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01/03/2024 | FRANCE | N°474337

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 01 mars 2024, 474337


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 et 31 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler la décision du 14 décembre 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande d'indemnisation du 5 avril 2022, en réparation du préjudice subi qu'il estime avoir subi du fait de la durée excessive de procédures engagées devant la juridiction administrative ;



2°) de co

ndamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de ce préjudice ;



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Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 et 31 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 14 décembre 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande d'indemnisation du 5 avril 2022, en réparation du préjudice subi qu'il estime avoir subi du fait de la durée excessive de procédures engagées devant la juridiction administrative ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de ce préjudice ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... demande, d'une part, l'annulation de la décision du 14 décembre 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande d'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la durée excessive de plusieurs procédures qu'il a engagées devant la commission des recours des militaires, le tribunal administratif de Marseille et la cour administrative d'appel de Marseille et, d'autre part, la condamnation de l'Etat à l'indemniser de ce préjudice.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. La décision du garde des sceaux, ministre de la justice, a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de M. A..., qui, en formulant les conclusions analysées au point précédent, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Au regard de l'objet de la demande formée par le requérant, qui conduit le juge à se prononcer sur ses droits à indemnisation, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice s'est prononcé sur sa réclamation préalable et par laquelle il a lié le contentieux, sont sans incidence sur la solution du litige. Par suite, M. A... ne saurait utilement se prévaloir de ce que cette décision serait signée par une autorité incompétente et serait entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

3. Il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable. Si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect. Ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu notamment, de l'exercice des voies de recours, particulière à chaque instance et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement. Lorsque la durée globale de jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive. Lorsque des dispositions applicables à la matière faisant l'objet d'un litige organisent une procédure préalable obligatoire à la saisine du juge, la durée globale de jugement doit s'apprécier, en principe, en incluant cette phase préalable. La durée globale de jugement, en vertu des principes rappelés ci-dessus, est à prendre en compte jusqu'à l'exécution complète de ce jugement.

S'agissant du litige relatif au rapport circonstancié après accident :

4. Il résulte de l'instruction que M. A..., marin-pompier au bataillon des marins pompiers de Marseille (BMPM), a demandé en mai 2017 au commandant de ce bataillon de lui communiquer le rapport circonstancié qui avait dû être rédigé à la suite de l'accident survenu dans la nuit du 3 au 4 octobre 2014. Par une décision du 5 juillet 2017, le commandant lui a opposé un refus. M. A... a alors saisi, le 24 juillet 2017, la commission des recours des militaires d'un recours contre cette décision de refus. Ce recours a été implicitement rejeté par la ministre des armées. Par une ordonnance du 30 avril 2019, la présidente de la 9ème chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté son recours contre la décision initiale. Par une ordonnance du 11 juillet 2019, le président de la 7ème chambre de la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel de M. A... contre cette ordonnance. Par une décision du 29 décembre 2020, le Conseil d'Etat a annulé l'ordonnance du président de la 7ème chambre de la cour administrative d'appel de Marseille contre laquelle M. A... s'était pourvu en cassation. Par un arrêt du 1er octobre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat après cassation, a enjoint à la ministre des armées de faire établir un rapport circonstancié sur la maladie déclarée par M. A... et de l'inscrire sur le registre des constatations de son unité d'affectation, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Le 5 novembre 2021, M. A... a demandé à la cour administrative de Marseille l'exécution de cet arrêt. Le 11 février 2022, cette cour a communiqué à M. A... les observations du ministre des armées selon lesquelles le rapport circonstancié sur la maladie de M. A... a été établi et inscrit au registre des constatations du BMPM. Le 25 février 2022, M. A... a demandé à la cour qu'il soit enjoint au ministre des armées d'établir à nouveau le rapport dès lors que l'un de ses signataires y avait porté une mention manuscrite indiquant que l'imputabilité au service restait à démontrer. Par une lettre du 3 juillet 2023, la présidente de la cour administrative d'appel de Marseille a informé M. A... que l'arrêt du 1er octobre 2021 n'appelait pas d'autres mesures d'exécution dès lors que le rapport circonstancié avait bien été établi, que la mention critiquée n'impliquait pas qu'il soit enjoint au ministre de rédiger un nouveau rapport et que le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille avait reconnu l'imputabilité au service de sa pathologie.

5. S'il résulte de l'instruction que M. A... n'a obtenu du ministre des armées l'entière exécution de l'arrêt du 1er octobre 2021 de la cour administrative d'appel de Marseille que le 11 février 2022, date à laquelle il a reçu communication du rapport circonstancié, le caractère excessif de la durée d'une procédure juridictionnelle n'ouvre droit à la réparation que des préjudices qui résultent du mauvais fonctionnement du service public de la justice, et non de ceux qui trouvent leur origine directe dans le comportement de l'administration dans l'exécution de la décision juridictionnelle. Contrairement à ce que soutient M. A..., l'arrêt du 1er octobre 2021 n'impliquait plus de mesures d'exécution à la suite de la communication, le 11 février 2022, du rapport circonstancié inscrit au registre du BMPM. En outre, le délai de communication de ce rapport n'est pas imputable à la cour administrative d'appel de Marseille. Il n'y a donc lieu, pour statuer sur sa requête, que d'examiner la durée totale de la procédure préalable obligatoire devant la commission de recours des militaires et de la procédure juridictionnelle. A cet égard, il résulte de l'instruction que la durée totale de la procédure depuis la saisine de la commission de recours des militaires est de quatre ans et deux mois. En outre, la durée de la procédure devant le tribunal administratif de Marseille est d'un an et trois mois et celle de la procédure devant la cour administrative d'appel de Marseille statuant sur renvoi du Conseil d'Etat est de près de neuf mois. Aucune de ces durées ne présente de caractère excessif. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement aurait été méconnu.

S'agissant des procédures relatives à la contestation de la décision de réforme et de radiation des contrôles et des conditions de placement en congé de longue durée pour maladie :

6. Il résulte de l'instruction que M. A... a saisi la commission des recours des militaires le 20 septembre 2017 d'un recours tendant à l'annulation de la décision le plaçant en congé de longue durée pour maladie à demi-solde non imputable au service pour une sixième période de six mois non renouvelable, puis, le 17 août 2018, d'un recours tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 juin 2018 prononçant sa radiation des contrôles pour réforme définitive. Par un jugement du 25 mai 2021, le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, annulé les décisions de la commission des recours des militaires rejetant les recours de M. A... et, d'autre part, enjoint à l'Etat de reconnaître la pathologie de M. A... imputable au service, de le placer en congé de longue durée pour maladie à pleine solde du 13 juillet 2017 au 12 janvier 2018 et, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, de réexaminer les droits de M. A... au bénéfice d'un congé de longue durée pour maladie. M. A... a relevé appel de ce jugement le 22 juillet 2021 devant la cour administrative d'appel de Marseille, tout en demandant au tribunal administratif de Marseille d'assurer l'exécution de son jugement en prononçant une astreinte à l'encontre de l'Etat. Par un arrêt du 21 avril 2023, la cour a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A... dès lors que postérieurement à l'introduction de la requête d'appel, le ministre des armées a assuré l'exécution du jugement du tribunal administratif de Marseille du 25 mai 2021 en réintégrant M. A... dans la marine nationale par une décision du 13 juillet 2022 et en le plaçant en congé de longue durée pour maladie pour une affection présumée imputable au service, par une décision du 25 octobre 2022.

7. Il résulte de l'instruction que les procédures devant la commission des recours des militaires ont duré respectivement onze et sept mois. Les procédures devant le tribunal administratif de Marseille et la cour administrative d'appel de Marseille ont duré respectivement deux ans et deux mois et un an et neuf mois. Aucune de ces durées n'est excessive, et la durée globale de la procédure, à compter de la première saisine de la commission des recours des militaires, de cinq ans et sept mois, ne présente pas non plus de caractère excessif. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement aurait été méconnu. Il n'est pas davantage fondé, en tout état de cause, à soutenir que le délai d'exécution du jugement du tribunal administratif de Marseille, lequel est imputable à l'administration, résulterait d'une faute lourde du tribunal administratif dans l'exercice de la fonction juridictionnelle, et à demander réparation du préjudice qu'il invoque à ce titre.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. A... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 décembre 2023 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; M. Alban de Nervaux, conseiller d'Etat et Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 1er mars 2024.

La présidente :

Signé : Mme Maud Vialettes

La rapporteure :

Signé : Mme Catherine Fischer-Hirtz

Le secrétaire :

Signé : M. Jean-Marie Baune


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 474337
Date de la décision : 01/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 01 mar. 2024, n° 474337
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Cabrera
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL

Origine de la décision
Date de l'import : 07/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:474337.20240301
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