La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/11/2023 | FRANCE | N°23PA01108

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 24 novembre 2023, 23PA01108


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 7 avril 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande de renouvellement de son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2207112 du 13 février 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.



Procédure devant l

a Cour :



Par une requête, enregistrée le 16 mars 2023, Mme A..., représentée par

Me Namigohar, demand...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 7 avril 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande de renouvellement de son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2207112 du 13 février 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 16 mars 2023, Mme A..., représentée par

Me Namigohar, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans le délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans le même délai et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des articles

L. 761-1 et R. 776-20 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la décision portant refus de titre de séjour :

- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que les signatures des membres du collège de l'OFII ne sont pas lisibles et que le rapport médical confidentiel du médecin rapporteur n'a pas visé ni pris en compte l'ensemble du protocole de soins et les traitements qui lui ont été prescrits non plus que son taux d'incapacité supérieur ou égal à 80 %, son besoin d'assistance par une tierce personne ainsi que l'impossibilité de bénéficier d'un traitement effectif dans son pays d'origine ;

- la décision est entachée d'insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'incompétence de son auteur ;

- la décision méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'ensemble de ses attaches familiales résident sur le territoire français et sont très investies dans le suivi des traitements médicaux relatifs à ses pathologies ;

- la décision méconnaît l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'absence de versement par l'OFII des éléments de la base MedCOI dont il se sert pour prendre sa décision constitue une violation des droits de la défense ;

- elle souffre de plusieurs pathologies lourdes et la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a évalué son taux d'incapacité comme étant égal ou supérieur à 80% ;

- le directeur général de la médecine hospitalière et des explorations diagnostiques du Bénin a attesté de ce qu'elle ne pourra bénéficier d'une prise en charge adéquate de son affection au Bénin ;

- elle ne pourra en tout état de cause bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine, notamment du fait que les pathologies dont elle souffre ne sont pas prises en compte par l'Assurance pour le renforcement du capital humain (ARCH) qui ne sera en tout état de cause pleinement opérationnel qu'en 2030, du fait de son besoin de recours à l'aide d'une tierce personne, qui n'a pas été pris en compte par l'OFII, et du fait de la charge financière des trajets jusqu'au centre de soins, qu'elle ne pourra assumer ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale à raison de l'illégalité du refus de titre sur lequel elle se fonde ;

- elle est entachée d'incompétence de son auteur ;

- elle est entachée d'insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

- elle est illégale à raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français sur laquelle elle se fonde ;

- elle est entachée d'incompétence de son auteur ;

- elle viole l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Mantz, rapporteur.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante béninoise née le 15 avril 1957, entrée en France le

1er novembre 2016 selon ses déclarations, s'est vu délivrer un premier titre de séjour pour raisons de santé du 20 août 2019 au 19 août 2020, puis un second, valable du 9 novembre 2020 au

8 novembre 2021, dont elle a demandé le renouvellement le 1er octobre 2021. Par un arrêté du

7 avril 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de faire droit à cette demande, a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, en fixant le pays de renvoi. Mme A... relève appel du jugement du 13 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... est atteinte, notamment, d'une insuffisance rénale chronique de stade 3, probablement d'origine diabétique et vasculaire, associée à une anémie chronique, ainsi que d'un diabète de type 2

insulino-dépendant, compliqué d'une rétinopathie et d'une hypertension artérielle difficile à contrôler. Elle souffre également d'arthrose invalidante et d'une presbyacousie bilatérale nécessitant un appareillage auditif, et bénéficie d'un suivi cardiologique en raison d'une cardiopathie hypertrophiée non obstructive. Son traitement se compose de Metformine, Trulicity, Amlodipine, Acebutolol, Valsartan/Hydro, Atorvastatine, Uvedose, Aranesp et Lucentis. Il résulte en outre du certificat du 6 juin 2022 du néphrologue qui suit Mme A..., postérieur de deux mois à la date de la décision attaquée mais de nature à révéler une situation antérieure ou concomitante à cette décision, que " la maladie néphrologique de Mme A... nécessite une prise en charge spécialisée et des traitements spécifiques (ARA II, ISGTL2, EPO) dont le défaut sont susceptibles pour elle d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité ". De plus, le président de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de la Seine-Saint-Denis a délivré à Mme A..., par décision en date du 28 décembre 2021, une carte mobilité inclusion (CMI) mention invalidité, avec un taux d'incapacité supérieur ou égal à 80 %, et a décidé de lui verser l'allocation aux adultes handicapées avec effet rétroactif au 1er avril 2020. Le président de la CDAPH a notamment indiqué à Mme A... dans cette dernière décision que " vous avez des difficultés ayant des conséquences majeures dans votre vie quotidienne et sur votre autonomie individuelle, correspondant à un taux d'incapacité supérieur ou égal à 80% ". En outre, par un certificat du 21 décembre 2022, postérieur à la décision attaquée mais de nature à révéler une situation antérieure ou concomitante à cette décision, le médecin généraliste traitant de Mme A... a indiqué que l'état de santé de cette dernière " constitue un handicap grave et sévère. Elle est dépendante pour tous les actes de la vie quotidienne. / Elle nécessite la présence d'une tierce personne pour l'assister au cours de ses consultations médicales et ses rendez-vous administratifs ".

4. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A..., qui a notamment deux filles résidant en France, respectivement à Pierrefitte (Seine-Saint-Denis) et à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), ainsi qu'un fils, réside chez son gendre à Sevran (Seine-Saint-Denis), en compagnie de plusieurs de ses petits-enfants. Elle soutient, sans être contredite par le préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit de mémoire en défense, que ses enfants et petits-enfants sont très investis dans son suivi médical, ce qui est en outre corroboré par plusieurs témoignages de proches, ainsi que par plusieurs certificats médicaux qui soulignent la nécessité de cette assistance. Elle établit également que son mari est décédé. Il résulte ainsi de l'ensemble de ce qui vient d'être dit que Mme A... doit être regardée comme ayant établi le centre de ses intérêts privés et familiaux en France à la date de la décision attaquée. Par suite, dans les circonstances très particulières de l'espèce, la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette illégalité entraîne, par voie de conséquence, celle de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de destination.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté contesté.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. En raison du motif qui la fonde, l'annulation de l'arrêté attaqué implique nécessairement que le titre de séjour sollicité soit délivré à la requérante sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative. Dès lors, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer une carte de séjour mention "vie privée et familiale" dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2207112 du 13 février 2023 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 7 avril 2022 du préfet de la Seine-Saint-Denis est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à Mme A... une carte de séjour mention "vie privée et familiale" dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente de chambre,

- Mme Bruston, présidente assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2023.

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

M. HEERS

La greffière,

O. BADOUX-GRARELa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA01108 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01108
Date de la décision : 24/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : NAMIGOHAR

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-24;23pa01108 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award