ayant conduit à l'élaboration du régime fiscal des sociétés mères, en particulier des travaux préparatoires de l'article 27 de la loi du 31 juillet 1920 portant fixation du budget général de l'exercice 1920, de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1936 portant réforme fiscale, de l'article 45 de la loi n° 52-401 du 14 avril 1952 portant loi de finances pour 1952, des article 20 et 21 de la loi n° 65-566 du 12 juillet 1965 modifiant l'imposition des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers et de l'article 9 de la loi de finances pour 2001, ainsi que de la circonstance que le bénéfice de ce régime fiscal a toujours été subordonné à une condition de détention depuis l'origine des titres ou une condition de durée minimale de détention, et, depuis 1936, à une condition de seuil de participation minimale dans le capital des sociétés émettrices, que le législateur, en cherchant à supprimer ou à limiter la succession d'impositions susceptibles de frapper les produits que les sociétés mères perçoivent de leurs participations dans des sociétés filles et ceux qu'elles redistribuent à leurs propres actionnaires, a eu comme objectif de favoriser l'implication de sociétés mères dans le développement économique de sociétés filles pour les besoins de la structuration et du renforcement de l'économie française. Va à l'encontre d'un tel objectif le fait d'acquérir des sociétés ayant cessé leur activité initiale et liquidé leurs actifs dans le but d'en récupérer les liquidités par le versement de dividendes exonérés d'impôt sur les sociétés en application du régime de faveur des sociétés mères, sans prendre aucune mesure de nature à leur permettre de reprendre et de développer leur ancienne activité ou d'en trouver une nouvelle. En jugeant que les opérations litigieuses ne contrevenaient pas aux objectifs du régime fiscal des sociétés mères, la cour a donc méconnu les objectifs de ce régime et entaché son arrêt d'une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que les opérations litigieuses n'étaient pas constitutives d'un abus de droit, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique des faits. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 29 juillet 2011 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à la SAS Hivea.


Synthèse
Formation : 10ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 352974
Date de la décision : 14/11/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 14 nov. 2014, n° 352974
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Paquita Morellet-Steiner
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:352974.20141114
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award