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12/04/2024 | FRANCE | N°468571

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 12 avril 2024, 468571


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 30 octobre 2022, 30 janvier 2023 et 13 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Comité de défense des derniers et dernières élèves de l'Ecole nationale d'administration (CODDEENA) et M. A... B... demandent au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 août 2022 par laquelle la directrice de l'Institut national du service public (INSP) a arrêté le classeme

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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 30 octobre 2022, 30 janvier 2023 et 13 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Comité de défense des derniers et dernières élèves de l'Ecole nationale d'administration (CODDEENA) et M. A... B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 août 2022 par laquelle la directrice de l'Institut national du service public (INSP) a arrêté le classement de la promotion 2021-2022 " Germaine Tillion " de cet Institut ;

2°) de mettre à la charge de l'INSP la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 ;

- le décret n° 2015-1449 du 9 novembre 2015 ;

- l'arrêté du 4 décembre 2015 portant approbation du règlement intérieur de l'Ecole nationale d'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Institut national du service public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 37 du décret du 9 novembre 2015 relatif aux conditions d'accès et aux formations à l'Ecole nationale d'administration, devenue l'Institut national du service public par l'effet de l'ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable au litige : " La durée de la scolarité est comprise entre vingt et vingt-quatre mois. / La scolarité constitue une formation alternée entre études et stages. (...) / A l'issue de la scolarité, les élèves sont classés en fonction des notes d'évaluation de leurs stages et études ". Aux termes de l'article 40 du même décret : " Un classement général des élèves est établi d'après le total des points obtenus par chacun d'eux. Ce total est calculé à partir des notes de stages, des notes de contrôle continu et des notes des épreuves, selon les coefficients fixés par le règlement intérieur. La somme des coefficients affectés aux notes de stages ne peut être inférieure à 30 % de l'ensemble (...) ". En vertu de l'article 46 du même décret, dans sa rédaction applicable au litige, les élèves sont affectés à l'issue de la scolarité, par arrêté du ministre chargé de la fonction publique, dans l'un des corps recrutant par la voie de l'Institut au terme de la procédure d'affectation définie par les articles 47 à 50 du décret. Aux termes de cet article 50 : " les élèves exercent leur choix entre les postes offerts selon l'ordre de leur classement ".

2. Le classement dit " de sortie " des élèves de l'Institut national du service public (INSP), arrêté en application de ces dispositions, applicables aux élèves de la promotion 2021-2022 " Germaine Tillion " de l'Institut, et établi en fonction des notes d'évaluation des stages et études attribuées à ces élèves, détermine l'ordre selon lequel ces derniers exercent leur choix entre les postes offerts à l'issue de leur scolarité. Il est assimilable à un concours et doit en conséquence, sauf à méconnaître le principe d'égalité de traitement des candidats à un concours et, de façon plus générale, dès lors qu'il est institué pour régir l'affectation des élèves dans des corps de fonctionnaires, le principe d'égal accès aux emplois publics découlant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, être fondé sur l'appréciation comparée des mérites propres de chaque candidat.

3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, conformément aux dispositions de l'article 15 du règlement intérieur de l'INSP, dans sa rédaction applicable au litige, résultant de l'arrêté de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique du 4 décembre 2015 tel que modifié par l'arrêté du 22 décembre 2020, les élèves de la promotion 2021-2022 " Germaine Tillion " ont été soumis à trois épreuves de mise en situation individuelles et collectives, intitulées " conception, mise en œuvre et évaluation des politiques publiques ", " pilotage des transformations de l'action publique " et " exercice des missions essentielles de l'Etat ", organisées en répartissant les élèves entre différents groupes. Il ressort d'une note adressée par la direction de l'INSP aux élèves de la promotion que chaque épreuve comportait un ou des temps individuels, sous la forme d'un écrit, et un ou des temps collectifs donnant lieu à l'attribution d'une note collective à chaque groupe. Il ressort également de cette note de la direction, ainsi que des différentes notes et consignes du jury, communiquées aux élèves, que ces épreuves se déroulaient sur une demi-journée ou une journée, au cours desquelles les 83 élèves étaient répartis en 9 groupes de 9 ou 10, composant simultanément sur les mêmes sujets. Au cours de la partie collective des mises en situation, chaque élève se voyait attribuer de manière aléatoire un rôle professionnel à jouer lors d'une réunion regroupant les membres du groupe, cette mise en situation orale étant suivie dans un second temps, sauf pour l'une des deux mises en situation de la première épreuve, par la production par le groupe d'un document écrit, appelé " livrable " collectif. Ainsi qu'il ressort du rapport du jury de ces épreuves, l'évaluation de ces temps collectifs a porté sur la qualité du document écrit final mais aussi sur le déroulé de la phase orale, sur la base de critères tels que " la capacité à intégrer les contraintes des différentes parties prenantes à la réunion ", " l'organisation du temps de travail collectif ", " la dynamique de la réunion " par rapport aux objectifs à atteindre en l'espèce, " la capacité à discerner les différents positionnements dans un écosystème complexe et à les prendre en compte dans la décision partagée " ainsi que " la capacité à veiller aux conditions nécessaires pour une mise en œuvre effective des mesures relatives à une politique publique ".

4. Il résulte de l'article 15 du règlement intérieur de l'INSP, dans sa rédaction applicable au litige, que chacune des épreuves de mise en situation était affectée d'un coefficient global représentant 11 % de l'ensemble des notes. Il ressort de la note adressée par la direction de l'INSP aux élèves de la promotion que le temps individuel, prenant la forme de la rédaction d'un document écrit par chaque élève, comptait pour la moitié de la note de chacune des épreuves de mise en situation, et que le ou les temps collectifs donnaient lieu à l'attribution d'une note commune au groupe, se traduisant par la même note attribuée à tous les membres du groupe, comptant elle-aussi pour la moitié de la note de l'épreuve. Ainsi, les notes collectives attribuées dans le cadre de ces trois épreuves, affectées chacune d'une pondération de 5,5 %, représentaient un total de coefficients de 16,5 %.

5. D'autre part, la division d'un jury de concours en groupes d'examinateurs n'est légalement possible que si elle est nécessaire à l'organisation du concours, compte tenu notamment du nombre des candidats et des caractères de l'épreuve en cause, et si, eu égard aux modalités retenues, elle ne compromet pas l'égalité entre les candidats. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier qu'à l'occasion des trois épreuves de mise en situation, qui se déroulaient simultanément pour tous les groupes d'élèves, chacun des 9 groupes a été évalué par un binôme d'examinateurs différent constitué au sein du jury, de sorte qu'à l'exception du président du jury, qui n'est au demeurant passé que très brièvement assister aux travaux de chaque groupe, les membres du jury, qui n'ont chacun assisté à la prestation que d'un seul groupe, n'étaient pas en mesure, durant ces épreuves, de comparer entre elles les prestations orales des différents groupes, qui n'ont pas été enregistrées.

6. Eu égard, d'une part, aux caractéristiques de la part collective de ces trois épreuves de mises en situation et à leur pondération et, d'autre part, aux conditions dans lesquelles ces parts collectives ont été évaluées par un jury divisé en autant de groupes d'examinateurs qu'il y avait de groupes de candidats, les requérants sont fondés à soutenir que le principe d'égalité de traitement des candidats à un concours et, partant, le principe d'égal accès aux emplois publics ont, en l'espèce, été méconnus, de sorte que la décision du 30 août 2022 de la directrice de l'INSP arrêtant le classement de sortie de la promotion 2021-2022 " Germaine Tillion " est entachée d'illégalité. Par suite, les requérants sont fondés à en demander, pour ce motif, l'annulation pour excès de pouvoir, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur requête.

7. L'arrêté du 14 octobre 2022 par lequel le ministre de la transformation et de la fonction publiques a, compte tenu du classement de sortie, affecté les élèves de la promotion 2021-2022 " Germaine Tillion " de l'Institut national du service public ayant terminé leur scolarité au 14 octobre 2022 n'a pas fait l'objet de recours contentieux. Ces nominations, qui étaient créatrices de droits pour leurs bénéficiaires, étant devenues définitives, l'annulation prononcée par la présente décision est sans influence sur la situation individuelle des agents issus de la promotion " Germaine Tillion ".

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du CODDEENA et de M. B... qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'INSP la somme globale de 3 000 euros à verser au CODDEENA et à M. B..., au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision de la directrice de l'Institut national du service public en date du 30 août 2022 arrêtant le classement de la promotion 2021-2022 " Germaine Tillion " est annulée.

Article 2 : L'Institut national du service public versera au CODDEENA et à M. B... une somme globale de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'INSP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au Comité de défense des derniers et dernières élèves de l'Ecole nationale d'administration, à M. A... B... et à l'Institut national du service public.

Copie en sera adressée au ministre de la transformation et de la fonction publiques.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 mars 2024 où siégeaient : M. Jacques Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, Mme Célia Verot, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 12 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Laurent Cabrera

Le secrétaire :

Signé : M. Christophe Bouba


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 468571
Date de la décision : 12/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 12 avr. 2024, n° 468571
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Cabrera
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:468571.20240412
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