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24/11/2023 | FRANCE | N°22PA01221

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 24 novembre 2023, 22PA01221


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Coréal a demandé au tribunal administratif de Melun :

- d'annuler la décision du 15 février 2019 par laquelle l'établissement public local Eau de Paris (EP Eau de Paris) a résilié à ses torts exclusifs le marché de travaux conclu le 19 juin 2018 en vue de la construction d'un local industriel en ossature bois à l'Haÿ-les-Roses ;

- d'ordonner la reprise des relations contractuelles ;

- de condamner l'EP Eau de Paris à l

ui verser les sommes de 40 995,13 euros au titre des factures impayées, augmentée des intérêts de trois fo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Coréal a demandé au tribunal administratif de Melun :

- d'annuler la décision du 15 février 2019 par laquelle l'établissement public local Eau de Paris (EP Eau de Paris) a résilié à ses torts exclusifs le marché de travaux conclu le 19 juin 2018 en vue de la construction d'un local industriel en ossature bois à l'Haÿ-les-Roses ;

- d'ordonner la reprise des relations contractuelles ;

- de condamner l'EP Eau de Paris à lui verser les sommes de 40 995,13 euros au titre des factures impayées, augmentée des intérêts de trois fois le taux légal à compter de la date d'échéance des factures, de 120 euros au titre des indemnités pour factures non payées et de 5 000 euros au titre des dommages-intérêts pour opposition abusive au paiement ;

- de condamner l'EP Eau de Paris, en cas de reprise des relations contractuelles, à lui verser la somme de 59 406,26 euros au titre du surcoût des sous-traitants ;

- de condamner l'EP Eau de Paris, à défaut de reprise des relations contractuelles, à lui verser les sommes de 65 515,71 euros HT au titre des commandes effectuées, de 18 211 euros au titre du manque à gagner ou, à défaut, de 67 064,94 euros au titre des factures justifiées.

Par un jugement n° 1904293 du 12 janvier 2022, le tribunal administratif de Melun a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision de résiliation du 15 février 2019 et à la reprise des relations contractuelles, a rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société Coréal et l'a condamnée à verser à l'EP Eau de Paris la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 14 mars 2022, le 2 février 2023 et le 26 avril 2023, la société Coréal, représentée par la SELARL Bertin et Bertin, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de résiliation du 15 février 2019 ;

3°) d'ordonner la reprise des relations contractuelles ;

4°) de condamner l'établissement public local Eau de Paris (EP Eau de Paris) à lui verser la somme globale de 46 115,13 euros au titre des factures impayées et des indemnités relatives à ces factures ;

5°) de condamner l'EP Eau de Paris, en cas de reprise des relations contractuelles, à lui verser la somme de 59 406,26 euros au titre du surcoût des sous-traitants ;

6°) de condamner l'EP Eau de Paris, à défaut de reprise des relations contractuelles, à lui verser les sommes de 62 515,71 euros HT au titre des commandes effectuées, de 18 211 euros au titre du manque à gagner ou, à défaut, de 67 064,94 euros au titre des factures justifiées ;

7°) de mettre à la charge de l'EP Eau de Paris la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la fin de non-recevoir tirée de ce que sa requête serait une reproduction identique de son mémoire récapitulatif n°2 de première instance doit être écartée ;

- c'est à tort que les premiers juges ont prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles dès lors que la décision de résiliation du marché est intervenue postérieurement à l'échéance du terme de ce marché ;

- la fin de non-recevoir soulevée à l'encontre des conclusions tendant au paiement des factures impayées doit être écartée dès lors qu'elle a mis l'EP Eau de Paris en demeure de les régler, par lettre en date du 22 janvier 2019 valant mémoire en réclamation ;

- la fin de non-recevoir soulevée à l'encontre de ses conclusions à fin d'indemnisation du préjudice subi du fait de la résiliation du marché doit être écartée dès lors que l'exigence d'une décision préalable ne s'applique pas en matière de travaux publics.

Sur la décision de résiliation du 15 février 2019 :

- elle a été prise par une autorité incompétente ;

- le motif tiré d'une prétendue absence de réponse à la mise en demeure du 21 décembre 2018 est erroné ;

- l'EP Eau de Paris ne saurait lui opposer le motif tiré du défaut de respect des règles relatives à l'agrément des sous-traitants dès lors qu'il s'est abstenu de produire les agréments signés que ces sous-traitants demandaient ;

- l'EP Eau de Paris ne pouvait refuser de payer la facture n° 18082/09/18005 en raison d'une non-conformité de la charpente ;

- le motif tiré du prétendu abandon de chantier est erroné dès lors qu'elle n'a pas abandonné le chantier mais a suspendu légitimement les travaux du fait de l'absence de validation des plans par le maître d'œuvre ;

- aucune faute ne peut lui être reprochée de nature à justifier la mesure de résiliation du marché ;

- le défaut de réponse à ses courriers ainsi que la mesure de résiliation portent une atteinte excessive à ses droits de cocontractant.

Sur les demandes financières :

- l'EP Eau de Paris n'établit avoir réglé aucune des trois factures impayées dont le montant global est de 40 995,13 euros TTC au principal ;

- en résiliant de manière injustifiée le marché, l'EP Eau de Paris a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- sa condamnation en première instance au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est infondée.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 mai 2022 et le 7 avril 2023, l'établissement public local Eau de Paris, représentée par la SELARL Seban et Associés, Me Gauch, conclut au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge de la société Coréal la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors qu'elle se borne à reproduire à l'identique le mémoire récapitulatif n°2 de première instance de la société requérante, en méconnaissance de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles ont perdu leur objet dès lors que le tribunal devait se borner à constater si le terme du contrat avait été dépassé à la date à laquelle il a statué, ce qui était le cas en l'espèce ;

- en tout état de cause, ces conclusions ont également perdu leur objet dès lors qu'à la date à laquelle la juridiction d'appel statuera, les prestations du marché résilié seront entièrement réalisées par l'attributaire du marché de substitution ;

- les prétentions indemnitaires de la requérante tendant au paiement des factures n° 18045/06/18005 du 27 juin 2018 d'un montant de 7 284,48 euros TTC et n° 18075/08/18005 du 31 août 2018 d'un montant de 19 164,91 euros TTC sont irrecevables en l'absence de liaison du contentieux ;

- les prétentions indemnitaires de la requérante tendant à l'indemnisation du préjudice qu'elle aurait subi du fait de la résiliation du contrat sont irrecevables en l'absence de liaison du contentieux ;

- les prétentions indemnitaires globales de la société Coréal ne sont en tout état de cause pas fondées.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que les conclusions en paiement des deux factures n° 18045/06/18005 du 27 juin 2018 d'un montant de 7 284,48 euros TTC et n° 18075/08/18005 du 31 août 2018 d'un montant de 19 164,91 euros TTC sont sans objet, ces factures ayant été réglées par l'EP Eau de Paris avant l'introduction de la demande de la société Coréal présentée devant le tribunal administratif de Melun.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mantz,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- les observations de Me Negre pour la société Coréal et de Me Goachet pour l'établissement public local Eau de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. L'établissement public local Eau de Paris (EP Eau de Paris) a conclu avec la société Coréal, le 19 juin 2018, un marché relatif à la construction d'un local industriel en ossature bois à l'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), selon une procédure adaptée prévue aux articles 27 et 22 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, pour un montant global de 121 408,01 euros HT. La maîtrise d'œuvre était assurée par la société ADM Architectes et la durée du marché était fixée à 21 semaines avec un démarrage des travaux fixé au 2 juillet 2018, les travaux devant ainsi être achevés au plus tard le 27 novembre 2018. Suite à une suspension des travaux par la société Coréal et après trois mises en demeure successives de l'EP Eau de Paris à cette dernière, restées vaines, de reprendre ces travaux, l'EP Eau de Paris a pris, le 15 février 2019, une décision de résiliation du marché qui a été notifiée au titulaire le 19 février 2019. La société Coréal relève appel du jugement du 12 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Melun a, d'une part, jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur ses conclusions tendant à l'annulation de la décision de résiliation et à la reprise des relations contractuelles et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la condamnation de l'EP Eau de Paris à lui verser la somme globale de 46 115,13 euros au titre des factures impayées et des indemnités relatives à ces factures, de 59 406,26 euros au titre du surcoût des sous-traitants en cas de reprise des relations contractuelles ou, à défaut de reprise des relations contractuelles, de la somme globale de 80 726,71 euros HT au titre des commandes effectuées et du manque à gagner ou de 67 064,94 euros au titre des factures justifiées.

Sur les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles :

2. D'une part, le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi de conclusions " aux fins d'annulation " d'une mesure de résiliation, de les regarder comme un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles.

3. D'autre part, lorsque, dans le cadre de l'examen de conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles présentées par un cocontractant de l'administration dont le contrat a fait l'objet d'une résiliation, il résulte de l'instruction que le terme stipulé du contrat est dépassé, le juge constate un non-lieu à statuer sur ces conclusions.

4. Dans sa requête d'appel, la société Coréal persiste, sans pour autant contester la requalification de ses conclusions par le tribunal en recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles, à demander l'annulation de la décision de résiliation du 15 février 2019 par laquelle l'EP Eau de Paris a résilié à ses torts exclusifs le marché de travaux conclu le 19 juin 2018. Comme l'a estimé à bon droit le tribunal, il y a lieu de regarder ces conclusions aux fins d'annulation de la société Coréal comme un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles.

5. Il résulte de l'instruction qu'en application du E. de l'acte d'engagement, le marché a été conclu pour une durée totale de 21 semaines, incluant une phase de préparation de huit semaines et une période d'exécution de treize semaines, dont le point de départ correspond à la date fixée par l'ordre de service prescrivant le commencement des travaux. Par un ordre de service n° 1 du 26 juin 2018, la date de démarrage des travaux a été fixée au 2 juillet, impliquant le terme du contrat au 27 novembre 2018, ainsi qu'il a été dit au point 1. Dès lors que le terme stipulé du marché était dépassé à la date du jugement attaqué, et peu important à cet égard, contrairement à ce que soutient la société Coréal, que la date de résiliation du marché ait été postérieure et non antérieure au terme contractuellement prévu du marché, c'est à bon droit que le tribunal a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande de la société Coréal tendant à la reprise des relations contractuelles.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la validité de la décision de résiliation :

6. D'une part, aux termes de l'article 46 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux, approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009 précité, rendu applicable au marché en litige sur renvoi de l'article 3.1 du cahier des clauses administratives particulières : " Cas de résiliation du marché (...) / 46. 3. Résiliation pour faute du titulaire : / 46. 3. 1. Le représentant du pouvoir adjudicateur peut résilier le marché pour faute du titulaire dans les cas suivants : (...) / c) Le titulaire, dans les conditions prévues à l'article 48, ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels, après que le manquement a fait l'objet d'une constatation contradictoire et d'un avis du maître d'œuvre, et si le titulaire n'a pas été autorisé par ordre de service à reprendre l'exécution des travaux ; dans ce cas, la résiliation du marché décidée peut être soit simple, soit aux frais et risques du titulaire et, dans ce dernier cas, les dispositions des articles 48. 4 à 48. 7 s'appliquent (...) ". Aux termes de l'article 48 du CCAG : " 48.1. A l'exception des cas prévus aux articles 15.2.2, 15.4 et 47.2, lorsque le titulaire ne se conforme pas aux dispositions du marché ou aux ordres de service, le représentant du pouvoir adjudicateur le met en demeure d'y satisfaire, dans un délai déterminé, par une décision qui lui est notifiée par écrit (...) / 48.2. Si le titulaire n'a pas déféré à la mise en demeure, la poursuite des travaux peut être ordonnée, à ses frais et risques, ou la résiliation du marché peut être décidée. / 48.4. En cas de résiliation aux frais et risques du titulaire, les mesures prises en application de l'article 48.3 sont à la charge de celui-ci. Pour l'achèvement des travaux conformément à la réglementation en vigueur, il est passé un marché avec un autre entrepreneur. Ce marché de substitution est transmis pour information au titulaire défaillant. Par exception aux dispositions de l'article 13.4.2, le décompte général du marché résilié ne sera notifié au titulaire qu'après règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux. / 48.5. Le titulaire, dont les travaux font l'objet des stipulations des articles 48.2 et 48.3, est autorisé à en suivre l'exécution sans pouvoir entraver les ordres du maître d'œuvre et de ses représentants. / Il en est de même en cas de nouveau marché passé à ses frais et risques ".

7. Il résulte de ces dispositions que le cocontractant de l'administration dont le marché a été résilié à ses frais et risques ne peut obtenir le décompte général de ce marché, en vue du règlement des sommes dues au titre des travaux exécutés, qu'après règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux. Les conclusions présentées au juge du contrat en vue d'obtenir le règlement des sommes contractuellement dues avant le règlement définitif du nouveau marché sont ainsi irrecevables. Ces dispositions, applicables lorsque le marché a été régulièrement résilié, ne font cependant pas obstacle à ce que, sous réserve que le contentieux soit lié, le cocontractant dont le marché a été résilié à ses frais et risques saisisse le juge du contrat afin de faire constater l'irrégularité ou le caractère infondé de cette résiliation et demander, de ce fait, le règlement des sommes qui lui sont dues, sans attendre le règlement définitif du nouveau marché après, le cas échéant, que le juge du contrat a obtenu des parties les éléments permettant d'établir le décompte général du marché résilié.

8. D'autre part, aux termes de l'article 9 du CCAP du marché de travaux litigieux : " (...) L'entité adjudicatrice peut résilier le marché, aux torts du cocontractant en cas d'inexactitude des renseignements prévus à l'article 48 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 et selon les dispositions des articles 45, 46.3 et 47 du CCAG Travaux (...) ".

9. Enfin, le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d'en assurer l'exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l'administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l'initiative de résilier unilatéralement le contrat.

10. Il résulte de l'instruction, notamment de la lettre du 25 octobre 2018 adressée par l'EP Eau de Paris à la société Coréal, que par ordre de service n°2, l'établissement public a mis en demeure l'entreprise de reprendre les travaux sans délai, après qu'il a été constaté par le maître d'œuvre son absence du chantier depuis le 8 octobre 2018. Cette première mise en demeure étant restée sans effet et après que le maître d'ouvrage et l'entreprise se fussent rencontrés le 31 octobre 2018, l'EP Eau de Paris a adressé à l'entreprise, par lettre du 6 novembre 2018, une seconde mise en demeure de reprise des travaux sous quinze jours, informant par ailleurs l'entreprise qu'en cas d'inexécution, une procédure de résiliation à ses frais et risques pour faute serait engagée. Le titulaire n'a pas davantage déféré à cette mise en demeure, se bornant, par un courrier du 12 novembre 2018, à soutenir qu'il avait été contraint de suspendre l'exécution des travaux en raison d'un défaut d'organisation du chantier et du fait de sujétions imprévues, subordonnant en outre la reprise de cette exécution à différentes conditions. A la suite d'un compte rendu du maître d'œuvre adressé au maître d'ouvrage, en date du 30 novembre 2018, par lequel celui-ci concluait que "tous les sujets évoqués par Coréal sont manifestement sans rapport avec la situation d'abandon de chantier et le préjudice consécutif que cette entreprise fait subir à Eau de Paris", et d'un constat contradictoire de l'état du chantier réalisé par un huissier de justice le 5 décembre 2018, l'EP Eau de Paris a adressé à la société Coréal une nouvelle et "dernière" mise en demeure de reprendre sans délai les travaux, par lettre en date du 21 décembre 2018, l'invitant en outre à lui fournir le plus rapidement possible les justifications et moyens permettant à l'établissement public de s'assurer de sa capacité à réaliser les travaux dans leur totalité. Par lettre en date du 22 janvier 2019, l'entreprise a précisé à l'EP Eau de Paris que la cause principale de la suspension des travaux résidait dans l'absence de validation des plans par le maître d'œuvre et lui a demandé de régler sous huitaine la facture de réalisation de la charpente pour un montant de 14 545,74 euros TTC. Par lettre en date du 15 février 2019, notifiée le 19 février 2019, l'EP Eau de Paris a, d'une part, refusé le paiement de la facture précitée et, d'autre part, prononcé la résiliation du marché pour faute de la société Coréal consistant en un abandon de chantier.

11. En premier lieu, la société Coréal reprend en appel, à l'identique, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte. Elle n'apporte toutefois pas d'élément de nature à remettre en cause l'appréciation motivée qui a été portée par les premiers juges. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif, aux points 9 et 10 du jugement attaqué.

12. En second lieu, la société Coréal soutient qu'elle n'a commis aucune faute de nature à justifier une mesure de résiliation du marché. Elle fait valoir à cet égard qu'elle a répondu à la mise en demeure de l'EP Eau de Paris du 21 décembre 2018 en expliquant les causes de la suspension des travaux, que l'établissement ne peut lui opposer le fait que les demandes d'agrément de certains sous-traitants aurait été incomplète alors qu'il a par ailleurs refusé de fournir à ces derniers des agréments signés malgré leur demande expresse, que le maître d'ouvrage n'apporte aucune justification valable pour refuser le paiement de la charpente, qu'il n'a jamais abandonné le chantier mais était en situation de suspension légitime des travaux du fait notamment de l'absence de validation des plans par le maître d'œuvre et que le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations contractuelles en ne lui permettant pas d'exécuter ses travaux et en portant ainsi une atteinte excessive à ses droits de cocontractant. Toutefois, il résulte du compte rendu du maître d'œuvre du 30 novembre 2018 précité que la société Coréal s'est trouvée en situation d'abandon de chantier à compter du 8 octobre 2018 et de ce qui a été dit au point 10 qu'elle n'a jamais déféré aux ordres de services du maître d'ouvrage portant mise en demeure de reprendre les travaux. Ces faits constituent de manquements graves de la société Coréal à ses obligations contractuelles au regard des articles 46.3.1 c), 48.1 et 48.2 du CCAG, de nature à justifier une mesure de résiliation à ses frais et risques.

13. Enfin, en application de la règle rappelée au point 9, la société Coréal ne saurait se prévaloir, aux fins de justifier l'inexécution de ses obligations contractuelles, de l'ensemble des manquements du maître d'ouvrage et du maître d'œuvre mentionnés au point 12, qui ne sont en tout état de cause pas établis.

14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 10 à 13 que la société Coréal n'est pas fondée à soutenir que la mesure de résiliation prise par l'EP Eau de Paris serait irrégulière et injustifiée.

En ce qui concerne les demandes pécuniaires de la société Coréal :

Sur la demande de paiement des factures prétendument impayées :

15. La société Coréal demande, en premier lieu, le paiement des deux factures n° 18045/06/18005 du 27 juin 2018 d'un montant de 7 284,48 euros TTC et n° 18075/08/18005 du 31 août 2018 d'un montant de 19 164,91 euros TTC. L'EP Eau de Paris soutient toutefois qu'il a déjà réglé ces deux factures. Il produit à cet égard, s'agissant de la première facture

ci-dessus mentionnée qui porte le libellé " acompte au démarrage ", un document intitulé " état liquidatif de l'avance de 5% prévue au titre de l'article F2 de l'acte d'engagement et 5.5 du CCAP ", daté du 28 août 2018, d'un montant de 7 284,48 euros TTC, complété par un ordre de paiement émis le 31 août 2018 pour le même montant, portant la mention manuscrite " payé le 04/09/2018 ", ainsi que deux documents comptables intitulés " liste des virements " et " suivi paiements, avances et retenues du marché 2018/1715201 " faisant également état du paiement de la somme de 7 284,48 euros à la date du 4 septembre 2018. S'agissant de la deuxième facture

ci-dessus mentionnée qui porte le libellé " situation n° 1 au 31/08/2018 ", l'EP Eau de Paris produit un certificat de paiement d'acompte du 19 septembre 2018 d'un montant de de 19 164,91 euros, complété par le document " suivi paiements, avances et retenues du marché 2018/1715201 " faisant état du paiement de cette somme à la date du 28 septembre 2018, minorée de la retenue de garantie mensuelle de 5%, soit la somme finale de 18 206,66 euros, dont le virement à la société Coréal résulte du document intitulé " liste des virements ". Ces différentes pièces dont l'authenticité n'est pas contestée par la société Coréal, sont de nature à établir le règlement des deux factures précitées par l'EP Eau de Paris, avant l'introduction par la société Coréal de sa demande devant le tribunal administratif. Par suite, les conclusions tendant au paiement de ces deux factures sont sans objet et par suite, irrecevables.

16. En second lieu, s'agissant de la facture n° 18082/09/18005 du 30 septembre 2018 d'un montant de 14 545,74 euros TTC, correspondant au règlement de la charpente, la société Coréal reprend en appel, dans des termes quasiment identiques, le moyen tiré de ce que, par sa lettre en date du 22 janvier 2019, elle avait adressé une mise en demeure valant réclamation préalable à l'EP Eau de Paris de procéder au règlement de cette somme sous huitaine. Elle n'apporte toutefois pas d'élément de nature à remettre en cause l'appréciation motivée qui a été portée par les premiers juges sur ce moyen et, en conséquence, sur les conclusions tendant au paiement de cette facture. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif aux points 16 à 18 du jugement attaqué.

17. Il résulte de ce qui a été dit aux points 15 et 16 que les demandes de la société Coréal tendant au paiement des trois factures précitées doivent être rejetées. Par suite, ses conclusions à fins de condamnation de l'EP Eau de Paris à lui verser les sommes de 120 euros à titre d'indemnité pour factures non payées et de 5 000 euros au titre de dommages-intérêts pour opposition abusive au paiement doivent être également rejetées.

Sur la demande tendant à l'indemnisation des préjudices causés par la résiliation du marché :

18. Ainsi qu'il a été dit au point 14, la mesure de résiliation prise par l'EP Eau de Paris est fondée. L'EP Eau de Paris n'a ainsi commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité. Par suite, la demande de la société Coréal tendant à la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de cette résiliation doit être rejetée.

19. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir soulevées par l'EP Eau de Paris, tant à l'encontre de la requête par elle-même que des différentes conclusions indemnitaires de la société Coréal, excepté la demande relative à la facture n° 18082/09/18005, que cette dernière n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de sa requête tendant à l'annulation de la décision de résiliation du 15 février 2019 et à la reprise des relations contractuelles et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Sur les frais de l'instance :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'établissement public local Eau de Paris, qui n'est pas dans la présente instance partie perdante, le versement de la somme que la société Coréal demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, de mettre à la charge de la société Coréal la somme de 1 500 euros à verser à l'établissement public local Eau de Paris au titre des frais exposés par ce dernier et non compris dans les dépens de la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Coréal est rejetée.

Article 2 : La société Coréal versera à l'établissement public local Eau de Paris la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Coréal et à l'établissement public local Eau de Paris.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- Mme Bruston, présidente assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 novembre 2023.

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

M. HEERS La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22PA01221


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01221
Date de la décision : 24/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : SEBAN ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-24;22pa01221 ?
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