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23/11/2023 | FRANCE | N°22DA01195

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 23 novembre 2023, 22DA01195


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 20 septembre 2021 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans les trente jours, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour en France pendant un mois.



Par un jugement n° 2200266, 2200911 du 10 mars 2022, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rouen a réservé à une formation collégi

ale l'examen de la demande dirigée contre le refus de titre de séjour, a annulé l'obligation de qui...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 20 septembre 2021 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans les trente jours, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour en France pendant un mois.

Par un jugement n° 2200266, 2200911 du 10 mars 2022, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rouen a réservé à une formation collégiale l'examen de la demande dirigée contre le refus de titre de séjour, a annulé l'obligation de quitter le territoire français, la fixation du pays de renvoi et l'interdiction de retour en France.

Par un jugement n° 2200266 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 20 septembre 2021 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a refusé d'accorder un titre de séjour à M. B... et a enjoint au préfet de remettre à l'intéressé un titre de séjour " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 juin 2022, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 25 mai 2022 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... devant le tribunal administratif.

Il soutient que son arrêté n'a pas violé l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 octobre 2023 et des pièces enregistrées le 3 novembre 2023 et non communiquées, M. B..., représenté par Me Magali Leroy conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que :

- Mme A..., compagne de M. B... dispose d'un droit pérenne à se maintenir sur le territoire français ;

- la présence de M. B... auprès de sa compagne contribue à l'amélioration de l'état de santé de celle-ci ;

- M. B... s'est pleinement intégré à la société française.

Par une ordonnance du 16 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée le 3 novembre 2023 à 12 heures.

M. B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai du 24 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

1. M. B..., de nationalité ivoirienne, est entré dans l'espace Schengen muni d'un visa de court séjour valable du 11 août 2018 au 25 septembre 2018, délivré par les autorités consulaires belges en Angola. Il a rejoint en France, Mme A... la mère de ses enfants. Celle-ci, de nationalité angolaise, est entrée en France en avril 2016 et bénéficie d'un titre de séjour " vie privée et familiale " qui expirait le 25 août 2021 et dont elle a demandé le renouvellement. La durée de séjour en France de M. B... à la date de la décision contestée n'était que de trois ans et il avait auparavant vécu dans son pays d'origine ou en Angola jusqu'à l'âge de trente-huit ans. Par ailleurs, si M. B... travaille à temps partiel en contrat à durée indéterminée, comme agent de propreté, cette circonstance est postérieure à la décision de refus de titre.

2. En ce qui concerne la vie commune, M. B... reconnaît que sa compagne s'est séparée de lui en 2014 et est venue seule avec un enfant en France en avril 2016, alors qu'elle était enceinte de son quatrième enfant ayant un autre père que M. B.... Mme A... a également exprimé, le 15 octobre 2018 auprès de l'équipe éducative qui la prend en charge qu'elle ne souhaitait pas reprendre la vie commune avec le demandeur même si elle a ensuite changé d'avis. M. B... n'établit pas précisément à quelle date la vie commune a repris en France, ne produit aucune attestation de sa compagne, et en tout état de cause cette reprise de la vie commune date de moins de trois ans à la date de la décision. La circonstance que le couple ait eu un enfant, né en France le 30 juin 2020 ne suffit pas à démontrer l'ancienneté de la vie commune.

3. En ce qui concerne la situation personnelle de Mme A... et la nécessité de la présence auprès d'elle de M. B..., un praticien hospitalier, spécialiste de maladies infectieuses certifie, le 19 avril 2021 que l'interruption de son suivi médical pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Le psychiatre qui suit Mme A... atteste, le 28 janvier 2019 et à nouveau le 27 avril 2021, que Mme A... lui a déclaré que M. B... lui " procure un peu de sérénité et facilite l'organisation de son quotidien ". Toutefois, ces éléments ne suffisent pas à démontrer que la présence en France de M. B... auprès de Mme A... soit indispensable, ni, le cas échéant, que la cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer dans le pays d'origine de Mme A... où M. B... a résidé et travaillé depuis le 1er avril 2010. S'il ressort des pièces du dossier que Mme A... souffre d'un stress post traumatique lié aux événements qu'elle dit avoir vécu après sa séparation avec M. B..., les éléments fournis ne suffisent pas non plus à démontrer, compte tenu de ce qui précède, que la présence de M. B... auprès de Mme A... serait indispensable. Au demeurant, le dernier certificat médical produit, celui du psychiatre de Mme A... en date du 27 avril 2021 atteste d'une amélioration de son état de santé permettant une diminution du traitement médicamenteux.

4. En ce qui concerne les enfants, si ceux-ci sont scolarisés pour trois d'entre eux en maternelle et pour l'ainée en collège et si les trois premiers enfants de Mme A... et de M. B... ont fait l'objet d'une admission exceptionnelle au séjour par le préfet de la Seine-Maritime le 16 juin 2020, leur arrivée en France est récente, notamment pour trois d'entre eux qui sont venus avec leur père fin 2018. Il n'est donc pas établi qu'ils ne pourraient pas être scolarisés en Angola, pays où ils sont nés. S'ils ont fait l'objet ou continuent pour certains de faire l'objet d'un suivi psychologique et éducatif, cette circonstance ne suffit pas à démontrer que la cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer en Angola ou dans tout autre pays où leurs parents seraient admissibles. Par ailleurs pour établir qu'il contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, M. B... se borne à produire comme pièces antérieures à la décision contestée, des attestations de l'équipe éducative qui suit Mme A... et des enseignants de maternelle de deux de ses enfants. Enfin, si l'intéressé soutient que l'enfant de Mme A..., né en 2016 a un père français, il n'est pas contesté que celui-ci ne s'occupe pas de son fils.

5. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen, par le jugement contesté, a annulé sa décision de refus de titre du 20 septembre 2021 pour le motif tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B....

Sur les autres moyens invoqués par M. B... :

En ce qui concerne la procédure :

7. En premier lieu, lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu est ainsi satisfait. Dans ces conditions, M. B... a pu faire valoir tous les éléments utiles à sa demande, lors du dépôt de celle-ci. Par suite, le moyen tiré du respect du droit d'être entendu doit être écarté.

8. Conformément aux articles L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et L. 613-1 et L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'arrêté a énoncé dans ses considérants ou son dispositif les motifs de droit et de fait qui ont fondé la décision de refus de titre.

9. Si M. B... soutient que le récépissé prévu aux articles R. 311-4 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne lui a pas été délivré et que sa demande de titre n'a pas été traitée dans un délai raisonnable, ayant d'abord été considérée comme incomplète, ces circonstances sont sans incidence sur la décision de refus de titre en litige.

En ce qui concerne l'examen de la situation :

10. Il ressort de la motivation de l'arrêté que le préfet a procédé, pour toutes ses décisions, à un examen sérieux et particulier des éléments relatifs à la situation de l'intéressé alors portés à sa connaissance.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant :

11. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 1 à 4, le préfet n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté. De même, il n'a pas méconnu l'intérêt supérieur des enfants de M. B.... Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit donc également être écarté.

12. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de M. B... doit également être écarté.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

13. Il résulte également de ce qui précède que les motifs que fait valoir M. B... pour son séjour en France ne constituent ni des considérations humanitaires ni des circonstances exceptionnelles au sens de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite le moyen tiré de la méconnaissance de cet article ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne le défaut de consultation de la commission du titre de séjour :

14. Le préfet est tenu de saisir la commission du titre de séjour du seul cas des étrangers qui remplissent effectivement les conditions pour se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, et non de celui de tous les étrangers qui se prévalent de ces dispositions, ainsi que de ceux qui, demandant un titre sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, justifient résider habituellement en France depuis plus de dix ans. M. B... n'étant dans aucun de ces cas, le moyen tiré de l'absence de saisine de la commission du titre de séjour doit être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a annulé sa décision du 20 septembre 2021 de refus de titre de séjour et lui a enjoint de délivrer à l'intéressé un titre de séjour. Par suite, les articles 1 et 2 du jugement du 25 mai 2022 doivent être annulés.

16. Les dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance la somme demandée à ce titre par M. B....

DECIDE :

Article 1er : Les articles 1 et 2 du jugement du 25 mai 2022 du tribunal administratif de Rouen sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant la cour ainsi que celles devant le tribunal administratif de Rouen d'annulation du refus de titre du 20 septembre 2021 à fins d'injonction sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Magali Leroy.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 9 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : D. Perrin La présidente de la première chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

2

N° 22DA01195


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01195
Date de la décision : 23/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : LEROY

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-23;22da01195 ?
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