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29/03/2024 | FRANCE | N°460096

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 29 mars 2024, 460096


Vu les procédures suivantes :



I.- Sous le numéro 460098, par une requête sommaire, un mémoire ampliatif et deux mémoires en réplique, enregistrés les 3 janvier, 4 avril et 16 décembre 2022 et le 28 juillet 2023 au secrétariat du Conseil d'Etat, le syndicat national des fabricants du sucre demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1426 du 29 octobre 2021 fixant la liste des produits alimentaires, catégories de produits alimentaires ou produits destinés à l'alimentation des animaux d

e compagnie exclus du champ d'application de l'article L. 441-1-1 du code de commerce, ...

Vu les procédures suivantes :

I.- Sous le numéro 460098, par une requête sommaire, un mémoire ampliatif et deux mémoires en réplique, enregistrés les 3 janvier, 4 avril et 16 décembre 2022 et le 28 juillet 2023 au secrétariat du Conseil d'Etat, le syndicat national des fabricants du sucre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1426 du 29 octobre 2021 fixant la liste des produits alimentaires, catégories de produits alimentaires ou produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie exclus du champ d'application de l'article L. 441-1-1 du code de commerce, en tant qu'à son annexe ne sont pas inscrits les sucres et sucreries (NC 17) à l'exception des sucreries sans cacao (NC 1704) ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre un nouveau décret d'exclusion mentionnant, en son annexe, les sucres et sucreries (NC 17) ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II.- Sous le numéro 460096, par une requête sommaire, un mémoire ampliatif et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 janvier, 4 avril et 16 décembre 2022 au secrétariat du Conseil d'Etat, l'Union de sociétés coopératives agricoles Tereos France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1426 du

29 octobre 2021 fixant la liste des produits alimentaires, catégories de produits alimentaires ou produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie exclus du champ d'application de l'article L. 441-1-1 du code de commerce en tant qu'à son annexe ne sont pas inscrits les sucres et sucreries (NC 17) à l'exception des sucreries sans cacao (NC 1704) ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre un nouveau décret mentionnant l'exclusion, en son annexe, des sucres et sucreries ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

III.- Sous le numéro 469650, par une requête, enregistrée le 13 décembre 2022 au secrétariat du Conseil d'Etat, le syndicat national des fabricants du sucre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-1325 du 13 octobre 2022 en tant qu'il n'a pas inscrit les sucres et sucreries (NC 17) à l'annexe du décret n° 2021-1426 du 29 octobre 2021 modifié ;

2°) d'enjoindre à la Première ministre de prendre un nouveau décret modifiant cette annexe pour exclure les sucres et sucreries (NC 17) ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le règlement UE n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 ;

- le code de commerce ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'Union de sociétés coopératives agricoles Tereos France et du syndicat national des fabricants du sucre ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 7 mars 2024, présentées par les requérants dans chacune des instances.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Le décret contesté du 29 octobre 2021 fixe, dans son annexe, la liste des produits alimentaires, catégories de produits alimentaires ou produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie exclus du champ d'application de l'article L. 441-1-1 du code du commerce. L'Union de sociétés coopératives agricoles Tereos France et le syndicat national des fabricants du sucre en demandent l'annulation pour excès de pouvoir, en tant que ne sont pas inscrits à cette annexe les sucres et sucreries (NC 17) à l'exception des sucreries sans cacao (NC 1704). Le syndicat national des fabricants du sucre demande en outre l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 13 octobre 2022, qui procède au remplacement de l'annexe au décret du

29 octobre 2021, en tant qu'il n'y a pas ajouté ces produits.

Sur le cadre juridique applicable :

3. Aux termes de l'article L. 441-1-1 du code de commerce, issu de la loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dans sa rédaction applicable au litige : " I.- Pour les produits alimentaires et les produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie, les conditions générales de vente, sur décision du fournisseur et sans que l'acheteur ne puisse interférer dans ce choix : / 1° Soit présentent, pour chacune des matières premières agricoles et pour chacun des produits transformés composés de plus de 50 % de matières premières agricoles qui entrent dans la composition du produit mentionné au premier alinéa du présent I, leur part dans la composition dudit produit, sous la forme d'un pourcentage en volume et d'un pourcentage du tarif du fournisseur ; / 2° Soit présentent la part agrégée des matières premières agricoles et des produits transformés composés de plus de 50 % de matière première agricole qui entrent dans la composition du produit mentionné au même premier alinéa, sous la forme d'un pourcentage en volume et d'un pourcentage du tarif du fournisseur ; / 3° Soit prévoient, sous réserve qu'elles fassent état d'une évolution du tarif du fournisseur du produit mentionné audit premier alinéa par rapport à l'année précédente, l'intervention d'un tiers indépendant, aux frais du fournisseur, chargé de certifier au terme de la négociation que, conformément au II de l'article L. 443-8, celle-ci n'a pas porté sur la part de cette évolution qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles ou des produits transformés mentionnés au premier alinéa du présent I. (...) / (...) Tout manquement au présent I est passible d'une amende administrative dans les conditions prévues au VI de l'article L. 443-8. / Un décret peut prévoir que l'obligation prévue au présent I ne s'applique pas aux produits alimentaires ou produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie dont la part agrégée des matières premières agricoles et des produits transformés composés de plus de 50 % de matières premières agricoles, composant ces produits, est inférieure ou égale à un seuil qui ne peut excéder 25 %. / (...) III.- Le prix de la matière première agricole est celui payé pour la livraison de produits agricoles, au sens des articles 148 et 168 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil, par un premier acheteur, par une organisation de producteurs avec transfert de propriété ou par une coopérative agricole. / IV.- Les conditions générales de vente indiquent si un contrat de vente, conclu en application de l'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, portant sur les matières premières agricoles entrant dans la composition du produit alimentaire ou du produit destiné à l'alimentation des animaux de compagnie est déjà conclu. / (...) ". Selon l'article L. 443-8 du code de commerce, la négociation commerciale entre le fournisseur et son acheteur ne porte pas sur la part, dans le tarif du fournisseur, du prix des matières premières agricoles et des produits transformés mentionnés au I de l'article L. 441-1-1 du même code.

4. Le V de ce même article L.441-1-1 du code de commerce, sur le fondement duquel a été pris le décret attaqué, prévoit que cet article n'est pas applicable " à certains produits alimentaires, catégories de produits alimentaires ou produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie, dont la liste est définie par un décret pris après concertation avec les organisations interprofessionnelles concernées, en raison des spécificités de leur filière de production ".

Sur la légalité du décret du 29 octobre 2021 :

En ce qui concerne la légalité externe :

5. L'Union de sociétés coopératives agricoles Tereos France soutient que le décret du 29 octobre 2021 a été adopté en méconnaissance des dispositions précitées du V de l'article L. 411-1-1 du code de commerce faute qu'aient été préalablement consultés, au titre des organisations interprofessionnelles concernées, ni l'Interprofession guadeloupéenne pour la canne à sucre (IGUACANNE), ni le Comité paritaire interprofessionnel de la canne à sucre (CPCS) de La Réunion, ni le Centre technique de la canne à sucre (CTCS) de la Martinique. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que l'administration en charge de l'élaboration du projet de décret a sollicité les deux premières de ces organisations interprofessionnelles par des courriels adressés à leur président, respectivement, les 12 et

11 octobre 2021. Il n'est pas allégué que ces organisations n'auraient pas reçu ces demandes d'avis. D'autre part, la requérante ne conteste pas que, comme le soutient en défense le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, le comité technique de la canne à sucre n'a pas été reconnu comme organisation interprofessionnelle en application des dispositions de l'article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime et, par suite, ne revêt pas cette qualité au sens de l'article L. 441-1-1 du code de commerce. Le moyen n'est donc, en tout état de cause, pas fondé.

En ce qui concerne la légalité interne :

6. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne résulte ni des termes du III de l'article L. 441-1-1 du code de commerce, ni de ceux de son IV que le secteur du sucre serait exclu du champ d'application de cet article, défini à son I, lequel n'exclut aucun produit alimentaire, sous réserve de son dernier alinéa et des dispositions du V, mentionnées au point 4.

7. En deuxième lieu, les dispositions de l'article L. 441-1-1 du code de commerce et du décret attaqué ont pour objet d'encadrer les conditions générales de vente entre les fournisseurs et les acheteurs de produits alimentaires, tels le sucre de betterave et le sucre de canne. Au regard de leur champ d'application distinct, elles ne sauraient être incompatibles avec celles du règlement UE n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant notamment organisation commune des marchés des produits agricoles, dont les articles 125 et 126 et l'annexe X, invoqués par les requérants, régissent les seules relations entre les producteurs de betterave et de canne à sucre et les entreprises sucrières de l'Union européenne.

8. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la filière du sucre de betterave ou de canne présenterait des caractéristiques propres telles que le pouvoir réglementaire, qui n'était en outre pas lié par le résultat de la concertation préalable avec les organisations interprofessionnelles concernées, aurait commis une erreur de droit ou une erreur manifeste d'appréciation en n'excluant pas ses produits du dispositif prévu par l'article L. 441-1-1 du code du commerce.

9. En dernier lieu, si le pouvoir réglementaire pouvait, dans les limites de l'habilitation donnée par le législateur et sous réserve du respect des principes à valeur constitutionnelle ainsi que des engagements internationaux de la France, exclure certains produits du dispositif prévu par l'article L. 441-1-1 du code du commerce, il ne pouvait légalement le faire que pour autant que les caractéristiques des filières de production de ces produits en placent les fournisseurs et les acheteurs dans une situation différente au regard du critère de spécificité de ces filières posé par le V de cet article, ou pour des motifs d'intérêt général en rapport avec ce même critère, et sous réserve que la différence de traitement qui en résulte ne soit pas manifestement disproportionnée. Or, et alors même que ces produits seraient substituables, il ne ressort pas des pièces du dossier que les mécanismes de formation des prix, d'une part, des sucres de betterave et de canne, d'autre part, des autres sucres (NC 1702), figurant à l'annexe du décret attaqué et par suite exclus du champ de l'article L. 441-1-1 du code de commerce, présenteraient des similitudes telles que la différence de traitement résultant du décret attaqué serait manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, le décret du 29 octobre 2021 ne méconnait pas le principe d'égalité ni ne porte de ce fait une atteinte illégale au libre jeu de la concurrence en n'excluant pas le sucre de betterave et le sucre de canne du champ de cet article.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret du 29 octobre 2021.

Sur la légalité du décret du 13 octobre 2022 :

11. D'une part, la circonstance que le décret attaqué ne mentionne pas, dans ses visas, la loi du 18 octobre 2021 dont sont issues les dispositions de l'article L. 441-1-1 du code de commerce pour l'application desquelles il a été pris, lequel est au demeurant visé, est sans incidence sur sa légalité.

12. D'autre part, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité du décret du 13 octobre 2022 par voie de conséquence de celle du décret du 29 octobre 2021 ne peut qu'être écarté.

13. Il résulte de ce qui précède que le syndicat national des fabricants du sucre n'est pas fondé à demander l'annulation du décret du 13 octobre 2022.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes du syndicat national des fabricants du sucre et de l'Union de sociétés coopératives agricoles Tereos France sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat national des fabricants du sucre, à l'Union de sociétés coopératives agricoles Tereos France et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 4 mars 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 29 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Saby

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 460096
Date de la décision : 29/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 mar. 2024, n° 460096
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Saby
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:460096.20240329
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