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01/12/2016 | FRANCE | N°16BX02885

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre - formation à 3, 01 décembre 2016, 16BX02885


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...C...et la société Terra Fecundis ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 29 septembre 2015 ordonnant la remise de M. C...aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 1504540 du 27 juin 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 24 août 2016, le 14 octobre 2016 et le 30 octobre 2016, M. C...et la société Terra Fecundis, r

eprésentés par la SCP André-André et associés, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...C...et la société Terra Fecundis ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 29 septembre 2015 ordonnant la remise de M. C...aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 1504540 du 27 juin 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 24 août 2016, le 14 octobre 2016 et le 30 octobre 2016, M. C...et la société Terra Fecundis, représentés par la SCP André-André et associés, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 27 juin 2016 ;

2°) d'annuler l'arrêté en date du 29 septembre 2015 par lequel le préfet de la Gironde a ordonné la remise de M. C...aux autorités espagnoles ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention d'application de l'accord de Schengen ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive n°96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services ;

- le code du travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;

- le décret n° 2004-226 du 9 mars 2004 portant publication de l'accord entre la République française et le Royaume d'Espagne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, signé à Malaga le 26 novembre 2002 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Caroline Gaillard,

- les conclusions de Mme Frédérique Munoz-Pauziès, rapporteur public,

- et les observations de Me André, représentant M. C...et l'entreprise de travail temporaire Terra Fecundis.

Une note en délibérée présentée par M. C...et l'entreprise de travail temporaire Terra Fecundis a été enregistrée le 8 novembre 2016.

Considérant ce qui suit :

1. M.C..., ressortissant équatorien résidant en Espagne, a été détaché en France par l'entreprise de travail temporaire Terra Fecundis, établie en Espagne, auprès d'entreprises vinicoles. M.C..., ainsi que son employeur, relèvent appel du jugement du 27 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 septembre 2015 du préfet de la Gironde portant remise d'office aux autorités espagnoles.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'un avis d'audience a été envoyé le 4 mai 2016 à Me André, avocat de M.C..., et reçu par ce dernier le 1er juin 2016, le lendemain seulement de l'audience. Il ne résulte d'aucune pièce du dossier que le tribunal administratif auquel l'avis de réception n'avait pas été retourné ait procédé à une quelconque démarche auprès de l'avocat pour s'assurer que ce dernier avait été informé en temps utile de la date de l'audience. M. C...est dès lors fondé à soutenir que le jugement est entaché d'une irrégularité et doit être annulé.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... et la société Terra Fecundis.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. En premier lieu, M. A...B..., sous-préfet, directeur de cabinet du préfet, qui a signé l'arrêté de remise d'office attaqué, bénéficiait d'une délégation de signature du préfet de la Gironde en date du 2 avril 2015, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Gironde n°22 d'avril 2015, à l'effet notamment de signer toutes les décisions d'éloignement prises en application du titre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au nombre desquelles figurent les décisions de remise d'office. Ainsi le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.

5. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué vise les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui lui sont applicables, et notamment son article L. 531-1. Il mentionne notamment que M.C..., détaché par la société Terra Fecundis basée en Espagne, s'est maintenu sur le territoire à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré. Par suite, cet arrêté comporte ainsi les motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement et est suffisamment motivé.

6. En troisième lieu, il résulte des termes mêmes de l'article L. 531-1 que la décision de remise aux autorités d'un Etat membre " peut être exécutée d'office par l'administration après que l'étranger a été mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix ". Ces dispositions n'imposent donc pas de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations avant l'adoption de la décision de remise mais uniquement avant son exécution d'office. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 doit donc être écarté.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union.

8. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union sur lequel le premier juge s'est également fondé. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

9. En l'espèce, il ressort du procès-verbal de la gendarmerie établi le 29 septembre 2015 que M. C...a déclaré être en possession d'un titre de séjour périmé qui lui a été délivré par les autorités espagnoles, mais en instance de renouvellement, qu'il est affilié à la sécurité sociale en Espagne, qu'il est entré en France en avril 2015 pour y travailler à la demande de son employeur Terra Fecundis. Il a également fait valoir n'avoir jamais sollicité de titre de séjour en France, qu'il ignorait se trouver en situation irrégulière en France, où il n'a aucune famille et qu'il souhaitait retourner en Espagne dans l'hypothèse où il devrait faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Dans ces conditions, M. C...doit être regardé comme n'ayant manifesté aucune volonté de s'opposer à une mesure de reconduite en Espagne et comme ayant ainsi exercé son droit d'être entendu.

10. En cinquième lieu, si le requérant doit être regardé comme invoquant le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas été mis à même de présenter ses observations avant l'exécution de la décision ordonnant sa remise aux autorités espagnoles, cette circonstance, tout comme celle relative aux conditions de la notification de la mesure, sont sans incidence sur sa légalité. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier et notamment de la décision elle-même contresignée par l'interprète lors de la notification de la décision que le requérant qui avait déclaré ne pas comprendre le français, a bénéficié de l'assistance de ce dernier.

11. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-4, L. 513-1 et L. 531-3, l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1, L. 211-2, L. 311-1 et L. 311-2 peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l'Union européenne. (...) Cette décision peut être exécutée d'office par l'administration après que l'étranger a été mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix ". Aux termes de l'article L. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 121-1 ou des stipulations d'un accord international, tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France doit, après l'expiration d'un délai de trois mois depuis son entrée en France, être muni d'une carte de séjour. ".

12. Il ressort des pièces du dossier que M.C..., ressortissant de nationalité équatorienne travaille et séjourne en France depuis le mois d'avril 2015 pour le compte de son employeur la société Terra Fecundis, établie en Espagne, en qualité de travailleur détaché auprès d'entreprise française. Il résulte des propres déclarations du requérant qu'à la date de la décision en litige, il séjournait depuis plus de trois mois en France en qualité de salarié détaché par une entreprise espagnole de travail temporaire fournissant de la main-d'oeuvre en France sans être muni d'une carte de séjour, en méconnaissance de l'article L. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet de la Gironde, qui, contrairement à ce que soutient le requérant, a dûment reconnu à celui-ci la qualité de salarié détaché, a pu sans entacher sa décision d'aucune erreur de fait ou de droit, ordonner la réadmission de M. C...en Espagne en application des dispositions de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

13. En septième lieu, le requérant, qui a déclaré avoir une compagne de nationalité équatorienne, ne saurait utilement invoquer ni les dispositions de l'article L. 122-1 du Livre 1er du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui sont applicables aux ressortissants de l'Union européenne, aux ressortissants des autres Etats parties à l'accord sur l'espace économique européen et à ceux de la confédération suisse et aux membres de leur famille, ni celles de l'article R. 5221-1 du code du travail applicables à l'étranger sollicitant un emploi salarié en France qui ne lui ont pas été appliquées dès lors qu'il relevait des dispositions du 2° des dispositions de l'article R. 5221-2 du même code prévoyant une dispense d'autorisation de travail.

14. En huitième lieu, M.C..., en tout état de cause, ne saurait utilement soutenir que les règles européennes en matière de libre prestation de services font obstacle à ce que son entreprise ait l'obligation d'obtenir pour lui-même une autorisation de travail en France, alors que l'entreprise espagnole de travail temporaire l'ayant détaché en France était seulement tenue d'adresser une déclaration à l'inspection du travail en vertu de l'article L. 1262-2-1 du code du travail et qu'il n'a pas été éloigné vers l'Espagne au motif qu'il n'aurait pas été titulaire d'une autorisation de travail en France. De plus, il résulte des termes mêmes du 20ème considérant de la directive 96/71/CE du parlement européen et du conseil du 16 décembre 1996 que celle-ci ne porte pas non plus atteinte aux législations nationales relatives aux conditions d'entrée, de résidence et d'emploi de travailleurs ressortissant de pays tiers. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces règles européennes doit être écarté.

15. En neuvième lieu, le requérant ne peut pas non plus utilement invoquer la circulaire NOR IMIM1000116C du 10 septembre 2010 qui est relative aux conditions de séjour des ressortissants de l'Union européenne, des autres parties à l'espace économique européen et de la Confédération Suisse ainsi que des membres de leur famille et qui est dépourvue de caractère réglementaire.

16. En dernier lieu, il ne ressort pas de la décision attaquée ni des autres pièces du dossier que le préfet se serait fondé sur la circonstance tenant à ce que M. C...aurait séjourné de manière irrégulière en Espagne pour prendre à son encontre une décision de réadmission. Le moyen inopérant ne peut qu'être écarté.

17. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. C...et la société Terra Fecundis doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1504540 du 27 juin 2016 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C...et la société Terra Fecundis devant le tribunal administratif de Bordeaux et les conclusions de M. C...et de la société Terra Fecundis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

N° 16BX02885


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX02885
Date de la décision : 01/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: Mme MUNOZ-PAUZIES
Avocat(s) : SCP ANDRE ANDRE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2016-12-01;16bx02885 ?
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