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03/04/2024 | FRANCE | N°476231

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 03 avril 2024, 476231


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 24 juillet 2023 et le 31 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale des magistrats administratifs (USMA) demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les articles 8, 9, 14, 18 et 19 du décret n° 2023-486 du 21 juin 2023 modifiant le statut des magistrats administratifs.



Vu les autres pièces du dossier ;



Vu :



- la Constitution, notammen

t son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des li...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 24 juillet 2023 et le 31 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale des magistrats administratifs (USMA) demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les articles 8, 9, 14, 18 et 19 du décret n° 2023-486 du 21 juin 2023 modifiant le statut des magistrats administratifs.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code général de la fonction publique ;

- l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 ;

- le décret n° 2022-1452 du 23 novembre 2022;

-le décret n° 2023-1338 du 28 décembre 2023 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Anne Lévêque, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. L'Union syndicale des magistrats administratifs (USMA) demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les articles 8, 9, 14, 18 et 19 du décret du 21 juin 2023 modifiant le statut des magistrats administratifs.

Sur l'article 8 du décret attaqué :

2. D'une part, dans le cas où un acte réglementaire fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir en tant qu'il ne comporte pas une disposition particulière et que, avant que le juge ait statué, l'administration modifie l'acte en cause en ajoutant la disposition demandée, la requête ainsi dirigée contre cet acte perd son objet, alors même que l'acte aurait reçu exécution pendant la période où il était en vigueur dans sa rédaction initiale et sans qu'ait d'incidence la circonstance que l'acte qui le modifie fasse lui-même l'objet d'un recours en annulation.

3. Le II de l'article R. 233-14 du code de justice administrative dans sa version issue de l'article 8 du décret attaqué, aux termes duquel " Par dérogation aux dispositions du I, les militaires et les magistrats sont nommés et titularisés dans le grade de conseiller dans les conditions fixées à l'article R. 233-6 ", a été modifié par l'article 9 du décret du 28 décembre 2023 relatif au statut des magistrats administratifs pour insérer les mots " les fonctionnaires " après les mots : " par dérogation aux dispositions du I, ". Par suite, les conclusions de l'USMA tendant à l'annulation du II de l'article R. 233-14 en tant qu'il ne prévoit pas des modalités de reclassement des magistrats qui avaient antérieurement la qualité de fonctionnaire identiques à celles des magistrats et des militaires sont devenues sans objet.

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 233-2-1 du code de justice administrative : " Le concours externe est ouvert aux titulaires de l'un des diplômes exigés pour se présenter au concours externe d'entrée à l'Institut national du service public. / Le concours interne est ouvert aux fonctionnaires ainsi qu'aux magistrats de l'ordre judiciaire et autres agents publics civils ou militaires appartenant à un corps ou cadre d'emplois de la catégorie A ou assimilé et justifiant, au 31 décembre de l'année du concours, de quatre années de services publics effectifs ". Aux termes de l'article R. 233-14 du même code dans sa version issue de l'article 8 du décret attaqué, les magistrats administratifs issus du concours externe et du concours interne sont " I. (...) nommés et titularisés au 1er échelon du grade de conseiller. / Les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel qui justifient d'une ou de plusieurs activités professionnelles antérieures dans des fonctions normalement exercées à temps complet, en qualité de cadre au sens de la convention collective dont ils relevaient, d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, d'avocat, d'avoué, de notaire ou d'huissier de justice, sont classés au grade de conseiller à un échelon déterminé sur la base des durées fixées pour chaque avancement d'échelon à l'article R. 234-1, en prenant en compte, dans la limite de sept années, la moitié de la durée de cette ou ces activités professionnelles. / Les magistrats qui avaient, à la date de clôture des inscriptions aux concours, la qualité d'agent contractuel de droit public (...) sont classés à l'échelon du grade de conseiller doté de l'indice brut le plus proche de celui leur permettant d'obtenir un traitement indiciaire mensuel brut égal à 70 % de leur rémunération mensuelle brute antérieure, dans les conditions fixées au II de l'article R. 233-1. / Le magistrat dont la situation entre dans les prévisions des deux précédents alinéas est classé conformément aux dispositions de l'alinéa le plus favorable ".

5. Le principe d'égalité entre agents appartenant à un même corps ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

6. Les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel issus des concours prévus par l'article L. 233-2-1 du code de justice administrative se trouvent, du point de vue de l'entrée dans le corps, dans une situation différente selon qu'ils ont antérieurement exercé des fonctions en qualité de cadre du secteur privé, d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, d'avocat, d'avoué, de notaire ou d'huissier de justice ou en qualité d'agent contractuel de droit public. Ainsi les dispositions contestées de l'article R. 233-14 du code de justice administrative, dans leur version issue du décret attaqué, applicables seulement lors de l'entrée dans le corps et qui ont pour objet de tenir compte de manière spécifique de l'expérience acquise par les lauréats des concours ayant exercé certaines professions ou des fonctions de cadre du secteur privé, ne sont contraires ni au principe de l'égalité de traitement entre agents d'un même corps ni en tout état de cause aux stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui proscrit toute discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus par cette convention.

Sur l'article 9 du décret attaqué :

7. L'article R. 233-15 du code de justice administrative dans sa version issue de l'article 9 du décret attaqué prévoit que " Dans les douze mois suivant leur nomination dans le corps des magistrats administratifs, les premiers conseillers et les conseillers, quelle que soit leur voie de recrutement, bénéficient d'une ou plusieurs périodes de formation organisées par le Conseil d'État. " Ces dispositions n'ont, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, ni pour objet ni pour effet de déroger à celles de l'article L. 233-9 du code de justice administrative en vertu desquelles " Le Conseil d'État organise pour les conseillers et premiers conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, avant leur première entrée en fonctions, (...) une formation professionnelle dont les modalités sont adaptées aux besoins des juridictions et aux expériences professionnelles préalables des intéressés ".

Sur l'article 14 du décret attaqué :

8. Aux termes de l'article L. 234-2-1 du code de justice administrative dans sa rédaction issue du 23° de l'article 7 de l' ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'Etat : " Peuvent être promus au grade de premier conseiller, les conseillers ayant accompli une mobilité statutaire d'une durée d'au moins deux ans, qui justifient de trois années de services effectifs en qualité de magistrat des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et ont atteint un échelon de leur grade déterminé par décret en Conseil d'Etat. / Les conseillers qui justifient, avant leur nomination en cette qualité, d'une expérience professionnelle dans le secteur public ou le secteur privé d'une durée d'au moins quatre ans dans des fonctions d'un niveau équivalent à celles de la catégorie A, sont réputés avoir accompli la mobilité prévue à l'alinéa précédent. / Dans la limite de deux ans, les services rendus au titre de l'obligation de mobilité dans le grade de conseiller sont assimilés à des services effectifs dans les tribunaux administratifs et cours administratives d'appel. " Aux termes de l'article L. 234-2-2 du code de justice administrative dans sa rédaction issue du 24° de l'article 7 de la même ordonnance : " Peuvent être promus au grade de président les premiers conseillers justifiant de huit ans de services effectifs et ayant accompli une mobilité statutaire d'au moins deux ans. / Dans la limite de deux ans, les services rendus au titre de l'obligation de mobilité dans le grade de premier conseiller sont assimilés à des services effectifs dans les tribunaux administratifs et cours administratives d'appel. "

9. Le principe d'égalité de traitement, s'agissant de fonctionnaires, n'est en principe susceptible de s'appliquer qu'entre agents d'un même corps. Ainsi, le syndicat requérant ne peut utilement soutenir que ce principe aurait été méconnu par les dispositions du premier alinéa de l'article R. 235-1 dans leur version issue de l'article 14 du décret attaqué, qui prévoient que " Pour satisfaire à l'obligation de mobilité prévue aux articles L. 234-2-1 et L. 234-2-2, les magistrats exercent, pendant une durée de deux ans, des fonctions à l'extérieur d'un tribunal administratif ou d'une cour administrative d'appel pour lesquelles ils sont mis à disposition, détachés ou placés en disponibilité " alors que les administrateurs de l'Etat peuvent s'acquitter de leur obligation de mobilité en position d'activité dans leur corps. Il n'est pas davantage fondé à soutenir, en tout état de cause, que ces dispositions, faute de prendre en compte les différences de situation entre magistrats découlant de la situation familiale ou de lieu d'exercice de leurs fonctions, méconnaissent les principes de non-discrimination et d'égalité entre les hommes et les femmes garantis par le droit de l'Union européenne et notamment par les articles 21 et 23 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ces dispositions n'ont, par ailleurs, pas pour effet de porter atteinte à la protection de l'indépendance des magistrats administratifs et ne sont pas de nature, par elles-mêmes, à susciter des doutes légitimes dans l'esprit des justiciables quant à l'indépendance et à l'impartialité de ces magistrats. Elles n'ont, enfin, ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que ceux-ci puissent consacrer leur vie professionnelle à l'exercice de fonctions juridictionnelles.

Sur les articles 18 et 19 du décret attaqué :

10. Aux termes de l'article 18 du décret attaqué : " Il est créé, pour les besoins du reclassement des conseillers, un échelon provisoire d'une durée d'un an dans lequel sont reclassés les conseillers occupant le premier échelon de ce grade. / (...) / Il est créé, pour les besoins du reclassement des présidents, un échelon provisoire d'une durée de dix-huit mois dans lesquels sont reclassés les présidents occupant le premier échelon du grade. / Il est créé, pour les besoins du reclassement des présidents occupant les emplois accessibles par la liste d'aptitude mentionnée à l'article L. 234-5 du code de justice administrative deux échelons provisoires d'une durée de dix-huit mois chacun dans lesquels sont reclassés les présidents occupant les échelons suivants : /1° Sixième échelon, premier chevron, reclassé dans le premier échelon provisoire ; / 2° Sixième échelon, deuxième chevron, reclassé dans le second échelon provisoire ". L'article 19 du même décret établit, pour les besoins du reclassement, un tableau de correspondance entre les échelons d'origine des magistrats administratifs et les échelons de reclassement.

11. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit, le principe d'égalité de traitement, s'agissant de fonctionnaires, n'est en principe susceptible de s'appliquer qu'entre agents d'un même corps. Par suite, l'USMA ne peut utilement soutenir qu'en instituant, d'une part, des échelons de reclassement provisoires, alors que de tels échelons n'ont pas été créés pour les besoins du reclassement des administrateurs de l'Etat en application de l'article 19 du décret du 23 novembre 2022 modifiant le statut particulier des administrateurs de l'Etat, et en prévoyant, d'autre part, des règles de reclassement dans le nouvel échelonnement du corps différentes de celles retenues pour le reclassement dans le corps des administrateurs de l'Etat, les dispositions des articles 18 et 19 méconnaissent le principe d'égalité.

12. En second lieu, le droit, pour le Gouvernement, de modifier le statut d'un corps de fonctionnaires implique que les agents qui ont été recrutés dans ce corps avant la date à laquelle intervient la modification statutaire ne se trouvent pas dans la même situation que ceux qui y sont recrutés après cette date. Par suite, l'USMA n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de l'article 19 du décret attaqué, en ce qu'elles aboutissent à ce qu'un magistrat administratif du grade de conseiller nommé le 1er janvier 2023 dans le premier échelon de ce grade et reclassé, le 1er juillet 2023, dans l'échelon provisoire accède au premier échelon du nouveau grade le 1er janvier 2024 alors que les conseillers recrutés à compter du 1er janvier 2024 accèdent directement à ce premier échelon, méconnaissent le principe d'égalité de traitement entre membres d'un même corps.

13. Il résulte de tout ce qui précède d'une part, que les conclusions dirigées contre le II de l'article 8 du décret attaqué sont devenues sans objet et, d'autre part, que l'Union syndicale des magistrats administratifs n'est pas fondée à demander l'annulation des autres dispositions du décret du 21 juin 2023 qu'elle conteste.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de l'USMA dirigées contre le II de l'article 8 du décret du 21 juin 2023.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de l'Union syndicale des magistrats administratifs est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Union syndicale des magistrats administratifs, au garde des sceaux, ministre de la justice et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 février 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, Mme Célia Verot, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat, Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Marie Anne Lévêque, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 3 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

La rapporteure :

Signé : Mme Marie-Anne Lévêque

Le secrétaire :

Signé : M. Christophe Bouba


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 476231
Date de la décision : 03/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 03 avr. 2024, n° 476231
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie-Anne Lévêque
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:476231.20240403
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