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13/06/2018 | FRANCE | N°394632

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 13 juin 2018, 394632


Vu la procédure suivante :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (Earl) Les Platanes et son gérant, M. B...A..., ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Etat à verser à l'Earl Les Platanes la somme de 478 288, 33 euros en réparation des préjudices résultant du refus de réévaluer ses droits à paiement unique, du démantèlement de son troupeau et de la perte cumulée de primes au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA), et à M. A...la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral. Par un jugement n ° 1204270 du 28 nov

embre 2013, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

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Vu la procédure suivante :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (Earl) Les Platanes et son gérant, M. B...A..., ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Etat à verser à l'Earl Les Platanes la somme de 478 288, 33 euros en réparation des préjudices résultant du refus de réévaluer ses droits à paiement unique, du démantèlement de son troupeau et de la perte cumulée de primes au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA), et à M. A...la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral. Par un jugement n ° 1204270 du 28 novembre 2013, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 14NT00267 du 17 septembre 2015, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'ils ont formé contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 novembre 2015 et 17 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Earl Les Platanes et son gérant, M.A..., demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 ;

- le code civil ;

- le décret n° 2006-710 du 19 juin 2006 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cytermann, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Earl Les Platanes et de M. A...;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre du litige :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'Earl Les Platanes et son gérant, M. A..., ont saisi le tribunal administratif d'Orléans de conclusions indemnitaires en vue de la condamnation de l'Etat à leur verser respectivement les sommes de 478 288,33 euros et de 15 000 euros en réparation des préjudices résultant du refus du préfet d'Indre-et-Loire de revaloriser les droits à paiement unique de l'Earl Les Platanes. Ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 17 septembre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté leur appel formé à l'encontre du jugement du 28 novembre 2013 du tribunal administratif d'Orléans ayant rejeté leur demande.

2. Aux termes de l'article 40 du règlement (CE) n° 1782/2003 du 29 septembre 2003 établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes en faveur des agriculteurs (...) : " 1. Par dérogation à l'article 37, tout agriculteur dont la production a été gravement affectée au cours de la période de référence par un cas de force majeure ou des circonstances exceptionnelles survenus avant ou pendant ladite période de référence est habilité à demander que le montant de référence soit calculé sur la base de l'année ou des années civiles de la période de référence qui n'ont pas été affectées par le cas de force majeure ou les circonstances exceptionnelles. (...) / 5. Les paragraphes 1 (...) du présent article s'appliquent mutatis mutandis aux agriculteurs soumis, au cours, de la période de référence, à des engagements agroenvironnementaux (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 19 juin 2006 relatif à la mise en oeuvre de l'aide au revenu prévue par le règlement (CE) n° 1782/2003 du 29 septembre 2003 : " (...) Pour l'application du 5 de l'article 40 du règlement du 29 septembre 2003 susvisé, ne peuvent être pris en compte que les engagements agro-environnementaux dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de l'agriculture et qui, selon le cas, ont conduit à une diminution au moins équivalente à 20 % (...) du montant d'aides perçu au titre des années affectées, calculé selon des modalités fixées par ce même arrêté, par rapport à celui versé au titre des années de la période de référence non affectées ; (...) ".

3. Par un arrêté du 23 février 2010, le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche a modifié l'arrêté du 20 novembre 2006 relatif à la mise en oeuvre de l'aide au revenu prévue par le règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 et portant application du décret du 19 juin 2006. Le paragraphe 2 de l'article 1er de cet arrêté, modifiant l'article 5 de l'arrêté du 20 novembre 2006, étend aux années non affectées par des engagements agroenvironnementaux antérieures à 2000 la liste des aides, figurant à l'article 1er de cet arrêté, prises en compte pour la comparaison des montants d'aides perçus par les agriculteurs soumis à des engagements agroenvironnementaux. Le paragraphe 3 du même article, modifiant l'article 6 de l'arrêté du 20 novembre 2006, fixe, pour les agriculteurs soumis à des engagements agroenvironnementaux pendant une ou deux des trois années de la période de référence, les règles de comparaison du montant d'aides perçu respectivement lors des années non affectées et lors des années affectées par de tels engagements et, dans le cas où le second montant est inférieur d'au moins 20 % au premier montant, les modalités de calcul de la revalorisation du montant de référence. Le paragraphe 4 du même article, modifiant l'article 7 de l'arrêté du 20 novembre 2006, fixe, pour les agriculteurs soumis à des engagements agroenvironnementaux pendant les trois années de la période de référence, les règles de comparaison du montant d'aides perçu lors de la dernière année non affectée par de tels engagements, laquelle peut remonter jusqu'à 1992, et du montant moyen d'aides perçu lors de la période de référence et, dans le cas où le second montant est inférieur d'au moins 20 % au premier montant, les modalités de calcul de la revalorisation du montant de référence. Par une décision n° 339036 du 26 février 2014, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé les paragraphes 2 à 4 de l'article 1er de l'arrêté du 23 février 2010.

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur la demande d'indemnisation résultant de l'absence de revalorisation des droits à paiement unique pour les années 2006 à 2011 :

4. Par un arrêt n° 13NT02004 du 18 septembre 2014, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé les décisions du préfet d'Indre-et-Loire des 28 octobre 2011 pour la campagne 2008 et du 1er juin 2012 pour les campagnes 2009 et 2010 par lesquelles le préfet a refusé de revaloriser les droits à paiement unique de l'Earl Les Platanes. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ces décisions se fondaient notamment sur le fait que l'engagement agroenvironnemental " CTE " avait provoqué une diminution des aides directes inférieure à 20 %, seuil fixé par l'arrêté du 20 novembre 2006, dans sa rédaction issue de l'arrêté modificatif du 23 février 2010 citée au point 3, annulée par la décision du 26 février 2014 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, censurant ce dispositif pour incompatibilité avec l'article 40 du règlement du 29 septembre 2003 précité.

5. Par suite, en jugeant qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que les décisions en litige étaient fondées sur les modalités d'évaluation déclarées illégales, alors qu'elle avait jugé l'inverse dans le considérant 6 de son arrêt du 18 septembre 2014, la cour a dénaturé les termes des décisions en cause et méconnu l'autorité de chose jugée s'attachant à son propre arrêt.

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur l'indemnisation du préjudice résultant de la diminution du cheptel bovin et de la baisse corrélative de la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes, ainsi que sur la réparation du préjudice moral et physique résultant pour M. A... de la réduction de la main-d'oeuvre :

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et notamment de l'analyse économique de la société jointe à la requête réalisée par un expert-comptable, que les difficultés financières de l'exploitation pendant les années en litige résultent de la baisse d'autres aides et subventions en raison d'une nouvelle réglementation de la politique agricole commune mise en place en France en 2006, de la baisse des stocks de fourrage, de la baisse des ventes et d'un fort endettement. Dès lors, la cour n'a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique des faits en retenant que ces préjudices ne présentaient pas un lien de causalité direct et certain avec les décisions attaquées et en rejetant les conclusions indemnitaires de l'Earl Les Platanes et de M. A...présentées à ces titres.

7. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêt attaqué doit être annulé en tant seulement qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de l'Earl Les Platanes et de M. A...résultant de l'absence de revalorisation des droits à paiement unique au titre des années 2006 à 2011.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans cette mesure en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. Par deux décisions des 20 avril 2016 et du 20 avril 2017, le ministre de l'alimentation et de l'agriculture a accordé à l'Earl Les Platanes une somme totale de 318 670,72 euros correspondant à la revalorisation de ses droits à paiement unique au titre des années 2006 à 2013, soit 39 833, 84 euros par année. L'Earl a donc perçu, au titre des années 2006 à 2011 en litige, la somme de 239 003,04 euros, qui correspondait au montant de sa demande au principal. Les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de la non-revalorisation des droits à paiement unique sont donc, dans cette mesure, devenues sans objet. Il n'y a, par suite, plus lieu d'y statuer.

10. L'Earl Les Platanes et M. A...demandent toutefois à ce que les sommes allouées en réparation de leurs préjudices soient assorties des intérêts au taux légal. Si, comme il a été dit ci-dessus, le préfet a finalement fait droit à leur demande de revalorisation des droits à paiement unique au titre des années 2006 à 2011, il n'en demeure pas moins que les refus de revalorisation étaient entachés d'une illégalité constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, en tant qu'elles étaient justifiées par le fait que le seuil de 20 % de diminution du montant d'aide perçu au titre des années affectées par les engagements agroenvironnementaux n'était pas atteint. Le non-lieu à statuer sur la demande au principal ne fait ainsi pas obstacle à ce que la somme allouée par le préfet soit assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la réclamation préalable adressée au préfet d'Indre-et Loire, soit le 21 septembre 2011, et à ce que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent également intérêt.

11. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté leurs conclusions tendant à ce que les sommes allouées en réparation de leurs préjudices soient assorties des intérêts au taux légal.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à l'Earl Les Platanes et M.A..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés en appel et en cassation.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 17 septembre 2015 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de l'Earl Les Platanes et de M. A...tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de l'absence de revalorisation des droits à paiement unique au titre des années 2006 à 2011.

Article 2 : Il n'y a pas lieu à statuer sur les conclusions de l'Earl Les Platanes et M. A...tendant à la condamnation de l'Etat à concurrence de la revalorisation des droits à paiement unique accordés en cours d'instance, d'un montant total de 239 003, 04 euros, au titre des années 2006 à 2011.

Article 3 : La somme de 239 003,04 euros allouée par le préfet d'Indre-et-Loire portera intérêt au taux légal à compter du 21 septembre 2011. Les intérêts échus à la date du 21 septembre 2011 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 28 novembre 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 5 : L'Etat versera la somme globale de 4 000 euros à l'Earl Les Platanes et M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés en appel et en cassation.

Article 6 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à l'Earl Les Platanes, à M. A...et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 394632
Date de la décision : 13/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jui. 2018, n° 394632
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Cytermann
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:394632.20180613
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