La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/11/2023 | FRANCE | N°21BX03382

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 28 novembre 2023, 21BX03382


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SELARL Christophe Mandon, prise en sa qualité de mandataire-liquidateur de la société à responsabilité limitée Charcuterie Bordelaise, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de la Gironde sur sa demande de retrait de l'arrêté du 25 janvier 2017 par lequel le préfet a ordonné l'arrêt immédiat des activités de production et de distribution des produits à base de viande

prêts à consommer au sein de l'établissement de cette société situé à Villenave-d'Ornon, d'au...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SELARL Christophe Mandon, prise en sa qualité de mandataire-liquidateur de la société à responsabilité limitée Charcuterie Bordelaise, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de la Gironde sur sa demande de retrait de l'arrêté du 25 janvier 2017 par lequel le préfet a ordonné l'arrêt immédiat des activités de production et de distribution des produits à base de viande prêts à consommer au sein de l'établissement de cette société situé à Villenave-d'Ornon, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 662 671,57 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2019 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices que lui a causé cet arrêté du 25 janvier 2017.

Par un jugement n° 1904279 du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 9 août 2021 et 12 juillet 2023, la société Ekip, venant aux droits de la société Christophe Mandon et prise en sa qualité de mandataire-liquidateur de la société Charcuterie Bordelaise, représentée par Me Achou-Lepage, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 juin 2021 ;

2°) d'annuler la décision par laquelle le préfet de la Gironde a implicitement rejeté le recours gracieux présenté à l'encontre de l'arrêté du 25 janvier 2017 ordonnant l'arrêt immédiat des activités de production et de distribution des produits à base de viande prêts à consommer au sein de l'établissement de la société Charcuterie Bordelaise situé à Villenave-d'Ornon ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de réexaminer sa demande tendant au retrait de cet arrêté du 25 janvier 2017 ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 662 671,57 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2019 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices que lui a causé l'arrêté du 25 janvier 2017 ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la minute de ce jugement n'est pas signée, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- dès lors qu'il a pour objet de réprimer les manquements aux règles sanitaires commis par la Charcuterie Bordelaise, l'arrêté du 25 janvier 2017 ne constitue pas une mesure de police administrative mais une sanction ;

- conformément aux dispositions de l'article L. 243-4 du code des relations entre le public et l'administration, le préfet de la Gironde n'était pas en situation de compétence liée pour rejeter le recours tendant au retrait de cet arrêté ;

- l'arrêté du 25 janvier 2017 est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'il n'a pas été précédé d'une mise en demeure et a été pris en méconnaissance du principe du contradictoire et, par voie de conséquence de celui de la liberté du commerce et de l'industrie ;

- cet arrêté est entaché d'une disproportion manifeste révélatrice d'un détournement de pouvoir ;

- elle justifie de la réalité et du montant du préjudice que les fautes ainsi commises par l'administration ont causé à la société Charcuterie Bordelaise.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 mai 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société EKIP ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique,

- et les observations de Me Caparros représentant la société Ekip.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 25 janvier 2017, le préfet de la Gironde a prononcé l'arrêt immédiat des activités de production et de distribution des produits à base de viande prêts à consommer, à l'exception des jambons cuits, au sein de l'établissement de la société Charcuterie Bordelaise situé à Villenave-d'Ornon. Il a, en outre, conditionné la reprise de ces activités à une vérification par l'administration compétente de la réalisation de plusieurs actions correctives des non-conformités relevées par la direction départementale de la protection des population (DDPP) le 18 janvier 2017. L'exécution de cet arrêté a toutefois été suspendue par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux du 1er février 2017. Le préfet de la Gironde a néanmoins implicitement rejeté le recours gracieux tendant au retrait de ce même arrêté, présenté par la société Charcuterie Bordelaise le 6 mai 2019. Enfin, par un jugement du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté, au fond, la demande présentée par la société Christophe Mandon en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Charcuterie Bordelaise et tendant, d'une part, à l'annulation de cette décision implicite de rejet, d'autre part à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices que lui a causé l'arrêté du 25 janvier 2017, pour un montant de 662 671, 57 euros en principal. La société Ekip, qui a repris le mandat de la société Christophe Mandon, relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué du 15 juin 2021 a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et la greffière d'audience. Par suite, et quand-bien même la copie de ce jugement notifiée aux requérants n'était pas signée, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative doit être écarté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 233-1 du code rural et de la pêche maritime : " I. - Lorsque, du fait d'un manquement à l'article L. 231-1 ou à la réglementation prise pour son application, un établissement présente ou est susceptible de présenter une menace pour la santé publique, les agents habilités à cet effet peuvent mettre en demeure l'exploitant de réaliser, dans un délai qu'ils déterminent, les travaux, les opérations de nettoyage, les actions de formation du personnel et les autres mesures nécessaires à la correction de ce manquement ainsi que le renforcement des autocontrôles. / L'exploitant est invité à présenter ses observations écrites ou orales dans le délai qui lui est imparti à compter de la réception de la mise en demeure, le cas échéant en se faisant assister par un conseil de son choix ou en se faisant représenter. En cas d'urgence et pour prévenir les dangers graves et imminents pour la santé publique, l'autorité administrative peut ordonner la fermeture immédiate de tout ou partie de l'établissement ou l'arrêt immédiat d'une ou de plusieurs de ses activités jusqu'à la réalisation des mesures permettant la réouverture de l'établissement ou la reprise des activités sans risque pour la santé publique (...) ". Ces dispositions permettent au préfet de prononcer la fermeture d'un établissement présentant ou susceptible de présenter une menace pour la santé publique afin qu'il soit mis en conformité avec les règlementations que ces dispositions mentionnent. En principe, une telle décision intervient pour que soient réalisées les mesures correctives ordonnées par l'administration et prévoit la réouverture de l'établissement lorsque les services compétents auront constaté sa mise en conformité.

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut retirer un acte réglementaire ou un acte non réglementaire non créateur de droits que s'il est illégal et si le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant son édiction ". Enfin, aux termes de l'article L. 243-4 du même code : " Par dérogation à l'article L. 243-3, une mesure à caractère de sanction infligée par l'administration peut toujours être retirée ".

5. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en litige, fondé sur les dispositions de l'article L. 233-1 du code rural et de la pêche maritime citées au point 3, lesquelles sont classées dans la partie législative de ce code, au sein de la section 1 du chapitre III du titre III du livre II intitulée " Mesures de police administrative ", a été explicitement pris pour prévenir le danger pour la santé publique que représentent les manquements aux règles d'hygiène constatés au sein de l'établissement de Villenave d'Ornon et non pour réprimer ces manquements. Ainsi l'arrêté du 25 janvier 2017 ne constitue pas une sanction, ainsi que le soutient l'appelante, mais une mesure de police administrative. Par suite, c'est par une juste application des dispositions précitées de l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration que les premiers juges ont constaté qu'après l'expiration du délai de quatre mois prévu par ces dispositions, le préfet de la Gironde était en situation de compétence liée pour refuser de retirer cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

6. Il résulte de l'instruction qu'au cours du dernier trimestre 2016 et en janvier 2017, plusieurs supermarchés ont alerté la DDPP de la présence de bactéries de type listeria monocytogenes dans des lots de rillettes de canards et un lot de pâté landais produits par la société Charcuterie Bordelaise. Des examens plus poussés pratiqués sur l'un de ces lots ont permis de constater la présence de cette bactérie avec une concentration très supérieure aux normes en vigueur. Une inspection de l'établissement de cette société situé à Villenave d'Ornon a été diligentée les 18 et 24 janvier 2017. A cette occasion, des manquements majeurs à la législation relative à l'hygiène alimentaire et aux règles sanitaires applicables ont été constatées, s'agissant notamment de la maintenance des locaux et des équipements, de leur nettoyage et de leur désinfection, de la maîtrise des conditions et températures de conservation des denrées alimentaires ainsi que de la conformité des produits finis. Par ailleurs, les analyses effectuées sur un lot de rillettes de porc destiné à l'export et un lot de pâté landais ont confirmé la présence, dans ces lots et donc au sein de l'établissement, de la bactérie listeria monocytogenes.

7. Si la société se prévaut d'un rapport d'audit réalisé en 2016 à l'initiative de ses clients, qui conclut au respect des exigences sanitaires desdits clients, de rapports d'analyses effectués par le laboratoire Erofins entre octobre et décembre 2016 ainsi que d'analyses réalisées sur d'autres produits de l'entreprise prélevés le 18 janvier 2017, dont les résultats sont conformes à la réglementation, ces éléments ne contredisent pas utilement les constats opérés à l'occasion des autres prélèvements susmentionnés, opérés notamment à l'occasion des opérations d'inspection, dont il résulte que certains produits fabriqués par la société présentaient une concentration de la bactérie à un niveau dangereux pour la santé humaine. Les circonstances que les rillettes de porc mises en cause n'étaient pas destinées au marché français et qu'aucune contamination effective d'un consommateur à la listeria n'a été constatée depuis la création de la société Charcuterie Bordelaise en 2000 ne sont pas davantage de nature à remettre en cause ces constats.

8. Dans ces conditions, eu égard aux dangers graves et imminents que les manquements relevés faisaient peser sur la santé publique dès lors que la listeria monocytogenes peut s'avérer mortelle, notamment chez les individus immunodéprimés et les femmes enceintes, la société appelante ne saurait prétendre qu'il n'y avait pas urgence à prononcer l'arrêt des activités de production et de distribution concernées. Par suite, contrairement à ce qu'elle soutient, le préfet de la Gironde a pu légalement, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 233-1 du code rural et de la pêche maritime, prendre l'arrêté du 25 janvier 2017 sans avoir auparavant mis la société Charcuterie Bordelaise en demeure de procéder à la correction des manquements constatés et sans l'avoir invitée à présenter ses observations. Par voie de conséquence, la société Ekip n'est fondée à soutenir ni que cet arrêté a été pris en méconnaissance du principe du contradictoire ni que la fermeture sans délai de l'établissement a porté une atteinte injustifiée au principe de liberté du commerce et de l'industrie.

9. Par ailleurs, dans les circonstances décrites ci-dessus, et eu égard notamment à la réalité et à la gravité des manquements constatés lors de l'inspection des 18 et 24 janvier 2017, il ne résulte pas de l'instruction que le préfet de la Gironde ait entaché sa décision d'une erreur d'appréciation ou que celle-ci serait entachée d'une " disproportion " manifeste révélatrice d'un détournement de pouvoir.

10. En conséquence, la société Ekip n'établit pas que l'arrêté du 25 janvier 2017 serait entaché d'une illégalité fautive dont elle serait fondée à se prévaloir pour rechercher la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices que cet arrêté lui a causé.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ekip n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les différentes demandes présentées par la société Christophe Mandon. Par suite, les conclusions de la requête à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Ekip est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Ekip et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 novembre 2023.

Le rapporteur,

Manuel A...

Le président,

Laurent Pouget

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX03382 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03382
Date de la décision : 28/11/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : ACHOU-LEPAGE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-28;21bx03382 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award