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23/12/2016 | FRANCE | N°387039

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 23 décembre 2016, 387039


Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 1 212 696,74 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis à raison d'un défaut de surveillance post-opératoire à l'hôpital Robert Debré, le 4 avril 2006. Par un jugement n° 1119257 du 29 octobre 2013, le tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser à Mme B...la somme de 786 346 euros et à lui rembourser, sur production de justificatifs, un montant correspondant à 50 % des débours

exposés, à compter du jugement, à raison des prestations servies dans so...

Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 1 212 696,74 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis à raison d'un défaut de surveillance post-opératoire à l'hôpital Robert Debré, le 4 avril 2006. Par un jugement n° 1119257 du 29 octobre 2013, le tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser à Mme B...la somme de 786 346 euros et à lui rembourser, sur production de justificatifs, un montant correspondant à 50 % des débours exposés, à compter du jugement, à raison des prestations servies dans son intérêt, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Paris la somme de 142 792,21 euros avec intérêt au taux légal à compter du 30 janvier 2012 et à verser à l'Etat, employeur de MmeB..., une somme de 32 796,27 euros.

Par un arrêt n° 13PA04822 et 13PA04815 du 10 novembre 2014, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par l'AP-HP contre ce jugement et condamné l'établissement à verser à Mme B...une somme supplémentaire de 8 750 euros et à la CPAM de Paris une somme supplémentaire de 2 089,94 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2014.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 janvier et 13 avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'AP-HP demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Dominique Chelle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'AP-HP, à la SCP Hémery, Thomas-Raquin, avocat de MmeB..., à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'ONIAM et à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la CPAM de Paris.

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que MmeB..., alors enceinte de huit mois, a été hospitalisée le 1er avril 2006 à l'hôpital Robert Debré, relevant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), en raison d'oedèmes liés à une hypertension artérielle ; qu'une césarienne a été pratiquée en urgence le 3 avril ; que le 4 avril au matin, à 9h30, elle a été retrouvée inconsciente et atteinte d'une hémiplégie droite ; que les examens pratiqués ont mis en évidence un volumineux hématome intracérébral, faisant suite à un accident vasculaire hémorragique ; que Mme B...a dû être opérée en urgence afin d'évacuer l'hématome et de mettre en place une dérivation externe ; qu'elle a ensuite suivi une longue période de rééducation, qui s'est prolongée jusqu'au 14 février 2008 ; que, saisie par Mme B...le 27 décembre 2007, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux d'Ile-de-France (CRCI) a diligenté successivement deux expertises médicales, confiées respectivement aux professeurs Taurelle et Tadie et au docteurC... ; qu'en dépit de l'avis favorable finalement émis par la CRCI à l'indemnisation, sur le fondement d'une perte de chance, évaluée à 50 %, imputable à la faute commise par l'hôpital dans la prise en charge de la patiente, l'AP-HP a rejeté, le 1er septembre 2011, la demande d'indemnisation préalable qui lui avait été présentée par Mme B...le 1er février 2011 ; que, par jugement du 29 octobre 2013, le tribunal administratif de Paris a estimé que le défaut de surveillance adéquate de l'équipe médicale était à l'origine d'un retard de diagnostic qui avait privé l'intéressée d'une chance, évaluée à 50 %, de se soustraire aux séquelles dont elle était atteinte ; que les premiers juges ont, en conséquence, condamné l'AP-HP à verser à Mme B...la somme de 786 346 euros ainsi que 50 % des frais futurs exposés à raison des prestations servies dans son intérêt, à la CPAM de Paris la somme de 142 792,21 euros et à l'Etat une somme de 32 796,27 euros ; que par arrêt du 10 novembre 2014, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par l'AP-HP contre ce jugement et condamné l'établissement à verser à Mme B...une somme supplémentaire de 8 750 euros et à la CPAM de Paris une somme supplémentaire de 2 089,94 euros ; que l'AP-HP se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;

Sur la responsabilité de l'AP-HP :

2. Considérant que, pour confirmer l'existence de fautes commises par l'AP-HP, la cour a relevé que, alors que, selon les prescriptions données par le médecin ayant pratiqué la césarienne, la pression artérielle de Mme B...devait être contrôlée toutes les heures au cours de la nuit du 3 au 4 avril 2006 et qu'un médicament anti-hypertenseur devait lui être administré en fonction des niveaux de pressions artérielles constatés, l'infirmier de garde n'avait ni procédé à la vérification de sa tension artérielle entre 2 heures et 6 heures du matin, ni vérifié son état clinique alors que l'intéressée présentait une tension élevée de 169/93 à 6 heures du matin, puis de 160/93 à 8 heures qui aurait nécessité l'administration d'un traitement anti-hypertenseur ; qu'elle a en outre relevé que l'expertise du Dr C...avait indiqué qu'il aurait été prudent de surveiller Mme B...en unité de soins continus en post opératoire et que l'accident vasculaire cérébral s'était vraisemblablement produit entre 5h et 8h30 ; que cette estimation n'était contredite ni par le précédent rapport des Prs Taurelle et Tadie, qui estimaient que l'accident avait pu se produire avant comme après le passage de l'infirmière à 6h, ni par aucune autre pièce du dossier ; que la cour s'est, sur ce point, livrée à une appréciation souveraine des pièces du dossier, qui est exempte de dénaturation ;

3. Considérant que, pour confirmer que le préjudice subi par Mme B...présentait un lien de causalité direct et certain avec les fautes commises par l'équipe médicale, consistant en un double défaut de surveillance et un défaut de soins, et écarter comme inopérante l'objection opposée par l'AP-HP et tirée de ce que les lésions subies par Mme B...avaient d'emblée présenté un caractère irréversible, la cour s'est fondée sur le fait que le protocole de surveillance et de soins de Mme B...avait précisément pour objectif de prévenir un risque de survenance d'un accident vasculaire cérébral ; qu'en statuant ainsi, la cour, qui n'a nullement remis en cause le caractère irréversible des lésions, s'est livrée à une appréciation souveraine exempte de dénaturation ;

Sur l'évaluation des préjudices :

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans son mémoire en réplique devant la cour, enregistré le 31 juillet 2014, l'AP-HP contestait être débitrice de la somme de 1 286 euros, correspondant aux frais de déplacement restés à la charge de Mme B...de 2007 à 2010 et que le tribunal administratif de Paris l'avait condamnée à payer à l'intéressée au titre des " dépenses de santé ", en faisant notamment valoir que ces dépenses étaient dépourvues de lien avec l'accident vasculaire cérébral dont l'intéressée avait été victime ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, qui n'était pas inopérant, la cour a insuffisamment motivé son arrêt ; que par suite, l'AP-HP est fondée à demander l'annulation de l'arrêt du 10 novembre 2014 en tant que, dans le cadre des dépenses de santé, il statue sur les frais de déplacement restés à la charge de MmeB... ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que MmeB..., qui avait repris une activité d'enseignante à temps partiel en juillet 2009, avait produit, pour justifier de ses pertes de revenus au cours de la période comprise entre février 2008 et le 29 octobre 2013, date de lecture du jugement du tribunal, des fiches de paie et avis d'imposition se rapportant aux années 2008, 2009 et 2010, aux neuf premiers mois de l'année 2011 et aux huit premiers mois de l'année 2013, soit cinquante-deux des soixante-neuf mois de la période considérée ; qu'elle avait aussi produit devant les juges du fond les arrêtés du recteur de l'académie de Paris des 28 janvier 2011 et 23 janvier 2012 portant prolongation d'activité avec respectivement 50 % et 61,11 % de son traitement du 1er septembre 2011 au 1er septembre 2012 puis du 1er septembre 2012 au 31 août 2015 ; qu'en relevant que la somme de 31 197 euros que le tribunal administratif de Paris avait condamné l'AP-HP à verser à Mme B... au titre des pertes de revenus correspondant à cette période avait été déterminée " par référence et au vu des fiches de paie et avis d'imposition " produits par l'intéressée, la cour n'a donc pas dénaturé les pièces du dossier ; qu'eu égard aux éléments justificatifs produits devant elle par MmeB..., la cour, qui n'était pas tenue, dans les circonstances de l'espèce, d'ordonner une mesure d'instruction complémentaire, n'a ni insuffisamment motivé son arrêt ni commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en évaluant à cette somme le montant des revenus perçus par l'intéressée entre février 2008 et octobre 2013 ; que si la cour s'est référée à tort à la période comprise " entre le 19 juillet 2009 " et le jour du jugement, cette erreur de plume est sans incidence sur le bien-fondé de l'arrêté attaqué ;

6. Considérant que pour évaluer à 8 750 euros, après application du coefficient de perte de chance, le montant des pertes de revenus subies par Mme B...entre le 29 octobre 2013 et le 31 août 2015, date d'expiration de l'arrêté du 23 janvier 2012 portant prolongation d'activité avec 61,11 % de son traitement, la cour a pris en compte la différence entre les traitements que l'intéressée aurait perçus si elle avait travaillé à temps complet et ceux qu'elle a effectivement touchés pendant la même période ; que la cour, qui n'était pas tenue, dans les circonstances de l'espèce, d'ordonner une mesure d'instruction complémentaire, a pu, sans commettre d'erreur de droit ni méconnaître son office, se référer au salaire mensuel moyen de Mme B...au titre de l'année 2013 ; qu'en évaluant celui-ci à 1 375 euros, la cour n'a pas entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation et a procédé à une appréciation souveraine exempte de dénaturation ;

7. Considérant qu'il ressort des écritures de l'AP-HP devant la cour que si elle a, dans sa requête d'appel, critiqué le jugement du tribunal pour l'avoir déclarée responsable de 50% des dommages subi par Mme B...et a, sans son mémoire en réplique, contesté certains des postes de préjudice indemnisés par le tribunal, elle n'a soulevé aucun moyen contre l'indemnisation des frais d'assistance par une tierce personne mise à sa charge par le tribunal pour une somme totale de 614 444,57 euros, calculée, après application du coefficient de perte chance, par référence à un besoin de 7 heures par jour, 7 jours sur 7, tel qu'il avait été apprécié par les Prs Taurelle et Tadié dans leur rapport d'expertise déposé le 2 août 2008 ; que, dans son mémoire en réplique devant la cour, l'AP-HP a indiqué que ce calcul était exempt de toute critique, et s'est bornée à formuler des moyens contre l'appel incident de Mme B...qui tendait à la réévaluation de ce poste de préjudice ; que, dans ces conditions, Mme B...est fondée à soutenir que les moyens tirés de ce que la cour aurait entaché son arrêt d'erreur de droit en s'abstenant de porter une appréciation à la date à laquelle elle statuait sur la réalité de son besoin d'assistance d'une tierce personne et aurait commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en maintenant une indemnisation de ses besoins futurs d'une tierce personne sous forme de capital, sont nouveaux en cassation et, par suite, irrecevables ;

8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'AP-HP qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt n° 13PA04822 et 13PA04815 de la cour administrative d'appel de Paris du 10 novembre 2014 est annulé en tant qu'il statue sur les droits de Mme B...au titre des dépenses de santé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris dans la mesure de la cassation prononcée.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par l'AP-HP est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'ONIAM, Mme B...et la CPAM de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, à Mme A...B..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 387039
Date de la décision : 23/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 23 déc. 2016, n° 387039
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Dominique Chelle
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET ; SCP SEVAUX, MATHONNET ; SCP HEMERY, THOMAS-RAQUIN ; SCP GATINEAU, FATTACCINI

Origine de la décision
Date de l'import : 10/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:387039.20161223
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