La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/11/2023 | FRANCE | N°23MA00985

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 27 novembre 2023, 23MA00985


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La commune de Pontevès, venant aux droits du syndicat à vocation unique Bartavpon, a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner in solidum la société anonyme Sade - Compagnie générale de travaux hydrauliques (" Sade Cgth ") et la société par actions simplifiée Cabinet d'études Marc Merlin à lui verser une indemnité d'un montant total de 391 297,89 euros hors taxes, assortie des intérêts moratoires au taux légal courant à compter du dépôt de la requête,

et de la capitalisation des intérêts.



Par un jugement n° 2002052 du 16 février 202...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Pontevès, venant aux droits du syndicat à vocation unique Bartavpon, a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner in solidum la société anonyme Sade - Compagnie générale de travaux hydrauliques (" Sade Cgth ") et la société par actions simplifiée Cabinet d'études Marc Merlin à lui verser une indemnité d'un montant total de 391 297,89 euros hors taxes, assortie des intérêts moratoires au taux légal courant à compter du dépôt de la requête, et de la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 2002052 du 16 février 2023, le tribunal administratif de Toulon a, en premier lieu, condamné in solidum ces deux sociétés à payer à la commune de Pontevès la somme de 220 000 euros hors taxes, avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2020 et capitalisation des intérêts à compter du 3 août 2021 et à chaque échéance annuelle, en deuxième lieu, a condamné le cabinet d'études Marc Merlin à garantir la société Sade Cgth à hauteur de 90 % du montant de cette condamnation, en troisième lieu, a mis les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 26 668,88 euros toutes taxes comprises, à la charge définitive, pour moitié chacune, des deux sociétés, et mis à la charge solidaire de ces deux sociétés une somme de 2 000 euros à verser à la commune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 avril 2023, la société Cabinet d'études Marc Merlin, représentée par Me Lacan, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il fait droit aux demandes dirigées contre elle, et de la mettre hors de cause ;

2°) subsidiairement, de condamner la société Sade Cgth à la relever et garantir en principal, frais, dépens et intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la commune et/ou de la société Sade Cgth une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de mettre les dépens à leur charge définitive.

Elle soutient que :

- le projet retenu correspondant à la variante proposée par la société Sade Cgth, c'est cette dernière qui devait être regardée comme l'unique concepteur de la station ;

- elle n'a pas commis de faute, et doit être relevée et garantie en totalité par la société Sade Cgth.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2023, la société Sade Cgth, représentée par Me Guillet et Me Boulan, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il lui fait grief, et de la mettre hors de cause ;

2°) subsidiairement, de prescrire un complément d'expertise ;

3°) plus subsidiairement, de limiter le montant des condamnations et de condamner la société Cabinet d'études Marc Merlin à la relever et garantir de toute condamnation, en principal, frais et accessoires ;

4°) de mettre à la charge de la société appelante ou de tout succombant la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les dysfonctionnements de la station trouvent leur origine dans la non-conformité des eaux usées arrivant dans la station, qui est imputable à la seule commune et constitue une cause exonératoire de responsabilité ;

- subsidiairement, une autre expertise devrait être prescrite ;

- plus subsidiairement, le montant de l'indemnité doit être réduit, et la société Cabinet d'études Marc Merlin être condamnée à la relever et garantir de toute condamnation.

Par une lettre en date du 7 juillet 2023, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu avant le 31 décembre 2023, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 10 septembre 2023.

Par ordonnance du 28 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

Un mémoire en défense présenté pour la commune de Pontevès a été enregistré le 28 septembre 2023, après la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'arrêté du 22 juin 2007 relatif à la collecte, au transport et au traitement des eaux usées des agglomérations d'assainissement ainsi qu'à la surveillance de leur fonctionnement et de leur efficacité, et aux dispositifs d'assainissement non collectif recevant une charge brute de pollution organique supérieure à 1,2 kg/j de DBO5 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Costantini, pour la société Sade Cgth.

Considérant ce qui suit :

1. Par contrat du 19 septembre 2005, la commune de Pontevès (Var) a confié à la société Cabinet d'études Marc Merlin un marché public ayant pour objet la maîtrise d'œuvre d'une opération de réalisation de raccordement du réseau communal d'évacuation des eaux usées à la station d'épuration de la commune voisine de Barjols. Cependant, ce projet, jugé trop coûteux, a été abandonné en 2009 au profit d'un second projet portant sur la construction d'une nouvelle station d'épuration autonome sur le territoire de la commune de Pontevès. Par contrat du 5 juin 2012, le syndicat intercommunal à vocation unique Bartavpon, constitué pour l'occasion, a attribué à la société Sade Cgth un marché public de travaux ayant pour objet la création de cette station d'épuration d'une capacité de 1 000 équivalents-habitant, toujours sous la maîtrise d'œuvre du cabinet d'études Marc Merlin dont le contrat avait été modifié en conséquence. Après la réception de l'ouvrage, qui a eu lieu en 2013, a été constaté, en 2014, un rejet d'effluents vers le milieu naturel considéré comme anormal. La commune, venant aux droits du syndicat intercommunal dissout par arrêté préfectoral du 18 mars 2016, a alors saisi le tribunal administratif de Toulon d'une demande tendant à la condamnation des sociétés Cabinet d'études Marc Merlin et Sade Cgth à lui verser une indemnité de 391 297,89 euros sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs. Par le jugement attaqué, dont la société Cabinet d'études Marc Merlin relève appel, le tribunal administratif de Toulon a, en premier lieu, condamné in solidum ces deux sociétés à payer à la commune de Pontevès la somme de 220 000 euros hors taxes, avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2020 et capitalisation des intérêts à compter du 3 août 2021 et à chaque échéance annuelle, en deuxième lieu, condamné le cabinet d'études Marc Merlin à garantir la société Sade Cgth à hauteur de 90 % du montant de cette condamnation, en troisième lieu, mis les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 26 668,88 euros toutes taxes comprises, à la charge définitive, pour moitié chacune, des deux sociétés, et mis à la charge solidaire de ces deux sociétés une somme de 2 000 euros à verser à la commune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur l'appel principal :

2. Il résulte du rapport d'expertise que les désordres affectant la station d'épuration résultent de l'abandon du second étage de filtration, qui était indispensable pour permettre le traitement des effluents dans des conditions conformes aux obligations contractuelles souscrites par la société Sade Cgth.

3. Cette faute de conception est imputable, d'une part, à la société Sade Cgth, qui, dans un mémoire justificatif technique, a proposé cet abandon au profit d'une solution comportant un seul étage vertical avec recirculation et, d'autre part, au Cabinet d'études Marc Merlin, qui a validé cette variante et établi, sur cette base, le dossier de consultation des entreprises. Compte tenu des fautes respectives de ces deux sociétés, la charge définitive du montant de la condamnation doit être partagée pour moitié entre elles.

4. Le Cabinet d'études Marc Merlin est donc fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a, d'une part, rejeté son appel en garantie et, d'autre part, l'a condamné à garantir la société Sade Cgth à hauteur de 90 %, au lieu de retenir une responsabilité de chaque constructeur pour moitié.

Sur l'appel provoqué de la société Sade Cgth :

5. La situation de la société Sade Cgth se trouvant ainsi aggravée, ses conclusions d'appel provoqué sont recevables.

6. Pour caractériser l'impropriété à destination de la station d'épuration, la commune de Pontevès s'est fondée sur les conclusions de l'expert. Ce dernier a en effet émis l'avis que l'ouvrage était impropre à sa destination, en raison, d'une part, de l'existence d'un biofilm d'origine bactérienne à la surface du canal de sortie des effluents vers le milieu naturel, et, d'autre part, de la méconnaissance, constatée par son sapiteur, des valeurs maximales de concentration stipulées dans le mémoire d'exploitation joint au contrat.

7. Toutefois, l'impropriété à destination d'un ouvrage ne peut se déduire de la seule méconnaissance des engagements contractuels de l'attributaire. Dès lors, la circonstance que la station d'épuration ne respecterait pas les engagements contenus dans le mémoire technique de la société Sade Cgth, si elle est de nature à engager la responsabilité contractuelle de la société, ne suffit pas à caractériser une impropriété de l'ouvrage à sa destination. Pour déterminer si la station d'épuration est impropre à sa destination, il y a en l'espèce lieu pour la Cour de se référer aux stipulations du cahier des clauses techniques particulières qui fixe les caractéristiques minimales attendues de la station d'épuration en application de la réglementation nationale et donc de vérifier si l'ouvrage réalisé remplit son rôle de traitement des effluents et de leur rejet dans le milieu naturel, conformément à la règlementation en vigueur.

8. Aux termes de l'article 3 de ce cahier : " les exigences épuratoires minimales sont imposées par l'arrêté du 22 juin 2007 [à l'article] 14 concernant les installations traitant une charge inférieure ou égale à 120 kg DBO5, à savoir : / paramètre DBO5 : concentration maximale de 25 mg/L, rendement minimal de 60 % / paramètre DCO : concentration maximale de 125 mg/L, rendement minimal de 80 % / paramètre MES : pas de concentration maximale / rendement minimal de 90 % " / De plus, ils ne doivent pas contenir de substances de nature à favoriser la manifestation d'odeurs. / Leur pH doit être compris entre 6 et 8,5 et leur température inférieure à 25° C ".

9. L'arrêté du 22 juillet 2007, auquel le cahier des clauses techniques particulières se réfère ainsi, précise, dans son article 14 que le " traitement doit au minimum permettre d'atteindre les rendements ou la concentration " et précise à nouveau, dans son annexe I, que " les performances sont respectées soit en rendement, soit en concentration ".

10. Il résulte de cette référence que le respect des valeurs relatives au rendement et à la concentration, fixées par l'article 3 du cahier des clauses techniques particulières du marché, sont des valeurs devant être respectées de manière alternative et non cumulative.

11. Dès lors, le cahier des clauses techniques particulières impose seulement, en premier lieu, que les matières oxydables (notées " DCO " pour " demande chimique en oxygène ") soient éliminées suivant un taux de rendement minimum de 80 %, sauf si leur concentration est inférieure à 125 mg/L. De même, il impose, en deuxième lieu, que les matières biodégradables (notées " DBO5 " pour " demande biochimique en oxygène mesurée à 5 jours ") soient éliminées suivant un taux de rendement minimum de 60 %, sauf si leur concentration est inférieure à 25 mg/L. Il en résulte, en troisième lieu, que les matières en suspension (notées " MES ") doivent être éliminées suivant un taux de rendement minimum de 90 %, aucun taux de concentration maximal n'étant fixé pour ces matières.

12. Or, le bureau d'études IRH, sapiteur de l'expert chargé d'établir un bilan du fonctionnement de la station d'épuration, n'a relevé qu'à deux reprises seulement la méconnaissance des obligations ainsi définies.

13. En premier lieu, à l'occasion d'une mesure effectuée dans le casier n° 2 les 10 et 11 décembre 2018, il a relevé une concentration de matières en suspension de 39 mg/L, pour un rendement de 76 %. Toutefois, s'agissant de cette mesure, le laboratoire a noté en page 16 de son rapport que cet écart de rendement n'était pas significatif dès lors que les concentrations mesurées en entrée de station étaient anormalement basses s'agissant de ce bilan. Il ne peut, dès lors, en être tenu compte.

14. En second lieu, à l'occasion d'une mesure effectuée dans le casier n° 3 les 5 et 6 décembre 2018, le sapiteur a relevé une concentration de DCO de 200 mg/L et un rendement de 71 %, inférieur au rendement de 80 % également prévu par le cahier des clauses techniques particulières. Il doit par ailleurs être noté que ce taux de rendement, s'il est inférieur aux exigences du cahier des clauses techniques particulières, reste supérieur au taux de rendement minimal de 60 % prévu par l'arrêté du 22 juin 2007.

15. Dans ces conditions, cette unique méconnaissance des valeurs stipulées dans le cahier des clauses techniques particulières ne suffit pas à établir l'impropriété de l'ouvrage à sa destination alors même que, selon l'expert, les caractéristiques de l'effluent entrant dans la station d'épuration sont très supérieures aux normes définies dans le marché. Quant à la présence d'un " biofilm " dans le canal de sortie des effluents, ni l'expert ni la commune de Pontevès n'indiquent en quoi elle pourrait être de nature à révéler une telle impropriété à destination de l'ouvrage.

16. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'elle soulève, la société Sade Cgth est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a fait droit aux demandes de la commune de Pontevès dirigées contre elle.

Sur l'extension du bénéfice de ces motifs :

17. Il incombe au juge administratif, lorsqu'est recherchée devant lui la responsabilité décennale des constructeurs, d'apprécier, au vu de l'argumentation que lui soumettent les parties sur ce point, si les conditions d'engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des constructeurs.

18. Compte tenu de l'absence de caractère décennal des désordres affectant la station d'épuration, il y a lieu, pour la Cour, de constater que les conditions d'engagement de cette responsabilité ne sont pas toutes réunies et d'en tirer les conséquences, d'office, pour la société Cabinet d'études Marc Merlin.

Sur les dépens :

19. En application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les dépens, liquidés et taxés à la somme de 26 668,88 euros toutes taxes comprises, doivent être mis à la charge de la commune de Pontevès, qui est la partie perdante.

Sur les frais liés au litige :

20. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme quelconque soit laissée à la charge des sociétés Cabinet d'études Marc Merlin et Sade Cgth, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la commune de Pontevès une somme à ce titre.

D É C I D E :

Article 1er : Les articles 1er à 4 du jugement n° 2002052 du 16 février 2023 du tribunal administratif de Toulon sont annulés.

Article 2 : Les demandes auxquelles ces articles font droit sont rejetées.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 26 668,88 euros toutes taxes comprises, sont mis à la charge définitive de la commune de Pontevès.

Article 4 : Le surplus des conclusions des sociétés Cabinet d'études Marc Merlin et Sade Cgth sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cabinet d'études Marc Merlin, à la société Sade Cgth et à la commune de Pontevès.

Copie en sera transmise à M. A... B..., expert.

Délibéré après l'audience du 13 novembre 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 novembre 2023.

N° 23MA00985 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00985
Date de la décision : 27/11/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-03-01-02-01 Marchés et contrats administratifs. - Exécution technique du contrat. - Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas. - Marchés. - Mauvaise exécution.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Renaud THIELÉ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : LACAN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-27;23ma00985 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award