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23/11/2023 | FRANCE | N°23TL01152

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 23 novembre 2023, 23TL01152


Vu les procédures suivantes :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 14 mars 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de le transférer aux autorités croates pour l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel cette même autorité l'a assigné à résidence.



Par un jugement n° 2301384 du 24 mars 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé les

deux arrêtés du 14 mars 2023, a enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. A... dans un délai d'un...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 14 mars 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de le transférer aux autorités croates pour l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel cette même autorité l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2301384 du 24 mars 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé les deux arrêtés du 14 mars 2023, a enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. A... dans un délai d'un mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions.

Procédures devant la cour :

I - Par une requête enregistrée le 17 mai 2023 sous le n° 23TL01152, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 24 mars 2023 sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a estimé que l'arrêté portant transfert de M. A... aux autorités croates était entaché d'un vice de procédure au regard de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et que ce moyen, sérieux, est de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué ;

- l'exécution de ce même jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables pour la mise en œuvre de la procédure de transfert engagée à l'encontre de l'intéressée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2023, M. D... A..., représenté par Me Mercier, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle totale, à lui verser en personne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable dès lors qu'il n'est pas justifié de ce que son signataire bénéficiait d'une délégation pour la déposer ;

- à titre subsidiaire, les moyens invoqués par le préfet ne revêtent pas un caractère sérieux de nature à justifier outre l'annulation du jugement attaqué, ses conclusions à fin d'annulation des arrêtés du préfet de la Haute-Garonne du 14 mars 2023.

Par une décision du 8 novembre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à M. A... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.

II - Par une requête enregistrée le 17 mai 2023 sous le n° 23TL01153, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 24 mars 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que c'est à tort que le premier juge a estimé que l'arrêté portant transfert de M. A... aux autorités croates était entaché d'un vice de procédure au regard de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 août 2023 et 28 octobre 2023, M. D... A..., représenté par Me Mercier, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle, à lui verser en personne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable dès lors qu'il n'est pas justifié de ce que son signataire bénéficiait d'une délégation pour la déposer ;

- à titre subsidiaire, d'une part, le moyen invoqué par le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé et, d'autre part, l'ensemble des moyens soulevés par lui en première instance à l'encontre des deux arrêtés en litige sont repris en appel ;

- en outre, le jugement de première instance a été notifié au préfet le 20 avril 2023 et un délai de plus de six mois s'est écoulé depuis cette notification ; il est en droit d'obtenir la requalification de sa demande d'asile en procédure normale depuis le 20 octobre 2023 et il convient pour la cour de prononcer un non-lieu.

Par une décision du 8 novembre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à M. A... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Chabert, président.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant afghan, né le 1er janvier 1996 est entré selon ses déclarations en France le 2 octobre 2022 et s'est présenté le 19 octobre suivant à la préfecture de la Haute-Garonne pour y déposer une demande d'asile. Par un premier arrêté du 14 mars 2023, le préfet de la Haute-Garonne a décidé du transfert de M. A... aux autorités croates. Par un second arrêté du même jour, la même autorité l'a assigné à résidence. Par la requête enregistrée sous le n° 23TL01152, le préfet de la Haute-Garonne demande qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 24 mars 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé chacun de ces arrêtés, a enjoint au préfet de réexaminer dans le délai d'un mois la situation de M. A... ainsi que de le munir dans l'attente d'une attestation de demande d'asile et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Mercier en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991. Par la requête n° 23TL01153, le préfet fait appel de ce même jugement. Les requêtes susvisées nos 23TL01152 et 23TL01153 étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur l'admission de M. A... à l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Par deux décisions du 8 novembre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à M. A... le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'octroi d'une aide juridictionnelle provisoire.

Sur la requête n° 23TL01153 :

En ce qui concerne l'arrêté de transfert :

3. Aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".

4. L'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

5. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet de la Haute-Garonne pour procéder à l'exécution du transfert de M. A... vers la Croatie a été interrompu par la saisine du tribunal administratif de Toulouse. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification au préfet, le 20 avril 2023, du jugement du 24 mars 2023 rendu par ce dernier. Il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que ce délai aurait été prolongé, en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, la décision de transfert litigieuse est devenue caduque sans avoir reçu de commencement d'exécution à la date du présent arrêt et la France est devenue responsable de la demande d'asile de M. A.... Ainsi que le fait valoir en défense l'intimé dans son mémoire enregistré le 28 octobre 2023 et communiqué au préfet, le litige ayant perdu son objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du préfet de la Haute-Garonne tendant à l'annulation du jugement du 24 mars 2023, en tant qu'il a prononcé l'annulation de l'arrêté du 14 mars 2023 décidant le transfert de M. A... pour l'examen de sa demande d'asile et lui a enjoint de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :

S'agissant de la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel :

6. Par un arrêté du 30 janvier 2023, publié au recueil des actes administratifs n°31-2023-041 de la préfecture de la Haute-Garonne le jour même, le préfet de ce département a donné délégation à M. B... C..., chef du bureau de l'asile au sein de cette préfecture, pour signer notamment l'ensemble des pièces, mémoires et requêtes relatives au contentieux des étrangers devant les juridictions administratives et les juridictions judiciaires. En conséquence, la fin de non-recevoir opposée par l'intimé tirée de l'incompétence du signataire de la requête d'appel présentée au nom du préfet de la Haute-Garonne ne peut qu'être écartée.

S'agissant du moyen retenu par le premier juge pour annuler l'arrêté portant assignation à résidence :

7. Pour annuler l'arrêté du 14 mars 2023 portant assignation à résidence, le magistrat désigné s'est fondé sur l'annulation de l'arrêté portant transfert de M. A... aux autorités croates. L'arrêté portant assignation à résidence de M. A... ayant reçu exécution, les conclusions tendant à son annulation ne sont pas privées d'objet du fait du non-lieu à statuer prononcé sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert dont il convient d'apprécier la légalité par voie d'exception.

8. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée, / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères, / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations, / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert, / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement, / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. (...) ".

9. Il résulte des dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application de ce règlement doit se voir remettre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, lequel doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par le paragraphe 2 de l'article 4 du règlement constitue une garantie pour le demandeur d'asile.

10. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié d'un entretien individuel dans les locaux de la préfecture du Val de Marne le 19 octobre 2022, conduit par un agent des services de la préfecture, avec le concours d'un interprète de la société ISM interprétariat en langue pachto, qu'il ne conteste pas comprendre. L'intéressé s'est vu remettre, à cette occasion, d'une part, une attestation de demandeur d'asile en procédure Dublin, les convocations à la préfecture ainsi que le résumé de l'entretien et, d'autre part, l'information sur les règlements communautaires, à savoir les deux fascicules constituant la brochure commune mentionnée au paragraphe 2 de l'article 4 du règlement précité, à savoir le fascicule A intitulé " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et le fascicule B intitulé " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", dans lesquels se trouvent l'ensemble des informations énumérées au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. L'ensemble de ces documents étaient rédigés en langue pachto, langue officielle de son pays d'origine. Par ailleurs, si M. A... soutient qu'il est analphabète et n'a pu lire les documents remis, l'intéressé a signé les pages de garde de ces brochures sur lesquelles sont précisées que l'interprète a relu en langue pachto chacun des documents. Le résumé de l'entretien, produit par l'administration précise par ailleurs que l'intimé a été informé de la procédure engagée à son encontre et ne fait apparaître aucune difficulté de compréhension ou de communication entre l'intéressé et l'agent de la préfecture ayant conduit cet entretien. Il en ressort au contraire que M. A... a présenté des observations circonstanciées sur sa situation personnelle, son itinéraire, en lien notamment avec son passage en Croatie et Roumanie. En outre, à supposer même que l'interprète n'ait pu lire en pachto lesdites brochures, le paragraphe 2 de l'article 4 du règlement imposait seulement de communiquer à M. A... par oral les informations nécessaires à sa bonne compréhension et n'exigeait pas qu'il soit procédé à une lecture intégrale de la vingtaine de pages que représentent les brochures A et B, seules visées par l'article 4. Enfin, si M. A... soutient que l'entretien aurait duré entre dix et quinze minutes, il n'apparaît pas que cette durée aurait été insuffisante pour lui fournir les éléments requis sur la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile. Il s'ensuit que l'intéressé n'a pas été privé des garanties prévues par l'article 4 du règlement précité. Par suite, le moyen tiré de ce que la mesure de transfert aux autorités croates était entachée d'un vice de procédure au regard des dispositions de cet article doit être écarté.

11. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a considéré que l'arrêté de transfert dont M. A... avait invoqué l'illégalité par voie d'exception à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté d'assignation à résidence était entaché d'illégalité pour ce motif.

12. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse à l'encontre de l'assignation à résidence par voie d'exception d'illégalité de l'arrêté du 14 mars 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de son transfert aux autorités croates en vue de l'examen de sa demande d'asile.

S'agissant des autres moyens présentés par M. A... :

13. L'arrêté ordonnant le transfert de l'intimé aux autorités croates mentionne, de façon suffisamment circonstanciée pour permettre à M. A... de les discuter, les motifs de droit et les circonstances de fait qui en constituent le fondement et précise notamment que les autorités croates ont été saisies d'une demande de prise en charge de l'intéressé le 2 décembre 2022 et qu'elles ont fait connaître leur accord le 2 février 2023. L'arrêté fait aussi état du rejet de la demande de reprise en charge par les autorités roumaines auprès desquelles le requérant avait également présenté une demande d'asile et mentionne les principaux éléments de la situation personnelle de M. A..., notamment ceux relatifs à son état de santé. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté.

14. Il ne ressort ni de la motivation de l'arrêté en litige ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet de la Haute-Garonne n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation personnelle de M. A.... Il n'en ressort pas davantage que le préfet se serait estimé en situation de compétence liée.

15. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien. / 5. L'entretien a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien rédigé un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. (...) ".

16. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 10 du présent arrêt, que M. A... a bénéficié le 19 octobre 2022, jour de l'enregistrement de sa demande d'asile, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement du 26 juin 2013. Il ressort du résumé produit par l'administration que cet entretien a été mené par un agent qualifié de la préfecture du Val de Marne, avec le concours d'un interprète de la société ISM interprétariat en langue pachto, laquelle est comprise par l'intéressé. Il en ressort également que M. A... a pu s'exprimer sur sa situation personnelle et son parcours migratoire en citant notamment durant son itinéraire la Roumanie et la Croatie et qu'il a notamment été mis à même de présenter toutes observations utiles sur la perspective d'un transfert aux autorités roumaines ou croates. L'intimé n'apporte pas plus en appel qu'en première instance d'élément précis de nature à laisser penser que l'entretien ne se serait pas tenu selon les modalités prévues par l'article 5 du règlement. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure suivie serait irrégulière au regard des dispositions de cet article doit être écarté.

17. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". La faculté laissée à chaque Etat de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement (UE) n° 604/2013, est discrétionnaire et ne constitue pas un droit pour les demandeurs.

18. M. A..., levant le secret médical, fait valoir qu'il se trouve dans une situation de grande vulnérabilité psychique. D'une part, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé n'a pas fait mention de tels troubles lors de l'entretien individuel du 19 octobre 2022. D'autre part, si l'intéressé a versé aux débats de première instance deux pièces établies par une infirmière et une psychologue attestant de cet état de vulnérabilité et de la nécessité d'un suivi médical, ces seuls éléments sont peu circonstanciés. En outre, l'ordonnance établie par un psychologue hospitalier le 15 mars 2023, prescrivant une prise en charge médicale pour une à deux semaines, est postérieure à l'arrêté contesté. Enfin aucune pièce du dossier ne permet d'établir que l'intéressé ne pourrait pas bénéficier de soins appropriés en cas de transfert vers la Croatie ou que son état de santé s'opposerait à l'exécution de ce transfert. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'en ne lui permettant pas de bénéficier de la clause discrétionnaire instituée par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, le préfet de la Haute-Garonne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation.

19. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale par un ressortissant de pays tiers ou apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Lorsque aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen ". L'article 7 de ce même règlement dispose que : " 1. Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. / 2. La détermination de l'État responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre. / (...) ". Par ailleurs, l'article 13 indique : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ". Aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre; (...) / d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande est rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre. (...)". L'article 19 du règlement dispose que : " (...) / 3. Les obligations prévues à l'article 18, paragraphe 1, points c) et d), cessent lorsque l'État membre responsable peut établir, lorsqu'il lui est demandé de reprendre en charge un demandeur ou une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), que la personne concernée a quitté le territoire des États membres en exécution d'une décision de retour ou d'une mesure d'éloignement délivrée à la suite du retrait ou du rejet de la demande. / Toute demande introduite après qu'un éloignement effectif a eu lieu est considérée comme une nouvelle demande et donne lieu à une nouvelle procédure de détermination de l'État membre responsable ".

20. Il ressort des pièces versées au dossier que la Croatie, consultée par la France le 2 décembre 2022 sur le fondement de l'article 13.1 du règlement n° 604/2013, a accepté expressément de prendre en charge l'intéressé sur ce fondement. Si M. A... fait valoir que la Roumanie, saisie simultanément sur le fondement du b) de l'article 18.1 du règlement n° 604/2013, ne pouvait refuser de le reprendre en charge sur le fondement de l'article 19.3 dudit règlement, il se borne à soutenir que sa situation ne correspond pas aux hypothèses d'exonération de responsabilité prévues à l'article 19 du règlement précité et n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il n'aurait pas fait l'objet d'un éloignement vers la Serbie le 11 août 2021. Dès lors, le préfet de la Haute-Garonne, a pu déterminer à bon droit, que les autorités croates étaient compétentes pour prendre en charge M. A... en application des articles 3 et 13-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Dans ces conditions le moyen tiré de l'erreur de droit au regard des dispositions précitées ne peut être accueilli.

21. Il résulte ce qui vient d'être exposés aux points 8 à 20 du présent arrêt que le moyen tiré du défaut de base légale de l'arrêté d'assignation en raison de l'illégalité de l'arrêté de transfert aux autorités croates ne peut qu'être écarté.

22. L'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " (...) En cas de notification d'une décision de transfert, l'assignation à résidence peut se poursuivre si l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable. / L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert lui a été notifiée (...) ".

23. L'accord explicite des autorités croates du 2 février 2023 étant valide pour une période de six mois, l'autorité préfectorale a pu légalement considérer que l'exécution de la mesure de transfert demeurait une perspective raisonnable et que M. A... pouvait faire l'objet d'une assignation à résidence. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant assignation à résidence serait entachée d'une erreur de droit en méconnaissance des dispositions précitées.

24. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté portant assignation à résidence de M. A....

Sur la requête n° 23TL01152 :

25. Dès lors qu'il est statué au fond par le présent arrêt sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du jugement du 24 mars 2023 du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions du préfet de la Haute-Garonne tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet.

Sur les frais liés au litige :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 s'opposent à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, les sommes réclamées par l'intimée au titre des frais exposés non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de M. A... tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête du préfet de la Haute-Garonne tendant à l'annulation du jugement n° 2301384 du 24 mars 2023, en tant qu'il a prononcé l'annulation de l'arrêté du 14 mars 2023, décidant le transfert de M. A... pour l'examen de sa demande d'asile et lui a enjoint de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Article 3 : Le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse n° 2301384 du 24 mars 2023 est annulé en tant qu'il a prononcé l'annulation de l'arrêté du 14 mars 2023 du préfet de la Haute-Garonne assignat à résidence M. A... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 mars 2023 du préfet de la Haute-Garonne l'assignant à résidence est rejetée.

Article 5 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 23TL01152.

Article 6 : Les conclusions présentées par M. A... sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. D... A... et à Me Mercier.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Haïli, président assesseur,

Mme Lasserre, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023.

Le président-rapporteur,

D. ChabertLe président assesseur,

X. Haïli

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 23TL01152, 23TL01153


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01152
Date de la décision : 23/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. CHABERT
Rapporteur ?: M. Denis CHABERT
Rapporteur public ?: Mme MEUNIER-GARNER
Avocat(s) : MERCIER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-23;23tl01152 ?
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