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11/05/2016 | FRANCE | N°384362

France | France, Conseil d'État, 6ème - 1ère chambres réunies, 11 mai 2016, 384362


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 9 septembre 2014, et les 5 et 11 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...et Mme C...D..., épouseB..., demandent au Conseil d'Etat :

1°) de condamner la SCP Gadiou, Chevallier à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis à raison de l'omission, dans le délai imparti, du dépôt du mémoire complémentaire annoncé dans le pourvoi introductif, ayant conduit le Conseil d'Etat, par une ordonnance du 21 mars 2007, à donn

er acte du désistement de leur pourvoi, en leur versant la somme de 239 429,55...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 9 septembre 2014, et les 5 et 11 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...et Mme C...D..., épouseB..., demandent au Conseil d'Etat :

1°) de condamner la SCP Gadiou, Chevallier à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis à raison de l'omission, dans le délai imparti, du dépôt du mémoire complémentaire annoncé dans le pourvoi introductif, ayant conduit le Conseil d'Etat, par une ordonnance du 21 mars 2007, à donner acte du désistement de leur pourvoi, en leur versant la somme de 239 429,55 euros au titre de ces préjudices, avec intérêts et capitalisation des intérêts ;

2°) de mettre à la charge de la SCP Gadiou, Chevallier la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'ordonnance du 10 septembre 1817, notamment son article 13 modifié par le décret n° 2002-76 du 11 janvier 2002 ;

- l'avis du 30 avril 2014 du conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Mireille Le Corre, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de M. et Mme B...et à Me Balat, avocat de la SCP Gadiou et Chevallier ;

1. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 13 de l'ordonnance du 10 septembre 1817 qui réunit, sous la dénomination d'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, l'ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation, fixe irrévocablement, le nombre des titulaires, et contient des dispositions pour la discipline intérieure de l'Ordre, dans sa rédaction issue du décret du 11 janvier 2002 relatif à la discipline des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation : " (...) Les actions en responsabilité civile professionnelle engagées à l'encontre d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation sont portées, après avis du conseil de l'ordre, devant le Conseil d'Etat, quand les faits ont trait aux fonctions exercées devant le tribunal des conflits et les juridictions de l'ordre administratif, et devant la Cour de cassation dans les autres cas.(...) " ;

2. Considérant que M. et Mme B...ont saisi le tribunal de grande instance de Marseille de conclusions tendant, sur le fondement des dispositions de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, à la mise en conformité d'une construction édifiée sur un terrain contigu au leur par M. et MmeE..., ou à la démolition de toutes les surfaces excédentaires au delà de la constructibilité résiduelle de ce terrain, et, à titre subsidiaire, à la condamnation des intéressés à leur verser des dommages et intérêts au motif que cette construction, qui avait fait l'objet d'un permis de construire définitif, méconnaissait les règles d'urbanisme en vigueur ; que, par un jugement du 20 janvier 2005, le tribunal de grande instance de Marseille a renvoyé au juge administratif la question de la légalité de la décision du 4 septembre 1996 par laquelle le maire de Marseille a délivré un permis de construire à M. E...; que, par un jugement du 22 septembre 2005, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. et Mme B... tendant à faire constater l'illégalité de ce permis ; que, par une ordonnance du 7 juin 2006, le président de la 1ère chambre de la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté la requête formée par M. et Mme B...contre ce jugement ; que, par une ordonnance du 21 mars 2007, le président de la 6ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a donné acte du désistement du pourvoi de M. et Mme B...dirigé contre cette ordonnance, faute de production du mémoire complémentaire annoncé par le pourvoi sommaire dans le délai imparti par l'article R. 611-22 du code de justice administrative ; que les intéressés soutiennent qu'en omettant de déposer ce mémoire complémentaire dans le délai imparti, la SCP Gadiou, Chevallier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, a commis une faute qui leur a fait perdre une chance sérieuse d'obtenir la cassation de l'ordonnance du 7 juin 2006 attaquée ; qu'ils recherchent, sur le fondement des dispositions citées au point 1, la responsabilité civile de leur avocat aux fins de réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis ;

Sur la faute :

3. Considérant qu'en s'abstenant de faire les diligences nécessaires pour que le mémoire complémentaire soit produit dans les délais impartis, la SCP Gadiou, Chevallier a commis une faute, qui est de nature à engager sa responsabilité à l'égard des requérants ; que, toutefois, ces derniers ne sont fondés à demander réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait de cette faute que dans la mesure où celle-ci a entraîné pour eux une perte de chance sérieuse d'obtenir la cassation de l'ordonnance du président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Marseille du 7 juin 2006 qu'ils entendaient attaquer, ainsi que l'annulation du jugement du tribunal administratif du 22 septembre 2005 et la constatation de l'illégalité du permis de construire litigieux ;

Sur la perte de chance sérieuse d'obtenir satisfaction :

En ce qui concerne l'ordonnance du 7 juin 2006 du président de la 1ère chambre de la cour administrative d'appel de Marseille :

4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 321-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour statuer sur les appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs rendus sur les recours sur renvoi de l'autorité judiciaire (...) " et qu'aux termes de l'article R. 351-2 du même code : " Lorsqu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence du Conseil d'Etat, son président transmet, sans délai, le dossier au Conseil d'Etat qui poursuit l'instruction de l'affaire (...) " ; que, d'autre part, l'article R. 222-1 du même code dispose : " Les présidents (...) de cour administrative d'appel (...) peuvent, par ordonnance : (...) rejeter les requêtes irrecevables pour défaut d'avocat, pour défaut de production de la décision attaquée ainsi que celles qui sont entachées d'une irrecevabilité manifeste non susceptible d'être couverte en cours d'instance. " et qu'aux termes de l'article R. 351-4 du même code : " Lorsque tout ou partie des conclusions dont est saisi un tribunal administratif, une cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat relève de la compétence d'une juridiction administrative, le tribunal administratif, la cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat, selon le cas, est compétent, nonobstant les règles de répartition des compétences entre juridictions administratives, pour rejeter les conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance ou pour constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur tout ou partie des conclusions. " ;

5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que lorsqu'une cour administrative d'appel est saisie d'un recours dirigé contre un jugement d'un tribunal administratif qui relève de la compétence du Conseil d'Etat, quelles que soient la raison pour laquelle le requérant a cru bon de la saisir ou les mentions portées sur la lettre de notification du jugement attaqué, son président doit transmettre sans délai le dossier au Conseil d'Etat, sauf irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance ou constatation d'un non-lieu à statuer ; que le président de la 1ère chambre de la cour administrative d'appel de Marseille s'est fondé, pour rejeter comme manifestement irrecevable l'appel de M. et Mme B..., sur ce que la lettre de notification du jugement, qui relevait de l'appel devant le Conseil d'Etat, mentionnait les voies et délais de recours ; qu'il a ce faisant commis une erreur de droit, dès lors que la requête ne pouvait être regardée comme manifestement irrecevable pour ce motif et devait faire l'objet d'une transmission au Conseil d'Etat ; que, par suite, les requérants ont perdu une chance sérieuse d'obtenir la cassation de l'ordonnance du 7 juin 2006 ;

En ce qui concerne le jugement du 22 septembre 2005 du tribunal administratif de Marseille et la légalité du permis de construire du 4 septembre 1996 :

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-5 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable au litige : " Il ne peut plus être construit sur toute partie détachée d'un terrain dont la totalité des droits de construire, compte tenu notamment du coefficient d'occupation du sol en vigueur, a été précédemment utilisée. / Lorsqu'une partie est détachée d'un terrain dont les droits de construire n'ont été que partiellement utilisés, il ne peut y être construit que dans la limite des droits qui n'ont pas été utilisés avant la division. (...) " ;

7. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les règles relatives aux possibilités de construire sur les parties détachées d'un terrain dont les droits de construire n'ont été que partiellement utilisés s'appliquent en cas de division d'une unité foncière ; que, pour l'application de ces dispositions, doit être regardé comme une unité foncière un îlot de propriété d'un seul tenant, composé d'une parcelle ou d'un ensemble de parcelles appartenant à un même propriétaire ou à la même indivision, la circonstance que cet îlot proviendrait de lots initialement distincts et demeurant identifiés au cadastre étant par elle-même sans incidence; qu'en conséquence, et sans qu'il soit besoin d'examiner si les autres moyens de la requête étaient susceptibles de prospérer, le moyen tiré de ce que le permis de construire litigieux méconnaissait l'article L. 111-5 du code de l'urbanisme, dès lors que la construction contestée était implantée sur une parcelle faisant partie d'un ensemble de trois lots d'un seul tenant, acquis dans les années 1950 par le même propriétaire qui y a fait édifier une construction, avant que ce dernier ne cède cette parcelle au cours des années 1980, était de nature à conférer aux requérants une chance sérieuse d'obtenir l'annulation du jugement précité et de voir déclarer illégal le permis de construire litigieux, en vue de la poursuite de leur action devant le juge judiciaire ;

Sur le préjudice indemnisable :

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à demander réparation des préjudices résultant directement de la faute commise par la SCP Gadiou, Chevallier ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des préjudices subis par les requérants au titre de la dépréciation de leur bien, des préjudices de jouissance, du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ainsi que des coûts de procédure inutilement exposés en les évaluant à la somme globale de 50 000 euros, tous intérêts compris à la date de la présente décision ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la SCP Gadiou, Chevallier à verser à M. et Mme B...la somme mentionnée au point précédent ; qu'il y a lieu, en outre, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la SCP Gadiou, Chevallier la somme de 2 500 euros que M. et Mme B...demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La SCP Gadiou, Chevallier versera à M. et Mme B...une somme de 50 000 euros, tous intérêts compris à la date de la présente décision.

Article 2 : La SCP Gadiou, Chevallier versera à M. et Mme B...la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et à Mme C...D..., épouseB..., à la SCP Gadiou, Chevallier, au conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

Copie pour information sera adressée au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 384362
Date de la décision : 11/05/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 11 mai. 2016, n° 384362
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Mireille Le Corre
Rapporteur public ?: Mme Suzanne von Coester
Avocat(s) : BALAT ; SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:384362.20160511
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