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16/05/2022 | FRANCE | N°462044

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, formation collégiale, 16 mai 2022, 462044


Vu la procédure suivante :

M. F... D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du directeur général de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) notifiée à la famille le 14 février 2022 d'arrêter les soins dispensés à son fils M. B... D.... Par une ordonnance n° 2202125 du 18 février 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Par une requête, enre

gistrée le 3 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... de...

Vu la procédure suivante :

M. F... D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du directeur général de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) notifiée à la famille le 14 février 2022 d'arrêter les soins dispensés à son fils M. B... D.... Par une ordonnance n° 2202125 du 18 février 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 3 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 18 février 2022 ;

2°) de suspendre l'exécution de la décision d'arrêt des soins de l'équipe médicale de l'hôpital Beaujon du 14 février 2022 ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HP à la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'exécution de cette décision sera irréversible et portera une atteinte irrémédiable à la vie de M. N'Singi D... ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

- la décision contestée méconnaît le droit à la vie de M. N'Singi D..., dès lors qu'elle est prématurée au regard de son état de santé réel et du délai écoulé entre l'accident et la prise de la décision ;

- les éléments médicaux à disposition ne couvrent pas une période suffisamment longue et doivent être analysés collégialement, de sorte qu'une situation d'obstination déraisonnable ne peut être caractérisée ;

- M. N'Singi D... démontre un état de conscience certain dès lors qu'il ouvre les yeux par intermittence, réagit aux stimuli et peut se passer ponctuellement du respirateur ;

- la situation familiale de M. N'Singi D... doit être prise en considération, dès lors qu'il est âgé de vingt-trois ans et est père d'un enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2022, le directeur général de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition tenant à l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n'est pas satisfaite.

Ont été convoqués à une première audience publique, d'une part, M. F... D... et, d'autre part, le directeur général de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 17 mars 2022, à 16 heures :

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. F... D... ;

- les représentants de M. F... D... ;

- les représentants de l'AP-HP ;

A l'issue de cette audience publique, une mesure supplémentaire d'instruction a été ordonnée, tendant à l'obtention d'un nouvel avis médical émanant d'un membre des sociétés savantes désigné d'un commun accord entre les parties. Cet avis a été demandé au Professeur A... C..., à charge pour lui :

- de décrire l'état clinique de M. D... ;

- de se prononcer sur le caractère irréversible des lésions cérébrales du patient et sur son pronostic neurologique et fonctionnel ;

- de se prononcer sur la question de savoir si certains des soins pratiqués sur le patient procèdent d'une obstination déraisonnable.

L'examen du patient par le Professeur C... a été effectué le 14 avril 2022 et par un avis, enregistré le 25 avril 2022, celui-ci indique estimer que la poursuite des traitements constitue une situation d'obstination déraisonnable.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 27 avril 2022, le directeur général de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris maintient ses précédentes conclusions.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 6 mai 2022, M. D... conteste les conclusions de l'avis du Professeur C... et sollicite du juge des référés du Conseil d'Etat d'enjoindre à l'hôpital Beaujon d'effectuer de nouveaux examens d'imagerie médicale.

Après avoir convoqué à une seconde audience publique, d'une part, M. F... D... et, d'autre part, le directeur général de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 mai 2022, à 14 heures 30 :

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. E... ;

- les représentants de M. E... ;

- les représentants de l'AP-HP ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". Le juge administratif des référés, saisi d'une demande en ce sens justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés, qui statue, en vertu de l'article L. 511-1 du code de justice administrative, par des mesures qui présentent un caractère provisoire et le cas échéant en formation collégiale conformément à ce que prévoit le troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.

2. Toutefois, il appartient au juge des référés d'exercer ses pouvoirs de manière particulière, lorsqu'il est saisi, comme en l'espèce, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une décision, prise par un médecin, dans le cadre défini par le code de la santé publique, et conduisant à arrêter ou ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, un traitement qui apparaît inutile ou disproportionné ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable.

Sur le cadre juridique applicable au litige :

3. Aux termes de l'article L. 1110-2 de ce code dispose que : " La personne malade a droit au respect de sa dignité ". Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-5-1 du même code : " Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-5-2 du même code : " (...) / Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, au titre du refus de l'obstination déraisonnable mentionnée à l'article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie. / La sédation profonde et continue associée à une analgésie prévue au présent article est mise en œuvre selon la procédure collégiale définie par voie réglementaire qui permet à l'équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions d'application prévues aux alinéas précédents sont remplies. / (...) ". Aux termes de l'article L. 1111-4 du même code : " (...) Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical (...) ". L'article R. 4127-37-2 du même code précise que : " (...) II. - Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. (...) La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l'un des proches est informé, dès qu'elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale. / III. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l'issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d'une concertation avec les membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et de l'avis motivé d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L'avis motivé d'un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l'un d'eux l'estime utile. / (...) / IV. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l'un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d'arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l'un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient ". Aux termes de l'article R. 4127-37-3 de ce code : " I. - A la demande du patient, dans les situations prévues aux 1° et 2° de l'article L. 1110-5-2, il est recouru à une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie, à l'issue d'une procédure collégiale, telle que définie au III de l'article R. 4127-37-2, dont l'objet est de vérifier que les conditions prévues par la loi sont remplies. / Le recours, à la demande du patient, à une sédation profonde et continue telle que définie au premier alinéa, ou son refus, est motivé. Les motifs du recours ou non à cette sédation sont inscrits dans le dossier du patient, qui en est informé. / II. - Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté et qu'un arrêt de traitement de maintien en vie a été décidé au titre du refus de l'obstination déraisonnable, en application des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 et dans les conditions prévues à l'article R. 4127-37-2, le médecin en charge du patient, même si la souffrance de celui-ci ne peut pas être évaluée du fait de son état cérébral, met en œuvre une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie, excepté si le patient s'y était opposé dans ses directives anticipées. / Le recours à une sédation profonde et continue, ainsi définie, doit, en l'absence de volonté contraire exprimée par le patient dans ses directives anticipées, être décidé dans le cadre de la procédure collégiale prévue à l'article R. 4127-37-2. / En l'absence de directives anticipées, le médecin en charge du patient recueille auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l'un des proches, le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / Le recours à une sédation profonde et continue est motivé. La volonté du patient exprimée dans les directives anticipées ou, en l'absence de celles-ci, le témoignage de la personne de confiance, ou, à défaut, de la famille ou de l'un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. / La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l'un des proches du patient est informé des motifs du recours à la sédation profonde et continue. "

4. Il résulte de ces dispositions législatives, ainsi que de l'interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, qu'il appartient au médecin en charge d'un patient hors d'état d'exprimer sa volonté d'arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale, destinée à l'éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d'un arrêt du traitement et, sauf dans les cas mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, dans le respect des directives anticipées du patient ou, à défaut de telles directives, après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches, ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs. Si le médecin décide de prendre une telle décision en fonction de son appréciation de la situation, il lui appartient de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser des soins palliatifs.

5. Pour l'application de ces dispositions, la ventilation mécanique ainsi que l'alimentation et l'hydratation artificielles sont au nombre des traitements susceptibles d'être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable. Cependant, la seule circonstance qu'une personne soit dans un état irréversible d'inconscience ou, à plus forte raison, de perte d'autonomie la rendant tributaire d'un tel mode de suppléance des fonctions vitales ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l'obstination déraisonnable.

6. Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d'alimentation et d'hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité.

Sur les circonstances du litige :

7. M. N'Singi D..., âgé de vingt-trois ans, et père d'une enfant de moins de quatre ans, a été victime d'un accident de la circulation dans la nuit du 1er au 2 janvier 2022. Il a été admis à l'hôpital Beaujon, établissement de l'AP-HP, en état d'inconscience. Les examens réalisés alors que le patient était sous sédation ont révélé, notamment, la présence d'un hématome sous-dural bi-hémisphérique, d'une hémorragie intracérébrale ainsi que d'affections aux poumons et de traumatismes rachidien, thoracique et abdominal. Dans les jours qui ont suivi, M. N'Singi D... a présenté deux embolies pulmonaires, deux pneumonies acquises sous ventilation mécanique, une hypertension intracrânienne qui a nécessité la pose d'une dérivation ventriculaire externe. Le 16 janvier 2022, ont été constatées des complications cérébrales graves (lésion ischémique aiguë du territoire de l'artère cérébrale moyenne gauche et vasospasme du tronc basiliaire) dont l'équipe médicale a informé la famille. Le 18 janvier 2022, une IRM cérébrale a révélé de multiples lésions hémorragiques dans la région du tronc cérébral, conduisant l'équipe médicale, face à la gravité de l'état de santé de M. N'Singi D... à tenir, le 19 janvier 2022, une réunion d'éthique. Cette réunion collégiale a eu lieu en présence de plusieurs médecins, dont celui en charge de M. N'Singi D..., de l'infirmier du patient, du cadre de l'unité et a bénéficié de l'avis d'un médecin extérieur au service, spécialisé en médecine physique et réadaptation et ayant préalablement examiné le patient. En raison d'un pronostic neurologique très défavorable donnant pour très probables des troubles de la vigilance, un état pauci-relationnel ou végétatif et un état de handicap extrêmement sévère nécessitant une assistance pour l'ensemble des gestes de la vie, le médecin en charge du patient a pris la décision de limitation et d'arrêt des thérapeutiques actives.

8. Informée de cette décision, la famille de M. N'Singi D... s'y est déclarée opposée. Le 11 février 2022, l'équipe médicale a réitéré à la famille de M. N'Singi D... sa décision d'arrêt des traitements, face à une situation qualifiée par l'équipe d'obstination déraisonnable. Un compte rendu de la situation médicale de M. N'Singi D... a été remis à sa famille le 14 février 2022. M. F... D..., père de M. N'Singi D..., a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement des dispositions de l'article L.521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la suspension de l'exécution de la décision d'arrêt des traitements. M. F... D... relève appel de l'ordonnance du 18 février 2022 par laquelle ce juge des référés a rejeté sa demande.

9. Au soutien de sa requête d'appel, M. F... D... soutient que la décision d'arrêt des soins prodigués à M. N'Singi D... a été prise de manière prématurée, que depuis la date de cette décision, l'état du patient s'est amélioré, que celui-ci a retrouvé un état de conscience se traduisant par des gestes et réactions établissant l'existence d'un contact avec ses proches et, qu'à tout le moins, il est nécessaire de réaliser de nouveaux examens d'imagerie médicale.

10. Il résulte toutefois de l'instruction, notamment des explications données au cours des audiences publiques par les médecins ayant pris en charge M. D..., qu'en raison du traumatisme crânien provoqué par l'accident dont celui-ci a été victime ainsi que de la lésion ischémique aigüe de l'artère cérébrale moyenne gauche et du vasospasme du tronc basilaire apparus deux semaines plus tard, le patient souffre de lésions cérébrales que les médecins qualifient d'extrêmement graves et qu'ils estiment fixées et irréversibles.

11. Si, au cours de la première audience, qui s'est tenue le 17 mars 2022, soit deux mois et demi après l'accident, les médecins en charge du patient, tout en indiquant que les parties endommagées du cerveau, notamment au sein de l'hémisphère gauche, responsable de l'alimentation en oxygène, du centre du langage et de la motricité de la partie droite du corps, n'étaient pas susceptibles de se régénérer, ont fait état d'une possibilité d'évolution vers un état pauci-relationnel, une telle évolution n'a pas été observée dans les semaines qui ont suivi, alors que le patient a cessé d'être sous sédation. Si les proches de M. D... font état de mouvements spontanés des membres supérieurs et inférieurs ainsi de l'ouverture et du clignement des yeux, les médecins en charge du patient indiquent qu'il s'agit de mouvements réflexes, qui ne peuvent être regardés comme répondant à une commande et comme révélant l'existence d'un état de conscience et d'un contact entre le patient et son environnement.

12. Ce constat a été confirmé par le Professeur C..., du CHU de Nancy, qui a été désigné d'un commun accord entre les parties à l'issue de la première audience publique, en vue de délivrer un nouvel avis sur l'état de M. D..., ses perspectives d'évolution et la possibilité de qualifier d'obstination déraisonnable tout ou partie des soins dispensés au patient. Après avoir examiné le patient le 14 avril 2022, soit une centaine de jours après l'accident, seul puis de nouveau en présence des proches de M. D..., ce médecin a constaté que celui-ci, intubé et sous ventilation artificielle, présentait quelques mouvements spontanés, une ouverture spontanée des yeux avec une déviation du regard vers la gauche et avait conservé les réflexes photomoteur et cornéen, mais qu'il n'existait pas de fixation visuelle, ni de poursuite du regard. Ce médecin également a constaté une absence de réaction aux bruits ou à la commande. Il a estimé que les lésions cérébrales subies par M. D... étaient irréversibles et que le patient était, plus de quatre-vingt-dix jours après l'accident, dans un état végétatif. Il a estimé nulle la probabilité d'amélioration neurologique. Le Professeur C... a émis l'avis que, dans ces conditions, la poursuite des traitements était manifestement disproportionnée, n'avait d'autre objet que le maintien artificiel de la vie et pouvait être qualifiée d'obstination déraisonnable.

13. Il résulte de ce qui précède qu'alors que quatre mois se sont écoulés depuis l'accident dont M. D... a été victime, aucune évolution favorable de l'état neurologique de celui-ci n'a pu être médicalement constatée par rapport au diagnostic, posé mi-janvier, de lésions cérébrales graves et irréversibles ne laissant aucune probabilité de retour à un état de conscience. Au cours de cette même période, M. D... a contracté des affections respiratoires, notamment plusieurs pneumonies acquises sous ventilation mécanique et, plus récemment, un pneumothorax. Si le requérant soutient qu'un diagnostic d'absence de toute perspective d'amélioration ne pourrait être posé aujourd'hui sans que ne soient réalisés de nouveaux examens d'imagerie médicale, les médecins en charge du patient ont exposé au cours de la seconde audience publique que de tels examens ne seraient pas susceptibles de révéler d'autres informations que celles obtenues par la réalisation d'une IRM le 18 janvier 2022 et présentaient, en outre, des dangers pour le patient du fait notamment de la nécessité de l'extraire du service de réanimation.

14. Dans ces circonstances, la décision de cesser les soins dispensés à M. N'Singi D..., dont il n'est pas contesté qu'elle a été prise dans le respect des règles de procédure rappelées au point 3 et dont la mise en œuvre ne saurait intervenir que dans les conditions mentionnées à ce même point 3, ne peut être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

15. M. G... D... n'est, par suite, pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance qu'il attaque, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses conclusions tendant à ce que soit ordonnée la suspension de l'exécution de cette décision. Son appel doit être rejeté, y compris sa demande tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. F... D... et à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.

Délibéré à l'issue de l'audience du 10 mai 2022 où siégeaient : M. Pierre Collin, conseiller d'Etat, présidant ; M. Mathieu Hérondart et Mme Maud Vialettes, conseillers d'Etat, juge des référés.

Fait à Paris, le 16 mai 2022

Signé : Pierre Collin


Synthèse
Formation : Juge des référés, formation collégiale
Numéro d'arrêt : 462044
Date de la décision : 16/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 16 mai. 2022, n° 462044
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Pierre Collin
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:462044.20220516
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