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06/12/2023 | FRANCE | N°470726

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 06 décembre 2023, 470726


Vu les procédures suivantes :



La société Donatini Forêt et Nature a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles la directrice départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) de la Marne a refusé de faire droit à sa demande de communication de documents présentée le 14 mars 2020, ainsi que la décision du 22 janvier 2021 par laquelle elle l'a informée de ce que cette demande avait été transmise à l'Agence nationale d

e sécurité sanitaire de l'alimentation (ANSES) et, d'autre part, d'enjoindre à...

Vu les procédures suivantes :

La société Donatini Forêt et Nature a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles la directrice départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) de la Marne a refusé de faire droit à sa demande de communication de documents présentée le 14 mars 2020, ainsi que la décision du 22 janvier 2021 par laquelle elle l'a informée de ce que cette demande avait été transmise à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (ANSES) et, d'autre part, d'enjoindre à la DDCSPP de la Marne de lui communiquer les documents demandés. Par un jugement n°s 2002473 et 2100504 du 22 novembre 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a partiellement annulé la décision refusant de faire droit à la demande de communication de documents présentée par la société Donatini Forêt et Nature et enjoint au préfet de la Marne de procéder à la communication demandée dans cette mesure, et rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi.

1° sous le n°470726, par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés le 23 janvier et le 9 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler ce jugement.

2° sous le n°470727, par une requête, enregistrée le 23 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'ordonner le sursis à exécution de l'article 2 du jugement dont il demande l'annulation sous le n° 470726.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le règlement (UE) 2015/2283 du 25 novembre 2015 ;

- le code de la consommation ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la société Donatini Forêt et Nature ;

Considérant ce qui suit :

1. Le pourvoi et la requête à fins de sursis à exécution du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sont dirigés contre le même jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'un signalement du centre antipoison de Paris adressé à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) et à l'unité d'alerte de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ce dernier service a demandé à la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) de la Marne de procéder à un contrôle des produits commercialisés par la société Donatini Forêt et Nature. Un rapport d'enquête a été établi dans ce cadre. Par un courrier du 14 mars 2020, puis par un courrier du 6 juin 2020, la société a demandé à la DDCSPP de la Marne la communication de divers documents administratifs relatifs à ce contrôle. Par un courrier du 22 janvier 2021, la DDCSPP de la Marne a informé la société Donatini Forêt et Nature que sa demande de communication avait été transmise à l'ANSES. Par un jugement du 22 novembre 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, dans ses articles 1er et 2, annulé la décision du 28 septembre 2020 de la DDCSPP de la Marne en tant qu'elle a refusé la communication du " dossier de saisine de l'unité d'alerte de la DDSCPP51 ", de " la copie des courriers échangés avec les services centraux (notamment leurs réponses) " et " de l'ensemble des courriers échangés entre la DDSCPP51 et le bureau A4 ou l'ANSES sur la qualification de l'écorce de tremble de nouvel aliment, du mycélium secondaire de nouvel aliment et des mycélia d'ectomycorhizes propagés à l'intérieur des cellules d'écorces de tremble de nouvel aliment " et enjoint au préfet de la Marne de communiquer ces documents dans un délai de quinze jours à compter de la notification de son jugement. L'article 4 du même jugement rejette le surplus des conclusions de la demande de la société.

Sur le pourvoi incident de la société Donatini Forêt et Nature :

3. Les conclusions du pourvoi incident formé par la société Donatini Forêt et Nature dirigées contre l'article 4 du jugement, qui portent sur la communication de documents distincts de ceux que le tribunal administratif a enjoint à l'administration de communiquer après avoir annulé le refus de celle-ci de les communiquer, par les articles 1er et 2 du même jugement, soulèvent un litige distinct du pourvoi principal. Elles sont, par suite, irrecevables.

Sur le pourvoi principal du ministre

4. Aux termes de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions (...) ".

5. En vertu de l'article L. 511-3 du code de la consommation, les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont habilités à rechercher et constater les infractions ou les manquements aux dispositions mentionnées à cet article. L'article L. 511-11 du même code les habilite en particulier à rechercher et constater les infractions aux dispositions de son livre IV, notamment à l'article R. 451-1 qui punit de la peine d'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe les infractions aux règles auxquelles doivent satisfaire les marchandises. L'article L. 511-14 du code de la consommation dispose en outre que : " Les agents sont habilités à procéder à des contrôles administratifs pour déterminer les caractéristiques des produits ou des services ou en apprécier le caractère dangereux ". Enfin, il résulte de l'article L. 521-27 du même code que les rapports d'essais ou d'analyses, avis ou autres documents justifiant les mesures de police administrative dont fait l'objet une entreprise, y compris ceux établis ou recueillis dans le cadre de la recherche d'infractions par les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, peuvent être communiqués à la personne destinataire des mesures prévues au présent chapitre.

6. Les documents produits ou reçus par les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans le cadre de leurs activités de recherche et de constatation des infractions pénales prévues par le code de la consommation ne constituent pas des documents administratifs communicables sur le fondement des dispositions du livre III du code des relations entre le public et l'administration, sans préjudice du régime de communication particulier organisé par les dispositions de l'article L. 521-27 du code de la consommation. En revanche, les documents produits ou reçus par ces agents dans le cadre de leurs activités de recherche et de constatation des manquements aux dispositions du code de la consommation, qui sont susceptibles de donner lieu à des sanctions administratives, ou dans le cadre des contrôles administratifs prévus à l'article L. 511-14 du même code, revêtent le caractère de documents administratifs, quand bien même ils seraient par la suite transmis à une juridiction.

7. Il ressort des pièces du dossier soumis au tribunal administratif que les documents dont ce dernier a enjoint la communication à la société Donatini Forêt et Nature ont été produits et reçus dans le cadre d'opérations menées par des agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour la recherche d'une infraction pénale, punie en application de l'article R. 451-1 du code de la consommation, tenant à l'absence d'autorisation de mise sur le marché d'un nouvel aliment régi par le règlement (UE) 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relatif aux nouveaux aliments. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 qu'en jugeant que ces documents présentaient un caractère administratif et étaient soumis aux règles d'accès prévues par le livre III du code des relations entre le public et l'administration, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son jugement doit être annulé.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. En premier lieu, dès lors que les décisions implicites rejetant les demandes de communication de la société Donatini Forêt et Nature sont réputées émaner de l'autorité administrative compétente, à laquelle la demande de communication de documents administratifs doit être transmise le cas échéant, celle-ci ne peut utilement soutenir que ces décisions sont entachées d'incompétence.

10. En deuxième lieu, en vertu de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". La société requérante ne peut utilement soutenir que les refus de communication qui lui ont été opposés sont irréguliers faute de mise en œuvre de cette procédure contradictoire, dès lors que ces décisions font suite aux demandes de communication qu'elle a adressées à l'administration.

11. En troisième et dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que le " dossier de saisine de l'unité d'alerte de la DDSCPP51 ",

" la copie des courriers échangés avec les services centraux (notamment leurs réponses) " et " l'ensemble des courriers échangés entre la DDSCPP51 et le bureau A4 ou l'ANSES sur la qualification de l'écorce de tremble de nouvel aliment, du mycélium secondaire de nouvel aliment et des mycélia d'ectomycorhizes propagés à l'intérieur des cellules d'écorces de tremble de nouvel aliment " ont été produits ou reçus par des agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans le cadre de la recherche d'une infraction qui n'est passible que de sanctions pénales. Par suite, ces documents ne présentent pas un caractère administratif. La société requérante ne peut donc utilement se prévaloir du droit d'accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l'administration.

12. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par l'administration, les conclusions de la société Donatini Forêt et Nature relatives aux documents mentionnés au point 11 doivent être rejetée.

Sur la requête aux fins de sursis à exécution :

13. La présente décision statuant sur le pourvoi tendant à l'annulation du jugement attaqué, la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement est devenue sans objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, sur leur fondement, à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 du jugement du 22 novembre 2022 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne sont annulés.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Donatini Forêt et Nature devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne relatives aux documents mentionnés au point 11 de la présente décision et son pourvoi incident sont rejetés.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution présentées par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société Donatini Forêt et Nature sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ainsi qu'à la société Donatini Forêt et Nature.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 novembre 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Alexandre Lallet, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 6 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

La rapporteure :

Signé : Mme Isabelle Lemesle

La secrétaire :

Signé : Mme Chloé-Claudia Sediang


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470726
Date de la décision : 06/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-06-01-02-01 Les documents produits ou reçus par les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (CCRF) dans le cadre de leurs activités de recherche et de constatation des infractions pénales prévues par le code de la consommation ne constituent pas des documents administratifs communicables sur le fondement des dispositions du livre III du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), sans préjudice du régime de communication particulier organisé par l’article L. 521-27 du code de la consommation. ...En revanche, les documents produits ou reçus par ces agents dans le cadre de leurs activités de recherche et de constatation des manquements aux dispositions du code de la consommation, qui sont susceptibles de donner lieu à des sanctions administratives, ou dans le cadre des contrôles administratifs prévus à l’article L. 511-14 du même code, revêtent le caractère de document administratif, quand bien même ils seraient par la suite transmis à une juridiction.


Publications
Proposition de citation : CE, 06 déc. 2023, n° 470726
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Isabelle Lemesle
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:470726.20231206
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