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24/11/2023 | FRANCE | N°23NT02023

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 24 novembre 2023, 23NT02023


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 avril 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n°2305796 du 25 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enre

gistrée le 5 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Lachaux, demande à la cour :



1°) d'annuler le jugement...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 avril 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n°2305796 du 25 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Lachaux, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 25 mai 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 5 avril 2023 du préfet de Maine-et-Loire ;

2°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale et de lui remettre le dossier à adresser à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de transfert méconnait l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 :

* il n'est pas démontré qu'un entretien individuel a bien eu lieu de façon confidentielle, en présence d'un interprète dans une langue qu'il comprend, et qu'il a été mené par un agent disposant des connaissances appropriées ;

- la situation des demandeurs d'asile angolais au Portugal n'est pas satisfaisante ;

- la décision de transfert est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, elle méconnait l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ainsi que les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :

* notamment en raison de sa vulnérabilité et de ses problèmes de santé, mais également de la situation très critique des demandeurs d'asile angolais au Portugal et des risques encourus en cas de renvoi dans son pays d'origine ;

* il a choisi de déposer sa demande d'asile en France, parce que son oncle y réside.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Pons a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant angolais, a déclaré être entré sur le territoire français le 30 décembre 2022. Il a déposé une demande d'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique le 10 mars 2023. Le relevé de ses empreintes digitales a révélé qu'il était titulaire d'un visa délivré par les autorités portugaises, périmé depuis moins de six mois au moment du dépôt de sa demande d'asile et que M. A... avait déclaré une personne invitante, une profession et un employeur dans sa demande de visa. Une demande de prise en charge a été formulée auprès des autorités portugaises le 16 mars 2023 en application de l'article 12.4 du règlement (UE) n°604/2013. Les autorités portugaises ont fait connaître leur accord explicite le 20 mars 2023. Par un arrêté du 5 avril 2023, le préfet de Maine-et-Loire a alors décidé du transfert de M. A... aux autorités portugaises, pays responsable de l'examen de sa demande d'asile. M. A... relève appel du jugement du 25 mai 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".

3. Les services de la préfecture de la Loire-Atlantique, et en particulier les agents recevant les étrangers au sein du guichet unique des demandeurs d'asile, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article. Il ressort du compte-rendu d'entretien signé par M. A... que l'intéressé a été reçu en entretien individuel le 10 mars 2023 et qu'il a pu exposer différents éléments précis et circonstanciés relatifs à sa situation personnelle, notamment sur sa santé et les conditions de son arrivée sur le territoire européen. M. A... s'est également vu remettre, le 10 mars 2023, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile, le guide du demandeur d'asile ainsi que les brochures portant information générale sur la procédure de demande d'asile dans l'Union européenne et information sur la procédure Dublin, dans leur version en portugais, que M. A... a expressément déclaré comprendre. Les informations contenues dans ces brochures lui ont également été communiquées oralement lors de l'entretien individuel. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'aurait pas été réalisé dans des conditions garantissant sa confidentialité. Enfin, contrairement à ce qui est allégué, le résumé d'entretien individuel de M. A... mentionne qu'il a été mené par un agent habilité de la préfecture de Loire-Atlantique et ce même agent a apposé ses initiales sur le résumé d'entretien. Ces éléments sont suffisants pour établir que cet entretien a été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que les conditions de son entretien " Dublin " méconnaissent l'article 5 du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

5. Le Portugal étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu' à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités portugaises répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

6. M. A... fait état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile au Portugal, mais les éléments dont il fait état, notamment le rapport de l'AIDA publié en 2021, ne permettent pas d'établir que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités portugaises, qui ont accepté explicitement de le prendre en charge, dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision de transfert en cause méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

9. L'intéressé n'apporte aucun élément de nature à établir qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant son transfert aux autorités portugaises, le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et aurait méconnu les dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les " troubles de l'audition, les douleurs à la tête et aux dents " du requérant seraient de nature à entraîner un risque important pour sa santé, ni qu'un suivi adapté ne pourrait être mis en œuvre au Portugal et devrait être mis en œuvre en France. En outre, l'arrêté du 5 avril 2023 n'est pas entaché d'un défaut de prise en compte de la vulnérabilité de M. A..., en qualité de demandeur d'asile. Si M. A... soutient que son oncle résiderait en France, cette circonstance ne saurait par elle-même entacher la décision contestée d'une erreur manifeste d'appréciation. Enfin, la seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par le Portugal, l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement vers l'Angola, ne saurait caractériser la méconnaissance par le Portugal de ses obligations.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 25 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions de M. A... tendant à l'annulation du jugement du 25 mai 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 avril 2023 du préfet de Maine-et-Loire par lequel ledit préfet a décidé son transfert vers le Portugal, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions du requérant aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er: La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 17 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2023.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°23NT02023


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02023
Date de la décision : 24/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : LACHAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-24;23nt02023 ?
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