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12/07/2017 | FRANCE | N°402042

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 12 juillet 2017, 402042


Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner Pôle emploi à lui verser la somme de 14 969,94 euros en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait de l'écart de rémunération entre sa situation et celle dans laquelle elle aurait été placée si elle avait opté pour la convention collective applicable aux agents de Pôle emploi. Par un jugement n° 1302271 du 30 avril 2015, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15MA02698 du 27 mai 2016, la cour admin

istrative d'appel de Marseille a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la q...

Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner Pôle emploi à lui verser la somme de 14 969,94 euros en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait de l'écart de rémunération entre sa situation et celle dans laquelle elle aurait été placée si elle avait opté pour la convention collective applicable aux agents de Pôle emploi. Par un jugement n° 1302271 du 30 avril 2015, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15MA02698 du 27 mai 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant elle par MmeB..., mettant en cause la conformité à la Constitution de l'article 7 de la loi n° 2008-126 du 13 février 2008, et rejeté l'appel formé par Mme B...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er août et 2 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de Pôle emploi la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- la charte sociale européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 2008-126 du 13 février 2008 ;

- le décret n° 2003-1370 du 31 décembre 2003 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thomas Odinot, auditeur,

- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de Mme B...et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Pôle emploi.

1. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que Mme B..., agent contractuel de droit public de l'Agence nationale pour l'emploi transférée à Pôle emploi à la suite de la création de cet établissement public par la loi du 13 février 2008 relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi et qui a opté pour le maintien de son statut de droit public, a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner Pôle emploi à l'indemniser du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de différences de traitement entre les agents de droit public et les agents de droit privé employés par cet établissement public ; que, par un jugement du 30 avril 2015, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande ; que, par l'arrêt attaqué, en date du 27 mai 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a, d'une part, rejeté son appel, et, d'autre part, refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 7 de la loi du 13 février 2008 relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi ; que Mme B...se pourvoit en cassation contre cet arrêt et conteste le refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ;

En ce qui concerne le refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Considérant que les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoient que lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ;

3. Considérant qu'eu égard à la teneur de ses écritures, Mme B...doit être regardée comme ayant soulevé devant la cour administrative d'appel une question de constitutionnalité portant sur les seules dispositions du I de l'article 7 de la loi du 13 février 2008 ; qu'aux termes de ces dispositions " I.-A la date de création de l'institution mentionnée à l'article L. 311-7 du code du travail, les agents de l'Agence nationale pour l'emploi sont transférés à celle-ci. Ils restent régis par le décret n° 2003-1370 du 31 décembre 2003 fixant les dispositions applicables aux agents contractuels de droit public de l'Agence nationale pour l'emploi et par les dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l'Etat prévues par le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986. / Ils peuvent opter pour la convention collective prévue à l'article L. 311-7-7 du même code dans un délai d'un an suivant son agrément " ;

4. Considérant que, pour refuser de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité de ces dispositions au principe d'égalité et à la liberté de conscience garantis par la Constitution, la cour administrative d'appel de Marseille s'est fondée sur la circonstance que ces dispositions n'étaient pas applicables au litige dès lors que Mme B...demandait la condamnation de Pôle emploi alors qu'elle mettait uniquement en cause la responsabilité de l'Etat du fait de l'adoption d'une loi contraire à la Constitution ; qu'en statuant ainsi, alors que l'intéressée recherchait la responsabilité de Pôle Emploi pour avoir pris des actes en application de la loi du 13 février 2008, qu'elle soutenait être contraire à la Constitution, la cour a commis une erreur de droit ;

5. Considérant, toutefois, que la loi du 13 février 2008 a créé Pôle Emploi en procédant à la fusion de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et des organismes gestionnaires du régime d'assurance chômage ; qu'elle a prévu, à son article 7, que les agents de droit public de l'ANPE demeureraient régis par le statut qui leur était applicable tandis que les salariés des organismes gestionnaires du régime d'assurance chômage demeuraient régis par le régime de la convention collective ; que les dispositions contestées du I de l'article 7 prévoient la possibilité pour les agents demeurés sous statut de droit public d'opter, dans un délai d'un an, pour le régime de la convention collective ; que ces dispositions n'ont par elles-mêmes ni pour objet, ni pour effet d'instaurer une différence de traitement entre les agents de Pôle emploi, mais uniquement de laisser la possibilité aux agents issus de l'ANPE qui le souhaitent de ne pas rester sous l'empire du décret du 31 décembre 2003 et d'opter pour un statut de droit privé ; que ce droit d'option a par ailleurs été accompagné d'un délai d'un an de nature à garantir le libre choix des agents concernés ; que les moyens tirés de ce que ces dispositions porteraient atteinte au principe d'égalité devant la loi ainsi qu'à la liberté d'opinion et de conscience ne présentent pas de caractère sérieux ; qu'ils ne posent pas non plus une question nouvelle ;

6. Considérant que ce motif, qui justifie le dispositif de l'arrêt attaqué en ce qu'il refuse de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, doit être substitué au motif retenu par la cour administrative d'appel ; que, dès lors, Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation du refus de transmission opposé par la cour ;

En ce qui concerne les autres conclusions du pourvoi :

7. Considérant que pour rejeter les conclusions indemnitaires de Mme B..., la cour administrative d'appel de Marseille a relevé que la requérante fondait son action sur la faute qu'aurait commise l'Etat en adoptant les dispositions de l'article 7 de la loi du 13 février 2008 et que, par suite, ses conclusions tendant à la condamnation de Pôle emploi, établissement public administratif doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière, étaient mal dirigées ; qu'en statuant ainsi, alors qu'ainsi qu'il a été dit au point 4, la requérante mettait en cause la responsabilité de Pôle Emploi pour avoir pris des actes en application de la loi du 13 février 2008, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, Mme B...est fondée à demander l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt attaqué ;

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

9. Considérant, en premier lieu, que le tribunal administratif n'a pas entaché son jugement d'insuffisance de motivation en écartant le moyen tiré de la méconnaissance de l'égalité de traitement et du caractère disproportionné de la différence de traitement ; que contrairement à ce qui est soutenu, le tribunal n'a pas omis de répondre aux moyens selon lesquels le droit d'option offert aux agents issus de l'ANPE porterait atteinte à la liberté de penser, de conscience et d'opinion et méconnaîtrait diverses conventions internationales, qu'il a, eu égard à l'argumentation développée en première instance, écartés au motif qu'ils n'étaient pas assortis de précisions nécessaires permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

10. Considérant, en deuxième lieu, que Mme B...ne saurait utilement se prévaloir d'une méconnaissance du principe d'égalité entre agents de droit public et agents de droit privé de Pôle emploi, dès lors que les premiers agents, qui restent régis, du fait même de leur option en faveur du maintien de leur statut de droit public, par leur statut antérieur à la création de Pôle emploi, sont dans une situation différente de celle des salariés de droit privé de Pôle emploi ; que, par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l'article 20 de la charte sociale européenne, et de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ne peuvent qu'être écartés ;

11. Considérant, en troisième lieu, que les agents publics issus de l'ANPE ont disposé d'un délai d'un an, prolongé une année supplémentaire, pour exercer ou non le droit d'option ouvert par l'article 7 de la loi du 13 février 2008 ; que Mme B...ne peut sérieusement soutenir que sa liberté de conscience ou d'opinion a été contrainte par l'opportunité de choisir un nouveau statut juridique ; qu'elle n'est pas davantage fondée à soutenir que ce droit d'option aurait méconnu l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 18 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'article 15 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande dirigée contre Pôle emploi et tendant à la réparation du préjudice financier subi par elle du fait de son choix de conserver son statut de droit public ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B...la somme de 3 000 euros à verser à Pôle emploi au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par Mme B...sur le même fondement ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité opposé à Mme B...par la cour administrative d'appel de Marseille est écartée.

Article 2 : Les articles 2 et 3 de l'arrêt du 27 mai 2016 de la cour administrative d'appel de Marseille sont annulés.

Article 3 : La demande présentée par Mme B...devant le tribunal administratif de Montpellier ainsi que ses conclusions tendant à l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Mme B...versera à Pôle emploi une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et à Pôle emploi.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et à la ministre du travail.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 402042
Date de la décision : 12/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - VOIES DE RECOURS - CASSATION - POUVOIRS DU JUGE DE CASSATION - CONTESTATION DU REFUS DE TRANSMISSION D'UNE QPC - POSSIBILITÉ DE SUBSTITUER LE MOTIF TIRÉ DU DÉFAUT DE CARACTÈRE SÉRIEUX OU NOUVEAU DE LA QPC AU MOTIF TIRÉ DU DÉFAUT D'APPLICABILITÉ AU LITIGE DE LA DISPOSITION CONTESTÉE - EXISTENCE [RJ1].

54-08-02-03-015 Cour ayant refusé de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au motif que la disposition contestée n'était pas applicable au litige. Elle a en l'espèce commis une erreur de droit. Toutefois, la QPC ne présente pas de caractère sérieux et ne pose pas une question nouvelle ; ce motif, qui justifie le dispositif de l'arrêt en ce qu'il refuse de transmettre au Conseil d'Etat la QPC soulevée, doit être substitué au motif retenu par la cour.

PROCÉDURE - SUBSTITUTION DE MOTIF - MOTIF TIRÉ DU DÉFAUT DE CARACTÈRE SÉRIEUX OU NOUVEAU DE LA QPC - SUBSTITUÉ AU MOTIF TIRÉ DU DÉFAUT D'APPLICABILITÉ AU LITIGE DE LA DISPOSITION CONTESTÉE [RJ1].

54-10-10 Cour ayant refusé de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au motif que la disposition contestée n'était pas applicable au litige. Elle a en l'espèce commis une erreur de droit. Toutefois, la QPC ne présente pas de caractère sérieux et ne pose pas une question nouvelle ; ce motif, qui justifie le dispositif de l'arrêt en ce qu'il refuse de transmettre au Conseil d'Etat la QPC soulevée, doit être substitué au motif retenu par la cour.


Références :

[RJ1]

Rappr., s'agissant de la substitution du motif tiré du caractère réglementaire de la disposition contestée au motif tiré du défaut de caractère sérieux de la QPC, CE, 15 février 2016, M.,, n° 392083, T. pp. 914-921.


Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2017, n° 402042
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thomas Odinot
Rapporteur public ?: M. Olivier Henrard
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:402042.20170712
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