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29/12/2023 | FRANCE | N°23TL00992

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 29 décembre 2023, 23TL00992


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2300205 du 30 mars 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté précité et enjoint au préfet de la Haute-Garonne de r

examiner la situation de Mme B....



Procédure devant la cour :



Par une requête, enreg...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2300205 du 30 mars 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté précité et enjoint au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer la situation de Mme B....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 avril 2023, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement du 30 mars 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que :

- la seule circonstance que Mme B... soit accompagnée par une association dans le cadre d'une démarche visant à lui permettre de sortir de la prostitution est sans incidence sur l'appréciation des critères du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- en outre et en tout état de cause et à supposer même qu'il aurait été informé de cette démarche, la situation de l'intéressée ne justifiait pas, à ce stade, que l'arrêté litigieux le mentionnât ; aucun défaut d'examen ne saurait donc être retenu.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2023, Mme B..., représentée par Me Mercier, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.

Par décision du bureau d'aide juridictionnelle de Toulouse en date du 20 décembre 2023, Mme B... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- le code des relations entre le public et l'administration,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Rey-Bèthbéder, président-rapporteur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante ivoirienne, née le 25 décembre 1986, déclare être entrée sur le territoire français le 22 novembre 2021. Elle a sollicité l'asile le 8 décembre 2021, demande rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 28 avril 2022, dont la décision a été confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 2 novembre 2022. À la suite de ce rejet, le préfet de la Haute-Garonne, par un arrêté du 21 décembre 2022, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

2. Le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 30 mars 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté précité et lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme B...,

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° (...) ". Aux termes de l'article L. 425-4 du même code : " L'étranger victime des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme, visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal qui, ayant cessé l'activité de prostitution, est engagé dans le parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle mentionné à l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles, peut se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour d'une durée minimale de six mois. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. /Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. /Elle est renouvelée pendant toute la durée du parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites ". Et aux termes de l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles : " Un parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle est proposé à toute personne victime de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle. Il est défini en fonction de l'évaluation de ses besoins sanitaires, professionnels et sociaux, afin de lui permettre d'accéder à des alternatives à la prostitution. Il est élaboré et mis en œuvre, en accord avec la personne accompagnée, par une association mentionnée à l'avant-dernier alinéa du présent II. /L'engagement de la personne dans le parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle est autorisé par le représentant de l'État dans le département, après avis de l'instance mentionnée au second alinéa du I et de l'association mentionnée au premier alinéa du présent II. /La personne engagée dans le parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle peut se voir délivrer l'autorisation provisoire de séjour mentionnée à l'article L. 425-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (...) ".

4. Ainsi qu'il a été exposé au point 1, l'arrêté litigieux a été pris consécutivement au rejet de la demande d'asile de Mme B..., sur le fondement des dispositions précitées du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, il ne résulte d'aucune pièce du dossier ni que le préfet aurait été saisi par l'intéressée d'une demande d'autorisation provisoire de séjour sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 425-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni même qu'un parcours de sortie de la prostitution aurait été engagée par elle, au sens de l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles. Ne suffit pas à cet égard, au demeurant, à caractériser l'engagement dans un tel parcours la seule circonstance, qu'une demande d'authentification de l'acte de naissance de Mme B... aurait été adressée aux services préfectoraux par l'association " L'Amicale du Nid " le 7 décembre 2022. Par conséquent, c'est à tort que le premier juge a estimé que l'arrêté litigieux avait été à l'issue d'un examen insuffisant de la situation de l'intéressée.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif de Toulouse à l'encontre de l'arrêté du 21 décembre 2022 précité.

Sur la légalité externe de l'arrêté :

6. En premier lieu, par un arrêté du 30 janvier 2023, publié le même jour au recueil administratif spécial, le préfet de la Haute-Garonne a donné délégation à Mme D... C..., directrice des migrations et de l'intégration à l'effet de signer l'ensemble des décisions relatives à la police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée manque en fait et doit être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Et aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

8. L'arrêté litigieux vise les textes dont il fait application et notamment les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, notamment, le 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il rappelle également les conditions d'entrée et de séjour de Mme B... sur le territoire français et les éléments de sa situation personnelle et familiale. Il précise enfin les considérations de fait sur lesquelles le préfet s'est fondé pour lui refuser l'octroi d'un titre de séjour et prendre les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi. Par conséquent, ces décisions sont suffisamment motivées.

9. En troisième lieu, le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il implique que le préfet, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision défavorable à ses intérêts, mette l'intéressé à même de présenter ses observations, de sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure avant qu'elle n'intervienne. Lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il présente cette demande et à produire tous éléments susceptibles de venir à son soutien. Il lui appartient, lors du dépôt de sa demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs même pas soutenu que l'appelante aurait été empêchée de porter à la connaissance des services préfectoraux toutes les informations pertinentes susceptibles de venir au soutien de sa demande. Par suite, le droit de l'intéressée d'être entendu a bien été satisfait avant que n'intervienne l'arrêté litigieux.

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

10. Si l'arrêté indique que l'intimée a sollicité l'asile le 8 décembre 2021 et que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande par une décision du 28 avril 2021, au lieu du 28 avril 2022, il ressort des pièces du dossier qu'il ne s'agit que d'une simple erreur matérielle, sans incidence sur la légalité de cet arrêté.

11. Ainsi qu'exposé au point 4, Mme B... ne pouvait être regardée comme engagée dans un parcours de parcours de sortie de la prostitution, au sens de l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles. Par suite, le préfet n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 425-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

12. Par ailleurs, l'intéressée, entrée en France récemment, à l'âge de 33 ans, célibataire et sans enfant, ne justifie d'aucune insertion particulière en France et conserve des attaches personnelles et familiales avec son pays d'origine. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que le préfet, qui ne peut être regardé comme s'étant estimé lié par les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile, aurait méconnu les dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation entachant la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

13. Enfin, Mme B... ne fait valoir aucun élément nouveau par rapport à ceux qui ont déjà été soumis à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la Cour nationale du droit d'asile et n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations quant aux risques de persécution encourus en cas de retour en Côte d'Ivoire. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance par la décision fixant le pays de renvoi des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 21 décembre 2022.

DÉCIDE:

Article 1 : Le jugement du 30 mars 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : La demande de Mme B... présentée devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme A... B... et à Me Mercier. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2023.

Le président-assesseur,

P. Bentolila

Le président-rapporteur,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL00992


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00992
Date de la décision : 29/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: M. Eric REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : MERCIER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-29;23tl00992 ?
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