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21/12/2023 | FRANCE | N°22LY02579

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 21 décembre 2023, 22LY02579


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 8 avril 2022 par lesquelles le préfet de l'Ardèche a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.



Par un jugement n° 2203426 du 27 juillet 2022, le tribunal a fait droit à sa demande, enjoint au préfet de l'Ardèche de lui

délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compt...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 8 avril 2022 par lesquelles le préfet de l'Ardèche a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.

Par un jugement n° 2203426 du 27 juillet 2022, le tribunal a fait droit à sa demande, enjoint au préfet de l'Ardèche de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et mis à la charge de l'État une somme de 1 000 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 22 août 2022, le préfet de l'Ardèche demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a annulé le refus de titre de séjour au motif qu'il avait fait une inexacte application de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le refus de séjour était justifié par la commission d'une fraude, qui doit être prise en compte pour apprécier l'insertion de l'intéressé dans la société française, ainsi que par l'existence de liens avec sa famille restée dans son pays d'origine ;

- la fraude est établie et il pouvait se fonder sur la seule présentation du passeport frauduleux pour refuser de lui délivrer un titre de séjour ;

- le refus de titre de séjour ne porte pas atteinte à sa vie privée et familiale ;

- M. B... ne remplit pas les conditions pour obtenir un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'obligation de quitter le territoire français est motivée en fait et en droit ;

- M. B... ne s'est prévalu d'aucune crainte en cas de retour dans son pays d'origine.

Par un mémoire enregistré le 30 novembre 2023, M. B..., représenté par Me Gay, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État, au profit de son conseil, une somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les motifs d'annulation retenus par le tribunal doivent être confirmés ;

- le refus de titre de séjour étant illégal, l'obligation de quitter le territoire français est illégale par voie de conséquence ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre l'administration et le public ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente rapporteure, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant malien né le 4 avril 2003, est entré en France, selon ses déclarations, en novembre 2018 alors qu'il était âgé de quinze ans. A compter du 8 janvier 2019, il a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Ardèche. Il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour, sur le fondement des articles L. 423-22 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au préfet de l'Ardèche qui, par un arrêté du 8 avril 2022, lui a opposé un refus, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet de l'Ardèche relève appel du jugement du 27 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon a, à la demande de l'intéressé, annulé cet arrêté et lui a enjoint de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Sur les motifs d'annulation retenus par le tribunal :

2. Pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. B... sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de l'Ardèche, après avoir indiqué que l'intéressé, qui avait présenté un passeport frauduleux, ne justifiait pas de sa nationalité en méconnaissance du 2° de l'article R. 431-10 du même code, a relevé qu'en dépit du suivi d'une formation en " CAP Cuisine " de septembre 2019 à juin 2021 et d'un rapport de la structure d'accueil le décrivant comme investi dans ses projets professionnels comme personnels, cette production d'un faux passeport à l'appui de sa demande était un élément n'allant " pas dans le sens d'une intégration dans la société française ". Il a ajouté qu'il ne justifiait pas être dépourvu d'attaches familiales et personnelles dans son pays d'origine, où résident sa mère et sa sœur, alors qu'il est isolé en France.

3. Le tribunal a annulé ce refus motifs pris, d'une part, de ce que M. B... avait justifié, par la production d'autres documents d'état civil, de sa nationalité et de son identité et, d'autre part, de ce que le préfet avait fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

En ce qui concerne la censure, par le tribunal, du premier motif de la décision :

4. Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; / (...). La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. / (...). ".

5. Le préfet ne conteste pas, ainsi que l'a indiqué le tribunal, que M. B... avait produit, à l'appui de sa demande, en sus du passeport litigieux, une carte consulaire, un acte de naissance ainsi qu'un jugement supplétif d'acte de naissance, dont la valeur probante n'a pas été contestée, pour justifier de sa nationalité ainsi que de son identité. Par suite, c'est à juste titre que les premiers juges ont censuré le premier motif opposé par le préfet en relevant qu'il ne pouvait refuser de délivrer à l'intéressé un titre de séjour au motif qu'il ne justifiait pas de sa nationalité.

En ce qui concerne la censure, par le tribunal, du second motif de la décision :

6. Aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française. ".

7. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour de plein droit portant la mention " vie privée et familiale ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article L. 421-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, il ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le juge de l'excès de pouvoir exerce sur cette appréciation un entier contrôle.

8. Il n'est pas contesté que M. B... a suivi avec sérieux sa formation en " CAP Cuisine " entre septembre 2019 et juin 2021. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'il n'est pas isolé dans son pays d'origine où résident sa mère et ses deux sœurs. Si l'intéressé a fait valoir qu'il ne dispose plus de liens avec sa famille, il résulte du rapport établi par la structure d'accueil que son départ du Mali a été organisé par sa mère en raison des difficultés économiques rencontrées par la famille et que son passeport lui a été envoyé au cours de son séjour en France, ce qui tend à démontrer qu'il a conservé des liens avec sa famille. Par ailleurs, la production de faux documents auprès de l'administration en vue de se voir délivrer un titre de séjour ne constitue pas un signe d'insertion dans la société française dont les valeurs reposent notamment sur le respect de la loi. Par suite, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, en prenant le refus de titre de séjour en litige, le préfet de l'Ardèche n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision s'il s'était uniquement fondé sur ce second motif.

10. Par suite c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur le motif tiré d'une telle erreur d'appréciation pour annuler cette décision ainsi que, par voie de conséquence, les décisions subséquentes.

11. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif.

Sur les autres moyens :

12. En premier lieu, M. B... n'était présent que depuis quatre ans en France à la date de l'arrêté en litige. Il est célibataire, sans charge de famille et ne fait état d'aucun lien familial en France, alors que sa mère et ses deux sœurs demeurent dans son pays d'origine. Dans ces conditions, et malgré ses efforts d'intégration, le refus de titre de séjour ne porte pas au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de 1'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

13. En deuxième lieu, eu égard à ce qui précède, l'obligation de quitter le territoire français n'est pas illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour et la décision fixant le pays de destination n'est pas illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français.

14. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Ardèche est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté du 8 avril 2022, lui a enjoint de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et a mis à la charge de l'État la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. B... en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante, une somme au conseil de M. B... en application de ces dispositions et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2203426 du 27 juillet 2022 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....

Copie en sera adressée à la préfète de l'Ardèche.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Duguit-Larcher, présidente de la formation de jugement ;

M. Chassagne, premier conseiller ;

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

La présidente, rapporteure,

A. Duguit-Larcher

L'assesseur le plus ancien,

J. Chassagne

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02579

al


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02579
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme DUGUIT-LARCHER
Rapporteur ?: Mme Agathe DUGUIT-LARCHER
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : GAY

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;22ly02579 ?
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