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18/06/2021 | FRANCE | N°425988

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 18 juin 2021, 425988


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 5 décembre 2018, les 25 janvier et 13 décembre 2019 ainsi que le 9 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Vitol demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie du 5 octobre 2018 portant sanction pécuniaire à son encontre ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000

euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres p...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 5 décembre 2018, les 25 janvier et 13 décembre 2019 ainsi que le 9 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Vitol demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie du 5 octobre 2018 portant sanction pécuniaire à son encontre ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 1227/2011 du 25 octobre 2011 concernant l'intégrité et la transparence du marché de gros de l'énergie ;

- le code de l'énergie ;

- la décision du 11 mars 2015 relative au règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;

- la décision du 15 décembre 2017 portant adoption du règlement intérieur du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;

- la décision du 24 avril 2019 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Vitol ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Société Vitol ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 juin 2021, présentée par la société Vitol ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction qu'après avoir constaté, dans le cadre de sa mission de surveillance des marchés de gros du gaz naturel, la formation d'écarts de prix importants sur les deux places de marché des points d'échange gaz (PEG) Nord et Sud au cours des années 2013 et 2014, la Commission de régulation de l'énergie a ouvert une enquête aux fins de déterminer si la société Vitol avait procédé, au cours de cette période, à des manipulations de marché constitutives d'infractions à l'article 5 du règlement (UE) n° 1227/2011 du 25 octobre 2011 concernant l'intégrité et la transparence du marché de gros de l'énergie. A l'issue de cette enquête, un procès-verbal d'infraction a été adressé à la société Vitol le 10 juin 2016. Le président de la Commission de régulation de l'énergie a ensuite saisi le Comité de règlement des différends et des sanctions (" CoRDiS ") du manquement constaté le 21 décembre 2016. Le membre du Comité chargé des fonctions de poursuite a notifié des griefs de manipulation de marché à la société Vitol le 23 avril 2018. Par une décision du 5 octobre 2018, le CoRDiS a estimé que les manquements étaient caractérisés et a infligé à la société Vitol une sanction pécuniaire de 5 millions d'euros.

Sur la régularité de la procédure suivie devant le Comité de règlement des différends et des sanctions :

En ce qui concerne la procédure menée par le membre du Comité désigné en application de l'article R. 134-30 du code de l'énergie :

2. Aux termes de l'article L. 134-31 du code de l'énergie dans sa rédaction applicable au litige, les sanctions prononcées par le Comité " sont prononcées après que (...) toute personne qui effectue ou organise des transactions sur un ou plusieurs marchés de gros de l'énergie (...) a reçu notification des griefs et a été mis à même de consulter le dossier et de présenter ses observations écrites et verbales, assisté par une personne de son choix ". Aux termes de l'article L. 134-33 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " L'instruction et la procédure devant le comité de règlement des différends et des sanctions sont contradictoires ". Aux termes de l'article R. 134-30 du même code : " Pour chaque affaire, le président du comité de règlement des différends et des sanctions désigne un membre de ce comité chargé, avec le concours des agents de la Commission de régulation de l'énergie, de l'instruction. (...) / Ce membre peut entendre, s'il l'estime nécessaire, toute personne susceptible de contribuer à son information, y compris la personne poursuivie ". Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 134-32 de ce code : " La notification des griefs mentionne les sanctions éventuellement encourues et le délai pendant lequel la personne concernée par cette notification peut consulter le dossier et présenter des observations écrites. / Après la notification des griefs, le membre du comité désigné en application de l'article R. 134-30 transmet l'ensemble des pièces du dossier d'instruction ainsi que cette notification au président du comité de règlement des différends et des sanctions ". Enfin, aux termes de son article R. 134-34 : " Pour chaque affaire qui lui a été transmise, le président du comité de règlement des différends et des sanctions désigne un rapporteur parmi les agents de la Commission de régulation de l'énergie qui n'ont pas connu de la procédure antérieurement. / Ce rapporteur instruit l'affaire dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités que celles prévues à l'article

R. 134-10 ", lequel prévoit notamment que l'instruction est menée dans le respect du principe du contradictoire.

3. Le principe des droits de la défense, rappelé tant par le premier alinéa de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, précisé par son troisième alinéa, que par l'article L. 134-33 du code de l'énergie, s'applique seulement à la procédure de sanction ouverte par la notification des griefs prévue par l'article R. 134-32 du code de l'énergie et par la transmission du dossier au président du Comité de règlement des différends et des sanctions. Il ne s'applique ni à la phase préalable des enquêtes réalisées par les agents de la Commission de régulation de l'énergie en application de l'article L. 135-3 du code de l'énergie, ni à la procédure menée par le membre du Comité désigné en application de l'article R. 134-30 du même code aux fins d'apprécier l'opportunité de notifier des griefs, lesquelles doivent seulement se dérouler dans des conditions garantissant qu'il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés.

4. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que si la société requérante n'a pas été informée par le président de la Commission de régulation de l'énergie de la saisine du CoRDiS comportant le procès-verbal d'infraction et les observations de la société, cette circonstance n'a pas été de nature à porter atteinte aux droits de la défense. Par ailleurs, une telle information n'est prévue ni par les dispositions de l'article L. 134-33 du code de l'énergie, ni, contrairement à ce qu'elle soutient, par l'article 11 du règlement intérieur du CoRDiS, lequel fixe uniquement le nombre d'exemplaires de la saisine que le demandeur doit adresser au Comité.

5. En deuxième lieu, la circonstance que la société Vitol n'a pas été invitée par le membre du Comité désigné, en application de l'article R. 134-30 du code de l'énergie, à présenter ses observations avant l'envoi de la notification des griefs n'a pas porté atteinte aux droits de la défense, dès lors qu'il est constant qu'elle a été mise à même d'y procéder après cet envoi.

6. En troisième lieu, le deuxième alinéa de l'article R. 134-30 du code de l'énergie prévoit que le membre désigné par le président du CoRDiS " peut entendre, s'il l'estime nécessaire, toute personne susceptible de contribuer à son information, y compris la personne poursuivie ". L'exercice de cette faculté, dont le défaut n'est pas susceptible de porter irrémédiablement atteinte aux droits de la défense, étant laissé à l'appréciation de ce membre, la société Vitol ne peut utilement se plaindre de ce qu'elle n'a pas été entendue par ce dernier.

7. En quatrième lieu, l'article R. 134-35 du code de l'énergie dispose que le membre désigné par le président du CoRDiS assiste à la séance du comité et présente ses observations au soutien des griefs qu'il a notifiés. Si la société Vitol soutient que la séance aurait été fixée dans un délai trop bref pour permettre au membre désigné de prendre utilement connaissance de ses observations écrites du 2 juillet 2018, ce moyen ne saurait être en tout état de cause accueilli, dès lors qu'il résulte de l'instruction que la séance du CoRDiS s'est tenue le 28 septembre 2018.

8. En cinquième lieu, l'article R. 134-29 du code de l'énergie prévoit que : " La saisine du comité de règlement des différends et des sanctions en vue de sanctions comporte (...) : 3° Dans les autres cas de saisine par le président de la Commission de régulation de l'énergie, le procès-verbal de constat mentionné à l'article L. 135-12 et les pièces sur lesquelles la saisine est fondée ; (...) ". Ces dispositions n'imposent pas au président de la Commission de régulation de l'énergie de transmettre au CoRDiS l'ensemble des données recueillies au cours de la phase préalable d'enquête, mais uniquement celles qui justifient selon lui la saisine du Comité. Le membre du Comité désigné en application de l'article R. 134-30 du code de l'énergie peut, s'il l'estime nécessaire, solliciter la communication de pièces complémentaires susceptibles de contribuer à son information. Il résulte de l'instruction que le courrier du président de la Commission de régulation du 21 décembre 2016 comportait les pièces sur lesquelles était fondée la saisine du Comité, à savoir, le procès-verbal de constat dressé par l'agent enquêteur le 10 juin 2016, lequel procédait à l'analyse approfondie des pratiques mises en oeuvre par la société Vitol sur le marché du PEG Sud susceptibles d'être qualifiées de manipulations de marché, l'ensemble des demandes d'information adressées à la société Vitol au cours de l'enquête ainsi que les réponses de cette dernière, et, enfin, les observations présentées par la société en réponse au procès-verbal, accompagnées de leurs annexes. Par suite, le moyen tiré de ce que le membre du Comité désigné aurait notifié les griefs sur le fondement d'un dossier incomplet, faute d'avoir disposé de l'intégralité des données brutes exploitées par l'agent enquêteur, doit être écarté.

9. En dernier lieu, le deuxième alinéa de l'article R. 134-32 du code de l'énergie cité au point 2 et l'article 14 du règlement intérieur du CoRDiS, qui prévoit que le membre désigné notifie la sanction qu'il entend proposer au Comité, imposent seulement à ce dernier d'informer la personne concernée de la nature de la sanction qu'il entend proposer, parmi celles qui sont susceptibles d'être prononcées en application de l'article L. 134-27 du code de l'énergie, tandis que le quatrième alinéa de l'article R. 134-35 du même code prévoit que le membre de désigné " peut proposer une sanction " lors de la séance publique. Par suite, la société Vitol n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée aurait été adoptée au terme d'une procédure irrégulière, faute pour le membre désigné de l'avoir informée du montant de la sanction qu'il entendait proposer au Comité.

En ce qui concerne l'accès de la société Vitol aux données utilisées pour établir les griefs :

10. Il résulte de l'instruction que, par courrier du 29 mai 2018, la société Vitol a demandé au rapporteur désigné, à la suite de la notification des griefs, en application de l'article R. 134-34 du code de l'énergie cité au point 2, communication des données relatives à l'ensemble des ordres et transactions exécutés sur les marchés des PEG Nord et Sud recueillies par l'agent enquêteur au cours de la phase d'enquête préalable. La société Vitol soutient que le caractère tardif et incomplet de la communication effectuée en réponse à cette demande le 15 juin 2018 a porté atteinte aux droits de la défense.

11. En premier lieu, il n'est pas contesté que la société Vitol a eu accès à l'intégralité des pièces transmises par le président de la Commission de régulation de l'énergie au CoRDiS. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, d'une part, que les données relatives aux ordres et aux transactions exécutés par la société Vitol sur lesquelles se sont fondés, tant le membre désigné pour notifier les griefs, que le Comité pour retenir l'existence des manquements sanctionnés, figurent à l'annexe 2 du procès-verbal d'infraction du 10 juin 2016 communiqué à la société Vitol et, d'autre part, que la notification des griefs comme la décision attaquée se fondent exclusivement sur l'analyse des échanges effectués sur la plateforme Powernext. Par suite, les circonstances que les éléments communiqués le 15 juin 2018 ne comportaient pas les données relatives aux ordres et aux transactions de la requérante ni les données relatives aux transactions réalisées de gré à gré ou par l'intermédiaire de courtiers n'ont pas porté atteinte à l'exercice des droits de la défense. Par ailleurs, si la société Vitol fait valoir que les données agrégées communiquées le 15 juin 2018 relatives aux ordres et transactions exécutées par d'autres acteurs du marché sur la plateforme Powernext ne permettaient pas d'identifier les acteurs concernés, elle n'établit pas en quoi cette absence de données par opérateur l'aurait empêchée d'assurer utilement sa défense, alors qu'aucun des manquements constatés par la décision attaquée ne repose sur une comparaison de son comportement avec celui des autres opérateurs.

12. En second lieu, le délai dont a disposé la société Vitol entre la communication de ces données le 15 juin 2018 et la séance publique qui s'est tenue le 28 septembre 2018 était, contrairement à ce qu'elle soutient, suffisant, compte tenu de la nature de ces éléments, pour préparer utilement sa défense et lui permettre de présenter des observations écrites, ce qu'elle a d'ailleurs fait à deux reprises les 2 juillet et 18 septembre 2018.

En ce qui concerne le respect du principe d'impartialité :

13. En premier lieu, le moyen tiré du défaut d'impartialité de la formation du Comité de règlement des différends et des sanctions ayant adopté la décision attaquée, dont la présidence était exercée par le vice-président du Conseil d'Etat, juridiction compétente pour connaître du recours exercé contre cette décision, ne peut qu'être écarté dès lors qu'en application d'une règle générale de procédure, aucun membre d'une juridiction administrative ne peut participer au jugement d'un recours dirigé contre une décision administrative ou juridictionnelle dont il est l'auteur ou à l'élaboration de laquelle il a participé. En outre, quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d'État sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du code de justice administrative assurent leur indépendance à son égard.

14. En second lieu, la société requérante ne peut utilement soutenir que la faculté du CoRDiS de se saisir d'office des manquements qu'il lui appartient de sanctionner, prévue par l'article L. 134-25 du code de l'énergie, méconnaît les principes d'indépendance et d'impartialité garantis par le premier alinéa de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'en l'espèce, le Comité a été saisi du manquement sanctionné par le président de la Commission de régulation de l'énergie. Il est par ailleurs constant que le membre du Comité désigné en application de l'article R. 134-30 du code de l'énergie, qui a décidé de l'ouverture de la procédure de sanction, n'a pas participé au délibéré de la formation du CoRDiS qui s'est prononcée sur les suites à donner aux griefs notifiés. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure de sanction aurait été conduite en méconnaissance du principe d'impartialité, faute de séparation entre l'autorité de poursuite et l'autorité de sanction au sein du Comité, doit être écarté.

Sur les manquements sanctionnés :

15. Le troisième alinéa de l'article L. 134-25 du code de l'énergie prévoit que le Comité de règlement des différends et des sanctions peut sanctionner les manquements aux règles définies à l'article 5 du règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'intégrité et la transparence du marché de gros de l'énergie (REMIT). Aux termes de l'article 5 de ce règlement : " Il est interdit de procéder ou d'essayer de procéder à des manipulations de marché sur les marchés de gros de l'énergie ". Aux termes de l'article 2 du même règlement : " Aux fins du présent règlement, on entend par : / (...) 2) " manipulation de marché " : / a) le fait d'effectuer toute transaction ou d'émettre tout ordre pour des produits énergétiques de gros qui : / i) donne ou est susceptible de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l'offre, la demande ou le prix des produits énergétiques de gros (...) ".

16. Il résulte de ces dispositions que l'infraction de manipulation de marché est caractérisée dès lors que la transaction effectuée ou l'ordre émis est susceptible de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l'offre, la demande ou le prix des produits énergétiques de gros, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si le comportement incriminé a effectivement produit cet effet ni s'il procède d'une intention manipulatoire.

17. Il résulte de l'instruction qu'au cours des années 2013 et 2014, le marché français de gros de gaz naturel était organisé en trois places de marché, dont les points d'échange gaz (PEG) Nord et Sud sur le réseau de la société GRTgaz. Les échanges étaient réalisés sur ces marchés au moyen de transactions de gré à gré, réalisées directement ou par l'intermédiaire de courtiers, ou par le biais du marché organisé, géré par la plateforme Powernext, sur laquelle étaient échangés 80 % des produits " spot ", de brève échéance. Au cours de cette période, le marché du PEG Sud était caractérisé par une liquidité plus faible que celle du PEG Nord, du fait d'une moins bonne interconnexion avec les principales sources d'approvisionnement terrestre en gaz naturel, et par des tensions d'approvisionnement qui se sont traduites par un écart de prix (" spread ") important entre les marchés des PEG Nord et Sud ainsi qu'une forte volatilité des prix, amplifiée par l'incertitude quant à la disponibilité effective des capacités commercialisables, publiées par la société GRTgaz en milieu d'après-midi pour une livraison le lendemain. Ces contraintes ont conduit à la mise en place de mécanismes d'allocation de capacités de transport complémentaires entre les réseaux des zones Nord et Sud de la société GRTgaz pour une livraison le lendemain, correspondant, d'une part, à un produit spread Nord / Sud commercialisé en fin de journée et, d'autre part, à une enchère dite " JTS " (Joint Transport Storage) commercialisée en milieu d'après-midi.

18. L'agent enquêteur de la Commission de régulation de l'énergie a constaté que la société Vitol avait mis en oeuvre sur la plateforme Powernext, au cours de la période du 1er juin 2013 au 31 mars 2014, des stratégies présentant des éléments caractéristiques de la technique dite de " l'empilement ", qui correspond à l'émission d'ordres non authentiques à plusieurs niveaux de prix d'un côté du carnet d'ordres, dans le but d'influencer le comportement des autres acteurs pour réaliser ensuite, de l'autre côté du carnet d'ordres, une transaction à des conditions, de prix ou de volume, plus avantageuses. En l'espèce, le procès-verbal de constat a retenu que la société Vitol, qui disposait alors de besoins structurellement acheteurs sur le marché spot du PEG Sud, avait mis en oeuvre une stratégie d'empilement à la vente destinée à exercer une pression à la baisse sur les prix. Pour établir le caractère non authentique des ordres passés par la société Vitol, l'agent enquêteur a identifié au cours de la période en litige 65 journées d'échange, portant sur des produits spot de type PEG Sud et de type Spread PEG Sud / Nord pour des maturités respectives de type " day-ahead ", " intraday " et " week-end " et sur l'enchère JTS, durant lesquelles ont été observés plusieurs des comportements suspects suivants ou, dans un nombre réduit de cas, un seul d'entre eux mais répété à de multiples reprises : l'émission d'ordres et / ou de transactions multiples à la vente suivie par des achats importants, en partie effectués au moyen d'ordres dits " iceberg ", qui permettent de cacher une partie du volume des ordres concernés ; l'annulation d'ordres de vente peu de temps avant ou après avoir procédé à des transactions portant sur des volumes importants à l'achat ; l'émission d'ordres de vente sur le produit spread Nord / Sud à des prix inférieurs à ceux proposés à l'achat sur l'enchère JTS ; des actions de type aller - retour dans un intervalle de temps court qui ne suivent pas une logique économique rationnelle, notamment des achats effectués peu de temps avant l'émission d'ordres de vente à un niveau de prix inférieur ; enfin, l'annulation d'ordres de vente lors de mouvements rapides de hausse des prix. Le Comité de règlement des différends et des sanctions a considéré que ces pratiques, mises en oeuvre dans un marché caractérisé par une faible liquidité et par l'anonymat des ordres émis et qui portaient sur d'importants volumes de gaz, étaient susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l'abondance de l'offre et le prix du gaz naturel au cours des journées en cause et, comme telles constitutives de manipulations de marché au sens de l'article 2, paragraphe 2, sous a), i) du règlement (UE) n° 1227/2011.

19. En premier lieu, la société Vitol soutient que le CoRDiS n'a pas démontré, dans la majorité des 65 cas retenus pour fonder la sanction, l'existence d'un mode opératoire en trois temps, correspondant successivement à l'émission d'ordres multiples à la vente à un niveau de plus en plus bas suscitant une baisse effective des prix de marché, à une importante transaction à l'achat, puis à l'annulation des ordres de vente, ni l'existence d'un lien entre ces trois comportements. Toutefois, une manipulation de marché peut être établie non seulement par un tel mode opératoire mais aussi plus généralement sur la base d'un faisceau d'indices concordants tirés de la combinaison ou de la réitération de comportements susceptibles de donner des indications trompeuses aux autres acteurs du marché. Au cas d'espèce, les six types de comportements suspects décrits au point 18 et constatés au cours des 65 journées prises en compte dans la décision attaquée, qui ont, contrairement à ce qui est soutenu, été analysés au regard des conditions concrètes de fonctionnement du marché du PEG Sud, permettaient, compte tenu de leur combinaison ainsi que de leur réitération, d'établir que la société Vitol avait émis des ordres de vente sans avoir l'intention de les exécuter, ce qui était susceptible de conduire à des conditions de transaction avantageuses à l'achat en créant l'apparence artificielle d'une offre abondante, sans qu'il soit nécessaire de démontrer que ce comportement ait, dans chacun des cas visés, effectivement produit l'effet escompté.

20. En deuxième lieu, pour justifier du caractère authentique des ordres empilés à la vente, la société Vitol soutient d'abord qu'ils ont été émis avec l'intention de les exécuter dans la mesure où ils visaient à tirer parti de la " variabilité asymétrique des prix ", c'est-à-dire des variations rapides de prix à la hausse susceptibles de se produire sur le marché du PEG Sud au cours de la journée d'échanges. Toutefois, l'existence d'une telle stratégie ne permet pas d'expliquer le recours à une pratique d'empilement des ordres à des prix décroissants, tandis que sa mise en oeuvre systématique n'apparait pas compatible avec la position nette de la société qui affichait au cours de la période concernée des besoins structurellement acheteurs sur le marché spot en raison d'importantes ventes à découvert sur les marchés à terme. Si la société Vitol fait en outre valoir que les ordres " iceberg " sont autorisés sur Powernext, l'usage d'ordres cachés concernant d'importants volumes d'achat combiné avec l'affichage d'importants volumes à la vente était susceptible de créer une perception trompeuse quant à l'abondance effective de l'offre et de la demande de gaz sur le marché du PEG Sud. Enfin, la circonstance que l'activité de Vitol appréciée " dans sa globalité " ne différait pas de celle des autres acteurs du marché notamment au regard du taux moyen d'annulation des ordres observé sur l'ensemble de la période, ne permet pas de remettre en cause le caractère anormal de chacun des comportements suspects révélés par la chronologie détaillée des 65 journées figurant au procès-verbal de l'agent enquêteur.

21. En troisième lieu, la société Vitol invoque la note d'orientation 1/2019 de l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie, publiée en mars 2019 et relative à l'application de l'article 5 du Règlement REMIT concernant l'interdiction des manipulations de marché, qui mentionne, à titre non exhaustif, certains indices susceptibles d'être relevés, selon une logique de faisceau, pour identifier des pratiques d'empilement constitutives d'une manipulation de marché et dont, du reste, certains correspondent à ceux retenus par le Comité pour fonder sa sanction. Toutefois et en tout état de cause, la requérante ne se prévaut pas utilement du contenu de cette note en se bornant à relever que certains de ces indices, tels que la durée de validité et le taux d'agression des ordres de vente, dont elle n'analyse d'ailleurs que la valeur moyenne observée sur l'ensemble de la période, n'étaient pas caractérisés en l'espèce.

22. En quatrième et dernier lieu, la société Vitol soutient que l'empilement d'ordres à la vente n'était pas susceptible de donner des indications trompeuses aux autres acteurs du marché, compte tenu du caractère modeste des volumes de gaz correspondant à ces ordres au regard du volume des capacités commercialisables sur le marché du PEG Sud affectées par l'incertitude qui pesait au cours de cette période sur la disponibilité journalière effective des capacités de transport Nord / Sud, annoncée par la société GRTgaz en milieu d'après-midi pour une livraison le lendemain. Toutefois, l'incidence de ce dernier facteur sur la formation des prix, quelle que soit son importance, ne remet pas en cause l'effet potentiellement trompeur de l'affichage d'importants volumes d'ordres à la vente dans un contexte marqué par des tensions d'approvisionnement, alors qu'il n'est pas contesté que la société était l'acteur le plus actif sur les marchés " spot " au PEG Sud et sur le JTS entre juin 2013 et mars 2014.

23. Il résulte de ce qui précède que le Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie a pu légalement estimer que la société Vitol avait procédé à des manipulations de marché au sens de l'article 5 du règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'intégrité et la transparence du marché de gros de l'énergie.

Sur le quantum de la sanction prononcée :

24. Aux termes de l'article L. 134-27 du code de l'énergie dans sa version applicable au litige : " (...) en cas de manquement constaté dans les conditions prévues à l'article L. 135-12, et après l'envoi d'une notification des griefs à l'intéressé, le comité peut prononcer à son encontre, en fonction de la gravité du manquement : / (...) si le manquement n'est pas constitutif d'une infraction pénale, une sanction pécuniaire, dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, à la situation de l'intéressé, à l'ampleur du dommage et aux avantages qui en sont tirés. / Ce montant ne peut excéder 3 % du chiffre d'affaires hors taxes lors du dernier exercice clos (...) dans le cas d'un manquement aux obligations de transmission d'informations ou de documents ou à l'obligation de donner accès à la comptabilité, ainsi qu'aux informations économiques, financières et sociales prévues à l'article L. 135-1. (...) / Dans le cas des autres manquements, il ne peut excéder 8 % du chiffre d'affaires hors taxes lors du dernier exercice clos (...). " Compte tenu du caractère répété des comportements constitutifs d'une manipulation de marché, observés dans 65 cas répartis sur 54 journées d'échange durant la période du 1er juin 2013 au 31 mars 2014 et de leur effet potentiel sur les prix dans un contexte de marché peu liquide, la sanction pécuniaire de cinq millions d'euros prononcée à l'encontre de la société Vitol, qui représentait alors moins de 2% de son dernier résultat net connu, n'est pas disproportionnée.

25. Par suite, la société Vitol n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Vitol est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Vitol, à la Commission de régulation de l'énergie et à la ministre de la transition écologique.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 425988
Date de la décision : 18/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - RÈGLES APPLICABLES - ÉNERGIE - RÈGLEMENT REMIT - MANIPULATION DE MARCHÉ (ART - 5) - 1) DÉFINITION [RJ1] - 2) ESPÈCE - SANCTION PAR LE CORDIS D'UNE MANIPULATION SUR LE MARCHÉ DE GROS DU GAZ NATUREL - A) FAITS REPROCHÉS - B) CARACTÉRISATION DU MANQUEMENT AU REGARD D'UN FAISCEAU D'INDICES [RJ2] - C) CONSÉQUENCE - MANQUEMENT CARACTÉRISÉ - EXISTENCE.

15-05-09 1) Il résulte de l'article 5 du règlement (UE) n° 1227/2011 du 25 octobre 2011 (dit REMIT) que l'infraction de manipulation de marché est caractérisée dès lors que la transaction effectuée ou l'ordre émis est susceptible de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l'offre, la demande ou le prix des produits énergétiques de gros, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si le comportement incriminé a effectivement produit cet effet ni s'il procède d'une intention manipulatoire.... ,,2) a) Marché français de gros de gaz naturel organisé, au cours des années 2013 et 2014, en trois places de marché, dont les points d'échange gaz (PEG) Nord et Sud sur le réseau de la société GRTgaz. Echanges étant réalisés sur ces marchés au moyen de transactions de gré à gré, réalisées directement ou par l'intermédiaire de courtiers, ou par le biais du marché organisé, géré par la plateforme Powernext, sur laquelle étaient échangés 80 % des produits spot, de brève échéance.... ,,Marché du PEG Sud étant caractérisé, au cours de cette période, par une liquidité plus faible que celle du PEG Nord, du fait d'une moins bonne interconnexion avec les principales sources d'approvisionnement terrestre en gaz naturel, et par des tensions d'approvisionnement qui se sont traduites par un écart de prix (spread) important entre les marchés des PEG Nord et Sud ainsi qu'une forte volatilité des prix, amplifiée par l'incertitude quant à la disponibilité effective des capacités commercialisables, publiées par la société GRTgaz en milieu d'après-midi pour une livraison le lendemain. Ces contraintes ayant conduit à la mise en place de mécanismes d'allocation de capacités de transport complémentaires entre les réseaux des zones Nord et Sud de la société GRTgaz pour une livraison le lendemain, correspondant, d'une part, à un produit spread Nord / Sud commercialisé en fin de journée et, d'autre part, à une enchère dite JTS (Joint Transport Storage) commercialisée en milieu d'après-midi.,,,Constat de la mise en oeuvre par la société requérante sur la plateforme Powernext, au cours de la période du 1er juin 2013 au 31 mars 2014, de stratégies présentant des éléments caractéristiques de la technique dite de l'empilement, qui correspond à l'émission d'ordres non authentiques à plusieurs niveaux de prix d'un côté du carnet d'ordres, dans le but d'influencer le comportement des autres acteurs pour réaliser ensuite, de l'autre côté du carnet d'ordres, une transaction à des conditions, de prix ou de volume, plus avantageuses. Société, qui disposait alors de besoins structurellement acheteurs sur le marché spot du PEG Sud, ayant mis en oeuvre une stratégie d'empilement à la vente destinée à exercer une pression à la baisse sur les prix.,,,Identification à ce titre, au cours de la période en litige, de 65 journées d'échange, portant sur des produits spot de type PEG Sud et de type Spread PEG Sud / Nord pour des maturités respectives de type day-ahead, intraday et week-end et sur l'enchère JTS, durant lesquelles ont été observés plusieurs des comportements suspects suivants ou, dans un nombre réduit de cas, un seul d'entre eux mais répété à de multiples reprises :,,- l'émission d'ordres ou de transactions multiples à la vente suivie par des achats importants, en partie effectués au moyen d'ordres dits iceberg, qui permettent de cacher une partie du volume des ordres concernés ;... ...- l'annulation d'ordres de vente peu de temps avant ou après avoir procédé à des transactions portant sur des volumes importants à l'achat ;... ...- l'émission d'ordres de vente sur le produit spread Nord / Sud à des prix inférieurs à ceux proposés à l'achat sur l'enchère JTS ;... ...- des actions de type aller-retour dans un intervalle de temps court qui ne suivent pas une logique économique rationnelle, notamment des achats effectués peu de temps avant l'émission d'ordres de vente à un niveau de prix inférieur ;... ...- enfin, l'annulation d'ordres de vente lors de mouvements rapides de hausse des prix.... ,,b) Une manipulation de marché peut être établie non seulement par un mode opératoire en trois temps, correspondant successivement à l'émission d'ordres multiples à la vente à un niveau de plus en plus bas suscitant une baisse effective des prix de marché, à une importante transaction à l'achat, puis à l'annulation des ordres de vente, mais aussi plus généralement sur la base d'un faisceau d'indices concordants tirés de la combinaison ou de la réitération de comportements susceptibles de donner des indications trompeuses aux autres acteurs du marché.,,,Les six types de comportements suspects mentionnés au point 2) a), constatés au cours des 65 journées prises en compte et analysés au regard des conditions concrètes de fonctionnement du marché du PEG Sud, permettent, compte tenu de leur combinaison ainsi que de leur réitération, d'établir que la société requérante a émis des ordres de vente sans avoir l'intention de les exécuter, ce qui était susceptible de conduire à des conditions de transaction avantageuses à l'achat en créant l'apparence artificielle d'une offre abondante, sans qu'il soit nécessaire de démontrer que ce comportement ait, dans chacun des cas visés, effectivement produit l'effet escompté.... ,,c) Il résulte de ce qui précède que le Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a pu légalement estimer que la société requérante avait procédé à des manipulations de marché au sens de l'article 5 du règlement du 25 octobre 2011.

ENERGIE - MARCHÉ DE L'ÉNERGIE - MANIPULATION DE MARCHÉ (ART - 5 DU RÈGLEMENT REMIT) - 1) DÉFINITION [RJ1] - 2) ESPÈCE - SANCTION PAR LE CORDIS D'UNE MANIPULATION SUR LE MARCHÉ DE GROS DU GAZ NATUREL - A) FAITS REPROCHÉS - B) CARACTÉRISATION DU MANQUEMENT AU REGARD D'UN FAISCEAU D'INDICES [RJ2] - C) CONSÉQUENCE - MANQUEMENT CARACTÉRISÉ - EXISTENCE.

29-06 1) Il résulte de l'article 5 du règlement (UE) n° 1227/2011 du 25 octobre 2011 (dit REMIT) que l'infraction de manipulation de marché est caractérisée dès lors que la transaction effectuée ou l'ordre émis est susceptible de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l'offre, la demande ou le prix des produits énergétiques de gros, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si le comportement incriminé a effectivement produit cet effet ni s'il procède d'une intention manipulatoire.... ,,2) a) Marché français de gros de gaz naturel organisé, au cours des années 2013 et 2014, en trois places de marché, dont les points d'échange gaz (PEG) Nord et Sud sur le réseau de la société GRTgaz. Echanges étant réalisés sur ces marchés au moyen de transactions de gré à gré, réalisées directement ou par l'intermédiaire de courtiers, ou par le biais du marché organisé, géré par la plateforme Powernext, sur laquelle étaient échangés 80 % des produits spot, de brève échéance.... ,,Marché du PEG Sud étant caractérisé, au cours de cette période, par une liquidité plus faible que celle du PEG Nord, du fait d'une moins bonne interconnexion avec les principales sources d'approvisionnement terrestre en gaz naturel, et par des tensions d'approvisionnement qui se sont traduites par un écart de prix (spread) important entre les marchés des PEG Nord et Sud ainsi qu'une forte volatilité des prix, amplifiée par l'incertitude quant à la disponibilité effective des capacités commercialisables, publiées par la société GRTgaz en milieu d'après-midi pour une livraison le lendemain. Ces contraintes ayant conduit à la mise en place de mécanismes d'allocation de capacités de transport complémentaires entre les réseaux des zones Nord et Sud de la société GRTgaz pour une livraison le lendemain, correspondant, d'une part, à un produit spread Nord / Sud commercialisé en fin de journée et, d'autre part, à une enchère dite JTS (Joint Transport Storage) commercialisée en milieu d'après-midi.,,,Constat de la mise en oeuvre par la société requérante sur la plateforme Powernext, au cours de la période du 1er juin 2013 au 31 mars 2014, de stratégies présentant des éléments caractéristiques de la technique dite de l'empilement, qui correspond à l'émission d'ordres non authentiques à plusieurs niveaux de prix d'un côté du carnet d'ordres, dans le but d'influencer le comportement des autres acteurs pour réaliser ensuite, de l'autre côté du carnet d'ordres, une transaction à des conditions, de prix ou de volume, plus avantageuses. Société, qui disposait alors de besoins structurellement acheteurs sur le marché spot du PEG Sud, ayant mis en oeuvre une stratégie d'empilement à la vente destinée à exercer une pression à la baisse sur les prix.,,,Identification à ce titre, au cours de la période en litige, de 65 journées d'échange, portant sur des produits spot de type PEG Sud et de type Spread PEG Sud / Nord pour des maturités respectives de type day-ahead, intraday et week-end et sur l'enchère JTS, durant lesquelles ont été observés plusieurs des comportements suspects suivants ou, dans un nombre réduit de cas, un seul d'entre eux mais répété à de multiples reprises :,,- l'émission d'ordres ou de transactions multiples à la vente suivie par des achats importants, en partie effectués au moyen d'ordres dits iceberg, qui permettent de cacher une partie du volume des ordres concernés ;... ...- l'annulation d'ordres de vente peu de temps avant ou après avoir procédé à des transactions portant sur des volumes importants à l'achat ;... ...- l'émission d'ordres de vente sur le produit spread Nord / Sud à des prix inférieurs à ceux proposés à l'achat sur l'enchère JTS ;... ...- des actions de type aller-retour dans un intervalle de temps court qui ne suivent pas une logique économique rationnelle, notamment des achats effectués peu de temps avant l'émission d'ordres de vente à un niveau de prix inférieur ;... ...- enfin, l'annulation d'ordres de vente lors de mouvements rapides de hausse des prix.... ,,b) Une manipulation de marché peut être établie non seulement par un mode opératoire en trois temps, correspondant successivement à l'émission d'ordres multiples à la vente à un niveau de plus en plus bas suscitant une baisse effective des prix de marché, à une importante transaction à l'achat, puis à l'annulation des ordres de vente, mais aussi plus généralement sur la base d'un faisceau d'indices concordants tirés de la combinaison ou de la réitération de comportements susceptibles de donner des indications trompeuses aux autres acteurs du marché.,,,Les six types de comportements suspects mentionnés au point 2) a), constatés au cours des 65 journées prises en compte et analysés au regard des conditions concrètes de fonctionnement du marché du PEG Sud, permettent, compte tenu de leur combinaison ainsi que de leur réitération, d'établir que la société requérante a émis des ordres de vente sans avoir l'intention de les exécuter, ce qui était susceptible de conduire à des conditions de transaction avantageuses à l'achat en créant l'apparence artificielle d'une offre abondante, sans qu'il soit nécessaire de démontrer que ce comportement ait, dans chacun des cas visés, effectivement produit l'effet escompté.... ,,c) Il résulte de ce qui précède que le Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a pu légalement estimer que la société requérante avait procédé à des manipulations de marché au sens de l'article 5 du règlement du 25 octobre 2011.


Références :

[RJ1]

Rappr., s'agissant de la notion de manipulation de cours sur les marchés financiers, CE, 19 mai 2017, Société Virtu Financial Europe Limited et Société Euronext Paris, n°s 396698 396826, T. p. 481.,,

[RJ2]

Rappr., s'agissant de la légalité du recours, par la commission des sanctions de l'AMF, à la méthode du faisceau d'indices, CE, 23 mars 2013,,, n° 356476, T. p. 455.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 jui. 2021, n° 425988
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Agnoux
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:425988.20210618
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