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20/03/2015 | FRANCE | N°372268

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 20 mars 2015, 372268


VU LA PROCEDURE SUIVANTE :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 23 octobre 2009 par lequel le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche l'a radié du corps des maîtres de conférences de l'enseignement supérieur agricole à compter du 1er janvier 2010 et de condamner l'Etat à l'indemniser du préjudice moral qui en est résulté par le versement d'une somme de 5 000 euros. Par un jugement n° 0907332 du 18 mai 2011, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à sa demande d'annulation de l'ar

rêté du 23 octobre 2009 et a condamné l'Etat à lui verser une indemni...

VU LA PROCEDURE SUIVANTE :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 23 octobre 2009 par lequel le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche l'a radié du corps des maîtres de conférences de l'enseignement supérieur agricole à compter du 1er janvier 2010 et de condamner l'Etat à l'indemniser du préjudice moral qui en est résulté par le versement d'une somme de 5 000 euros. Par un jugement n° 0907332 du 18 mai 2011, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à sa demande d'annulation de l'arrêté du 23 octobre 2009 et a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 2 000 euros.

Par un arrêt n° 11NT01978 du 19 juillet 2013, la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, sur recours du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, annulé le jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a annulé l'arrêté du 23 octobre 2009 radiant M. B... du corps des maîtres de conférences de l'enseignement supérieur agricole et rejeté les conclusions de M. B... présentées devant le tribunal tendant à l'annulation de cet arrêté, d'autre part, rejeté l'appel incident présenté par M. B...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 18 septembre 2013, 18 décembre 2013 et 20 octobre 2014, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le décret n° 92-171 du 21 février 1992 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Martinel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de M. B...;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.B..., jusqu'alors maître de conférences de l'enseignement supérieur rattaché au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, a été lauréat du concours de maître de conférences de l'enseignement supérieur agricole et nommé le 1er février 2006 en qualité de maître de conférences stagiaire à l'Ecole nationale d'ingénieurs des techniques des industries agricoles et alimentaires (ENITIAA) à Nantes ; que le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche l'a, par un arrêté du 23 octobre 2009, radié du corps des maîtres de conférences de l'enseignement supérieur agricole pour insuffisance professionnelle après avoir recueilli les avis défavorables à la titularisation de l'intéressé émis tant par le directeur de l'école que par la section compétente de la commission nationale des enseignants chercheurs ; que M. B...a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté et la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 5 000 euros en indemnisation du préjudice moral subi du fait de l'atteinte à son image professionnelle et des conditions anormales de travail découlant de la prolongation illégale de son stage ; que, par jugement du 18 mai 2011, le tribunal administratif a annulé l'arrêté attaqué et condamné l'Etat à verser à M. B...la somme de 2 000 euros en raison de l'illégalité dont était entaché cet arrêté ; que, par arrêt du 19 juillet 2013, la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, sur recours du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, annulé le jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il avait annulé l'arrêté du 23 octobre 2009 et rejeté les conclusions de M. B...présentées devant le tribunal tendant à l'annulation de cet arrêté, d'autre part, rejeté le recours incident formé par M. B...contre ce jugement ;

Sur le pourvoi présenté par M. B...devant le Conseil d'Etat :

2. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 811-1 du code de justice administrative et de celles de l'article R. 222-13 du même code, dans leur rédaction en vigueur à la date du jugement attaqué, que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort dans les litiges relatifs à la situation individuelle des agents publics, à l'exception de ceux concernant l'entrée au service, la discipline ou la sortie du service, sauf pour les recours comportant des conclusions tendant au versement ou à la décharge de sommes d'un montant supérieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 de ce code ; que l'article R. 222-14 fixe ce montant à 10 000 euros ; que l'article R. 222-15 précise que le montant à comparer à ce seuil est déterminé par la valeur totale des sommes demandées dans la requête introductive d'instance ; que la requête par laquelle M. B... a demandé l'annulation de l'arrêté du 23 octobre 2009 du ministre chargé de l'agriculture concernait la situation individuelle d'un agent public et n'était pas relative à l'entrée au service, à la discipline ou à la sortie du service ; que la part chiffrée des sommes en litige n'excédait pas 10 000 euros ; qu'ainsi, la cour administrative d'appel était saisie d'un recours dirigé contre un jugement d'un tribunal administratif statuant en dernier ressort ; que, dès lors, en l'absence d'irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance ou de constatation d'un non-lieu à statuer, la cour administrative d'appel de Nantes n'était pas compétente pour statuer sur les conclusions dont elle était saisie contre le jugement du tribunal administratif de Nantes et devait transmettre le dossier au Conseil d'Etat ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;

Sur le pourvoi en cassation présenté par le ministre devant la cour administrative d'appel de Nantes :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 28 du décret du 21 février 1992 portant statuts particuliers des corps d'enseignants-chercheurs des établissements d'enseignement supérieur publics relevant du ministre chargé de l'agriculture : " Les maîtres de conférence sont nommés en qualité de stagiaire par arrêté du ministre chargé de l'agriculture./ La durée du stage est fixée à un an./ Au terme de la période de stage prévue au deuxième alinéa du présent article, les maîtres de conférence sont soit titularisés, soit maintenus en qualité de stagiaire pour une période d'une année, soit réintégrés dans leur corps d'origine, soit licenciés par arrêté du ministre chargé de l'agriculture (...)/ Les maîtres de conférence dont le stage a été renouvelé sont, au terme de celui-ci, soit titularisés, soit réintégrés dans leur corps d'origine, soit licenciés (...) " ;

4. Considérant que, si la nomination dans un corps en tant que fonctionnaire stagiaire confère à son bénéficiaire le droit d'effectuer un stage dans la limite de la durée maximale prévue par les règlements qui lui sont applicables, elle ne lui confère aucun droit à être titularisé ; qu'en l'absence d'une décision expresse de titularisation, de réintégration ou de licenciement au cours ou à l'issue de cette période, l'agent conserve la qualité de stagiaire ; que l'administration peut alors mettre fin à tout moment à son stage pour des motifs tirés de l'inaptitude de l'intéressé à son emploi par une décision qui doit être regardée comme un refus de titularisation ;

5. Considérant, dès lors, qu'en jugeant que le maintien de M. B... en qualité de stagiaire pendant presque deux années au-delà de la durée maximale de stage prévue par les dispositions statutaires rappelées au point 3 avait eu pour effet de rendre hypothétique la date de fin de stage et que, par suite, l'intéressé avait fait l'objet d'une décision de licenciement en cours de stage mais non d'une décision de non titularisation en fin de stage, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, que le ministre est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque ; que, par suite, les conclusions du pourvoi incident formé par M. B... sont devenues sans objet ; qu'il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer ;

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la légalité de l'arrêté du 23 octobre 2009 :

8. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 qu'en l'absence de titularisation à l'issue de la durée maximale de son stage, M. B...avait conservé sa qualité de stagiaire ; que l'administration pouvait ainsi mettre fin, à tout moment, à ses fonctions pour des motifs tirés de l'inaptitude de l'intéressé à son emploi ; que, par suite, l'arrêté du 23 octobre 2009 doit être regardé comme un refus de titularisation en fin de stage ;

9. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que pour refuser la titularisation de M. B...en qualité de maître de conférences de l'enseignement supérieur agricole et procéder à sa radiation de ce corps, le ministre chargé de l'agriculture s'est fondé sur l'insuffisance professionnelle de l'intéressé caractérisée par une incapacité à se mettre en situation d'assurer un enseignement de manière autonome, par ses aptitudes insatisfaisantes et peu susceptibles d'amélioration en matière de recherche et par sa production scientifique inférieure à ce qui peut être attendu d'un maître de conférences stagiaire, le délai de stage supplémentaire qui lui a été accordé ne lui ayant pas permis de constituer un dossier plus conforme aux exigences de titularisation ; que, dès lors, c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que le ministre a refusé de titulariser M.B... ;

10. Considérant, en troisième lieu, qu'un agent public ayant, à la suite de son recrutement ou dans le cadre de la formation qui lui est dispensée, la qualité de stagiaire se trouve dans une situation probatoire et provisoire ; qu'il en résulte qu'alors même que la décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de manière générale, sur sa manière de servir, et se trouve ainsi prise en considération de sa personne, elle n'est pas - sauf à revêtir le caractère d'une mesure disciplinaire - au nombre des mesures qui ne peuvent légalement intervenir sans que l'intéressé n'ait été mis à même de faire valoir ses observations ou de prendre connaissance de son dossier, et n'est soumise qu'aux formes et procédures expressément prévues par les lois et les règlements ; que la décision contestée, qui est fondée sur l'insuffisance professionnelle de M.B..., ne revêtait pas un caractère disciplinaire ; que, dès lors, elle pouvait légalement intervenir sans que l'intéressé ait été mis à même de faire valoir ses observations ou de prendre connaissance de son dossier et n'entrait dans aucune des catégories de mesures qui doivent être motivées en application de la loi du 11 juillet 1979 ;

11. Considérant, en quatrième lieu, qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposant d'annexer l'avis de la section n° 9 de la commission nationale des enseignants-chercheurs à l'arrêté par lequel le ministre prononce la non titularisation en fin de stage ou la réintégration dans son corps d'origine, ni de notifier cet avis à l'intéressé, l'absence de transmission à M. B...de cet avis est sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué ;

12. Considérant, en cinquième lieu, qu'après avoir énoncé, dans son troisième alinéa, qu'au terme de la période de stage, les maîtres de conférences sont soit titularisés, soit maintenus en qualité de stagiaire pour une période d'une année, soit réintégrés dans leur corps d'origine, soit licenciés par arrêté du ministre chargé de l'agriculture, l'article 28 du décret du 21 février 1992 prévoit que cette décision est prise après avis conformes du directeur de l'établissement d'affectation et des deux instances prévues au quatrième alinéa de l'article 24 du même décret, soit en l'occurrence une commission constituée de membres du conseil des enseignants de l'établissement et la section compétente de la Commission nationale des enseignants-chercheurs ; qu'ainsi, dès lors qu'au moins un des avis était défavorable à la titularisation, le ministre ne pouvait pas légalement titulariser M.B... ; qu'il lui appartenait également de tirer les conséquences du refus de titularisation en plaçant M. B...dans une position statutaire régulière, sans que cette décision soit subordonnée à l'exigence d'un avis conforme de chacune des trois autorités mentionnées au troisième alinéa de l'article 28 précité ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que la décision de prolongation de stage et l'arrêté du 23 octobre 2009 seraient entachés d'irrégularité pour absence d'avis conforme ne peut qu'être écarté ;

13. Considérant, en sixième lieu, que le requérant ne saurait utilement soutenir que la décision qu'il attaque serait illégale en raison de la prolongation du stage au-delà de sa durée réglementaire ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

14. Considérant qu'en l'absence de toute circonstance permettant de le justifier, le délai supplémentaire d'un an et huit mois que l'administration a laissé s'écouler, à compter de l'expiration de la durée règlementaire maximale du stage de M. B..., avant de se prononcer, le 23 octobre 2009, sur la situation de son agent stagiaire revêt le caractère d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'il résulte de l'instruction que M. B...a subi, du fait des conditions de travail liées à son maintien dans la qualité de stagiaire, un préjudice moral pour l'indemnisation duquel il est fondé à demander à l'Etat une somme de 5 000 euros ; que, par suite, il y a lieu de condamner l'Etat à verser cette somme à M.B... ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 19 juillet 2013 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.

Article 2 : Le jugement du 18 mai 2011 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 3 : L'Etat versera à M. B...une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait du retard avec lequel est intervenue la décision du 23 octobre 2009.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Nantes est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 372268
Date de la décision : 20/03/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 20 mar. 2015, n° 372268
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Agnès Martinel
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:372268.20150320
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