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11/12/2015 | FRANCE | N°380102

France | France, Conseil d'État, 3ème / 8ème ssr, 11 décembre 2015, 380102


Vu la procédure suivante :

La société Fléchard a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler le titre de recettes n° GMLP201000001 et 2 émis à son encontre le 1er mars 2011 par l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), d'un montant de 28 492 385 euros, correspondant à des sanctions et majorations relatives au reversement d'aides communautaires indues. Par un jugement n° 11-1846 du 5 octobre 2012, le tribunal administratif de Caen a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 12NT013158 du 6 mars 2014, la cour a

dministrative d'appel de Nantes, faisant partiellement droit à l'appel de...

Vu la procédure suivante :

La société Fléchard a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler le titre de recettes n° GMLP201000001 et 2 émis à son encontre le 1er mars 2011 par l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), d'un montant de 28 492 385 euros, correspondant à des sanctions et majorations relatives au reversement d'aides communautaires indues. Par un jugement n° 11-1846 du 5 octobre 2012, le tribunal administratif de Caen a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 12NT013158 du 6 mars 2014, la cour administrative d'appel de Nantes, faisant partiellement droit à l'appel de FranceAgriMer a, d'une part annulé, ce jugement en tant qu'il a annulé le titre de recettes litigieux à concurrence de la somme de 1 741 443 euros correspondant aux majorations et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel de FranceAgriMer.

1° Sous le n° 380102, par un pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 mai 2014, 13 août 2014 et 15 janvier 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, FranceAgriMer demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt, en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa requête d'appel ;

2°) réglant l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée, de faire droit au surplus des conclusions de sa requête d'appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Fléchard la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 380104, par un pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 mai 2014, 12 août 2014 et 26 janvier 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Fléchard demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les articles 1er et 3 de l'arrêt n° 12NT013158 du 6 mars 2014 de la cour administrative d'appel de Nantes ;

2°) réglant l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée, de rejeter les conclusions de la requête d'appel de FranceAgriMer dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Caen du 5 octobre 2012 annulant le titre de recettes du 1er mars 2011 à concurrence de la somme de 1 741 443 euros, au titre des majorations mises à sa charge ;

3°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 12 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le règlement (CEE) n° 3665/87 de la Commission du 27 novembre 1987 ;

- le règlement (CEE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 ;

- le règlement (CE) n° 800/1999 de la Commission du 15 avril 1999 ;

- le code civil ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Romain Victor, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de FranceAgriMer, à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la société Flechard et à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de FranceAgriMer ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Fléchard, qui fabrique et commercialise des produits laitiers, a perçu au cours des années 1997 à 2000 des restitutions à l'exportation versées par l'Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (Onilait) au titre de l'exportation de beurre à destination de pays tiers ; qu'à la suite d'un rapport de l'Office européen de lutte antifraude mettant en lumière un trafic de matières premières adultérées commercialisées par des sociétés italiennes, une enquête a établi que la société Fléchard avait acquis, auprès de ces sociétés, 5 600 tonnes de matières premières incorporant des matières grasses d'origine animale et végétale qu'elle a utilisées pour la fabrication de 11 300 tonnes de produits finis, exportés en tant que " beurre " et ayant donné lieu à la perception de restitutions à l'exportation ; que, par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 février 1999, la société Fléchard a été pénalement condamnée, du chef d'escroquerie, à une amende de 200 000 euros ; que, par le même arrêt, elle a été civilement condamnée à verser à l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions (Oniep), venu aux droits de l'Onilait, la somme de 23 055 027 euros à titre de dommages-intérêts ; que, par un arrêt du 27 janvier 2010, la Cour de cassation a rejeté les pourvois dirigés contre cet arrêt, ainsi devenu irrévocable ; qu'après avoir sollicité les observations de la société Fléchard par un courrier du 6 octobre 2010, l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), venu aux droits de l'Oniep, a émis à l'encontre de celle-ci, le 1er mars 2011, un titre de recettes d'un montant de 28 492 385 euros, correspondant, d'une part, à hauteur de 26 750 942 euros, à une sanction pécuniaire égale au double du montant des restitutions indûment perçues et, d'autre part, à hauteur de 1 741 443 euros, à des majorations représentant 10 ou 15 % de l'indu selon la période considérée ; que, par un jugement du 5 octobre 2012, le tribunal administratif de Caen a annulé le titre de recettes litigieux ; que, par un arrêt du 6 mars 2014, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de FranceAgriMer, annulé ce jugement en tant qu'il a annulé le titre de recettes émis par FranceAgriMer au titre du paiement de la somme de 1 741 443 euros correspondant aux majorations au taux de 10 ou 15 % et rejeté le surplus des conclusions de sa requête ;

2. Considérant que, sous le n° 380102, FranceAgriMer se pourvoit en cassation contre cet arrêt, en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de son appel et que, sous le n° 380104, la société Fléchard se pourvoit en cassation contre le même arrêt, en tant qu'il fait partiellement droit à l'appel de FranceAgriMer ; que ces deux pourvois étant dirigés contre le même arrêt et présentant à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur le cadre juridique du litige :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du règlement (CEE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue " ; qu'aux termes de l'article 3 du même règlement : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité visée à l'article 1er paragraphe 1. (...). / Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin. (...). / La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l'autorité compétente et visant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif. / Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que l'autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf dans le cas où la procédure administrative a été suspendue conformément à l'article 6 paragraphe 1. / (...) 3. Les Etats membres conservent la possibilité d'appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2 " ; qu'aux termes de l'article 4 du même règlement : " 1. Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l'avantage indûment obtenu : / - par l'obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus, / - par la perte totale ou partielle de la garantie constituée à l'appui de la demande d'un avantage octroyé ou lors de la perception d'une avance. / 2. L'application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l'avantage obtenu augmenté, si cela est prévu, d'intérêts qui peuvent être déterminés de façon forfaitaire. / (...) 4. Les mesures prévues par le présent article ne sont pas considérées comme des sanctions " ; qu'aux termes de l'article 5 du même règlement : " Les irrégularités intentionnelles ou causées par négligence peuvent conduire aux sanctions administratives suivantes : / a) le paiement d'une amende administrative ; / b) le paiement d'un montant excédant les sommes indûment perçues ou éludées, augmentées, le cas échéant, d'intérêts (...) ; / (...) / f) la perte d'une garantie ou d'un cautionnement constitué aux fins du respect des conditions d'une réglementation ou la reconstitution du montant d'une garantie indûment libérée ; / g) d'autres sanctions à caractère exclusivement économique, de nature et de portée équivalente, prévues dans les réglementations sectorielles (...) " ; qu'aux termes de l'article 6 du même règlement : " 1. (...) l'imposition des sanctions pécuniaires, telles que les amendes administratives, peut être suspendue par décision de l'autorité compétente si une procédure pénale a été ouverte contre la personne en cause et porte sur les mêmes faits. La suspension de la procédure administrative suspend le délai de prescription prévu à l'article 3. / 2. Si la procédure pénale n'est pas poursuivie, la procédure administrative qui a été suspendue reprend son cours. / 3. Lorsque la procédure pénale est menée à son terme, la procédure administrative qui a été suspendue reprend, pour autant que les principes généraux du droit ne s'y opposent pas. " ; que la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile a par ailleurs substitué aux dispositions de l'article 2262 du code civil, aux termes duquel : " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans ", celles du nouvel article 2224 du même code, aux termes duquel : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer " ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 11 du règlement (CEE) n° 3665/87 de la Commission du 27 novembre 1987 portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles, dans sa rédaction issue du règlement (CE) nº 495/97 de la Commission du 18 mars 1997 : " 1. Lorsqu'il est constaté que, en vue de l'octroi d'une restitution à l'exportation, un exportateur a demandé une restitution supérieure à la restitution applicable, la restitution due pour l'exportation en cause est la restitution applicable au produit effectivement exporté, diminuée d'un montant correspondant : / (...) ; / b) au double de la différence entre la restitution demandée et la restitution applicable, si l'exportateur a fourni intentionnellement des données fausses. / (...) Lorsque la réduction visée au premier alinéa points a) ou b) aboutit à un montant négatif, ce montant négatif est payé par l'exportateur. / (...) Les sanctions s'appliquent sans préjudice de sanctions supplémentaires prévues à l'échelon national (...) " ; qu'aux termes de l'article 22 du même règlement : " 1. Sur demande de l'exportateur, les États membres avancent tout ou partie du montant de la restitution, dès l'acceptation de la déclaration d'exportation, à condition que soit constituée une garantie dont le montant est égal au montant de cette avance, majoré de 15 % (...) " ; qu'aux termes de l'article 23 du même règlement : " 1. Lorsque le montant avancé est supérieur au montant effectivement dû pour l'exportation en cause ou pour une exportation équivalente, l'exportateur rembourse la différence entre ces deux montants majorée de 15 %. / (...) " ; que le règlement n° 3665/87 ayant été abrogé par le règlement (CE) n° 800/1999 de la Commission du 15 avril 1999, applicable à compter du 1er juillet 1999, les dispositions citées ci-dessus ont été reprises respectivement au paragraphe 1 de l'article 51, au paragraphe 1 de l'article 24 et au paragraphe 1 de l'article 25 de ce règlement, lequel a seulement ramené de 15 % à 10 % le taux de la majoration applicable lorsque le montant avancé est supérieur au montant effectivement dû ;

Sur le pourvoi de FranceAgriMer :

En ce qui concerne le délai de prescription applicable :

5. Considérant, en premier lieu, qu'ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 5 mai 2011 Ze Fu Fleischhandel GmbH et Vion Trading GmbH (affaires C-201/10 et C-202/10), le principe de sécurité juridique s'oppose à ce qu'un délai de prescription " plus long ", au sens du premier alinéa du paragraphe 3 de l'article 3 du règlement n° 2988/95, résulte d'un délai de prescription de droit commun réduit par voie jurisprudentielle pour satisfaire au principe de proportionnalité ; qu'en l'absence d'un texte spécial fixant, dans le respect de ce principe, un délai de prescription plus long, seul le délai de prescription de quatre années prévu par ces mêmes dispositions est applicable ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que le délai de prescription de quatre années prévu par le premier alinéa du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 2988/95 est applicable à l'ensemble des irrégularités définies au paragraphe 2 de l'article 1er du même règlement, y compris aux irrégularités intentionnelles susceptibles de donner lieu aux sanctions administratives mentionnées au paragraphe 1 de l'article 5 de ce règlement ; que, dès lors, la circonstance qu'un opérateur aurait eu un comportement frauduleux est sans influence sur l'application de ce délai de prescription ;

7. Considérant, enfin, que le nouveau délai de prescription de droit commun prévu à l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi du 17 juin 2008, en vertu duquel les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans, n'est en tout état de cause pas applicable à une action pour laquelle le délai de prescription était expiré antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit en se fondant sur la circonstance qu'aucune disposition du règlement n° 2988/85 ne prévoit de dérogation à l'application du délai de prescription de quatre années qu'il fixe en cas de fraude de l'opérateur, pour juger que ce délai était seul applicable à l'action de FranceAgriMer tendant à l'application de la sanction pécuniaire, égale au double de l'indu, prévue par le paragraphe 1 de l'article 11 du règlement n° 3665/87 et le paragraphe 1 de l'article 51 du règlement n° 800/1999, et pour écarter le moyen de FranceAgriMer tiré de ce qu'en raison du comportement frauduleux de la société Fléchard, la prescription de son action n'était pas acquise avant le 19 juin 2013, par application du délai de prescription de trente ans de l'article 2262 du code civil, réduit à cinq ans par l'effet de la loi du 17 juin 2008 ;

En ce qui concerne le point de départ du délai de prescription :

9. Considérant qu'ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a dit pour droit dans son arrêt du 11 juin 2015 Pfeifer et Langen GmbH (affaire C-52/14), le délai de prescription de quatre ans prévu au quatrième alinéa du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 2988/95 commence à courir, en cas d'irrégularité continue ou répétée, à compter du jour où celle-ci a pris fin, quelle que soit la date à laquelle l'administration nationale a pris connaissance de cette irrégularité ; que, dès lors, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en fixant au 13 juin 2000 le point de départ du délai de prescription des irrégularités répétées commises par la société Fléchard à partir de novembre 1997 et jusqu'au 13 juin 2000 et en refusant de différer le point de départ de la prescription à la date à laquelle les autorités françaises ont acquis la connaissance du trafic européen de beurre adultéré auquel la société a participé ;

En ce qui concerne la suspension de l'imposition des sanctions pécuniaires :

10. Considérant, d'une part, qu'ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt Pfeifer et Langen GmbH précité, le paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 2988/95 impose, à son quatrième alinéa, une limite absolue pour la prescription des poursuites d'une irrégularité, cette prescription étant acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai quadriennal arrive à expiration sans que l'autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf dans le cas où l'imposition des sanctions pécuniaires a été suspendue conformément au paragraphe 1 de l'article 6 de ce règlement ;

11. Considérant, d'autre part, qu'il résulte clairement de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 que la suspension qu'il prévoit ne peut être prononcée, en cas d'ouverture d'une action pénale visant la personne en cause à raison des mêmes faits, que par une décision explicite de l'autorité compétente ; que la suspension ne peut dès lors résulter du seul comportement de l'autorité administrative chargée de l'instruction ou des poursuites ; que l'engagement de la procédure administrative, et sa suspension ne peuvent résulter de la seule circonstance que l'administration serait intervenue, en qualité de victime, à la procédure pénale, en vue d'y défendre ses intérêts civils ; que, dans l'hypothèse où l'ouverture de la procédure pénale précède l'engagement de la procédure administrative, il appartient à l'administration, si elle s'y croit fondée, d'engager une procédure tendant à l'application de sanctions administratives et de prendre, lorsqu'elle le juge opportun et au plus tard avant l'expiration du délai prévu au quatrième alinéa du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 2988/95, une décision expresse de suspension de l'imposition des sanctions ;

12. Considérant qu'il suit de là, qu'en l'espèce, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que, si une procédure pénale avait été engagée contre la société Fléchard, au cours de laquelle FranceAgriMer s'est constituée partie civile, il ne résultait pas de l'instruction que cet établissement aurait pris une décision de suspension et que seule une telle décision formalisée aurait été de nature à interrompre le délai de prescription ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que FranceAgriMer n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, en tant que la cour a rejeté le surplus des conclusions de sa requête d'appel ;

Sur le pourvoi de la société Fléchard :

14. Considérant qu'ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt FranceAgriMer du 3 septembre 2015 (affaire C-383/14), le délai de prescription " butoir " fixé par l'article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement n° 2988/95, est applicable non seulement aux poursuites d'irrégularités conduisant à l'application de sanctions administratives au sens de l'article 5 de ce règlement, mais aussi aux poursuites conduisant à l'adoption de mesures administratives, au sens de l'article 4 du même règlement ; qu'en jugeant le contraire, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société Fléchard est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, en tant qu'il a partiellement fait droit à l'appel de FranceAgriMer ;

15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler , dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

16. Considérant, en premier lieu, que le moyen de FranceAgriMer tiré de l'irrégularité du jugement du tribunal administratif de Caen n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

17. Considérant, en second lieu, qu'à supposer même que les majorations mises à la charge de la société Fléchard à hauteur de 1 741 443 euros, par le titre de recettes litigieux, ne revêtent pas le caractère d'une sanction au sens de l'article 5 du règlement n° 2988/95, le délai de prescription " butoir " prévu par le quatrième alinéa du paragraphe 1 de l'article 3 du même règlement est applicable aux poursuites tendant à leur application ; que, s'agissant de majorations attachées aux irrégularités répétées commises à compter de 1997 par le même opérateur économique, le point de départ du délai de prescription de l'action de FranceAgriMer tendant à l'application de ces majorations doit être fixé au 13 juin 2000, date des dernières irrégularités constatées ; qu'il résulte de l'instruction que FranceAgriMer n'a engagé son action que le 6 octobre 2010, soit plus de huit ans après cette date ; qu'ainsi, les majorations litigieuses ont été infligées à la société Fléchard au-delà de la limite absolue, mentionnée au quatrième alinéa de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95, applicable à la prescription des poursuites d'une irrégularité au sens du paragraphe 2 de l'article 1er du même règlement ;

18. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que FranceAgriMer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé le titre de recettes litigieux, en tant qu'il porte sur l'obligation mise à la charge de la société Fléchard de payer la somme de 1 741 443 euros, au titre des majorations ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Fléchard qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de FranceAgriMer les sommes demandées au titre des mêmes dispositions par la société Fléchard, pour les procédures d'appel et de cassation ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de FranceAgriMer est rejeté.

Article 2 : L'article 1er de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 6 mars 2014 est annulé.

Article 3 : Les conclusions de la requête d'appel de FranceAgriMer dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Caen du 5 octobre 2012 annulant le titre de recettes du 1er mars 2011, en tant qu'il porte sur l'obligation mise à la charge de la société Fléchard de payer la somme de 1 741 443 euros, sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société Fléchard et par FranceAgriMer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et à la société Fléchard.


Synthèse
Formation : 3ème / 8ème ssr
Numéro d'arrêt : 380102
Date de la décision : 11/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

AGRICULTURE ET FORÊTS - PRODUITS AGRICOLES - GÉNÉRALITÉS - RESTITUTION À L'EXPORTATION - REMBOURSEMENT DES MONTANTS INDÛMENT PERÇUS ET SANCTIONS - PRESCRIPTIONS (ART - 3 DU RÈGLEMENT N° 2988/95) - 1) A) DÉLAI DE DROIT COMMUN DE 4 ANS - CHAMP D'APPLICATION - IRRÉGULARITÉS INTENTIONNELLES - INCLUSION - B) SUSPENSION DE LA PROCÉDURE DE SANCTION PAR L'INTERVENTION DE L'ADMINISTRATION COMME PARTIE CIVILE DANS LA PROCÉDURE PÉNALE PORTANT SUR LES MÊMES FAITS - ABSENCE - 2) DÉLAI BUTOIR - CHAMP D'APPLICATION - SANCTIONS ADMINISTRATIVES ET AUTRES MESURES ADMINISTRATIVES PRÉVUES À L'ART - 4 DU RÈGLEMENT.

03-05-01 1) a) Le délai de prescription de quatre années prévu par le premier alinéa du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes est applicable à l'ensemble des irrégularités définies au paragraphe 2 de l'article 1er du même règlement, y compris aux irrégularités intentionnelles susceptibles de donner lieu aux sanctions administratives mentionnées au paragraphe 1 de l'article 5 de ce règlement. La circonstance qu'un opérateur aurait eu un comportement frauduleux est sans influence sur l'application de ce délai de prescription.... ,,b) Il résulte clairement de l'article 6, paragraphe 1, du même règlement n° 2988/95 que la suspension de la procédure de sanction qu'il prévoit en cas d'ouverture d'une action pénale visant la personne en cause à raison des mêmes faits, ne peut être prononcée que par une décision explicite de l'autorité compétente. La suspension ne peut dès lors résulter du seul comportement de l'autorité administrative chargée de l'instruction ou des poursuites. L'engagement de la procédure administrative, et sa suspension ne peuvent résulter de la seule circonstance que l'administration serait intervenue, en qualité de victime, à la procédure pénale, en vue d'y défendre ses intérêts civils. Dans l'hypothèse où l'ouverture de la procédure pénale précède l'engagement de la procédure administrative, il appartient à l'administration, si elle s'y croit fondée, d'engager une procédure tendant à l'application de sanctions administratives et de prendre, lorsqu'elle le juge opportun et au plus tard avant l'expiration du délai prévu au quatrième alinéa du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 2988/95, une décision expresse de suspension de l'imposition des sanctions.... ,,2) Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt FranceAgriMer du 3 septembre 2015 (affaire C-383/14), le délai de prescription « butoir » fixé par l'article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement n° 2988/95, est applicable non seulement aux poursuites d'irrégularités conduisant à l'application de sanctions administratives au sens de l'article 5 de ce règlement, mais aussi aux poursuites conduisant à l'adoption de mesures administratives au sens de l'article 4 du même règlement, notamment le remboursement des montants indûment perçus.

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - RÈGLES APPLICABLES - POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE - RESTITUTIONS À L'EXPORTATION - REMBOURSEMENT DES MONTANTS INDÛMENT PERÇUS ET SANCTIONS - PRESCRIPTIONS (ART - 3 DU RÈGLEMENT N° 2988/95) - 1) A) DÉLAI DE DROIT COMMUN DE 4 ANS - CHAMP D'APPLICATION - IRRÉGULARITÉS INTENTIONNELLES - INCLUSION - B) SUSPENSION DE LA PROCÉDURE DE SANCTION PAR L'INTERVENTION DE L'ADMINISTRATION COMME PARTIE CIVILE DANS LA PROCÉDURE PÉNALE PORTANT SUR LES MÊMES FAITS - ABSENCE - 2) DÉLAI BUTOIR - CHAMP D'APPLICATION - SANCTIONS ADMINISTRATIVES ET AUTRES MESURES ADMINISTRATIVES PRÉVUES À L'ART - 4 DU RÈGLEMENT.

15-05-14 1) a) Le délai de prescription de quatre années prévu par le premier alinéa du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes est applicable à l'ensemble des irrégularités définies au paragraphe 2 de l'article 1er du même règlement, y compris aux irrégularités intentionnelles susceptibles de donner lieu aux sanctions administratives mentionnées au paragraphe 1 de l'article 5 de ce règlement. La circonstance qu'un opérateur aurait eu un comportement frauduleux est sans influence sur l'application de ce délai de prescription.... ,,b) Il résulte clairement de l'article 6, paragraphe 1, du même règlement n° 2988/95 que la suspension de la procédure de sanction qu'il prévoit en cas d'ouverture d'une action pénale visant la personne en cause à raison des mêmes faits, ne peut être prononcée que par une décision explicite de l'autorité compétente. La suspension ne peut dès lors résulter du seul comportement de l'autorité administrative chargée de l'instruction ou des poursuites. L'engagement de la procédure administrative, et sa suspension ne peuvent résulter de la seule circonstance que l'administration serait intervenue, en qualité de victime, à la procédure pénale, en vue d'y défendre ses intérêts civils. Dans l'hypothèse où l'ouverture de la procédure pénale précède l'engagement de la procédure administrative, il appartient à l'administration, si elle s'y croit fondée, d'engager une procédure tendant à l'application de sanctions administratives et de prendre, lorsqu'elle le juge opportun et au plus tard avant l'expiration du délai prévu au quatrième alinéa du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 2988/95, une décision expresse de suspension de l'imposition des sanctions.... ,,2) Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt FranceAgriMer du 3 septembre 2015 (affaire C-383/14), le délai de prescription « butoir » fixé par l'article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement n° 2988/95, est applicable non seulement aux poursuites d'irrégularités conduisant à l'application de sanctions administratives au sens de l'article 5 de ce règlement, mais aussi aux poursuites conduisant à l'adoption de mesures administratives au sens de l'article 4 du même règlement, notamment le remboursement des montants indûment perçus.

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - LITIGES RELATIFS AU VERSEMENT D`AIDES DE L'UNION EUROPÉENNE - PROTECTION DES INTÉRÊTS FINANCIERS DE LA COMMUNAUTÉ - REMBOURSEMENT DES MONTANTS INDÛMENT PERÇUS ET SANCTIONS - PRESCRIPTIONS (ART - 3 DU RÈGLEMENT N° 2988/95) - 1) A) DÉLAI DE DROIT COMMUN DE 4 ANS - CHAMP D'APPLICATION - IRRÉGULARITÉS INTENTIONNELLES - INCLUSION - B) SUSPENSION DE LA PROCÉDURE DE SANCTION PAR L'INTERVENTION DE L'ADMINISTRATION COMME PARTIE CIVILE DANS LA PROCÉDURE PÉNALE PORTANT SUR LES MÊMES FAITS - ABSENCE - 2) DÉLAI BUTOIR - CHAMP D'APPLICATION - SANCTIONS ADMINISTRATIVES ET AUTRES MESURES ADMINISTRATIVES PRÉVUES À L'ART - 4 DU RÈGLEMENT.

15-08 1) a) Le délai de prescription de quatre années prévu par le premier alinéa du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes est applicable à l'ensemble des irrégularités définies au paragraphe 2 de l'article 1er du même règlement, y compris aux irrégularités intentionnelles susceptibles de donner lieu aux sanctions administratives mentionnées au paragraphe 1 de l'article 5 de ce règlement. La circonstance qu'un opérateur aurait eu un comportement frauduleux est sans influence sur l'application de ce délai de prescription.... ,,b) Il résulte clairement de l'article 6, paragraphe 1, du même règlement n° 2988/95 que la suspension de la procédure de sanction qu'il prévoit en cas d'ouverture d'une action pénale visant la personne en cause à raison des mêmes faits, ne peut être prononcée que par une décision explicite de l'autorité compétente. La suspension ne peut dès lors résulter du seul comportement de l'autorité administrative chargée de l'instruction ou des poursuites. L'engagement de la procédure administrative, et sa suspension ne peuvent résulter de la seule circonstance que l'administration serait intervenue, en qualité de victime, à la procédure pénale, en vue d'y défendre ses intérêts civils. Dans l'hypothèse où l'ouverture de la procédure pénale précède l'engagement de la procédure administrative, il appartient à l'administration, si elle s'y croit fondée, d'engager une procédure tendant à l'application de sanctions administratives et de prendre, lorsqu'elle le juge opportun et au plus tard avant l'expiration du délai prévu au quatrième alinéa du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 2988/95, une décision expresse de suspension de l'imposition des sanctions.... ,,2) Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt FranceAgriMer du 3 septembre 2015 (affaire C-383/14), le délai de prescription « butoir » fixé par l'article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement n° 2988/95, est applicable non seulement aux poursuites d'irrégularités conduisant à l'application de sanctions administratives au sens de l'article 5 de ce règlement, mais aussi aux poursuites conduisant à l'adoption de mesures administratives au sens de l'article 4 du même règlement, notamment le remboursement des montants indûment perçus.


Publications
Proposition de citation : CE, 11 déc. 2015, n° 380102
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Romain Victor
Rapporteur public ?: M. Vincent Daumas
Avocat(s) : SCP MEIER-BOURDEAU, LECUYER ; SCP BOUZIDI, BOUHANNA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:380102.20151211
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