La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/12/2023 | FRANCE | N°21BX04536

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre (formation à 5), 07 décembre 2023, 21BX04536


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la délibération du 13 août 2020 par laquelle la commission nationale d'agrément et de contrôle du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) a rejeté son recours préalable et lui a infligé une sanction d'interdiction temporaire d'exercer toute activité privée de sécurité pendant 12 mois, assortie d'une pénalité financière d'un montant de 1 000 euros.



Par un j

ugement n° 2004696 du 19 octobre 2021, le tribunal administratif

de Bordeaux a annulé la décision du 13 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la délibération du 13 août 2020 par laquelle la commission nationale d'agrément et de contrôle du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) a rejeté son recours préalable et lui a infligé une sanction d'interdiction temporaire d'exercer toute activité privée de sécurité pendant 12 mois, assortie d'une pénalité financière d'un montant de 1 000 euros.

Par un jugement n° 2004696 du 19 octobre 2021, le tribunal administratif

de Bordeaux a annulé la décision du 13 août 2020.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 décembre 2021, le Conseil national des activités privées de sécurité, représenté par la société Centaure avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du

19 octobre 2021 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... ;

3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que la minute ne comporte pas les signatures requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, une société donneuse d'ordre qui sous-traite une activité privée de sécurité doit être titulaire d'une autorisation pour exercer une telle activité, conformément à l'article L. 612-9 du code de la sécurité intérieure, et son dirigeant être en possession d'un agrément délivré en application de l'article L. 612-6 de ce code ; seule une entreprise de sécurité privée peut sous-traiter une telle prestation à une autre société de sécurité privée ; l'article R. 631-23 prévoit expressément que la sous-traitance ne peut être réalisée qu'entre professionnels de la sécurité privée, détenteurs de ces autorisations ;

- la société JDC, dont M. B... est président, vendait et facturait à ses clients

des activités privées de sécurité, et par conséquent M. B..., qui entrait dans le champ

de l'article L. 612-6, aurait dû être titulaire d'un agrément ; la société JDC qui s'était vu refuser une autorisation d'exercice le 17 juillet 2018 ne pouvait sous-traiter des activités privées de sécurité, même si son sous-traitant était lui-même titulaire d'une autorisation ;

- les moyens soulevés par M. B... en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 février 2022, M. B..., représenté par

la SCP Esencia, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du CNAPS de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- à supposer que la qualification d'entreprise de sécurité privée soumise à autorisation dépende de la fourniture de services ayant pour objet la surveillance humaine, la société JDC n'exerçait pas elle-même une telle activité mais commercialisait seulement de telles prestations, puisqu'elle ne disposait pas des moyens matériels et humains nécessaires, qu'elle ne réalise pas elle-même de levée de doute, qu'elle a intégralement sous-traité la prestation de sécurité à la société Cyclop et qu'elle assure d'autres prestations sans lien avec la sécurité privée ; le CNAPS opère une confusion entre offre de services et fournitures de services, alors que l'article L. 611-1 du code de la sécurité intérieure ne vise que la fourniture de prestations ;

- aucune disposition n'impose à une société sous-traitant l'intégralité des prestations de sécurité privée d'être elle-même titulaire d'une autorisation, ce qui a d'ailleurs été jugé en matière de marchés publics ; une telle exigence serait contraire aux bonnes pratiques de la délégation interministérielle à la sécurité privée ainsi qu'à la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, puisque celle-ci n'impose pas que le donneur d'ordre ait une activité identique et les mêmes autorisations que son sous-traitant, ni qu'il ne puisse sous-traiter intégralement une prestation ;

- ce n'est qu'avec l'entrée en vigueur de la loi du 25 mai 2021 pour la sécurité globale préservant les libertés et la création de l'article L. 612-5-1 du code de la sécurité intérieure qu'il est désormais prévu, par dérogation à la loi du 31 décembre 1975, qu'une partie seulement des prestations peut être sous-traitée ; cette disposition n'est applicable qu'aux contrats conclus après le 22 mai 2022 ;

- la délibération du 13 août 2020 est illégale en l'absence de toute disposition dans le code de la sécurité intérieure prévoyant de manière claire l'obligation pour le donneur d'ordre d'être muni d'une autorisation sous peine de sanction ; le code ne réprime que

la sous-traitance à une société non munie d'une autorisation ; dans ces conditions, la sanction n'est pas justifiée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des impôts ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Coquillon, représentant le CNAPS, et celles

de Me Dayau, représentant M. B....

Une note en délibéré, présentée pour M. B..., a été enregistrée

le 14 novembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) JDC, qui a son siège social à Bruges (Gironde) et dont M. B... est président, a fait l'objet, le 18 octobre 2018, d'un contrôle par les services du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). A l'issue de ce contrôle, les services instructeurs ont estimé que cette société exerçait une activité privée de sécurité, sans que son établissement principal ni aucun de ses 41 établissements secondaires ne détiennent l'autorisation requise en application de l'article L. 612-9 du code de la sécurité intérieure et sans que ses dirigeants ne disposent de l'agrément prévu à l'article L. 612-6 de

ce code. Ils ont également relevé que la société n'avait pas versé la contribution due en application des articles R. 631-4 du code de la sécurité intérieure et 1609 quinquies du code général des impôts. Par une délibération du 4 février 2020, la commission locale d'agrément et de contrôle (CLAC) Sud-Ouest a prononcé à l'encontre de M. B..., à titre de sanction, une interdiction d'exercer toute activité privée de sécurité pendant une durée de douze mois, assortie d'une pénalité financière de 1 000 euros. A la suite du recours administratif formé par M. B... contre cette décision, préalable obligatoire à tout recours contentieux, la commission nationale d'agrément et de contrôle (CNAC) a confirmé la sanction par une délibération du 13 août 2020. Par un jugement du 19 octobre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cette décision. Par la présente requête, le CNAPS relève appel

de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de la sécurité intérieure : " Sont soumises aux dispositions du présent titre, dès lors qu'elles ne sont pas exercées par un service public administratif, les activités qui consistent : 1° A fournir des services ayant pour objet la surveillance humaine ou la surveillance par des systèmes électroniques de sécurité ou le gardiennage de biens meubles ou immeubles ainsi que la sécurité des personnes se trouvant dans ces immeubles ou dans les véhicules de transport public de personnes (...) ". Aux termes de l'article L. 612-6 de ce code, dans sa rédaction alors applicable : " Nul ne peut exercer à titre individuel une activité mentionnée à l'article L. 611-1, ni diriger, gérer ou être l'associé d'une personne morale exerçant cette activité, s'il n'est titulaire d'un agrément délivré selon des modalités définies par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article L. 612-9 de ce code : " L'exercice d'une activité mentionnée à l'article L. 611-1 est subordonné à une autorisation distincte pour l'établissement principal et pour chaque établissement secondaire. (...) ". Enfin l'article R. 631-23 précisait alors : " Les entreprises et leurs dirigeants proposent, dans leurs contrats avec les clients ainsi que dans les contrats signés entre eux, une clause de transparence, stipulant si le recours à un ou plusieurs sous-traitants ou collaborateurs libéraux est envisagé ou non. / Si le recours à la sous-traitance ou à la collaboration libérale est envisagé dès la signature du contrat, ils informent leurs clients de leurs droits à connaître le contenu des contrats de sous-traitance ou de collaboration libérale projetés. A cette fin, la clause de transparence rappelle, en les reproduisant intégralement, les dispositions des articles 1er, 2, 3 et 5 de la loi n° 75-1334

du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance. S'il n'est pas prévu à la signature du contrat, le recours à la sous-traitance ou à la collaboration libérale ne peut intervenir qu'après information écrite du client. (...) ".

3. Pour annuler la délibération sanctionnant M. B... en raison de l'absence d'agrément pour l'exercice d'une activité de sécurité privée, le tribunal a estimé qu'aucune disposition ne prévoit la nécessité pour une société d'être titulaire de l'autorisation prévue à l'article L. 612-9 du code de la sécurité intérieure lorsqu'elle décide de sous-traiter dans son intégralité une telle activité à une autre société dûment autorisée et que, par voie de conséquence, la possession d'un agrément ne saurait être exigée pour ses dirigeants. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la société JDC qui a pour objet social la vente et la maintenance, auprès de personnes physiques et morales, de caisses enregistreuses, d'appareils de monétique, d'alarmes et de systèmes de vidéo-surveillance, a confié à la société Cyclop la réalisation des prestations de télésurveillance qui incluent la connexion des matériels à un centre de surveillance ainsi que la possibilité d'envoyer un agent de sécurité en vue de procéder à une " levée de doute " et de mettre en place un gardiennage du bâtiment. Bien que ne disposant pas des moyens matériels et humains nécessaires à la réalisation de ces prestations, la société JDC avait conclu des contrats avec ses clients en vue de la fourniture de telles prestations et leur facturait, sans mentionner à aucun moment, que ce soit dans ses documents commerciaux, dans les contrats de télésurveillance ou sur les factures, le recours à un sous-traitant. Par suite, cette société doit être regardée comme ayant fourni à ses clients des services ayant pour objet la surveillance ou le gardiennage ainsi que la sécurité des personnes au sens de l'article L. 611-1 du code de la sécurité intérieure et aurait dû disposer d'une autorisation pour exercer une telle activité. Par voie de conséquence, ses dirigeants devaient également disposer de l'agrément prévu par l'article L. 612-6 du même code.

4. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur le fait que la société JDC ne pouvait être regardée comme exerçant une activité relevant de l'article L. 611-1 du code de la sécurité intérieure et que ses dirigeants n'entraient pas dans le champ de l'agrément prévu à l'article L. 612-6 de ce code, pour annuler la délibération de la CNAC du 13 août 2020.

5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Bordeaux.

Sur les autres moyens :

6. En premier lieu, M. B... ne peut utilement soutenir qu'aucune disposition n'interdirait le recours à la sous-traitance dans le domaine des activités privées de sécurité, dès lors que ce n'est pas ce qui est reproché à la société JDC dont il est président.

7. En deuxième lieu, en soutenant que l'interprétation des dispositions du code de la sécurité intérieure comme imposant à une société donneuse d'ordre sous-traitant l'intégralité des prestations de sécurité privée de détenir une autorisation et à ses dirigeants d'être en possession d'un agrément serait contraire à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprise, M. B... doit être regardé comme contestant les conditions posées par les dispositions législatives pour l'exercice d'une activité privée de sécurité. Or, une telle critique ne saurait être portée devant le juge de l'excès de pouvoir en dehors de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité prévue à l'article 61-1 de de la Constitution.

8. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 634-4 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction alors applicable : " Tout manquement aux lois, règlements et obligations professionnelles et déontologiques applicables aux activités privées de sécurité peut donner lieu à sanction disciplinaire. (...) / Les sanctions disciplinaires applicables aux personnes physiques et morales exerçant les activités définies aux titres Ier, II et II bis sont, compte tenu de la gravité des faits reprochés : l'avertissement, le blâme et l'interdiction d'exercice de l'activité privée de sécurité ou de l'activité mentionnée à l'article L. 625-1 à titre temporaire pour une durée qui ne peut excéder cinq ans. En outre, les personnes morales et les personnes physiques non salariées peuvent se voir infliger des pénalités financières. Le montant des pénalités financières est fonction de la gravité des manquements commis et, le cas échéant, en relation avec les avantages tirés du manquement, sans pouvoir excéder 150 000 €. Ces pénalités sont prononcées dans le respect des droits de la défense ".

9. Le principe de légalité des délits et des peines, qui s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, fait obstacle à ce que l'administration inflige une sanction si, à la date des faits litigieux, il n'apparaît pas de façon raisonnablement prévisible par l'intéressé que le comportement litigieux est susceptible d'être sanctionné.

10. Il résulte des dispositions citées au point 2 que l'obligation faite à une société exerçant une activité privée de sécurité et à ses dirigeants de détenir respectivement une autorisation et des agréments est dénuée d'ambiguïté. La circonstance que cette activité est confiée en sous-traitance à un tiers n'est pas de nature à introduire un doute sur la nécessité de respecter une telle exigence pour la société donneuse d'ordre, dès lors que cette dernière demeure responsable des prestations assurées par son co-contractant. Au surplus, au cas d'espèce, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la société JDC se présentait vis-à-vis

de ses clients comme exerçant elle-même une activité privée de sécurité, sans mentionner

le recours à un sous-traitant. Elle s'était d'ailleurs vue refuser l'autorisation qu'elle avait demandée au motif que ses dirigeants n'avaient pu justifier de leur compétence professionnelle dans le domaine de la sécurité privée. Le requérant ne saurait utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 617-4, relatifs aux sanctions pénales, dès lors que la sanction en litige a été prise sur le fondement de l'article L. 634-4 précité du code de la sécurité intérieure. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines ou d'une erreur d'appréciation dans l'infliction d'une sanction à l'encontre d'une société qui " n'est pas un professionnel des activités de sécurité " doivent être écartés.

11. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, que le CNAPS est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la délibération du 13 août 2020.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CNAPS, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. B... la somme de 1 000 euros à verser au CNAPS au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 19 octobre 2021 est annulé.

Article 2 : La demande de M. B... et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : M. B... versera au CNAPS la somme de 1 000 euros en application de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au Conseil national des activités privées de sécurité

et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président,

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 décembre 2023.

Le rapporteur,

Olivier CotteLe président,

Luc DerepasLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX04536


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre (formation à 5)
Numéro d'arrêt : 21BX04536
Date de la décision : 07/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-07;21bx04536 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award