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21/12/2023 | FRANCE | N°22DA01477

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 21 décembre 2023, 22DA01477


Vu la procédure suivante :



I. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 22DA01477, le 11 juillet 2022 et le 30 juin 2023, la société Boralex Ouest Château Thierry, représentée par Me Lou Deldique, demande à la cour :



1°) d'annuler la décision de refus tacite de la demande d'autorisation environnementale en vue de construire et d'exploiter six aérogénérateurs et deux postes de livraison sur le territoire des communes de Lucy-le-Bocage et Marigny-en-Orxois, ainsi que la décision de refus de communication des motifs ;
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2°) de délivrer l'autorisation sollicitée ;



3°) à titre subsidiaire, d'enj...

Vu la procédure suivante :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 22DA01477, le 11 juillet 2022 et le 30 juin 2023, la société Boralex Ouest Château Thierry, représentée par Me Lou Deldique, demande à la cour :

1°) d'annuler la décision de refus tacite de la demande d'autorisation environnementale en vue de construire et d'exploiter six aérogénérateurs et deux postes de livraison sur le territoire des communes de Lucy-le-Bocage et Marigny-en-Orxois, ainsi que la décision de refus de communication des motifs ;

2°) de délivrer l'autorisation sollicitée ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de délivrer cette autorisation dans le délai d'un mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre au préfet de statuer à nouveau dans un délai de deux mois sous astreinte de 100 euros par jour ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son bénéfice de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le refus n'a pas été motivé en dépit de la demande de communication des motifs adressée au préfet ;

- le dossier de demande était complet et recevable ;

- la procédure d'instruction a été régulièrement menée ;

- le projet ne méconnaît pas les intérêts protégés visés par les articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 juin 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut à ce qu'il soit sursis à statuer sur cette requête.

Il fait valoir qu'une décision explicite a été prise et fait également l'objet d'un recours.

Par ordonnance du 21 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 août 2023 à 12 heures.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 23DA00694, le 17 avril 2023 et des mémoires enregistrés le 2 mai 2023 et le 29 octobre 2023, la société Boralex Ouest Château Thierry, représentée par Me Lou Deldique, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 17 février 2023 par lequel le préfet de l'Aisne a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale ;

2°) de délivrer l'autorisation sollicitée ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Aisne de délivrer cette autorisation dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre au préfet de statuer à nouveau sur la demande d'autorisation environnementale dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son bénéfice de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté de refus est insuffisamment motivé ;

-le préfet a commis une erreur de droit en considérant que l'inscription au patrimoine de l'Unesco et la charte éolienne de ce site excluaient la réalisation du projet ;

- aucun motif ne justifie la décision de refus, notamment au regard des intérêts protégés visés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, en particulier les paysages et les chiroptères.

Par un mémoire enregistré le 20 juillet 2023, le préfet de l'Aisne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les motifs de la requête ne sont pas fondés et subsidiairement que l'étude d'impact est insuffisante et que le projet porte atteinte aux paysages des vignobles champenois.

Des pièces produites par le préfet de l'Aisne à la suite d'une mesure d'instruction ont été enregistrées le 30 octobre 2023 et ont été communiquées.

Par une ordonnance du 16 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Lou Deldique, représentant la société Boralex Ouest Château Thierry.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La société Boralex Ouest Château Thierry a demandé au préfet de l'Aisne, le 26 avril 2019, une autorisation environnementale en vue de construire et d'exploiter un parc de six éoliennes et deux postes de livraison sur le territoire des communes de Lucy-le-Bocage et Marigny-en-Orxois. Ce projet a été soumis à enquête publique et le rapport et les conclusions du commissaire enquêteur ont été adressés à la société pétitionnaire, le 12 avril 2021. Une décision implicite de rejet de la demande est née, après prolongation du délai d'instruction, le 12 mars 2022. La société en a demandé l'annulation à la cour par la requête enregistrée sous le n° 22DA01477. En cours d'instance, le préfet de l'Aisne a opposé un refus express par un arrêté du 17 février 2023. La société en demande également l'annulation par la requête enregistrée sous le n° 23DA00694.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n° 22DA01477 et 23DA00694 ont le même objet. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions dirigées contre la décision implicite de rejet :

3. Si le silence gardé par l'administration sur un recours gracieux ou hiérarchique fait naître une décision implicite de rejet qui peut être déférée au juge de l'excès de pouvoir, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement, qu'elle fasse suite ou non à une demande de communication des motifs de la décision implicite présentée en application des dispositions du code des relations entre le public et l'administration, se substitue à la première décision. Il en résulte que des conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde et que, dès lors, celle-ci ne peut être utilement contestée au motif que l'administration aurait méconnu ces dispositions en ne communiquant pas au requérant les motifs de sa décision implicite dans le délai d'un mois qu'elles lui impartissent.

4. L'arrêté du 17 février 2023 rejetant la demande d'autorisation de la société pétitionnaire s'est substitué à la décision implicite de rejet ayant le même objet. Par suite, les conclusions d'annulation de cette décision implicite doivent être regardées comme dirigées contre l'arrêté du 17 février 2023. Le moyen tiré de ce que le préfet n'a pas communiqué les motifs de la décision implicite de rejet est donc inopérant.

Sur la motivation de l'arrêté du 17 février 2023 :

5. La décision contestée vise les textes dont elle fait application, en particulier l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Elle explicite également dans ses points 5 à 9 les raisons justifiant que soit retenu le motif de l'atteinte aux chiroptères. Si elle se borne par ailleurs à estimer que le projet n'a pas tenu compte " de la zone d'exclusion associée au patrimoine mondial de l'Unesco ", cette mention permettait à la société pétitionnaire de comprendre le premier motif de refus retenu par le préfet. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté du 17 février 2023 doit être écarté.

Sur l'absence de prise en compte du site inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco et de la charte éolienne de ce site :

6. D'une part, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. ". D'autre part, aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ".

7. Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation d'une installation classée, l'autorité préfectorale est tenue, sous le contrôle du juge, de délivrer l'autorisation sollicitée si les dangers ou inconvénients que présente cette installation peuvent être prévenus par les prescriptions particulières spécifiées par un arrêté d'autorisation.

8. Le bien " Côteaux, maisons et caves de Champagne " inscrit au patrimoine mondial de l'organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) est strictement limité à la colline Saint-Nicaise à Reims, aux côteaux historiques de Cumières à Mareuil-sur-Aÿ et à l'avenue de Champagne à Epernay. Il ne concerne donc pas directement la zone d'implantation du projet qui est située à plus de quarante kilomètres de ces sites, d'après l'étude paysagère. Au surplus, les critères d'inscription du bien reposent sur le savoir-faire et la tradition séculaire de la filière du champagne et non principalement sur la qualité du paysage. Si une zone d'engagement comprend l'ensemble des communes impliquées dans la démarche, principalement celles bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée " Champagne ", les communes d'implantation du projet ne font pas partie de cette zone d'engagement qui n'a, en outre, aucun effet juridique direct. Par ailleurs, si une charte éolienne a été élaborée en février 2018 à la suite de l'inscription du bien au patrimoine de l'Unesco et si les communes d'implantation du projet font partie de la zone d'exclusion, cette charte n'a aucune valeur juridique contraignante et se borne en outre à recommander que dans la zone d'exclusion, il n'y ait " pas de développement de nouveaux parcs éoliens sauf en cas de non-covisibilité avec le vignoble ". Enfin les communes du projet ne sont pas non plus dans l'aire d'influence définie par la direction régionale de l'équipement, de l'aménagement et du logement Grand Est qui recommande, là aussi sans caractère obligatoire, de ne pas construire de parcs éoliens dans cette aire. Dans ces conditions, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, en retenant comme motif de refus que la société pétitionnaire ne tenait pas compte " de la zone d'exclusion associée au patrimoine mondial de l'Unesco ", le préfet a commis une erreur de droit, d'autant qu'au surplus une telle absence de prise en compte n'est pas établie.

Sur l'atteinte aux chiroptères :

9. L'arrêté de refus du 17 février 2023 est également motivé par une atteinte significative du projet aux chiroptères.

10. Il résulte de l'étude d'impact que douze espèces de chauve-souris ont été détectées sur le site dont quatre, la noctule de Leisler, la sérotine commune, la pipistrelle commune et la pipistrelle de Nathusius sont très sensibles à l'éolien compte tenu de leur vol en hauteur.

11. Si la société pétitionnaire n'a pas fait de mesures en hauteur dans la partie Sud de la zone, de l'autre côté de l'autoroute A 4 où sont localisées trois éoliennes, cet espace de grandes cultures ouvertes, peu propice à l'activité chiroptérologique, se caractérise par le nombre très faible de contacts. Si les contacts dans cette zone ont néanmoins été importants pendant la seule période de parturition, aucun gîte de parturition n'y a été trouvé. Même en réévaluant l'enjeu de cette zone, l'étude d'impact apparaît proportionnée compte tenu de la faiblesse de l'enjeu. Le préfet ne peut donc reprocher à la société, comme il le fait en défense, une insuffisance de l'étude sur ce point alors au surplus qu'aucun complément n'avait été demandé en cours d'instruction.

12. Il résulte également de l'étude que la société pétitionnaire a exclu de la zone d'implantation du projet les espaces les plus fréquentés, notamment la zone Nord-Ouest qui concentrait 85% des contacts pour ne retenir que des parcelles ayant une faible fréquentation. Par ailleurs, l'implantation retenue éloigne les éoliennes de plus de deux cent mètres des zones boisées sauf pour l'éolienne E 6 au sud qui est à 109 mètres d'une lisière boisée, dont la fonctionnalité pour les chauve-souris est considérée comme seulement moyenne par l'étude d'impact, et pour l'éolienne E 1 qui est implantée à trente-trois mètres en bout de pâle d'un arbuste unique mais où l'activité mesurée était faible. Enfin, la société propose un bridage ne concernant que quatre des six éoliennes. Cette mesure permet de couvrir 100 % des risques pour les noctules de Leisler et 98 % pour le groupe des noctules et sérotines. Compte tenu de ces éléments, l'étude conclut à un risque faible pour la noctule de Leisler et négligeable pour les autres espèces. La mission régionale de l'Autorité environnementale recommandait, à défaut d'un déplacement des éoliennes à plus de deux cent mètres de tout élément boisé, un renforcement du bridage s'appliquant à toutes les éoliennes et étendu dans l'année sur la période de début avril à mi-novembre d'une heure avant le coucher du soleil à une heure après le lever. Cette mesure permet notamment de réduire les risques pour le groupe des pipistrelles. D'ailleurs dans ses écritures en réplique, la société propose un autre plan de bridage, toutefois moins complet que celui préconisé par l'Autorité environnementale. Dans ces conditions, le préfet n'est pas fondé à refuser l'autorisation pour ce parc en raison d'une atteinte aux chiroptères, une prescription permettant que ce risque ne soit pas significatif.

Sur les nouveaux motifs de refus invoqués en défense :

13. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existante à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, la communication des écritures faisant valoir un autre motif suffisant à ce que l'auteur du recours soit ainsi mis à même de faire valoir ses observations, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

14. Dans son mémoire en défense, le préfet de l'Aisne fait valoir que le dossier de demande était insuffisant en ce qui concerne l'analyse des impacts paysages et que le projet porte atteinte aux paysages des vignobles champenois.

En ce qui concerne l'insuffisance du dossier de demande :

15. Aux termes du troisième alinéa de l'article R. 181-16 du code de l'environnement : " Lorsque l'instruction fait apparaître que le dossier n'est pas complet ou régulier, ou ne comporte pas les éléments suffisants pour en poursuivre l'examen, le préfet invite le demandeur à compléter ou régulariser le dossier dans un délai qu'il fixe. ". Aux termes du I de l'article R. 122-5 du même code, dans sa version applicable : " Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. ".

16. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure, et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

17. Si la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement des Hauts-de-France, chargée d'instruire la demande, a adressé une demande de compléments le 25 juin 2019, elle se bornait, s'agissant des paysages, à solliciter des précisions sur l'impact " sur la partie axonaise du vignoble champenois ". En réponse, la société pétitionnaire a effectué notamment de nouveaux photomontages " depuis les bords de la Marne au cœur du vignoble ". Si dans son avis du 26 août 2020, la mission régionale de l'Autorité environnementale recommande de compléter l'étude paysagère, elle le fait uniquement par rapport aux monuments militaires. La société pétitionnaire a répondu de manière argumentée à l'ensemble des observations de l'Autorité environnementale. Le dossier de demande comprenait soixante photomontages et une étude paysagère de 301 pages. Aucune autre demande de compléments n'a été faite par les services instructeurs de l'Etat. Dans ces conditions, il n'est pas établi que les insuffisances de l'étude d'impact aient été de nature à nuire à l'information complète du public ou à exercer une influence sur la décision. Le motif tiré de l'insuffisance du dossier de demande ne peut donc pas être substitué aux motifs initiaux de l'arrêté du 17 février 2023.

En ce qui concerne l'atteinte aux paysages :

18. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.

S'agissant de la qualité du site d'implantation :

19. Le projet s'implante sur le plateau du Soissonnais sur des terres agricoles de grande culture de plein champ, dans un secteur légèrement vallonné et boisé, de part et d'autre de l'autoroute A 4. Il se situe dans un contexte éolien déjà prégnant, sans diminuer l'indice de respiration du plus grand angle sans éoliennes depuis les villages proches. Le site du projet, qui ne bénéficie d'aucune protection, n'a donc pas de qualité particulière.

20. Si le préfet dans sa défense soutient que le parc porte atteinte aux paysages des vignobles de Domptin et de Montreuil, il n'assortit cette allégation d'aucun élément, alors que selon l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), ces vignobles se situent à respectivement 2,5 et 3,5 kilomètres du projet. Ni le préfet, ni l'Institut, qui a émis le 21 juillet 2020, un avis défavorable sur le projet, n'établissent la valeur paysagère de ces deux sites viticoles. De même si le commissaire enquêteur a rendu un avis défavorable, se fondant sur les réserves émises par le président de la mission " Côteaux, maisons et caves de Champagne ", ces réserves et cet avis ne reposent pas sur une analyse concrète des impacts visuels du parc mais sur les recommandations de la charte éolienne précitée. Au contraire, l'ensemble des photomontages de l'étude paysagère démontrent un impact faible sur les paysages, en particulier sur le vignoble. Situé sur le plateau au nord des coteaux viticoles de la vallée de la Marne, le projet apparaît peu visible depuis le vignoble compte tenu de la rupture topographique entre la vallée et le plateau et des masques constitués par le relief et par la végétation. Si une covisibilité du vignoble et du projet est possible, les photomontages établissent que compte tenu des distances de ces vues, supérieures à cinq kilomètres, les éoliennes y apparaissent dans le lointain, souvent masquées par le relief ou la végétation, et ont de ce fait un impact très faible dans un horizon déjà marqué par le motif éolien. Au surplus, les photomontages complémentaires produits par la société pétitionnaire à la suite du mémoire en défense du préfet confirment le constat fait par l'étude d'impact de la faible sensibilité du paysage de vignobles au projet. En particulier, ces photomontages complémentaires établissent que les éoliennes sont très peu visibles depuis les vignobles de Domptin ou de Montreuil-aux-lions et ne leur portent pas une atteinte significative. Dans ces conditions, le motif tiré de l'atteinte aux paysages notamment aux vignobles ne peut pas non plus être substitué aux motifs initiaux de l'arrêté du 17 février 2023.

21. Il résulte de ce qui précède que la société requérante est fondée à demander l'annulation de cet arrêté ainsi que de la décision implicite refusant l'autorisation environnementale qu'elle sollicitait.

Sur les conclusions à fin de délivrance de l'autorisation et à fin d'injonction :

22. Dans le cadre d'un litige relevant d'un contentieux de pleine juridiction, comme en l'espèce, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation soumise à autorisation environnementale en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée puis, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.

23. Eu égard au motif d'annulation retenu par le présent arrêt, il y a lieu pour la cour de faire usage de ses pouvoirs de pleine juridiction, d'une part, en délivrant à la société pétitionnaire l'autorisation environnementale sollicitée, d'autre part, en la renvoyant devant le préfet de l'Aisne pour fixer les prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, enfin, en enjoignant à l'autorité administrative de fixer ces prescriptions, conformément aux préconisations de la mission régionale de l'Autorité environnementale rappelées au point 12, notamment en ce qui concerne le bridage, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

24. En vue de garantir la sécurité juridique du bénéficiaire de l'autorisation ainsi délivrée par la cour et l'information des tiers, les maires de Lucy-le-Bocage et de Marigny-en-Orxois et le préfet de l'Aisne procéderont, dans le délai de dix jours à compter de la notification du présent arrêt aux mesures de publicité prescrites par l'article R. 181-44 du code de l'environnement, à savoir un affichage du présent arrêt aux mairies de Lucy-le-Bocage et de Marigny-en-Orxois pendant une durée minimum d'un mois, une publication sur le site internet des services de l'Etat du département de l'Aisne pendant une durée minimale de quatre mois et un envoi de l'arrêt par le préfet aux conseils municipaux et aux autorités locales qui ont été consultées.

Sur les frais liés à l'instance :

25. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 2 000 euros à verser à la société Boralex Ouest Château Thierry.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du 17 février 2023 du préfet de l'Aisne et la décision implicite rejetant la demande d'autorisation environnementale de la société Boralex Ouest Château Thierry sont annulés.

Article 2 : L'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc de six éoliennes et deux postes de livraison sur le territoire des communes de Lucy-le-Bocage et de Marigny-en-Orxois est accordée à la société Boralex Ouest Château Thierry

Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Aisne de définir, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement dans les conditions rappelées aux points 12 et 23 du présent arrêt à savoir en prescrivant notamment un plan de bridage conforme aux préconisations de la MRae.

Article 4 : Le préfet de l'Aisne et les maires de Lucy-le-Bocage et de Marigny-en-Orxois procèderont aux mesures de publicités prévues à l'article R. 181-44 du code de l'environnement.

Article 5 : L'Etat versera à la société Boralex Ouest Château Thierry une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société Boralex Ouest Château Thierry, au préfet de l'Aisne et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée aux maires de Lucy-le-Bocage et de Marigny-en-Orxois.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : D. PerrinLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Sire La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de l'Aisne chacun en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N° 22DA01477, 23DA00694 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01477
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : GREENLAW AVOCATS;GREENLAW AVOCATS;GREENLAW AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;22da01477 ?
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