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08/12/2023 | FRANCE | N°22MA02972

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 08 décembre 2023, 22MA02972


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SAS Valescure Distribution a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 10 août 2020 par laquelle la ministre du travail a confirmé la décision de l'inspecteur du travail du 28 septembre 2019 refusant d'autoriser le licenciement pour faute de M. A... Maissa, ensemble ces deux décisions.



Par un jugement n° 2002873 du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.



Procédure deva

nt la Cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 et 15 décembre 2022, sous le n° 22M...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Valescure Distribution a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 10 août 2020 par laquelle la ministre du travail a confirmé la décision de l'inspecteur du travail du 28 septembre 2019 refusant d'autoriser le licenciement pour faute de M. A... Maissa, ensemble ces deux décisions.

Par un jugement n° 2002873 du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 et 15 décembre 2022, sous le n° 22MA02972, la SAS Valescure Distribution, représentée par Me Donsimoni, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 6 octobre 2022 ;

2°) d'annuler les décisions des 28 septembre 2019 et 10 août 2020 ;

3°) d'enjoindre à l'autorité administrative, à titre principal, d'autoriser le licenciement de M. Maissa dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir et, à titre subsidiaire, de prendre une nouvelle décision relative à la demande d'autorisation de licenciement de M. Maissa dans le même délai ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du 10 août 2020 a été signée par une personne incompétente ;

- M. Maissa a profité de son mandat et de son poste de trésorier du CE pour soustraire frauduleusement des sommes d'argent appartenant au CE ;

- certains faits ont été commis alors que le salarié n'était pas en délégation ;

- il a ainsi contrevenu à ses obligations contractuelles et professionnelles dont l'obligation de loyauté ;

- ses agissements entraînent un trouble intolérable dans l'entreprise, sur son fonctionnement et au sein du personnel ;

- ils rendent impossible la poursuite de son contrat de travail ;

- M. Maissa a été condamné pour ces faits par le tribunal correctionnel de Draguignan.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2023, M Maissa, représenté par Me Galliot, conclut au rejet de la requête de la SAS Valescure Distribution et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête de la SAS Valescure Distribution est tardive ;

- les moyens soulevés par la SAS Valescure Distribution ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre du travail du plein emploi et de l'insertion, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Portier, représentant la SAS Valescure Distribution.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... Maissa a été recruté par la SAS Valescure Distribution le 1er juillet 1995, sous contrat à durée indéterminée à temps plein, en qualité d'employé commercial au sein de l'hypermarché E. Leclerc de Saint-Raphaël. Il a été élu membre du comité d'entreprise (CE) de cette société le 25 juin 2015. La société Valescure Distribution a sollicité auprès de l'inspecteur du travail territorialement compétent, par un courrier du 25 juillet 2019, l'autorisation de licencier pour faute M. Maissa, pour des faits relatifs à la tenue des comptes du comité d'entreprise pendant la période au cours de laquelle il en était le trésorier. Par une décision du 28 septembre 2019, l'inspectrice du travail de Toulon a refusé cette autorisation de licenciement. Le recours hiérarchique formé le 27 novembre 2019 par la SAS Valescure Distribution contre la décision de l'inspectrice du travail a été implicitement rejeté par la ministre du travail le 17 juillet 2020 puis, explicitement, le 10 août 2020 au motif de l'absence de trouble manifeste au bon fonctionnement de l'entreprise rendant impossible le maintien de l'intéressé au sein de celle-ci. La SAS Valescure Distribution relève appel du jugement du 6 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions des 28 septembre 2019 et 10 août 2020.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la SAS Valescure Distribution a reçu notification de la décision contestée le 21 août 2020. Cette notification comportait les voies et délais de recours. La société requérante a demandé au tribunal administratif de Toulon l'annulation de cette décision par une requête enregistrée au greffe du tribunal le 19 octobre 2020, dans le délai de deux mois prévu par les dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative. Par suite, cette requête n'était pas tardive.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un acte ou un comportement du salarié survenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail, notamment dans le cadre de l'exercice de ses fonctions représentatives, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits en cause sont établis et de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé.

5. Par la décision contestée, l'inspectrice du travail a considéré qu'étaient établis le refus de M. Maissa de mettre à disposition de l'employeur l'ensemble des documents comptable et financier du comité d'entreprise pour les exercices 2017/2018 et 2018/2019, l'absence de contrôle du compte de fonctionnement dudit comité, en particulier, l'absence de justificatif de nombreux retraits en espèces d'un montant de 23 030 euros sur la période du 1er mars 2018 au 1er mars 2019 et d'identification de l'origine de plusieurs fonds dont la remise de chèque de 5 250 euros, un virement ALS de 4 950 euros et des dépenses par chèque de 301,60 euros, le remboursement à M. Maissa de la somme de 919,35 euros avec des justificatifs ne correspondant à aucune période de délégation précise ou sans délégation, l'émission de deux chèques pour un montant total de 4 800 euros du compte personnel de M. Maissa sur le compte du budget de fonctionnement du comité d'entreprise et l'émission d'un chèque de 4 400 euros du compte personnel de M. Maissa au profit du compte des œuvres sociales et culturelles du comité pour " rembourser " les retraits d'espèces faits par la secrétaire du comité d'entreprise. L'inspectrice du travail a ensuite estimé que si l'ensemble des faits présentés dans la demande font certes état d'une mauvaise gestion des comptes du comité d'entreprise, l'employeur ne démontrait pas pour autant que ceux-ci généraient un trouble manifeste au bon fonctionnement de l'entreprise rendant impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise.

6. Il ressort des pièces du dossier que le refus de mise à disposition des documents comptables du comité d'établissement est établi par un courrier du 22 mars 2019 de M. Maissa, le président du CE n'ayant eu communication que d'une partie de ces documents qu'après plusieurs demandes réitérées. Les faits concernant l'absence de contrôle du compte de fonctionnement du comité d'entreprise et les frais de déplacement de M. Maissa de 919,35 euros dont les justificatifs ne correspondant à aucune période de délégation précise ou sans délégation sont établis par le rapport d'un cabinet d'expertise comptable du 28 février 2019 réalisé sur le compte de fonctionnement du comité d'entreprise du 1er mars 2018 au 28 février 2019. Contrairement à ce que fait valoir M. Maissa, ce rapport comptable peut être pris en compte alors même qu'il aurait été sollicité par l'employeur et ne résulterait pas d'une expertise judiciaire. Le salarié n'apporte aucun élément de nature à démontrer que ces faits seraient inexacts. Par ailleurs, il a lui-même reconnu avoir émis deux chèques d'un montant total de 4 800 euros pour compenser le retrait du volume d'espèces anormalement important du fond de caisse du comité ains qu'un chèque de 4 400 euros de son compte personnel au profit du compte des œuvres sociales et culturelles du comité pour " rembourser " les retraits d'espèces effectués par la secrétaire du comité d'entreprise. Par ailleurs, il ressort d'un jugement du 10 novembre 2022 que le tribunal correctionnel de Draguignan a déclaré M. Maissa coupable de faits d'abus de confiance commis du 1er janvier 2015 au 1er juillet 2019 pour les sommes détournées à hauteur de 32 554,60 euros, l'a condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à payer solidairement avec Mme M. les sommes de 42 260,60 euros, de 5 461 euros et de 500 euros au CE en réparation de son préjudice matériel et moral ainsi que la somme de 500 euros à la SAS Valescure Distribution en réparation de son préjudice moral. En outre, la société requérante produit deux pétitions, l'une de 80 salariés indiquant être " outrés que des salariés élus aient pu détourner de l'argent destiné à tous les salariés de l'entreprise à des fins personnels et profitez ainsi de notre confiance commune " et " informant par la présente qu'ils ne souhaitent plus travailler avec ces personnes compte tenu de leur comportement, nous sentant trahis et volés " et l'autre du 18 novembre 2018 de 50 salariés concernant la transparence des comptes du CE alors que l'entreprise compte 250 salariés.

7. Ainsi, outre que ces faits commis par M. Maissa ont affecté le dialogue social dans l'entreprise au regard des pétitions précitées par lesquelles les collègues de M. Maissa ont manifesté leur indignation et le souhait de ne plus travailler avec lui et au regard de leur caractère frauduleux et répété, du montant des détournements et de l'important préjudice causé au comité d'entreprise qui a en charge notamment d'assurer et de contrôler la gestion de toutes les activités sociales et culturelles de l'entreprise menées à l'égard des salariés et de leurs familles, de tels agissements rendaient impossible le maintien de M. Maissa dans l'entreprise alors même qu'il y occupait des fonctions modestes d'adjoint au rayon surgelé au sein de la société. Par suite, c'est à tort que le tribunal a estimé que les agissements dont il s'agit n'étaient pas de nature à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen de la requête, que la SAS Valescure Distribution est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 28 septembre 2019 et 10 août 2020.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

9. L'exécution du présent arrêt implique seulement que le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion procède à un nouvel examen de la demande d'autorisation de licenciement présentée par la SAS Valescure Distribution, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SAS Valescure Distribution, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. Maissa demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SAS Valescure Distribution et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 6 octobre 2022 et les décisions des 28 septembre 2019 et 10 août 2020 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion de réexaminer la demande d'autorisation de licenciement présentée par la SAS Valescure Distribution concernant M. Maissa dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à la SAS Valescure Distribution une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de M. Maissa tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Valescure Distribution, à M. A... Maissa et au ministre du travail du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 24 novembre 2023, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2023.

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N° 22MA02972

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02972
Date de la décision : 08/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : SELARL DONSIMONI - COULET - GUERIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-08;22ma02972 ?
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