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30/12/2014 | FRANCE | N°362245

France | France, Conseil d'État, 10ème / 9ème ssr, 30 décembre 2014, 362245


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 août et 22 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme A...B..., demeurant en France ; M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11MA03192 du 28 juin 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, faisant droit à l'appel formé par le ministre chargé du budget contre un jugement n° 1002534 du 13 mai 2011 du tribunal administratif de Nice, a annulé les articles 1er et 2 de ce jugement, remis à leur charge les cotisati

ons d'impôt sur le revenu et les majorations correspondantes auxquell...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 août et 22 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme A...B..., demeurant en France ; M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11MA03192 du 28 juin 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, faisant droit à l'appel formé par le ministre chargé du budget contre un jugement n° 1002534 du 13 mai 2011 du tribunal administratif de Nice, a annulé les articles 1er et 2 de ce jugement, remis à leur charge les cotisations d'impôt sur le revenu et les majorations correspondantes auxquelles ils avaient été assujettis au titre des années 2006 à 2008 et rejeté leurs conclusions d'appel ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention fiscale conclue le 18 mai 1963 entre la République française et la Principauté de Monaco, ainsi que l'accord conclu sous forme d'échange de lettres intervenu le 26 mai 2003 et relatif à cette convention ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Béreyziat, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Haas, avocat de M. et MmeB... ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française " ; qu'aux termes du 1 de l'article 4 B du même code : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : a) Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; b) Celles qui exercent en France une activité professionnelle salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire; c) Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques " ; qu'aux termes du premier alinéa du 1 de l'article 7 de la convention fiscale conclue le 18 mai 1963 entre la République française et la Principauté de Monaco : " Les personnes physiques de nationalité française qui transporteront à Monaco leur domicile ou leur résidence - ou qui ne peuvent pas justifier de cinq ans de résidence habituelle à Monaco à la date du 13 octobre 1962 - seront assujetties en France à l'impôt sur le revenu des personnes physiques et à la taxe complémentaire dans les mêmes conditions que si elles avaient leur domicile ou leur résidence en France " ;

2. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme A...B..., ressortissants français résidant sur le territoire de la Principauté de Monaco, ont été imposés à l'impôt sur le revenu en France au titre des années 2006 à 2008, sur le fondement des stipulations de l'article 7 de la convention fiscale citées ci-dessus, combinées aux dispositions de l'article 4 A du code général des impôts ; que leurs conclusions en décharge dirigées contre ces impositions ont été accueillies par un jugement du 13 mai 2011 du tribunal administratif de Nice ; que la cour administrative d'appel de Marseille, faisant droit, par l'arrêt attaqué du 28 juin 2012, au recours du ministre chargé du budget, a annulé les articles 1er et 2 de ce jugement, remis à leur charge les impositions litigieuses et rejeté leurs conclusions d'appel ;

3. Considérant que la cour a jugé, par un motif de son arrêt qui n'est pas contesté, que ni M. B...ni son épouse ne pouvaient être regardés comme résidents français, au sens des dispositions de l'article 4 B du code général des impôts ; que pour juger néanmoins fondées les impositions litigieuses, elle a relevé que ni MmeB..., ni M. B... ne pouvaient justifier de cinq ans de résidence habituelle à Monaco à la date du 13 octobre 1962 et que l'un et l'autre entraient, par suite, dans le champ d'application des stipulations du 1 de l'article 7 de la convention fiscale bilatérale ; qu'elle en a déduit que les intéressés devaient être assujettis à l'impôt sur le revenu en France dans les mêmes conditions que s'ils avaient eu en France leur domicile ou leur résidence, soit à raison de l'ensemble de leurs revenus, conformément aux dispositions de l'article 4 A du code général des impôts ; qu'elle a en outre écarté comme inopérant, dans ces circonstances, le moyen soulevé devant elle et tiré de ce qu'en vertu de l'accord conclu sous forme d'échange de lettres intervenu le 26 mai 2003 entre la République française et la Principauté de Monaco, les stipulations du 1 de l'article 7 de la convention fiscale bilatérale n'auraient notamment pas vocation à fonder l'imposition en France de ressortissants français ayant continument fixé à Monaco leur résidence habituelle, depuis leur mariage à des personnes de nationalité française qui n'entreraient pas elles-mêmes dans le champ d'application de ces stipulations et dont ils ne feraient pas fait l'objet d'une imposition séparée, si les stipulations du 4 de l'article 6 du code général des impôts devaient être appliquées à ces ressortissants ;

4. Considérant toutefois que les stipulations citées au point 1 de l'article 7 de la convention fiscale franco-monégasque doivent être interprétées conformément au sens ordinaire à attribuer à leurs termes, dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but ; qu'ainsi, la portée de la seconde condition posée par ce texte ne peut être envisagée indépendamment de la première, qui exprime l'intention des parties à la convention de lutter contre l'évasion fiscale ; qu'il en résulte que sont seules au nombre des personnes de nationalité française assujetties en France aux impositions que ces stipulations mentionnent, dans les mêmes conditions que si elles avaient leur domicile ou leur résidence en France, les personnes qui soit ont transféré à Monaco leur domicile ou leur résidence après le 13 octobre 1962, soit l'ont fait auparavant mais sans pouvoir justifier, à cette même date, de cinq ans de résidence habituelle à Monaco ; qu'il s'ensuit qu'en sont notamment exclues les personnes qui, y ayant constamment résidé depuis leur naissance, n'y ont jamais transféré leur domicile ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant, d'une part, que Mme B...entrait dans le champ d'application des stipulations du 1 de l'article 7 de la convention fiscale franco-monégasque et en retenant ce motif, d'autre part, pour juger que M. B... n'entrait pas, en l'espèce, dans les prévisions de l'accord sous forme d'échange de lettres qu'il invoquait et ne pouvait dès lors utilement s'en prévaloir, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. et Mme B...sont fondés à en demander l'annulation ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur le bien-fondé des impositions litigieuses :

7. Considérant qu'à l'appui de son recours contre le jugement du 13 mai 2011 du tribunal administratif de Nice, le ministre chargé du budget soutient, à titre principal, que l'ensemble des suppléments d'impôt sur le revenu mis à la charge de M. et Mme B...au titre des années 2006 à 2008 peuvent être légalement fondés sur les stipulations de l'article 7 de la convention fiscale franco-monégasque du 18 mai 1963, combinées aux dispositions de l'article 4 A du code général des impôts ; qu'il soutient, à titre subsidiaire, que les premiers juges n'ont pu légalement prononcer la décharge de l'ensemble de ces impositions dès lors que M. B... relève, en tout état de cause, du champ de ces stipulations et, à titre très subsidiaire, que ni Mme B...ni M. B...n'établissent avoir continument résidé à Monaco, depuis leur naissance et mariage, respectivement ;

En ce qui concerne l'imposition des revenus de Mme B...:

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme B...est née à Monaco et a constamment résidé sur le territoire de la Principauté ; qu'elle n'est, dès lors, pas au nombre des personnes physiques de nationalité française qui, ayant transféré à Monaco leur domicile ou leur résidence soit après le 13 octobre 1962, soit avant cette date mais sans pouvoir justifier à cette même date de cinq ans de résidence habituelle à Monaco, sont seules visées, ainsi qu'il a été dit au point 4 de la présente décision, par l'article 7 de la convention fiscale franco-monégasque ; qu'il n'est par ailleurs pas allégué que Mme B...aurait été fiscalement domiciliée..., en application des dispositions de l'article 4 B du code général des impôts, au cours des années 2006 à 2008 ; qu'il suit de là que Mme B...ne peut être assujettie en France à l'impôt sur le revenu, au titre de ces années, dans les mêmes conditions que si elle y avait eu son domicile ou sa résidence, mais seulement à raison d'éventuels revenus de source française ;

En ce qui concerne l'imposition des revenus de M. B...:

9. Considérant, en premier lieu, qu'il n'est pas davantage allégué que M. B... aurait été fiscalement domicilié..., en application des dispositions de l'article 4 B du code général des impôts, au cours des années 2006 à 2008 ; qu'ainsi, sur le fondement de la seule loi fiscale française, M. B...ne peut être assujetti en France à l'impôt sur le revenu, au titre de la période d'imposition litigieuse, qu'à raison d'éventuels revenus de source française ;

10. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. B... a continument résidé à Monaco depuis son mariage avec Mme B...; qu'en outre, aux termes de l'accord relatif à la convention fiscale franco-monégasque, conclu entre les parties à cette convention, sous forme d'échanges de lettres, le 26 mai 2003 et publié au Journal officiel de la République française le 1er septembre 2005 : " Les dispositions de l'article 7 de la Convention ne créent pour la France aucun droit d'imposer autre que celui qui résulterait de sa législation nationale, s'agissant : a) De la personne de nationalité française mariée à une personne de nationalité monégasque ou à une personne de nationalité française qui se trouve hors du champ d'application de l'article 7-1 de la Convention, et qui peut justifier de sa résidence habituelle et continue à Monaco, à condition : - qu'elle ait, depuis son mariage, effectivement maintenu sa résidence habituelle en Principauté ; - qu'elle ne se trouve pas dans l'un des cas d'impositions distinctes prévus par l'article 6-4 du code général des impôts " ; qu'en vertu de la portée ainsi conférée aux stipulations du 1 de l'article 7 de la convention fiscale bilatérale, celles-ci ne sauraient avoir pour effet de soumettre une personne physique de nationalité française à l'imposition en France de tout ou partie de ses revenus, lorsqu'une telle imposition ne peut être légalement fondée sur la seule loi fiscale française et à la triple condition que cette personne soit mariée à un ressortissant français qui n'entre pas dans le champ de ces stipulations, qu'elle ait maintenu à Monaco sa résidence habituelle, depuis son mariage et sans discontinuité, et qu'elle ne se trouve pas dans l'un des cas d'impositions distinctes prévus par les dispositions du 4 de l'article 6 du code général des impôts ; qu'en sa qualité de ressortissant français ayant continument résidé à Monaco depuis son mariage avec une ressortissante française qui, de première part, réside elle-même à Monaco, de deuxième part, n'entre pas, ainsi qu'il a été dit, dans le champ des stipulations du 1 de l'article 7 de la convention fiscale et dont, de troisième part, l'administration fiscale n'allègue pas qu'il devrait faire l'objet d'une imposition séparée en application des dispositions du 4 de l'article 6 du code général des impôts, M. B... est ainsi recevable et fondé à soutenir que ces stipulations ne confèrent pas à l'administration fiscale française, pour les années en litige, le pouvoir de soumettre ses revenus à une imposition autre que celle qui résulterait de la simple application de la loi fiscale française ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, comme le soutiennent en défense les contribuables, M. B...ne peut, pas plus que son épouse, être imposé en France à l'impôt sur le revenu au titre des années 2006 à 2008 dans les mêmes conditions que s'il y avait eu son domicile ou sa résidence ; qu'il ne peut y être imposé qu'à raison d'éventuels revenus de source française ;

12. Considérant qu'il est constant que les revenus des époux B...soumis aux impositions litigieuses procèdent exclusivement de sources étrangères ; que, par suite, le ministre chargé du budget n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par son jugement du 13 mai 2011, le tribunal administratif de Nice a prononcé la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu, assorties de majorations, mises à la charge des époux B...au titre des années 2006 à 2008 ;

Sur les conclusions de M. et Mme B...tendant au versement d'intérêts moratoires :

13. Considérant qu'en l'absence de litige né et actuel relatif à un refus de paiement des intérêts moratoires dus aux contribuables au titre de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, les conclusions de M. et Mme B...tendant au paiement de ces intérêts sont sans objet et, par suite, irrecevables ;

Sur les conclusions de M. et Mme B...présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme totale de 2 500 euros à verser à M. et Mme B...sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés tant devant le Conseil d'Etat que devant la cour administrative d'appel de Marseille ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 28 juin 2012 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.

Article 2 : Le recours présenté par le ministre chargé du budget devant la cour administrative d'appel de Marseille est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme B...la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel de M. et Mme B...est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A...B...et au ministre des finances et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 10ème / 9ème ssr
Numéro d'arrêt : 362245
Date de la décision : 30/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2014, n° 362245
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Béreyziat
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:362245.20141230
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