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18/09/2015 | FRANCE | N°376973

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème ssr, 18 septembre 2015, 376973


Vu la procédure suivante :

La société Technival a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Bora-Bora à l'indemniser du préjudice lié à l'exécution d'un contrat par lequel la commune lui a confié la gestion d'une unité d'élimination des déchets verts par compostage.

Par un jugement n° 110122 du 30 juin 2011, le tribunal administratif de la Polynésie française a, en premier lieu, fait droit aux conclusions présentées par la société Technival sur le terrain quasi-contractuel, en deuxième lieu, rejeté ses conclusio

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Vu la procédure suivante :

La société Technival a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Bora-Bora à l'indemniser du préjudice lié à l'exécution d'un contrat par lequel la commune lui a confié la gestion d'une unité d'élimination des déchets verts par compostage.

Par un jugement n° 110122 du 30 juin 2011, le tribunal administratif de la Polynésie française a, en premier lieu, fait droit aux conclusions présentées par la société Technival sur le terrain quasi-contractuel, en deuxième lieu, rejeté ses conclusions présentées sur le terrain quasi-délictuel et, en dernier lieu, rejeté les conclusions reconventionnelles présentées par la commune au titre de la remise en état du matériel dégradé.

Par un arrêt n° 11PA04420 du 31 décembre 2013, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la commune de Bora-Bora et appel incident de la société Technival, confirmé ce jugement du tribunal administratif de la Polynésie française.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 31 mars et 30 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Bora-Bora demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il rejette sa requête ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Technival le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Henrard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la commune de Bora-Bora, et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Technival ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un contrat conclu en 2003, la commune de Bora-Bora a confié à la société Technival la gestion de l'unité d'élimination des déchets verts par compostage de Povai ; que, saisi par cette société d'une demande tendant au paiement de prestations réalisées en exécution de ce contrat, le tribunal administratif de la Polynésie française a jugé que le contrat était " nul " et a, par suite, rejeté les conclusions que la société Technival avait présentées sur le terrain de la responsabilité contractuelle par un jugement du 26 juin 2007 ; que, par une nouvelle demande, enregistrée le 3 mars 2011, la société Technival a saisi le tribunal administratif de la Polynésie française de conclusions tendant à la condamnation de la commune de Bora-Bora à l'indemniser, compte-tenu de l'absence de paiement des prestations réalisées ; que la commune a, pour sa part, présenté des conclusions reconventionnelles tendant à l'indemnisation des frais de remise en état du matériel dégradé ; que, par un jugement du 30 juin 2011, le tribunal administratif de la Polynésie française a, en premier lieu, fait droit aux conclusions présentées par la société Technival pour la période du 23 juin 2003 au 26 juin 2007, en deuxième lieu, rejeté ses conclusions pour la période postérieure au 26 juin 2007 et, en dernier lieu, rejeté les conclusions reconventionnelles présentées par la commune ; que, par un arrêt du 31 décembre 2013, la cour administrative d'appel de Paris a confirmé ce jugement ; que la commune de Bora-Bora se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il rejette ses conclusions d'appel ; que, par la voie du pourvoi incident, la société Technival en demande l'annulation en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires pour la période postérieure au 26 juin 2007 ;

Sur le pourvoi de la commune de Bora-Bora :

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions de la société Technival relatives aux prestations réalisées du 23 juin 2003 au 26 juin 2007 :

2. Considérant que lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit, le cas échéant d'office, à écarter l'application du contrat en raison des irrégularités qui l'entachent, les parties peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause de l'une d'elles ou de la faute, pour l'une d'elles, à avoir conclu un tel contrat, bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles ; que lorsque le titulaire du contrat écarté choisit, non de poursuivre le litige, mais de saisir le juge d'une nouvelle demande ayant le même objet, mais fondée sur la responsabilité quasi-contractuelle ou quasi-délictuelle de la personne publique, il n'est pas tenu de saisir celle-ci, au préalable, d'une nouvelle demande d'indemnisation ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Technival a, par un courrier du 14 février 2007, saisi la commune de Bora-Bora d'une demande tendant, sur le terrain contractuel, au paiement de prestations réalisées entre septembre 2003 et juin 2006 ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus au point 2 que la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, après avoir relevé que l'application du contrat avait été écartée par le jugement du 26 juin 2007 du tribunal administratif de la Polynésie française, que la société Technival avait lié le contentieux engagé sur un terrain non contractuel ;

4. Considérant, par ailleurs, que la cour n'a pas non plus commis d'erreur de droit, ni entaché son arrêt de contradiction de motifs, en jugeant recevables les conclusions de la société Technival relatives à la période de juin 2006 à juin 2007 au motif qu'elles ne comportaient qu'une actualisation du montant du préjudice ;

En ce qui concerne l'arrêt en tant qu'il fait droit aux conclusions de la société Technival pour la période du 23 juin 2003 au 26 juin 2007 :

5. Considérant que le cocontractant de l'administration dont le contrat est écarté et qui ne peut, de ce fait, poursuivre sa responsabilité contractuelle, peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses prévues au contrat qui ont été utiles à la personne publique envers laquelle il s'était engagé ; que, dans le cas où le contrat a été écarté en raison d'une faute de l'administration, il peut en outre prétendre à la réparation du dommage imputable à cette faute ; qu'à ce titre, il peut demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées par lui pour l'exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé, notamment du bénéfice auquel il pouvait prétendre, si toutefois l'indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée ;

6. Considérant qu'en jugeant que le contrat en cause avait été écarté en raison d'une faute de la commune et que la société requérante pouvait prétendre aux gains dont elle avait été privée, alors qu'il ressortait des pièces du dossier soumis à son examen, comme elle l'avait d'ailleurs relevé, que les conclusions de la société Technival relatives à la période du 23 juin 2003 au 26 juin 2007 étaient présentées sur le seul terrain de la responsabilité quasi-contractuelle, la cour a méconnu la portée des écritures de la société ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi dirigés contre cette partie de l'arrêt, la commune de Bora-Bora est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il fait droit aux conclusions de la société Technival relatives à la période du 23 juin 2003 au 26 juin 2007 ;

En ce qui concerne l'arrêt en tant qu'il rejette les conclusions reconventionnelles de la commune :

7. Considérant, en premier lieu, que la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant, le cas échéant, des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmenté le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si la commune de Bora-Bora réclamait devant le tribunal administratif de la Polynésie française la condamnation de la société Technival au versement de la somme de 7 375 000 francs CFP au titre des frais de remise en état du matériel dégradé par la société, elle a, dans ses conclusions d'appel, porté cette somme à un montant de 20 036 959 francs CFP correspondant à la valeur d'achat de ces matériels ; que la cour pouvait, sans commettre d'erreur de droit, juger irrecevables les conclusions de la commune de Bora-Bora tendant à ce que la société Technival soit condamnée à lui payer une somme excédant le montant sollicité dans ses conclusions reconventionnelles de première instance dès lors que si le nouveau chef de préjudice invoqué se rapportait au même fait, la commune ne justifiait pas d'éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement susceptibles de justifier que ses prétentions excèdent la limite de l'indemnité chiffrée en première instance ;

9. Considérant, en second lieu, qu'en estimant que les travaux de réparation du matériel avaient été effectués par la société Technival, la cour a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation ;

10. Considérant qu'il résulte ce qui précède que le pourvoi de la commune de Bora-Bora dirigé contre l'arrêt en tant qu'il rejette ses conclusions reconventionnelles ne peut qu'être rejeté ;

Sur le pourvoi incident de la société Technival :

11. Considérant que le pourvoi incident de la société Technival est dirigé contre l'arrêt en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à la réparation, sur le terrain de la responsabilité quasi-délictuelle, du préjudice qu'elle estime avoir subi à compter du 26 juin 2007 du fait de l'exécution de prestations de même nature que celles qui étaient prévues au contrat ; que s'agissant d'un préjudice distinct de celui qui est en cause dans le pourvoi de la commune et dont la réparation était au demeurant demandée sur un fondement différent, le pourvoi incident de la société Technival doit être regardé comme soulevant un litige distinct de celui qui fait l'objet du pourvoi de la commune de Bora-Bora ; que ce pourvoi est, par suite, irrecevable et doit être rejeté ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'arrêt attaqué doit être annulé seulement en tant qu'il fait droit aux conclusions indemnitaires de la société Technival pour la période du 23 juin 2003 au 26 juin 2007 ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Bora-Bora qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Technival le versement à la commune de Bora-Bora de la somme de 3 000 euros au titre de ces dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 31 décembre 2013 est annulé en tant qu'il fait droit aux conclusions de la société Technival pour la période du 23 juin 2003 au 26 juin 2007.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : La société Technival versera à la commune de Bora-Bora la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la commune de Bora-Bora et le pourvoi incident de la société Technival sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Bora-Bora et à la société Technival.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème ssr
Numéro d'arrêt : 376973
Date de la décision : 18/09/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - RECEVABILITÉ - RECOURS EN PREMIÈRE INSTANCE - APRÈS L'INTERVENTION D'UN JUGEMENT ÉCARTANT L'APPLICATION DU CONTRAT - FONDÉ SUR L'ENRICHISSEMENT SANS CAUSE - NÉCESSITÉ DE LIER À NOUVEAU LE CONTENTIEUX - ABSENCE.

39-08-01 Lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit, le cas échéant d'office, à écarter l'application du contrat en raison des irrégularités qui l'entachent, les parties peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause de l'une d'elle ou de la faute, pour l'une d'elle, à avoir conclu un tel contrat, bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles [RJ1]. Lorsque le titulaire du contrat écarté choisit, non de poursuivre le litige, mais de saisir le juge d'une nouvelle demande ayant le même objet, mais fondée sur la responsabilité quasi-contractuelle ou quasi-délictuelle de la personne publique, il n'est pas tenu de saisir celle-ci, au préalable, d'une nouvelle demande d'indemnisation.

PROCÉDURE - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - LIAISON DE L'INSTANCE - RECOURS EN PREMIÈRE INSTANCE - APRÈS L'INTERVENTION D'UN JUGEMENT ÉCARTANT L'APPLICATION DU CONTRAT - FONDÉ SUR L'ENRICHISSEMENT SANS CAUSE - NÉCESSITÉ DE LIER À NOUVEAU LE CONTENTIEUX - ABSENCE.

54-01-02 Lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit, le cas échéant d'office, à écarter l'application du contrat en raison des irrégularités qui l'entachent, les parties peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause de l'une d'elle ou de la faute, pour l'une d'elle, à avoir conclu un tel contrat, bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles [RJ1]. Lorsque le titulaire du contrat écarté choisit, non de poursuivre le litige, mais de saisir le juge d'une nouvelle demande ayant le même objet, mais fondée sur la responsabilité quasi-contractuelle ou quasi-délictuelle de la personne publique, il n'est pas tenu de saisir celle-ci, au préalable, d'une nouvelle demande d'indemnisation.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, Section, 20 octobre 2000, Société Citécâble Est, n° 196553, p. 457.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 sep. 2015, n° 376973
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Henrard
Rapporteur public ?: M. Gilles Pellissier
Avocat(s) : SCP MONOD, COLIN, STOCLET ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 17/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:376973.20150918
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