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22/02/2024 | FRANCE | N°470473

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 22 février 2024, 470473


Vu la procédure suivante :



Par une requête, enregistrée le 13 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... D... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 8 juin 2022 rapportant le décret du 28 janvier 2019 le naturalisant ;



2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réexaminer son dossier dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;



3°) de mettre

à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative....

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 13 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 8 juin 2022 rapportant le décret du 28 janvier 2019 le naturalisant ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réexaminer son dossier dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Bernard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes des dispositions de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces du dossier que M. D..., ressortissant sénégalais, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture de police de Paris le 17 mars 2017, par laquelle il a indiqué être divorcé de Mme C... et père de trois enfants nés de cette union. Il s'est engagé sur l'honneur à signaler tout changement dans sa situation personnelle et familiale. Au vu de ses déclarations, il a été naturalisé par décret du 28 janvier 2019, publié au Journal officiel de la République française du 30 janvier 2019. Toutefois, par bordereau du ministre de l'Europe et des affaires étrangères reçu le 9 juin 2020, le ministre de l'intérieur, chargé des naturalisations, a été informé de ce que M. D... est également le père de trois enfants issus de son union avec Mme H... A..., nés les 1er janvier 2007 et 29 mai 2016, et d'un enfant issu de son union avec Mme G... B..., né le 1er décembre 2007. Par décret du 8 juin 2022, publié au Journal officiel de la République française du 11 juin 2022, la Première ministre a rapporté le décret du 28 janvier 2019 prononçant la naturalisation de M. D... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. D... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un décret de naturalisation, il notifie, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les motifs de droit et de fait justifiant le retrait à l'intéressé, qui dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification pour faire parvenir ses observations en défense.

4. Il ressort des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur a indiqué à M. D... les motifs justifiant le retrait du décret ayant prononcé sa naturalisation par une lettre du 14 septembre 2021. La lettre a été expédiée au nom et à l'adresse de l'intéressé avec demande d'avis de réception. Elle a été présentée à son domicile le 22 septembre 2021 mais n'a pas été réclamée par l'intéressé aux services postaux, qui ont retourné le pli au ministre après l'expiration du délai de mise en instance postale. Cette notification doit être regardée, faute pour l'intéressé d'avoir pris toutes les dispositions utiles pour retirer le pli qui lui avait été régulièrement adressé, comme étant intervenue à la date de première présentation du pli par les services postaux, soit le 22 septembre 2021. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière qui ne lui aurait pas permis de présenter ses observations en défense ne peut qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a déclaré lors du dépôt de sa demande de naturalisation le 17 mars 2017 n'avoir que trois enfants nés de son union avec Mme E... C..., alors qu'il est également le père de quatre autres enfants mineurs, nés en 2007 et 2016 et issus de deux autres unions. Ces naissances, antérieures à la naturalisation de l'intéressé, auraient dû être portées à la connaissance des autorités chargées de l'instruction de sa demande, comme il s'y était engagé lors du dépôt de cette demande. Si M. D... soutient que le lien de filiation avec ces enfants, nés hors mariage, n'était pas établi au moment de sa naturalisation et qu'il ne les a reconnus que postérieurement à l'acquisition de la nationalité française, il ne conteste pas avoir eu connaissance de leur existence avant sa naturalisation, ayant au demeurant déclaré lui-même la naissance de l'un d'entre eux, et ne fait état d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de sa situation familiale au service chargé de l'instruction de son dossier avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française. L'intéressé, qui maîtrise la langue française ainsi qu'il ressort du compte-rendu d'entretien d'assimilation du 9 août 2018, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée. Dans ces conditions, M. D... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé la réalité de sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, la Première ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.

7. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. D... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 8 juin 2022 par lequel la Première ministre a rapporté le décret du 28 janvier 2019. Ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. F... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 1er février 2024 où siégeaient : Mme Anne Courrèges, assesseure, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et M. Paul Bernard, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 22 février 2024.

La présidente :

Signé : Mme Anne Courrèges

Le rapporteur :

Signé : M. Paul Bernard

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 470473
Date de la décision : 22/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 fév. 2024, n° 470473
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Paul Bernard
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:470473.20240222
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