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01/12/2023 | FRANCE | N°471514

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 01 décembre 2023, 471514


Vu la procédure suivante :



Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Besançon de prescrire une expertise en vue de déterminer les responsabilités et les préjudices subis à la suite de sa prise en charge le 29 novembre 2018 au centre hospitalier de Vesoul, relevant du groupe hospitalier de la Haute-Saône. Par une ordonnance n° 2200729 du 18 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande.



Par une ordonnance n° 22NC02571 du 6 février 2023, la présidente de l

a cour administrative d'appel de Nancy, sur appel de Mme B..., a annulé cette ordonnance e...

Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Besançon de prescrire une expertise en vue de déterminer les responsabilités et les préjudices subis à la suite de sa prise en charge le 29 novembre 2018 au centre hospitalier de Vesoul, relevant du groupe hospitalier de la Haute-Saône. Par une ordonnance n° 2200729 du 18 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 22NC02571 du 6 février 2023, la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy, sur appel de Mme B..., a annulé cette ordonnance et ordonné l'expertise sollicitée.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 février et 1er mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le groupe hospitalier de la Haute-Saône demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande d'expertise de Mme B....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado-Gilbert, avocat du groupe hospitalier de la Haute-Saône et à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple demande et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction (...) ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés de la cour administrative d'appel de Nancy que Mme B..., opérée le 29 novembre 2018 au centre hospitalier de Vesoul, relevant du groupe hospitalier de la Haute-Saône, a invoqué les fautes commises, selon elle, lors de cette opération pour demander réparation de ses préjudices. Par une décision du 23 septembre 2019, régulièrement notifiée à Mme B... le 29 septembre 2019, le groupe hospitalier a rejeté sa demande de réparation. Mme B... a, dans le délai de deux mois courant à compter de cette notification, formé un recours indemnitaire devant le tribunal administratif de Besançon. Appelée en la cause en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Saône a conclu au remboursement de ses débours. Dans le cours de cette instance contentieuse, Mme B... a, en application des dispositions de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique, saisi le 3 février 2020 d'une demande d'indemnisation amiable la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Franche-Comté, qui a rendu le 6 mars 2020 une déclaration d'incompétence au motif que la condition de gravité du préjudice posée par l'article D. 1142-1 du code de la santé publique n'était pas remplie. Mme B... s'étant alors désistée de sa demande formée devant le tribunal administratif, celui-ci, par un jugement du 1er décembre 2020, lui a, d'une part, donné acte de ce désistement et a, d'autre part, rejeté les conclusions présentées par la CPAM de la Haute-Saône. Ultérieurement, Mme B... a demandé, le 2 mai 2022, au juge des référés du tribunal administratif de Besançon d'ordonner une expertise relative aux conditions de sa prise en charge par le groupe hospitalier et à l'évaluation de ses préjudices. Le juge des référés a rejeté sa demande par une ordonnance du 18 octobre 2022. Le groupe hospitalier de la Haute-Saône se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 6 février 2023 par laquelle la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy, statuant sur l'appel de Mme B..., a annulé cette ordonnance et a prescrit, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, l'expertise sollicitée.

Sur l'ordonnance attaquée, en tant qu'elle prescrit une expertise relative à une éventuelle action de Mme B... tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute du centre hospitalier :

3. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. "

4. Aux termes de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique dans sa version alors applicable : " La commission régionale peut être saisie par toute personne s'estimant victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins, ou, le cas échéant, par son représentant légal. (...) / La saisine de la commission suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure prévue par le présent chapitre ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation, dans le cadre de la procédure d'indemnisation amiable ou de la procédure de conciliation, par une personne s'estimant victime d'un dommage imputable à un établissement de santé identifié dans cette demande, donne lieu à une information de l'établissement mis en cause et qu'une décision de rejet opposée par l'établissement hospitalier intervient au cours de la procédure organisée devant la commission de conciliation et d'indemnisation, le délai imparti à la personne ayant saisi la commission pour exercer un recours contentieux contre cette décision se trouve suspendu jusqu'au terme de cette procédure. En revanche, il n'en résulte pas que la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation par une personne qui a déjà saisi le juge de la même demande de réparation ait pour effet de prolonger le délai de recours contentieux ni de faire naître un nouveau délai au terme duquel le juge pourrait être saisi de la même demande.

5. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que l'absence de notification à Mme B... de l'avis rendu par la commission de conciliation et d'indemnisation avait empêché le délai de recours contentieux de courir pour en déduire qu'elle n'était pas tardive à introduire une nouvelle demande contentieuse et que l'expertise demandée conservait donc une utilité, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit qui justifie l'annulation de son ordonnance en tant qu'elle ordonne, aux points 3, 4 et 5 de son article 3, une expertise en rapport avec une éventuelle action tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute du centre hospitalier.

Sur l'ordonnance attaquée, en tant qu'elle prescrit une expertise relative à une éventuelle action de Mme B... tendant à l'engagement de la responsabilité de l'établissement au titre des dommages résultant d'un produit défectueux :

6. En vertu du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, la responsabilité pour faute des professionnels et établissements de santé s'applique " hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé ". Dans cette dernière hypothèse, et sans préjudice d'éventuels recours en garantie, le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise.

7. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que son auteur a retenu que les éléments apportés par Mme B... au soutien d'une éventuelle action tendant à l'engagement de la responsabilité de l'établissement hospitalier en raison des dommages résultant de sondes d'intubation défectueuses, sur le fondement du régime de responsabilité sans faute rappelé au point précédent, étaient de nature à concourir à l'utilité de l'expertise sollicitée.

8. En premier lieu, en jugeant que le désistement de la requête que Mme B... avait initialement formée devant le tribunal administratif de Besançon, tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute de l'établissement, dont le tribunal lui a donné acte par son jugement du 1er décembre 2020, avait le caractère d'un désistement d'instance et ne faisait pas obstacle à l'exercice par Mme B... d'une nouvelle action visant à obtenir réparation de ses préjudices sur le fondement du régime de responsabilité rappelé au point 6, l'auteur de l'ordonnance attaquée n'a pas commis d'erreur de droit.

9. En deuxième lieu, aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre et le livre Ier, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. / Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. " Lorsqu'un juge s'est prononcé sur l'action exercée, en application de ces dispositions, par une caisse de sécurité sociale, sans se prononcer sur les droits de la victime, l'autorité de la chose jugée sur les conclusions présentées par la caisse ne saurait, faute d'identité tant de parties que d'objet, faire obstacle à ce que la victime elle-même présente au juge des conclusions à fins d'indemnisation.

10. Il résulte de ce qui précède que le jugement du 1er décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté les conclusions présentées devant lui par la CPAM de la Haute-Saône ne saurait, alors même qu'un tel jugement doit être regardé comme ayant implicitement mais nécessairement statué sur les droits de la caisse au titre de l'engagement de la responsabilité sans faute de l'établissement hospitalier, faire obstacle, en l'absence d'identité d'objet et de parties entre les deux instances, à ce que Mme B... puisse utilement demander l'engagement de la responsabilité sans faute de l'établissement hospitalier au titre des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. Par suite, le groupe hospitalier de la Haute-Saône n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque en tant qu'elle a ordonné une expertise en rapport avec une éventuelle action de Mme B... tendant à l'engagement de la responsabilité sans faute du centre hospitalier.

Sur le règlement de l'affaire au titre de la procédure de référé :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer dans la mesure de la cassation énoncée au point 5 sur la demande en référé, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

12. Il résulte de ce qui est dit au point 5 qu'en raison de l'expiration du délai imparti à Mme B... pour agir contre le groupe hospitalier de la Haute-Saône sur le fondement de la responsabilité pour faute, ses conclusions tendant à ce que le juge des référés ordonne une expertise en rapport avec une éventuelle action recherchant la responsabilité pour faute de l'établissement ne peuvent qu'être rejetées. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance qu'elle attaque, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a rejeté sur ce point sa demande, au motif que l'expertise sollicitée ne serait pas utile.

Sur les frais de l'instance :

13. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du groupe hospitalier de la Haute-Saône, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante pour l'essentiel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 3 de l'ordonnance du 6 février 2023 de la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé en tant qu'il fixe les points 3, 4 et 5 des missions des experts.

Article 2 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 3 : L'appel de Mme B... devant la cour administrative d'appel de Nancy est rejeté en tant qu'il porte sur sa demande d'expertise en rapport avec une éventuelle action tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute du groupe hospitalier de la Haute-Saône.

Article 4 : Les conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au groupe hospitalier de la Haute-Saône, à Mme A... B... et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône.

Copie en sera adressée aux docteurs Jean-Pierre Pertek et Bruno Toussaint, experts.


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 471514
Date de la décision : 01/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-05-04-01-01 Lorsqu’un juge s’est prononcé sur l’action exercée, en application de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale (CSS), par une caisse de sécurité sociale, sans se prononcer sur les droits de la victime, l’autorité de la chose jugée sur les conclusions présentées par la caisse ne saurait, faute d’identité tant de parties que d’objet, faire obstacle à ce que la victime elle-même présente au juge des conclusions à fins d’indemnisation.


Publications
Proposition de citation : CE, 01 déc. 2023, n° 471514
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Dominique Langlais
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SARL LE PRADO – GILBERT ; SCP DELAMARRE, JEHANNIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:471514.20231201
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