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09/05/2017 | FRANCE | N°15BX01090

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 09 mai 2017, 15BX01090


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SARL Bagage An Mwen a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 120 989,78 euros en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi à raison du vol avec effraction commis le 16 février 2009, dans le magasin " Orange Caraïbes " qu'elle exploite au centre commercial " l'Etoile ", à Pointe-à-Pitre.

Par un jugement n° 1400095 du 29 janvier 2015, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Procédur

e devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 mars 2015 et un mémoire complément...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SARL Bagage An Mwen a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 120 989,78 euros en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi à raison du vol avec effraction commis le 16 février 2009, dans le magasin " Orange Caraïbes " qu'elle exploite au centre commercial " l'Etoile ", à Pointe-à-Pitre.

Par un jugement n° 1400095 du 29 janvier 2015, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 mars 2015 et un mémoire complémentaire du 25 juillet 2016, la société SARL Bagage An Mwen, représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 29 janvier 2015 du tribunal administratif de la Guadeloupe ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 22 713,22 euros, au titre de la perte d'exploitation, 60 443,94 euros au titre du matériel et des marchandises dérobées, 3 183,14 euros, au titre de la dégradation de biens immobiliers et mobiliers, soit la somme totale de 86 340,03 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi à raison du vol avec effraction commis le 16 février 2009, dans le magasin " Orange Caraïbes " qu'elle exploite au centre commercial " l'Etoile ", à Pointe-à-Pitre ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- l'Etat est responsable du fait des émeutes qui ont eu lieu à la Guadeloupe à compter du 20 janvier 2009 et jusqu'en mars 2009 et qui ont duré quarante quatre jours ;

- le 22 janvier 2009, la gérante et le personnel ont été menacés et contraints de fermer le magasin et du 23 janvier au 16 février 2009, le magasin Orange Caraïbes est resté fermé au public ;

- le 16 février 2009 à 21 h 37 l'alarme de l'établissement s'est déclenchée, du fait du pillage du magasin et les services de sécurité n'ont pu se rendre sur les lieux compte tenu d'un barrage routier en feu et gardé par une centaine de personnes ;

- la responsabilité de l'Etat du fait des rassemblements et attroupements doit être engagée sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, compte tenu de ce que les conditions de délits commis à force ouverte ou par violence, sont réunies dès lors que le groupe de pilleurs a agi de manière collective, mais non organisée, ni préparée ;

- en ce qui concerne la réparation du préjudice, le lien de causalité est évident, et le préjudice revêt un caractère direct et certain ;

- en effet deux mineurs ont fait l'objet d'une condamnation devant le tribunal pour enfants pour des faits de soustraction frauduleuse au préjudice de la boutique Orange Caraïbes ;

- les dépositions auprès des services de police des auteurs de ces pillages démontrent clairement que ces pilleurs qui se trouvaient au rond point Blanchard de façon improvisée et non préparée, se sont rassemblés pour commettre ce saccage et ce vol ;

- la société requérante verse devant la cour l'ensemble des justificatifs afférents au préjudice subi, sachant que l'indemnisation de son préjudice par la compagnie d'assurances n'a été que partielle ;

- le rapport d'expertise établi le 28 mai 2009 par la compagnie d'assurances, qui précise que l'ensemble des factures ont été produites en original, se prononce sur tous les chefs de préjudice dont la société demande à être indemnisée ;

- le préjudice afférent à la perte d'exploitation est de 22 173,22 euros ;

- le préjudice relatif à la perte de matériel et de marchandises s'élève à 60 443,94 euros ;

- le préjudice relatif à la dégradation des biens mobiliers et immobiliers s'élève à 3 183, 14 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2015, le préfet de la Guadeloupe conclut au rejet de la requête de la SARL Bagage An Mwen

Il fait valoir que :

- la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, ne peut être engagée que dans le cas où les événements en cause trouvent leur origine dans des mouvements spontanés, ce qui n'est pas le cas en l'espèce dès lors les dommages invoqués ne peuvent être regardés comme ayant été commis dans le cadre d'un rassemblement ou d'un attroupement ;

- en effet, il ressort du procès-verbal de police du 16 février 2009 que les dommages en cause s'inscrivent dans le cadre d'un " vol par effraction commis par des jeunes ", ce qui n'a aucun lien avec le mouvement social de 2009 ;

- le caractère intentionnel et prémédité de cet acte fait obstacle à la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat pour rassemblements ou attroupements ;

- l'acte dont la société requérante a été victime procède d'une action commando commise par des personnes isolées en marge de la manifestation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pierre Bentolila,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

- et les observations de Me A...B..., représentant la SARL Bagage An Mwen.

Considérant ce qui suit :

1. Le 16 février 2009, le magasin exploité par la SARL Bagage An Mwen dans le centre commercial " l'Etoile " de Pointe à Pitre, a fait l'objet de dégradations et de vols. A la suite du refus du préfet de la Guadeloupe de l'indemniser des préjudices subis, la SARL Bagage An Mwen a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe la condamnation de l'Etat au titre de la responsabilité sans faute du fait d'attroupements et de rassemblements. La SARL Bagage An Mwen fait appel du jugement du 29 janvier 2015 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe, tout en admettant le principe de l'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, a rejeté sa demande au motif de l'absence de justification du préjudice subi.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, applicable à la date des faits litigieux et désormais repris à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements, armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. (...) ".

3. Il n'est pas contesté par le préfet qu'entre le 21 janvier et le 5 mars 2009 dans le cadre d'un mouvement initié contre la cherté de la vie, se sont produites dans tout le département de la Guadeloupe des émeutes urbaines assorties de violences.

4. Il résulte de l'instruction, et notamment de la plainte déposée par la gérante de la société requérante, ainsi que des procès-verbaux d'audition de deux des jeunes qui se sont rendus les auteurs des faits délictueux du 16 février 2009 et qui, selon la société requérante, sans contestation sur ce point du préfet, ont été condamnés par le tribunal pour enfants le 5 mai 2009, qu'une dizaine de jeunes qui se trouvaient à Pointe à Pitre, sur un barrage mis en place au rond point Blanchard à proximité du centre commercial dans lequel se trouvait le magasin exploité par la société Orange Caraïbes, se sont de façon improvisée et non préparée, rassemblés pour commettre ces faits délictueux de saccage et de vol. Ainsi les dommages occasionnés à ce magasin n'ont pas fait l'objet d'une quelconque préméditation. Par suite, les conditions posées par l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, applicable à la date des faits litigieux étant réunies, la responsabilité sans faute de l'Etat est engagée et la requérante est fondée à demander réparation des préjudices qui ont un lien direct et certain avec les faits de saccage et de vol qui se sont produits.

5. La société Bagage An Mwen demande la condamnation de l'Etat à lui verser au titre des objets volés et des dégradations mobilières et immobilières, la différence entre le préjudice qu'elle estime avoir subi, soit la somme de 108 893,27 euros et la somme de 48 449,33 euros qui lui a été versée par la compagnie d'assurance soit la somme de 60 443, 94 euros, ainsi que des pertes d'exploitation d'un montant de 22 713,22 euros, et 3 183,14 euros au titre du mobilier dégradé, soit la somme totale de 86 340,03 euros.

6. La société soutient que le préjudice subi de 108 893,27 euros au titre des objets volés et de la dégradation des biens mobiliers et immobiliers est celui qui a été retenu dans le rapport établi par l'expert d'assurance désigné par sa compagnie d'assurances. Toutefois, le tableau produit dans le rapport de l'expert d'assurances indique un total de 98 908,39 euros au titre des objets volés et des dégradations des objets mobiliers, l'expert ne retenant aucune détérioration immobilière. La société Bagage An Mwen ne justifie donc pas avoir subi au titre des objets volés et de la dégradation des biens mobiliers et immobiliers un préjudice supérieur à la somme de 98 908,39 euros, cette somme étant en revanche justifiée par les constats d'huissier, photographies et factures produits au dossier.

7 La société a également droit à la somme de 22 713,22 euros au titre de la perte d'exploitation subie pour la période du 17 février au 12 mars 2009, consécutive au saccage du magasin qu'elle exploite, et prenant fin à la réouverture de ce magasin, somme justifiée par comparaison aux résultats de l'année 2008, établis par des documents comptables certifiés par son expert-comptable.

8. Les préjudices devant être mis à la charge de l'Etat après déduction de la somme de 48 449,33 euros versée à la société par sa compagnie d'assurance s'élèvent donc à la somme totale de 73 172,28 euros.

9 Il résulte de ce qui précède que la société Bagage An Mwen est fondée à demander l'annulation du jugement du 29 janvier 2015 du tribunal administratif de la Guadeloupe qui a rejeté sa demande, et à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 73 172,28 euros.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1400095 du 29 janvier 2015 du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulé.

Article 2 : L'Etat versera à la société la SARL Bagage An Mwen la somme de 73 172,28 euros

Article 3 : L'Etat versera à la SARL Bagage An Mwen la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la requête de la SARL Bagage An Mwen est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Bagage An Mwen et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 27 mars 2017, à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Pierre Bentolila, premier conseiller,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 9 mai 2017.

Le rapporteur,

Pierre Bentolila

Le président,

Pierre LarroumecLe greffier,

Cindy Virin La République mande et ordonne au ministre de, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

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N° 15BX01090


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