La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/07/2021 | FRANCE | N°433101

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 21 juillet 2021, 433101


Vu la procédure suivante :

La société Wingate a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2014. Par un jugement n° 1712293 du 17 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des rappels de taxe en litige ainsi que des pénal

ités pour manquement délibéré dont avaient été assortis les suppléments d'im...

Vu la procédure suivante :

La société Wingate a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2014. Par un jugement n° 1712293 du 17 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des rappels de taxe en litige ainsi que des pénalités pour manquement délibéré dont avaient été assortis les suppléments d'impôt sur les sociétés, et rejeté le surplus de la demande.

Par un arrêt n° 18PA01998 du 29 mai 2019, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Wingate contre ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 juillet et 29 octobre 2019 et le 18 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Wingate demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de la société Wingate ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Wingate, qui exerce une activité d'expertise comptable et de commissariat aux comptes, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2014 au terme de laquelle elle a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014, à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2014, assortis des intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré prévue par l'article 1729 du code général des impôts. Par un jugement du 17 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige ainsi que des pénalités pour manquement délibéré dont avaient été assortis les suppléments d'impôt sur les sociétés, et rejeté le surplus de la demande. La société Wingate se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 29 mai 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de sa demande.

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur la déductibilité des charges locatives :

2. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'œuvre (...) Toutefois les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu. Cette disposition s'applique à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements de frais. (...) ".

3. Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

4. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration fiscale a remis en cause le caractère déductible des loyers versés au titre de locaux situés au domicile privé du gérant, au motif que ces dépenses n'avaient pas été engagées dans l'intérêt de la société Wingate dès lors que celle-ci disposait déjà, à son siège social, des locaux nécessaires à son activité. En jugeant, après avoir relevé qu'en réponse, la société n'avait apporté aucun élément établissant l'existence et la fréquence de réunions dans les locaux en litige et justifiant de l'intérêt pour elle de recevoir ses clients au domicile du gérant, que l'administration avait pu à bon droit estimer que les sommes litigieuses ne constituaient pas des charges déductibles, la cour n'a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve.

6. En outre, en retenant que la société disposait déjà de bureaux à son siège social, en écartant comme dénuées de valeur probante les attestations de clients de la société décrivant en termes stéréotypés l'intérêt que pouvait présenter les locaux en litige sans faire état de leur utilisation effective, et en ne tenant pas compte de factures adressées à la société Wingate Corporate Finance qui ne faisaient pas mention des locaux en litige, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis, ni, par conséquent, méconnu l'article 39 du code général des impôts.

7. Enfin, si la requérante faisait valoir que, lors d'un précédent contrôle dont elle a fait l'objet au titre d'une période antérieure à celle en litige, l'administration n'avait pas remis en cause la déductibilité de ses charges locatives, cette absence de redressement ne constitue pas une prise de position formelle de l'administration sur la situation de fait de la société au regard d'un texte fiscal, que la contribuable pourrait opposer à l'administration sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales. Il y a lieu de substituer ce motif, dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, au motif retenu par l'arrêt attaqué, dont il justifie légalement le dispositif. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait dénaturé les faits et commis une erreur de droit en jugeant qu'elle n'était pas fondée à se prévaloir d'une prise de position formelle au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écarté.

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur la déductibilité des indemnités kilométriques :

8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration a également refusé d'admettre la déductibilité des remboursements de frais kilométriques versés au gérant de la société au titre des exercices clos en 2013 et 2014, au motif qu'ils étaient insuffisamment justifiées. En jugeant que la société n'était pas fondée à contester la réintégration de ces dépenses à son résultat imposable au motif que le tableau qu'elle avait produit à l'appui de ses écritures retraçant, pour chaque déplacement, l'identité des clients rencontrés ainsi que les dates, lieux et objet des rencontres, était illisible, alors que la société avait produit à l'appui de son mémoire en réplique devant le tribunal administratif une version lisible du même tableau, la cour a dénaturé les pièces du dossier.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Wingate est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, en tant seulement qu'il statue sur la déductibilité des indemnités kilométriques. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Wingate au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 29 mai 2019 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il statue sur la déductibilité des indemnités kilométriques.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la société Wingate au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Wingate et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 433101
Date de la décision : 21/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 jui. 2021, n° 433101
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Agnoux
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 07/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:433101.20210721
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award