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15/02/2016 | FRANCE | N°378959

France | France, Conseil d'État, 9ème ssjs, 15 février 2016, 378959


Vu la procédure suivante :

La société Universities Superannuation Scheme Ltd a demandé au tribunal administratif de Montreuil le remboursement des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française perçus au cours de l'année 2005 par le fonds du même nom dont elle assure la gestion. Par un jugement n° 0811562 du 13 avril 2012, le tribunal a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 12VE03030 du 4 mars 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté le recours formé par le ministre de l'économie et des finances contre ce jugement.



Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 avril 2014 et...

Vu la procédure suivante :

La société Universities Superannuation Scheme Ltd a demandé au tribunal administratif de Montreuil le remboursement des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française perçus au cours de l'année 2005 par le fonds du même nom dont elle assure la gestion. Par un jugement n° 0811562 du 13 avril 2012, le tribunal a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 12VE03030 du 4 mars 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté le recours formé par le ministre de l'économie et des finances contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 avril 2014 et 14 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des finances et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son recours.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Universities Superannuation Scheme Ltd ;

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le Universities Superannuation Scheme (USS), fonds de pension des agents des universités et autres établissements d'enseignement supérieur et de recherche du Royaume-Uni, constitué en " trust " de droit britannique, a perçu, en 2005, des dividendes de source française qui ont été soumis à une retenue à la source de 25 %, en application des dispositions combinées du 2 de l'article 119 bis et du 1 de l'article 187 du code général des impôts. La société Universities Superannuation Scheme Ltd, agissant au nom de ce fonds dont elle assure la gestion, a demandé le remboursement total de ces retenues à la source, sur le fondement du principe de liberté de circulation des capitaux au sein de l'Union européenne. Le ministre des finances et des comptes publics se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 mars 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son recours contre le jugement du 13 avril 2012 du tribunal administratif de Montreuil accordant à la société la restitution des retenues à la source en litige.

2. Aux termes du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " (...) les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. (...) ". Aux termes du 5 de l'article 206 de ce code, dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) les associations et collectivités non soumis à l'impôt sur les sociétés en vertu d'une autre disposition (...) sont assujettis audit impôt en raison : / (...) c. Des revenus de capitaux mobiliers dont ils disposent, à l'exception des dividendes des sociétés françaises, lorsque ces revenus n'entrent pas dans le champ d'application de la retenue à la source visée à l'article 119 bis (...) ". Aux termes du 5° bis du 1 de l'article 207 du même code, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige, sont exonérés de l'impôt sur les sociétés " les organismes sans but lucratif mentionnés au 1° du 7 de l'article 261, pour les opérations à raison desquelles ils sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée ". Aux termes du b du 1° du 7 de l'article 261, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige, sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée " les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des oeuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l'autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient. (...) ".

3. Si, en vertu des dispositions du c du 5 de l'article 206 du code général des impôts, combinées notamment avec celles du 1 de cet article, et avec celles du 5° bis du 1 de l'article 207, un organisme de bienfaisance établi en France, dont la gestion est désintéressée et dont les activités non lucratives restent significativement prépondérantes, est assujetti à l'impôt sur les sociétés à raison des revenus de capitaux mobiliers dont il dispose, les dividendes de sociétés établies en France perçus par cet organisme ne sont pas imposables. L'application de la retenue à la source au versement de dividendes de sociétés françaises à des organismes installés dans un autre Etat membre remplissant les mêmes conditions constitue ainsi une restriction aux mouvements de capitaux. Le régime d'exonération prévu par les dispositions des articles 206 et 207 du code général des impôts étant applicable à des associations, fondations et autres organismes à raison du caractère non lucratif de leur activité et non d'une charge d'intérêt général qui pèserait sur les seuls organismes résidents de France, cette restriction à la liberté de circulation des capitaux ne saurait être justifiée, pour ce motif, par l'existence d'une différence de situation objective entre les organismes français et ceux d'un autre Etat membre. Ainsi, et faute que soit établie l'existence d'une raison impérieuse d'intérêt général, cette restriction méconnaît les stipulations de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne en tant qu'elle prive tout organisme installé dans un autre Etat membre de la faculté d'apporter la preuve qu'il pourrait bénéficier, s'il était établi en France, de l'exonération d'impôt sur les sociétés prévue au c du 5 de l'article 206 à raison de la perception de dividendes de sociétés françaises. Il appartient, à cette fin, à cet organisme d'établir, d'une part, que sa gestion présente un caractère désintéressé et, d'autre part, que les services qu'il rend ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique. Toutefois, même dans le cas où cet organisme intervient dans un domaine d'activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, il peut bénéficier de cette exonération s'il exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales, soit en répondant à certains besoins insuffisamment satisfaits par le marché, soit en s'adressant à un public qui ne peut normalement accéder aux services offerts par les entreprises commerciales, notamment en pratiquant des prix inférieurs à ceux du secteur concurrentiel et, à tout le moins, des tarifs modulés en fonction de la situation des bénéficiaires, sous réserve de ne pas recourir à des méthodes commerciales excédant les besoins de l'information du public sur les services qu'il offre.

4. En vertu des deux premiers alinéas du d du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts, la première condition à remplir pour que la gestion d'un organisme soit regardée comme ayant un caractère désintéressé est qu'il soit, " en principe, géré et administré à titre bénévole par des personnes n'ayant elles-mêmes, ou par personne interposée, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l'exploitation ". Le troisième alinéa de cet article prévoit, à cet égard, dans sa rédaction issue de l'article 6 de la loi du 28 décembre 2001 de finances pour 2002, un régime dérogatoire pour certaines catégories d'organismes de droit français, dont les associations et les fondations reconnues d'utilité publique, en vertu duquel, lorsqu'il est décidé que l'exercice des fonctions dévolues aux dirigeants justifie le versement d'une rémunération, le caractère désintéressé de la gestion n'est pas remis en cause si les statuts et les modalités de fonctionnement assurent notamment l'adéquation de la rémunération aux sujétions effectivement imposées aux dirigeants concernés. Les alinéas suivants de cet article, issus de la même loi de finances, mentionnent parmi les conditions pour l'application de cette disposition dérogatoire que le montant annuel des ressources de l'organisme, majorées de celles des organismes qui lui sont affiliés et minorées de celles qui proviennent de personnes morales de droit public, soit supérieur à 200 000 euros en moyenne sur les trois derniers exercices si un dirigeant est rémunéré, à 500 000 euros si deux dirigeants sont rémunérés et à un million d'euros si trois dirigeants le sont, le montant de toutes les rémunérations versées à un dirigeant ne pouvant excéder trois fois le montant du plafond visé à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale. S'agissant d'organismes de droit étranger, dont le régime, tel celui des " trusts " britanniques, présente des spécificités que ne connaît pas le droit français et dont le législateur n'a pas pu ainsi tenir compte dans la définition qu'il a donnée des organismes mentionnés au troisième alinéa du d du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts, leur gestion doit être regardée comme désintéressée, pour l'application des dispositions mentionnées au point 3, si la rémunération versée à leurs dirigeants et le nombre de ceux-ci ne sont pas, eu égard aux sujétions qui leur sont imposées et compte tenu des règles spécifiques auxquelles les organismes sont soumis dans leur Etat de résidence, disproportionnés par rapport aux limites mentionnées ci-dessus.

5. Il résulte de ce qui précède que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que la gestion de la société défenderesse était désintéressée au seul motif que les rémunérations de ses dirigeants n'étaient pas liées aux performances du fonds de pension, sans rechercher si la rémunération versée à ces derniers et le nombre de ceux-ci n'étaient pas, eu égard aux sujétions qui leur sont imposées et compte tenu des règles spécifiques auxquelles ces organismes sont soumis dans leur Etat de résidence, disproportionnés par rapport aux limites mentionnées ci-dessus. Le ministre est, dès lors, fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Pour remettre en cause le caractère non lucratif du fonds USS, le ministre se borne à contester le caractère désintéressé de sa gestion, en soutenant que les rémunérations de ses dirigeants excèdent, d'une part, le plafond égal aux trois quarts du SMIC, admis pour tous les organismes sans but lucratif par l'instruction fiscale du 18 décembre 2006 et, d'autre part, les limites fixées par le d du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts.

8. D'une part, le ministre ne peut invoquer utilement le plafond fixé par l'instruction fiscale précitée pour l'opposer au fonds USS.

9. D'autre part, il résulte de l'instruction, notamment des rapports annuels de la société défenderesse, que l'encours géré par le fonds USS s'élevait, en 2005, à plus de 21 milliards de livres sterling, soit plus de 31 milliards d'euros, et qu'il versait des pensions de retraite à près de 210 000 personnes pour un montant d'environ 800 millions de livres (environ 1,2 milliards d'euros). Le total des rémunérations annuelles des dix-sept dirigeants de la société, appelés " directors ", s'est élevé à 371 000 livres sterling pour l'année 2005. Treize d'entre eux ont bénéficié de rémunérations, à hauteur, pour les cinq plus élevées, de 71 000 livres, soit un peu plus de 103 000 euros, 45 000 livres (65 000 euros), 32 000 livres (46 000 euros), 31 000 livres (45 000 euros) et 30 000 livres (44 000 euros). Ces rémunérations, alors même que, d'une part, le montant de l'une d'entre elles était supérieur au triple du plafond de la sécurité sociale, soit 93 204 euros en 2005, et que, d'autre part, elles ont été versées à treize personnes, et non à trois au plus, comme le prévoient les dispositions précitées du d du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts, n'apparaissent pas disproportionnées par rapport aux limites fixées par ces dispositions, eu égard aux sujétions qui sont imposées aux dirigeants de la société et compte tenu des règles spécifiques auxquelles cet organisme est soumis dans son Etat de résidence. Dans ces conditions, la gestion du fonds USS peut être regardée comme désintéressée.

10. Il résulte de ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a ordonné la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française que le fonds de pension USS a perçus au cours de l'année 2005.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser, pour l'ensemble de la procédure, à la société Universities Superannuation Scheme Ltd, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 4 mars 2014 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.

Article 2 : Le recours présenté par le ministre délégué, chargé du budget, devant la cour administrative d'appel de Versailles est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera à la société Universities Superannuation Scheme Ltd une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à la société Universities Superannuation Scheme Ltd.


Synthèse
Formation : 9ème ssjs
Numéro d'arrêt : 378959
Date de la décision : 15/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 fév. 2016, n° 378959
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Séverine Larere
Rapporteur public ?: M. Frédéric Aladjidi
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:378959.20160215
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