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02/02/2022 | FRANCE | N°443107

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 02 février 2022, 443107


Vu la procédure suivante :

La société Caillaud Bourleyre a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de prononcer la décharge des suppléments de cotisation foncière des entreprises auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2014, ainsi que des suppléments de taxe pour frais des chambres de commerce et d'industrie auxquels elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2013. Par un jugement nos 1600159, 1701526 du 12 avril 2018, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 18LY02163 du 30 avr

il 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la ...

Vu la procédure suivante :

La société Caillaud Bourleyre a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de prononcer la décharge des suppléments de cotisation foncière des entreprises auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2014, ainsi que des suppléments de taxe pour frais des chambres de commerce et d'industrie auxquels elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2013. Par un jugement nos 1600159, 1701526 du 12 avril 2018, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 18LY02163 du 30 avril 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 août et 13 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Caillaud Bourleyre demande au Conseil d'Etat:

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la Sarl Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société Caillaud Bourleyre ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Caillaud Bourleyre exerce une activité de fabrication et de pose de charpentes et d'autres menuiseries dans des locaux situés sur le territoire de la commune de Cohade (Haute-Loire), qu'elle prend en location auprès de la société civile immobilière " JMC ". A l'issue d'une vérification de sa comptabilité, l'administration fiscale a estimé que l'établissement, qu'elle avait déclaré comme un local commercial, revêtait le caractère d'un établissement industriel au sens des articles 1499 et 1500 du code général des impôts et l'a, en conséquence, assujettie à des suppléments de cotisation foncière des entreprises au titre des années 2011 à 2014 et de taxe pour frais des chambres de commerce et d'industrie au titre des années 2011 à 2013. L'administration a également établi la cotisation foncière des entreprises au titre de l'année 2014 selon les règles d'évaluation applicables aux établissements industriels. La société Caillaud Bourleyre se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 avril 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté son appel contre le jugement du 12 avril 2018 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand rejetant ses demandes tendant à la décharge de ces impositions.

2. D'une part, en vertu de l'article 1467 du code général des impôts, pour le calcul de la cotisation foncière des entreprises, la valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière est calculée suivant les règles fixées pour l'établissement de cette taxe. Les règles suivant lesquelles est déterminée la valeur locative des biens passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties sont définies à l'article 1496 du code général des impôts pour les " locaux affectés à l'habitation ou servant à l'exercice soit d'une activité salariée à domicile, soit d'une activité professionnelle non commerciale au sens du 1 de l'article 92 ", à l'article 1498 pour " tous les biens autres que les locaux visés au I de l'article 1496 et que les établissements industriels visés à l'article 1499 " et à l'article 1499 pour les " immobilisations industrielles ". Aux termes de l'article 1500 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " Les bâtiments et terrains industriels sont évalués : / - 1° selon les règles fixées à l'article 1499 lorsqu'ils figurent à l'actif du bilan de leur propriétaire ou de leur exploitant, et que celui-ci est soumis aux obligations définies à l'article 53 A ; / - 2° selon les règles fixées à l'article 1498 lorsque les conditions prévues au 1° ne sont pas satisfaites. ". Il résulte de ces dispositions que, dès lors que le propriétaire ou l'exploitant de bâtiments et de terrains industriels passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties est soumis aux obligations déclaratives définies à l'article 53 A du même code et que ces immobilisations industrielles figurent à l'actif de son bilan, la valeur locative de ces immobilisations est établie selon les règles fixées à l'article 1499 du même code, sans que puisse y faire obstacle la circonstance que ce propriétaire ou cet exploitant ne serait pas une entreprise industrielle ou commerciale.

3. D'autre part, la documentation administrative de base publiée le 15 décembre 1988 sous la référence 6 C 2134, au paragraphe 23, reprise par l'instruction publiée le 10 décembre 2012 sous la référence BOI-IF-TFB-20-10-10-30, aux points 490 et 500 dans leur rédaction applicable au litige, prévoit que la catégorie de biens mentionnée à l'article 1498 du code général des impôts, constituée des locaux commerciaux et biens divers passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties, autres que les locaux d'habitation ou à usage professionnel ordinaires et les établissements industriels relevant de la méthode d'évaluation comptable, " comprend, d'une manière générale, toutes les propriétés ou fractions de propriété passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties qui ne sont ni des locaux d'habitation ou servant à l'exercice soit d'une activité salariée à domicile, soit d'une activité professionnelle non commerciale au sens du 1 de l'article 92 du CGI, ni des établissements industriels (CGI art. 1498). / Parmi ces biens doivent être compris notamment : / (...) / - les locaux appartenant à des sociétés civiles immobilières, lesquelles ne peuvent pas être considérées comme exerçant une véritable profession (...) ". Aux termes du point 20 de l'instruction précitée définissant le champ d'application de la valeur locative cadastrale : " (...) l'application de ces règles n'a pas été limitée à l'assiette de la taxe foncière sur les propriétés bâties. / (...) De ce fait, les règles définies aux articles 1496 et suivants du CGI, s'appliquent indifféremment pour le calcul de la base d'imposition des taxes foncières, de la taxe d'habitation et de la cotisation foncière des entreprises (...) ". Cette doctrine administrative comporte ainsi une interprétation formelle du texte fiscal selon laquelle les locaux appartenant à des sociétés civiles immobilières se rattachent à la catégorie, définie à l'article 1498 du code général des impôts, des locaux commerciaux et biens divers passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties autres que les locaux d'habitation ou à usage professionnel ordinaires et les établissements industriels et ne peuvent par suite être évalués au moyen de la méthode comptable prévue à l'article 1499 du même code.

4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Lyon a jugé que la société Caillaud Bourleyre n'est pas fondée à se prévaloir des prévisions de la doctrine citée au point 3 au motif que ces prévisions se rapportent à la détermination de la valeur locative des locaux appartenant à des sociétés civiles immobilières dans le seul cas où elles sont elles-mêmes redevables de la cotisation foncière des entreprises et que, par suite, elle n'entre pas dans leur champ. En statuant ainsi, alors que les termes de cette doctrine rattachent, sans restriction tenant à l'identité du redevable de l'imposition, les locaux appartenant à des sociétés civiles immobilières à la catégorie, définie à l'article 1498 du code général des impôts, des locaux qui ne peuvent être évalués au moyen de la méthode comptable prévue à l'article 1499 du même code, la cour a commis une erreur de droit.

5. Toutefois, en ce qu'ils indiquent que les locaux appartenant à des sociétés civiles immobilières, hors le cas du propriétaire exploitant auquel sont consacrés d'autres alinéas du paragraphe 500, sont évalués selon la méthode de l'article 1498 du code général des impôts, sans exclure l'hypothèse dans laquelle la personne qui prend ces locaux en location y exerce une activité industrielle, les commentaires mentionnés au point 3 donnent une interprétation non du seul article 1498 mais des dispositions combinées des articles 1498 et 1500 de ce code. Dès lors, ainsi que le soutient le ministre en défense, l'article 101 de la loi de finances rectificatives pour 2008 du 20 décembre 2008, en tant qu'il étend l'application de la méthode comptable prévue à l'article 1499 aux bâtiments et terrains industriels figurant à l'actif du bilan d'un propriétaire soumis aux obligations définies à l'article 53 A, même lorsqu'il n'est pas lui-même une entreprise industrielle ou commerciale, a eu pour effet de rendre caduque, à compter de son entrée en vigueur, l'interprétation de ses dispositions donnée par l'administration fiscale dans son instruction publiée le 15 décembre 1988 sous la référence 6 C 2134 au paragraphe 23, jusqu'à ce qu'elle ne réitère cette même interprétation dans les commentaires publiés au bulletin officiel des finances publiques - impôts le 12 septembre 2012, sous la référence BOI-IF-TFB-20-10-10-30 aux points 490 et 500. La société requérante ne pouvait donc se prévaloir de cette doctrine sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales pour contester les impositions dont le fait générateur est antérieur à cette dernière date. Ce motif, qui n'appelle l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu par l'arrêt attaqué, dont il justifie légalement le dispositif en ce qui concerne les impositions dues au titre des années 2011 et 2012.

6. Par suite, la société Caillaud Bourleyre est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, en tant qu'il statue sur les impositions dues au titre des années 2013 et 2014.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans cette mesure en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur l'application de la loi fiscale :

8. Revêtent un caractère industriel, au sens de l'article 1499 du code général des impôts cité au point 2, les établissements dont l'activité nécessite d'importants moyens techniques, non seulement lorsque cette activité consiste dans la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers, mais aussi lorsque le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre, fût-ce pour les besoins d'une autre activité, est prépondérant.

9. Il résulte de l'instruction que la SCI JMC donne en location des locaux à la société Caillaud Bourleyre, qui y exerce une activité de fabrication et d'assemblage des pièces de charpente. Ces locaux d'une superficie totale de 3 430 m² sont constitués d'un atelier de 1 574 m², d'un local à usage de dépôt et de stockage de 1 540 m², d'un ensemble bureau et vestiaire de 280 m² et d'un local à usage de chaufferie de 36 m². La société requérante dispose, pour son activité de fabrication, de divers outillages, et notamment, d'un pont roulant, d'un compresseur, d'un centre d'usinage, de deux chariots élévateurs, d'un compresseur hydrovane, d'une table à fermettes, d'une affûteuse, d'une machine de découpe, d'une machine d'assemblage, d'une table élévatrice et d'un chariot à butée réglable. Les locaux sont équipés d'un système d'aspiration. Ces moyens techniques, dont la valeur brute comptable s'élevait à 644 691 euros au 31 août 2013, doivent être regardés comme importants. Compte tenu du rôle prépondérant des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre pour les besoins de cette activité, qui représentent 61% des immobilisations totales au cours de l'exercice clos en 2013 et dont la mise en œuvre ne nécessite l'emploi, ainsi que la société l'indique elle-même, que d'une petite partie des salariés, ces immobilisations revêtaient un caractère industriel au sens de l'article 1499 du code général des impôts et leur valeur locative devait être déterminée, en application de l'article 1500 du même code, selon la méthode comptable définie à cet article.

Sur l'interprétation administrative de la loi fiscale :

10. Ainsi qu'il a été dit aux points 3 et 4, les commentaires administratifs publiés au bulletin officiel des finances publiques - impôts le 10 décembre 2012 sous la référence BOI-IF-TFB-20-10-10-30, aux points 490 et 500, comportent, dans leur rédaction applicable au litige, une interprétation formelle du texte fiscal dont la société requérante peut se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales pour soutenir que les locaux en litige, dès lors qu'ils appartenaient à une société civile immobilière, se rattachaient à la catégorie, définie à l'article 1498 du code général des impôts, des locaux commerciaux et biens divers passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties autres que les locaux d'habitation ou à usage professionnel ordinaires et les établissements industriels et ne pouvaient, par suite, être évalués au moyen de la méthode comptable prévue à l'article 1499 du même code.

11. Contrairement à ce que soutient le ministre, les commentaires administratifs publiés le même jour sous la référence BOI-IF-TFB-20-10-50-20, §60 relatifs au champ d'application de la méthode comptable définie à l'article 1499 du code général des impôts et aux termes desquels un immeuble inscrit au bilan d'une société civile immobilière qui a opté pour l'impôt sur les sociétés " pourra être " évalué selon la méthode comptable dès lors qu'il fait partie d'un établissement industriel, ne sauraient faire obstacle à ce que le contribuable puisse se prévaloir de la doctrine précitée dont les énonciations présentent une portée générale et sont dissociables de ces commentaires eu égard à leur formulation.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Caillaud Bourleyre est fondée à demander la décharge des suppléments de cotisation foncière des entreprises au titre des années 2013 et 2014 et de taxe pour frais des chambres de commerce et d'industrie au titre de l'année 2013.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à la société Caillaud Bourleyre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 30 avril 2020 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé en tant qu'il statue sur les impositions dues au titre des années 2013 et 2014.

Article 2 : La société Baillaud Bourleyre est déchargée des suppléments de cotisation foncière des entreprises au titre des années 2013 et 2014 et de taxe pour frais des chambres de commerce et d'industrie au titre de l'année 2013 auxquels elle a été assujettie.

Article 3 : Le jugement du 12 avril 2018 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera à la société Caillaud Bourleyre la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Caillaud Bourleyre est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Caillaud Bourleyre et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré à l'issue de la séance du 19 janvier 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. E... D..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme G... A..., M. B... C..., M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 2 février 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Lionel Ferreira

La secrétaire :

Signé : Mme F... H...


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 443107
Date de la décision : 02/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 02 fév. 2022, n° 443107
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Agnoux
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:443107.20220202
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