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26/04/2024 | FRANCE | N°468920

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 26 avril 2024, 468920


Vu la procédure suivante :



La société Madag a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Autorité des marchés financiers à lui verser une somme de 20 000 000 euros, sauf à parfaire en fonction des sommes au versement desquelles l'Autorité des marchés financiers aurait déjà été condamnée par la cour administrative d'appel de Paris dans le cadre du recours n° 21PA03280, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'Autorité des marchés financiers.



Par une ordonnance n° 2115070 du

5 octobre 2021, la présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté...

Vu la procédure suivante :

La société Madag a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Autorité des marchés financiers à lui verser une somme de 20 000 000 euros, sauf à parfaire en fonction des sommes au versement desquelles l'Autorité des marchés financiers aurait déjà été condamnée par la cour administrative d'appel de Paris dans le cadre du recours n° 21PA03280, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'Autorité des marchés financiers.

Par une ordonnance n° 2115070 du 5 octobre 2021, la présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté la requête comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Par un arrêt n° 21PA06139 du 18 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Madag contre cette ordonnance.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 novembre 2022, 13 février et 22 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Madag demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société Madag et à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Madag a, par un courrier du 20 avril 2021, formé auprès du président de l'Autorité des marchés financiers une demande indemnitaire préalable tendant au versement d'une somme de 20 millions d'euros en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de dysfonctionnements allégués des services de cette autorité, et notamment du refus opposé par le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers d'ouvrir une enquête sur les agissements de la société Acadomia à la suite de la plainte qu'elle avait formée, le 12 septembre 2008, relative à l'information financière diffusée par la société Acadomia, dont les actions avaient été inscrites sur le marché libre entre 2000 et 2014, alors qu'elle avait formé en parallèle en 2010 une action en responsabilité devant les juridictions judiciaires contre le dirigeant d'Acadomia. Par une décision du 12 mai 2021, le président de l'Autorité des marchés financiers a rejeté cette demande indemnitaire de la société Madag. A la suite de cette décision, la société Madag a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Autorité des marchés financiers à lui verser la somme de 20 millions d'euros. Par une ordonnance du 5 octobre 2021, la présidente de la deuxième section de ce tribunal a, sur le fondement du 2° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté cette requête comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. La société requérante se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre cette ordonnance.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 621-30 du code monétaire et financier : " L'examen des recours formés contre les décisions individuelles de l'Autorité des marchés financiers autres que celles, y compris les sanctions prononcées à leur encontre, relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l'article L. 621-9 est de la compétence du juge judiciaire. (...) ".

3. D'autre part, aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 621-9 de ce code : " Afin d'assurer l'exécution de sa mission, l'Autorité des marchés financiers réalise des contrôles et des enquêtes ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 621-9-1 du même code : " Lorsque le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers, ou le secrétaire général adjoint spécialement délégué à cet effet, décide de procéder à des enquêtes, il habilite les enquêteurs selon des modalités fixées par le règlement général ". Il résulte des dispositions qui précèdent que si les actions mettant en cause le fonctionnement défectueux des services de l'Autorité des marchés financiers, autorité publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative, l'autorité judiciaire est toutefois compétente pour connaître des recours formés contre ses décisions individuelles autres que celles relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l'article L. 621-9 du même code, et, par suite, pour connaître des actions tendant à la réparation des conséquences dommageables nées de telles décisions. En conséquence, l'autorité judiciaire est compétente pour connaître de la décision par laquelle le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers refuse, implicitement ou explicitement, de faire droit à une demande tendant à ce qu'il ouvre, au nom de cette autorité, une enquête, au titre des pouvoirs que lui confèrent les dispositions précitées de l'article L. 621-9-1 du code monétaire et financier, sur une personne ou entité autre que celles mentionnées au II de l'article L. 621-9, ainsi que pour connaître de l'action tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un tel refus.

4. En premier lieu, si la société requérante soutient qu'elle avait fait valoir devant la cour, en vue d'établir un fonctionnement défectueux des services de l'Autorité des marchés financiers dans le traitement de sa plainte, une série de manquements qui ne se limitaient pas à la seule absence d'ouverture d'enquête, il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment de la demande indemnitaire adressée le 20 avril 2021 au président de l'Autorité des marchés financiers, que le refus implicite de cette autorité de faire droit à la demande de la société Madag tendant à l'ouverture d'une enquête constituait le fondement de sa demande de réparation, les autres manquements invoqués n'étant qu'accessoires. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait, à cet égard, méconnu la portée des écritures de la société requérante doit être écarté.

5. En second lieu, il est constant que la société Acadomia, à l'encontre de laquelle la société requérante souhaitait qu'une enquête soit ouverte par le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers, ne relève pas des catégories de personnes et entités mentionnées au II de l'article L. 621-9 du code monétaire et financier. Par suite, la demande tendant à la réparation du refus du secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers d'ouvrir une enquête portant sur ses agissements relevait de la compétence du juge judiciaire. En conséquence, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en rejetant la requête de la société requérante au motif qu'elle ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Madag n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Ses conclusions doivent, par suite, être rejetées, y compris, par voie de conséquence, celles qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge le versement à l'Autorité des marchés financiers d'une somme de 3 500 euros au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société Madag est rejeté.

Article 2 : La société Madag versera à l'Autorité des marchés financiers une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Madag et à l'Autorité des marchés financiers.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 mars 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 26 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. David Gaudillère

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 468920
Date de la décision : 26/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CAPITAUX - MONNAIE - BANQUES - CAPITAUX - OPÉRATIONS DE BOURSE - AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS - CONTESTATION DU REFUS D’OUVRIR UNE ENQUÊTE CONTRE UNE PERSONNE QUI N’EST PAS UN PROFESSIONNEL SOUMIS AU CONTRÔLE DE L’AMF - ET DEMANDE DE RÉPARATION DU PRÉJUDICE QUI EN DÉCOULERAIT – COMPÉTENCE JURIDICTIONNELLE – JUGE JUDICIAIRE [RJ1].

13-01-02-01 Il résulte des articles L. 621-9, L. 621-9-1 et L. 621-30 du code monétaire et financier (CMF) que si les actions mettant en cause le fonctionnement défectueux des services de l’Autorité des marchés financiers (AMF), autorité publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative, l’autorité judiciaire est toutefois compétente pour connaître des recours formés contre ses décisions individuelles autres que celles relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l’article L. 621-9 du même code, et, par suite, pour connaître des actions tendant à la réparation des conséquences dommageables nées de telles décisions....En conséquence, l’autorité judiciaire est compétente pour connaître de la décision par laquelle le secrétaire général de l’AMF refuse, implicitement ou explicitement, de faire droit à une demande tendant à ce qu’il ouvre, au nom de cette autorité, une enquête, au titre des pouvoirs que lui confère l’article L. 621-9-1 du CMF, sur une personne ou entité autre que celles mentionnées au II de l’article L. 621-9, ainsi que pour connaître de l’action tendant à la réparation des conséquences dommageables d’un tel refus.

COMPÉTENCE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR DES TEXTES SPÉCIAUX - ATTRIBUTIONS LÉGALES DE COMPÉTENCE AU PROFIT DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES - DIVERS CAS D`ATTRIBUTIONS LÉGALES DE COMPÉTENCE AU PROFIT DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES - CONTESTATION DU REFUS DE L’AMF D’OUVRIR UNE ENQUÊTE CONTRE UNE PERSONNE QUI N’EST PAS UN PROFESSIONNEL SOUMIS AU CONTRÔLE DE L’AMF - ET DEMANDE DE RÉPARATION DU PRÉJUDICE QUI EN DÉCOULERAIT – COMPÉTENCE JURIDICTIONNELLE – JUGE JUDICIAIRE [RJ1].

17-03-01-02-05 Il résulte des articles L. 621-9, L. 621-9-1 et L. 621-30 du code monétaire et financier (CMF) que si les actions mettant en cause le fonctionnement défectueux des services de l’Autorité des marchés financiers (AMF), autorité publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative, l’autorité judiciaire est toutefois compétente pour connaître des recours formés contre ses décisions individuelles autres que celles relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l’article L. 621-9 du même code, et, par suite, pour connaître des actions tendant à la réparation des conséquences dommageables nées de telles décisions....En conséquence, l’autorité judiciaire est compétente pour connaître de la décision par laquelle le secrétaire général de l’AMF refuse, implicitement ou explicitement, de faire droit à une demande tendant à ce qu’il ouvre, au nom de cette autorité, une enquête, au titre des pouvoirs que lui confère l’article L. 621-9-1 du CMF, sur une personne ou entité autre que celles mentionnées au II de l’article L. 621-9, ainsi que pour connaître de l’action tendant à la réparation des conséquences dommageables d’un tel refus.


Publications
Proposition de citation : CE, 26 avr. 2024, n° 468920
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Gaudillère
Rapporteur public ?: M. Frédéric Puigserver
Avocat(s) : SCP OHL, VEXLIARD ; SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:468920.20240426
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