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20/12/2023 | FRANCE | N°475296

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 20 décembre 2023, 475296


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 juin et 3 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la commune de Corbeil-Essonnes demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par la Première ministre sur sa demande de retrait du décret n°2022-1702 du 29 décembre 2022 authentifiant les chiffres des populations de métropole, des départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la

Martinique et de la Réunion, et des collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin e...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 juin et 3 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la commune de Corbeil-Essonnes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par la Première ministre sur sa demande de retrait du décret n°2022-1702 du 29 décembre 2022 authentifiant les chiffres des populations de métropole, des départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion, et des collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

2°) d'annuler le décret n° 2022-1702 du 29 décembre 2022 authentifiant les chiffres des populations de métropole, des départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion, et des collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le règlement (CE) n° 862/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 ;

- le règlement (CE) n° 763/2008 du Parlement européen et du Conseil du 9 juillet 2008 ;

- le règlement (CE) n° 1201/2009 de la Commission du 30 novembre 2009 ;

- le code électoral ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 46-854 du 27 avril 1946 ;

- la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 ;

- la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 ;

- le décret n° 46-1432 du 14 juin 1946 ;

- le décret n° 2003-485 du 5 juin 2003 ;

- le décret n° 2022-1702 du 29 décembre 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Corbeil-Essonnes demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, du décret du 29 décembre 2022 authentifiant les chiffres des populations de métropole, des départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion, et des collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon auxquels il convient de se référer pour l'application des lois et des règlements à compter du 1er janvier 2023 et, d'autre part, de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la Première ministre sur sa demande du 27 février 2023 tendant au retrait de ce décret. A l'appui de sa requête, la commune de Corbeil-Essonnes demande au Conseil d'Etat de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 156 et 158 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité.

Sur la question prioritaire de constitutionalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article 156 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité : " I.- Le recensement de la population est effectué sous la responsabilité et le contrôle de l'Etat. / II.- Le recensement a pour objet : / 1° Le dénombrement de la population de la France ; / 2° La description des caractéristiques démographiques et sociales de la population ; / 3° Le dénombrement et la description des caractéristiques des logements. / Les données recueillies sont régies par les dispositions de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques et de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. / III.- La collecte des informations est organisée et contrôlée par l'Institut national de la statistique et des études économiques. / Les enquêtes de recensement sont préparées et réalisées par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale, qui reçoivent à ce titre une dotation forfaitaire de l'Etat. (...) VI. - (...) Pour les communes dont la population est inférieure à 10 000 habitants, les enquêtes sont exhaustives et ont lieu chaque année par roulement au cours d'une période de cinq ans. Pour les autres communes, une enquête par sondage est effectuée chaque année ; la totalité du territoire de ces communes est prise en compte au terme de la même période de cinq ans. (...) / VII.- Pour établir les chiffres de la population, l'Institut national de la statistique et des études économiques utilise les informations collectées dans chaque commune au moyen d'enquêtes de recensement exhaustives ou par sondage, les données démographiques non nominatives issues des fichiers administratifs, notamment sociaux et fiscaux, que l'institut est habilité à collecter à des fins exclusivement statistiques, ainsi que les résultats de toutes autres enquêtes statistiques réalisées en application de l'article 2 de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 précitée. / A cette fin, les autorités gestionnaires des fichiers des organismes servant les prestations de base des régimes obligatoires d'assurance maladie transmettent à l'Institut national de la statistique et des études économiques les informations non nominatives qu'il appartient à l'institut d'agréger cinq ans après leur réception, à un niveau géographique de nature à éviter toute identification de personnes. / VIII.- Un décret authentifie chaque année les chiffres des populations de métropole, des départements d'outre-mer, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, des circonscriptions administratives et des collectivités territoriales. (...) ". Aux termes de l'article 158 de la même loi : " Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent titre ".

4. En premier lieu, la commune requérante soutient que le législateur, faute de définir avec suffisamment de précision la méthode du recensement de la population, aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant la libre administration des collectivités territoriales.

5. D'une part, l'article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. D'autre part, en vertu du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, " dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus ".

6. Il résulte des termes mêmes de l'article 156 de la loi du 27 février 2002 que ces dispositions ont pour objet de fixer le cadre légal pour les opérations de recensement de la population. Elles ne créent, par elles-mêmes, ni obligations ni charges pesant sur les collectivités territoriales. Par suite, après avoir déterminé les compétences et missions respectives de l'Etat, des collectivités territoriales et de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) pour la réalisation des opérations de recensement, établi les principes et règles applicables aux enquêtes de recensement propres aux collectivités territoriales, en distinguant les types d'enquête à mener, exhaustive ou par sondage, selon la taille de leur population, rappelé le cadre légal applicable aux données issues de ces enquêtes tel que fixé par la loi du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques et la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et prévu l'attribution d'une dotation forfaitaire aux collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale chargés de la réalisation de ces enquêtes, le législateur, en renvoyant par l'article 158 de la même loi au pouvoir réglementaire le soin de préciser les modalités de mise en œuvre des opérations de recensement, ne saurait avoir méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions portant atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Le grief est ainsi dépourvu de caractère sérieux.

7. En second lieu, la méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

8. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

9. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les articles 156 et 158 de la loi du 27 février 2002 portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

10. Aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". Le décret attaqué, qui n'appelle aucune mesure réglementaire ou individuelle d'exécution du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, a pu légalement être pris sans que ce ministre y appose son contreseing.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

11. Aux termes de l'article 1er de la loi du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques : " I.- Le service statistique public comprend l'Institut national de la statistique et des études économiques et les services statistiques ministériels. / Les statistiques publiques regroupent l'ensemble des productions issues : / - des enquêtes statistiques dont la liste est arrêtée chaque année par un arrêté du ministre chargé de l'économie ; / - de l'exploitation, à des fins d'information générale, de données collectées par des administrations, des organismes publics ou des organismes privés chargés d'une mission de service public. / La conception, la production et la diffusion des statistiques publiques sont effectuées en toute indépendance professionnelle. / II.- Il est créé une Autorité de la statistique publique qui veille au respect du principe d'indépendance professionnelle dans la conception, la production et la diffusion de statistiques publiques ainsi que des principes d'objectivité, d'impartialité, de pertinence et de qualité des données produites (...) ".

12. Il résulte des dispositions citées aux points 3 et 11 qu'il appartient à l'INSEE de déterminer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, les méthodes en application desquelles sont établis les résultats du recensement, dans le respect des textes régissant la statistique et le recensement, qui précisent notamment, au VI de l'article 156 de la loi du 27 février 2002, que pour les communes de plus de 10 000 habitants, une enquête par sondage est effectuée chaque année, la totalité du territoire de chaque commune devant être couverte par période de cinq ans.

13. En premier lieu, il découle de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la commune de Corbeil-Essonnes, d'une part, la méthode de recensement par sondage qui a été employée pour recenser sa population n'est pas dépourvue de base légale et, d'autre part, l'INSEE est compétent pour concevoir, en application de ces dispositions, les modalités de mise en œuvre de cette méthode.

14. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le choix par l'INSEE, pour la mise en œuvre de la méthode par sondage ainsi prévue, de se fonder, chaque année, sur un taux d'échantillonnage de 8% de l'ensemble des logements de la commune, soit au total, sur la période de cinq années prévue par les dispositions précitées, un échantillon de 40% de ces logements, serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

15. En troisième lieu, d'une part, ainsi qu'il est dit au point 12, il appartient à l'INSEE, en application de la loi et dans le respect des textes régissant la statistique et le recensement, de déterminer les méthodes en application desquelles sont établis les résultats du recensement. Si le législateur a prévu que, pour établir les chiffres de la population lors des opérations de recensement, l'INSEE utilise, entre autres, les données démographiques non nominatives issues des fichiers administratifs, notamment sociaux et fiscaux, que cet institut est habilité à collecter à des fins exclusivement statistiques, il ne peut être regardé comme ayant entendu imposer par ces dispositions que l'INSEE fonde directement l'évaluation de la population sur les chiffres issus de ces fichiers. D'autre part, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit n'impose que les opérations afférentes à un recensement général de la population confiées à l'INSEE soient menées, et leurs résultats arrêtés, contradictoirement avec les communes intéressées. Dans ces conditions, la commune de Corbeil-Essonnes n'est pas fondée à soutenir que la méthode utilisée par l'INSEE pour établir le chiffre de la population aurait méconnu les dispositions du VII de l'article 156 de la loi du 27 février 2002 au motif que l'INSEE n'aurait pas retenu les chiffres de la population tels qu'estimés par la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne ou par la Caisse d'allocations familiales de l'Essonne, ou les indicateurs démographiques ou données sociales produits par la commune elle-même.

16. En quatrième lieu, si la commune de Corbeil-Essonnes soutient que la méthode retenue par l'INSEE méconnaît les dispositions du règlement (CE) n°862/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 relatif aux statistiques communautaires sur la migration et la protection internationale, du règlement n°763/2008 du Parlement européen et du Conseil du 9 juillet 2008 relatif au recensement de la population et du logement et du règlement n°1201/2009 de la Commission du 30 novembre 2009 relatif à la mise en œuvre du règlement n°763/2008 en ce qui concerne les spécifications techniques des thèmes et de leur classification, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé et ne peut donc qu'être écarté.

17. Il résulte de ce qui précède que la commune de Corbeil-Essonnes n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret attaqué.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Corbeil-Essonnes.

Article 2 : La requête de la commune de Corbeil-Essonnes est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Corbeil-Essonnes, à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Philippe Ranquet, M. Hervé Cassagnabère, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat ; M. Julien Autret, maître des requêtes et Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 20 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Nicole da Costa

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 475296
Date de la décision : 20/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 20 déc. 2023, n° 475296
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Nicole da Costa
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:475296.20231220
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