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23/10/2017 | FRANCE | N°414975

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 23 octobre 2017, 414975


Vu la procédure suivante :

Mme B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à Pôle Emploi, en premier lieu, de l'affecter hors de la plateforme de traitements centralisés de Paris, en dehors de tout lien avec les instances paritaires territoriales franciliennes, dans un service ne dépendant pas de la directrice de production, dans un emploi correspondant à sa filière et à son niveau et au sein de sa résidence administrative, dans l'attente d'une soluti

on pérenne, en deuxième lieu, d'accepter sa demande d'affectation ...

Vu la procédure suivante :

Mme B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à Pôle Emploi, en premier lieu, de l'affecter hors de la plateforme de traitements centralisés de Paris, en dehors de tout lien avec les instances paritaires territoriales franciliennes, dans un service ne dépendant pas de la directrice de production, dans un emploi correspondant à sa filière et à son niveau et au sein de sa résidence administrative, dans l'attente d'une solution pérenne, en deuxième lieu, d'accepter sa demande d'affectation sur un emploi de chargée d'appui à la médiation, avec une prise de poste prévue au 1er décembre 2017, à la direction régionale d'Ile-de-France de Noisy-le-Grand et, en troisième lieu, de lui communiquer le compte-rendu écrit de l'enquête interne engagée le 3 juillet 2017 dans le cadre de sa demande de protection fonctionnelle. Par une ordonnance n° 1714590 du 26 septembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint à Pôle emploi d'affecter sans délai Mme A... dans un emploi correspondant à sa filière et à son niveau, au sein de sa résidence administrative, hors de la plateforme de traitements centralisés de Paris, en dehors de tout lien avec les instances paritaires territoriales franciliennes, sans lien avec la directrice de production régionale, le temps au moins qu'aboutissent les plaintes pénales déposées par la requérante à l'encontre des deux supérieures hiérarchiques mises en cause.

Par une requête, enregistrée le 11 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Pôle emploi demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter les conclusions présentées en première instance par MmeA... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A...la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Pôle emploi soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que, d'une part, l'état de santé de Mme A...s'est suffisamment amélioré pour lui permettre de reprendre son travail et qu'elle n'a établi aucune souffrance de nature à justifier une affectation sur un autre poste dans les quarante-huit heures, d'autre part, MmeC..., qui est l'objet principal de sa plainte pour harcèlement moral, est actuellement en congé maternité et, enfin, l'intéressée n'a présenté sa demande au juge des référés que le 21 septembre 2017, alors qu'elle se prévaut de conditions de travail préjudiciables à sa santé depuis le mois d'octobre 2016 ;

- l'ordonnance contestée est entachée d'erreurs de fait et de qualification juridique dès lors que, d'une part, Mme A...n'a apporté à l'appui de sa requête aucun élément susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, tels que des courriers ou des attestations de ses collègues et n'a fait état que de circonstances qui s'inscrivent dans le cadre de relations normales entre les agents et leurs supérieurs hiérarchiques, et, d'autre part, la modification de ses tâches quotidiennes résulte de la réorganisation du service qui n'a pas été opérée personnellement à son encontre mais concerne l'ensemble des membres de l'équipe ;

- le juge des référés du tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit en retenant l'existence de faits susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement dès lors qu'il se fonde uniquement, d'une part, sur l'état de santé de MmeA..., alors qu'aucun lien entre le service et l'affection dont elle souffre n'a été médicalement établi, et, d'autre part, sur la plainte qu'elle a déposée le 9 mai 2017, alors que celle-ci ne fait l'objet d'aucune instruction de la part d'un juge saisi à ce titre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2017, Mme A...conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que les moyens soulevés par Pôle emploi ne sont pas

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, notamment son article 6 quinquies ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Pôle emploi, d'autre part, Mme A...;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 19 octobre 2017 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me François Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Pôle emploi ;

- les représentants de Pôle emploi ;

- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de MmeA... ;

- MmeA... ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Il résulte de l'instruction que MmeA..., agent contractuel, a rejoint l'Agence nationale pour l'emploi en 2002. Elle est affectée depuis le 1er janvier 2013 au sein du service " Instance paritaire territoriale de Paris " de la plateforme de traitements centralisés de Paris. Le 24 avril 2017, Mme A...a été placée en congé de maladie. Le 9 mai 2017, elle a déposé une plainte pour harcèlement moral auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Paris contre la directrice de cette plateforme et la supérieure hiérarchique de cette dernière, directrice de la production régionale. Le 10 mai 2017, elle a sollicité de Pôle emploi la protection fonctionnelle dans le cadre de cette instance. Lorsqu'après plusieurs prolongations de son congé de maladie, Mme A...a repris le travail, le 11 septembre 2017, elle a sollicité sa mutation vers un emploi de chargée d'appui à la médiation à la direction régionale d'Ile-de-France de Noisy-le-Grand. Par une ordonnance n° 1714590 du 26 septembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, saisi par Mme A...sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint à Pôle emploi de l'affecter sans délai dans un emploi correspondant à sa filière et à son niveau, au sein de sa résidence administrative, hors de la plateforme de traitements centralisés de Paris, en dehors de tout lien avec les instances paritaires territoriales franciliennes, sans lien avec la directrice de la production régionale, le temps au moins qu'aboutissent les plaintes pénales déposées par la requérante à l'encontre de cette dernière et de la directrice de la plateforme. Pôle emploi relève appel de cette ordonnance.

3. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Le droit de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue pour un agent une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de la justice administrative. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de faits susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au regard de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. Il résulte de l'instruction que la direction de la production régionale d'Ile-de-France de Pôle emploi, dont fait partie la plateforme de traitements centralisés de Paris, ne reçoit pas de public, et a pour activité la gestion papier ou informatique de sollicitations diverses ou d'appels téléphoniques passés auprès des demandeurs d'emploi. Pôle emploi affecte par priorité dans cette direction les agents qui, pour diverses raisons, tenant en particulier à leur fragilité psychologique, éprouvent des difficultés à se trouver au contact direct des demandeurs d'emploi. Mme A...est affectée depuis le 1er janvier 2013, pour raisons médicales, au sein du service " Instance paritaire territoriale de Paris " de cette plateforme, où elle exerce son activité à temps partiel et où, ainsi qu'elle l'a expliqué elle-même au cours de l'audience publique, elle n'a jamais éprouvé de difficultés particulières jusqu'à la réorganisation de ce service, décidée au cours de l'année 2016. Cette réorganisation a, selon MmeA..., conduit à lui retirer les dossiers dont elle avait la charge et entraîné à son égard des brimades, recadrages vexatoires et injonctions contradictoires, qui l'ont poussée à consulter régulièrement, à partir du début de l'année 2017, un service médical spécialisé en psychothérapie et psychopathologie du travail, jusqu'à ce qu'elle soit placée en congé maladie par un médecin psychiatre et dépose plainte pour harcèlement moral contre la directrice de la plateforme et la directrice de la production régionale.

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la réorganisation du service au sein duquel Mme A...est affectée a été décidée au cours de l'année 2016 par la directrice de la plateforme de traitements centralisés de Paris et par la directrice de la production régionale dans le but unique de résorber le retard dans le traitement des dossiers. La nouvelle répartition du travail entre les agents qui en découle a conduit à mutualiser le traitement des dossiers dont Mme A...était jusqu'à présent seule en charge, mais non pas à les lui retirer. C'est dans le cadre de cette mutualisation que les dossiers qui étaient jusqu'à présent stockés dans le bureau de Mme A...ont été déplacés dans un endroit accessible à tous les agents désormais chargés de leur traitement, dont Mme A...elle-même.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier du compte-rendu d'enquête du 11 octobre 2017 sur les faits susceptibles de constituer un harcèlement moral à l'encontre de MmeA..., que cette dernière était intervenue auprès des membres représentant les salariés au sein de l'instance paritaire territoriale pour que sa situation y soit évoquée. Si, au cours de la réunion qui s'est tenue le 14 octobre 2016, l'agent chargé de superviser les instances paritaires territoriales et l'instance paritaire régionale a rappelé que ce type de demande n'entrait pas dans le cadre des fonctions d'un membre de l'instance paritaire territoriale, c'est sans citer le nom de MmeA..., d'ailleurs absente de cette réunion à laquelle elle devait participer.

7. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que les critiques faites à Mme A... par la directrice de la plateforme le 17 octobre 2016 s'agissant d'une erreur que l'intéressée a reconnu avoir commise, si elles ont de façon regrettable été formulées en présence d'un tiers, ne présentaient aucune caractère humiliant ou vexatoire, pas plus que la remarque qui a été faite, en termes mesurés, à Mme A...dans le cadre de son entretien annuel.

8. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que les demandes quotidiennes de rapport d'activité concernent l'ensemble des agents placés sous la responsabilité du référent, et pas seulement MmeA.... Motivées à l'origine par l'objectif de résorption du stock de dossiers en retard, elles le sont désormais par le souci de la hiérarchie de ne pas voir un tel retard se reconstituer, et ne révèlent aucun fait de harcèlement moral, pas plus que les demandes qui sont ponctuellement adressées à Mme A...de traiter certains dossiers en urgence. Il résulte par ailleurs de l'instruction que la hiérarchie de Mme A...ne s'est pas opposée à sa demande tendant à ce que le mercredi devienne, au lieu du jeudi, le jour de la semaine où elle ne travaille pas, alors même que les instances se réunissent le mercredi.

9. En cinquième et dernier lieu, lorsque Mme A...a repris le travail le 11 septembre 2017, à l'issue de son congé de maladie, la directrice de la plateforme, visée par la plainte pénale du 9 mai 2017 qui, à ce jour, n'a connu aucune suite, était en congé maternité. Si la directrice de la production régionale, elle aussi visée par cette plainte et avec laquelle Mme A... n'a en principe aucun contact direct, a reçu celle-ci pour un bref entretien le jour de sa reprise, aucun propos ou attitude vexatoire n'est établi ni même allégué au cours de cet échange, dont l'intéressée a expliqué au cours de l'audience publique être sortie choquée au motif qu'elle avait appris qu'elle resterait affectée dans le même service et sur le même poste. Le jour même de cet entretien, Mme A...sollicitait sa mutation sur un autre poste et faisait valoir ses droits à congés.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les agissements dénoncés par Mme A... ne sauraient, pris ensemble ou isolément, être regardés comme faisant présumer l'existence d'un harcèlement moral. Il en va ainsi, en particulier, de la réorganisation du service au sein duquel Mme A...est affectée, qui répond uniquement à un souci d'efficacité, à supposer même que cette réorganisation se soit, comme l'affirme MmeA..., déroulée de façon brouillonne est sans concertation préalable suffisante. Si les conclusions du rapport d'enquête interne du 11 octobre 2017 diligenté par le service des conditions du travail de Pôle emploi soulignent que " la hausse du niveau d'exigence des agents de la plateforme dans un contexte global de changement managérial " est susceptible d'avoir donné lieu à des incidents que Mme A... a, de toute évidence, ressentis comme vexatoires ou humiliants, elles soulignent également que ces incidents ne procèdent pas d'une volonté de nuire à l'intéressée, mais peuvent être rattachés à une critique constructive et à l'évaluation du travail fourni par cet agent, ou à des maladresses de communication non intentionnelles. D'ailleurs, l'instruction a révélé que, dès le 17 mars 2017, la directrice de la plateforme et supérieure hiérarchique de Mme A...avait alerté le service des conditions de travail sur la situation de mal-être au travail de cet agent, dont l'état de fragilité psychologique n'est pas contesté. Si le rapport du 11 octobre 2017 préconise également à Pôle emploi de prendre en compte la situation de l'intéressée et de s'interroger sur son maintien dans une structure où ses relations de travail sont fortement dégradées, il n'appartient pas au juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en l'absence de tout harcèlement moral établi, d'enjoindre à Pôle emploi de trouver à Mme A...une affectation immédiate en dehors de son service. Il suit de là que Pôle emploi est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris lui a enjoint d'affecter sans délai Mme A...dans un emploi correspondant à sa filière et à son niveau, au sein de sa résidence administrative hors de la plateforme de traitements centralisés de Paris, en dehors de tout lien avec les instances paritaires territoriales franciliennes, sans lien avec la directrice de production régionale le temps au moins qu'aboutissent les plaintes pénales diligentées à l'encontre des deux supérieures hiérarchiques mises en cause.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de Pôle emploi, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par Mme A...au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A...la somme que Pôle emploi demande au titre des mêmes dispositions.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 26 septembre 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : La demande présentée par Mme A...devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Pôle emploi est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Pôle emploi et à Mme B...A...


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 414975
Date de la décision : 23/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 23 oct. 2017, n° 414975
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY

Origine de la décision
Date de l'import : 31/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:414975.20171023
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