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15/11/2017 | FRANCE | N°15BX03962

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 15 novembre 2017, 15BX03962


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 252 563,73 euros en réparation des préjudices qu'il impute aux dispositions législatives du code de commerce ayant conduit, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire de la société Gel Pat, à l'absence de cession, au repreneur de cette société, de son contrat d'agent commercial conclu avec cette société.

Par un jugement n° 1300224 du 15 octobre 2015, le tribunal administrat

if de Limoges a rejeté les conclusions de M. C...tendant à l'engagement de la respo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 252 563,73 euros en réparation des préjudices qu'il impute aux dispositions législatives du code de commerce ayant conduit, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire de la société Gel Pat, à l'absence de cession, au repreneur de cette société, de son contrat d'agent commercial conclu avec cette société.

Par un jugement n° 1300224 du 15 octobre 2015, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les conclusions de M. C...tendant à l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait des dispositions de l'article L. 642-7 du code de commerce comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître et a rejeté le surplus de ses autres conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 décembre 2015, M.C..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 15 octobre 2015 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 252 563,73 euros TTC en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- selon l'article 11 de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 désormais codifié à l'article L. 642-7 du code de commerce, le jugement qui arrête le plan de cession d'une entreprise doit désigner les contrats de crédit-bail, de location ou de fournitures de biens ou services nécessaires au maintien de l'activité cédée ; or, le jugement de cession du tribunal de commerce de Périgueux n'a pas mentionné son contrat d'agent commercial au titre de ceux dont le maintien était nécessaire à l'activité de l'entreprise cessionnaire ; il a ainsi été victime d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques de nature à justifier l'engagement sans faute de la responsabilité de l'Etat du fait des lois ;

- il a en effet été dépossédé par une décision de justice parfaitement légale, sans aucune explication, ni motivation formelle, d'un élément essentiel de son patrimoine, qui est constitué d'un droit fondé sur le développement de la clientèle qu'il avait développée pour la SA Gel Pat et dont tire désormais avantage la Société Nouvelle Gel Pat ; ne pouvant plus, du fait de l'absence de cession de son contrat, percevoir de commissionnement sur les contrats dont bénéficie l'entreprise cessionnaire, cette dernière profite d'un enrichissement sans cause économique ;

- la dépossession dont il est victime, sans voie de recours possible, méconnaît l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 13 de cette même convention ;

- en effet, la liste des contrats visés par l'article L. 642-7 du code de commerce est limitative et aucune voie de recours ne lui est ouverte pour s'opposer à ce jugement de cession dès lors qu'en vertu des articles L. 661-6 et L. 661-7 du même code, il n'avait pas la qualité pour interjeter appel de ce jugement, ni ne pouvait mettre en oeuvre la tierce opposition ;

- son préjudice est spécial dès lors que ce contrat d'agent commercial a été déterminant pour la vie et le développement de l'entreprise Gel Pat et de ses salariés, contrairement à d'autres contrats qui ont pourtant été transférés à l'entreprise cessionnaire ; il a ainsi été sacrifié à l'intérêt général, à la conservation des emplois et à la relance économique de l'entreprise dès lors que l'absence de transfert de son contrat permet à la société nouvelle Gelpat de conserver ses débouchés dans la grande distribution sans les coûts commerciaux inhérents à ceux-ci ;

- en vertu de l'article L. 134-12 du code de commerce, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi en cas de cessation de ses relations avec le mandant ; la jurisprudence fixe le montant de l'indemnité à deux années de commissions outre un préavis de trois mois ; il est dès lors fondé à demander le versement d'une indemnité de 211 173,69 euros HT ;

Sur l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait de l'article L. 642-7 du code de commerce :

- la cause déterminante du préjudice n'est pas l'application que les juges commerciaux ont faite de la loi mais l'existence même de cette loi ;

- la juridiction administrative est donc compétente pour statuer sur sa demande indemnitaire car à défaut, aucun recours ne s'offrirait à M.C..., ce qui serait contraire aux dispositions combinées de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;

Sur l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait des articles L. 661-6 et L. 661-7 du code de commerce :

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, il a fondé sa requête et le calcul de son préjudice sur un droit qui lui appartient et découle de l'article L. 134-12 du code de commerce ; il s'agit du droit pour tout agent commercial d'obtenir une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi en cas de cessation de ses relations avec le mandant ;

- il n'est pas propriétaire d'un droit fondé sur la clientèle mais sur le développement de la clientèle ; le tribunal ne pouvait donc considérer qu'il s'estimait propriétaire d'une clientèle et motiver son jugement en se fondant uniquement sur ce point qui est inexact.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2016, le ministre de la justice conclut au rejet de la requête de M.C....

Il soutient que :

Sur l'incompétence de la juridiction administrative quant à la responsabilité de l'Etat du fait des dispositions de l'article L. 642-7 du code de commerce :

- il n'appartient qu'au juge judiciaire de connaître d'actions mettant en cause la responsabilité pour faute de l'Etat du fait du fonctionnement du service public de la justice judiciaire ; il en est de même s'agissant de la demande de créances déclarées, sur le fondement des articles L. 621-40 à L. 621-46 et L. 621-103 à L. 621-106 du code de commerce ;

- ainsi que l'ont estimé les premiers juges, le préjudice dont se prévaut M. C...trouve son origine dans la mise en oeuvre, par le tribunal de commerce, de l'article L. 642-7 du code de commerce dès lors qu'il n'aurait pas subi de préjudice si les juges commerciaux avaient décidé d'inclure son contrat dans ceux repris par la société cessionnaire ; c'est la seule circonstance que le contrat d'agent commercial de l'intéressé n'ait pas été mentionné par le tribunal de commerce de Périgueux parmi les contrats repris par la nouvelle société qui est à l'origine du préjudice allégué, et non les dispositions législatives elles-mêmes dont la portée ne tient qu'au choix des premiers juges de ne pas inclure un contrat qui n'était pas mentionné dans l'offre retenue ;

- en outre, il résulte des déclarations mêmes de l'intéressé que son préjudice résulte, non des dispositions de l'article L. 642-7 du code de commerce mais de celles de l'article L. 661-6 de ce code ;

- le choix des contrats non cédés relève désormais d'une procédure spécifique simplifiée par l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 postérieure aux faits de l'espèce ;

- M. C...n'a pas été privé de recours effectif ; il aurait pu solliciter la résolution de son contrat et déclarer sa créance de dommages et intérêts pour inexécution auprès du mandataire judiciaire de la société Gel Pat, ce qu'il n'établit pas avoir fait ; en outre, il ne saurait affirmer qu'il ignorait la situation de la société et qu'il n'aurait pu présenter d'observations dès lors qu'il avait lui-même déposé une offre de reprise de cette société ;

- la responsabilité dont se prévaut M. C...sur le fondement de l'article L. 642-7 du code de commerce ne satisfait pas aux conditions posées par la jurisprudence ; le législateur a entendu exclure toute indemnisation du cocontractant non repris hors la procédure susdécrite ; son préjudice ne peut donc être qualifié de spécial dès lors qu'il se trouve dans la même situation que l'ensemble des cocontractants dont le contrat n'a pas été repris ;

Sur le bien-fondé du jugement quant à la responsabilité de l'Etat du fait des articles L. 661-6 et L. 661-7 du code de commerce :

- le requérant se contredit lui-même en affirmant qu'il ne dispose d'aucune voie de recours et en sollicitant l'indemnité prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce ; la non-cession de son contrat n'entraîne pas sa résiliation de plein droit ; ainsi, l'intéressé disposait de la possibilité de solliciter une indemnisation auprès de la société Gel Pat, indemnisation qui aurait été inscrite au passif de la société et réglée dans le cadre de la liquidation de la société non cédée ;

- le tribunal administratif a estimé, à bon droit, que M.C..., en tant qu'agent commercial mandataire de la société Gel Pat, ne disposait pas de clientèle propre et ne pouvait en conséquence soutenir qu'il avait été dépossédé, à la suite de l'absence de cession de son contrat au repreneur de cette société, de l'élément de son patrimoine que constituerait selon lui la clientèle qu'il avait " apportée " à la société ; la clientèle n'appartient pas à l'agent commercial, mais bien au mandant ;

- les dispositions en cause ne créent aucune atteinte au droit à un recours effectif, ainsi que 1' a jugé à plusieurs reprises la Cour de cassation ; cet agent, qui avait la possibilité de faire valoir ses observations devant le tribunal de commerce en application du premier alinéa de l'article L. 642-7, disposait de la possibilité d'obtenir une indemnisation en conformité avec les principes régissant les procédures collectives ; il avait d'ailleurs lui-même présenté une offre de reprise et avait, à cette occasion, été entendu par les juges commerciaux.

Par ordonnance du 27 juillet 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 14 octobre 2016 à 12h00.

Par une lettre adressée aux parties le 26 septembre 2017, la Cour les a informées qu'en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, elle était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que la juridiction administrative est compétente pour connaître de la responsabilité de l'Etat du fait des lois, indépendamment de l'existence d'un lien de causalité entre l'intervention de la loi et le préjudice allégué, et qu'ainsi, en rejetant, par l'article 1er du jugement attaqué, les conclusions de M. C...tendant à la réparation des conséquences dommageables de l'intervention de l'article L. 642-7 du code de commerce comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, le tribunal a entaché le jugement d'irrégularité.

M. C...a présenté un dernier mémoire le 3 octobre 2017.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales signé le 4 novembre 1950 et le premier protocole additionnel à cette convention ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sabrina Ladoire,

- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., représentant M.C....

Considérant ce qui suit :

1. M.C..., agent commercial, a conclu, le 1er juin 1996, un contrat avec la société Gel Pat, en vertu duquel celle-ci lui a confié le mandat de représenter et de vendre, au nom et pour le compte de cette société, des produits de pâtisserie surgelée. Par un jugement du 6 décembre 2011, le tribunal de commerce de Périgueux a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Gel Pat. Par un jugement du 29 mars 2012, cette juridiction a arrêté le plan de cession, à la " société nouvelle Gel Pat ", de l'entreprise exploitée par la société Gel Pat, et a prononcé la liquidation judiciaire de cette dernière. Par ce même jugement, le tribunal a déterminé, en application des dispositions de l'article L. 642-7 du code de commerce, les contrats de crédit-bail, de location ou de fourniture de biens ou services nécessaires au maintien de l'activité reprise, ce qui a emporté la cession au repreneur des contrats mentionnés dans ce jugement. Le contrat d'agent commercial que M. C...avait conclu avec la société Gel Pat ne figurant pas dans ce jugement, il a présenté une demande préalable d'indemnisation le 5 septembre 2012 par laquelle il a sollicité la condamnation de l'Etat à l'indemniser de ses préjudices résultant de l'absence de transfert de son contrat, en invoquant l'illégalité des dispositions du code de commerce qui ne lui auraient pas permis de contester le jugement ayant déterminé les contrats transférés au cessionnaire de la société Gel Pat. M. C...relève appel du jugement n° 1300224 du 15 octobre 2015, par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté ses conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait des dispositions de l'article L. 642-7 du code de commerce comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître et a rejeté le surplus de ses autres conclusions.

Sur la régularité du jugement en tant qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande indemnitaire fondée sur l'article L. 642-7 du code de commerce :

2. M. C...soutient que contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la cause déterminante de son préjudice ne résulte pas de l'application que les juges commerciaux ont faite de l'article L. 642-7 du code de commerce mais de l'existence même de ces dispositions législatives et qu'ainsi, le tribunal administratif était compétent pour en connaître.

3. Aux termes de l'article L. 642-7 du code de commerce : " Le tribunal détermine les contrats de crédit-bail, de location ou de fourniture de biens ou services nécessaires au maintien de l'activité au vu des observations des cocontractants du débiteur transmises au liquidateur ou à l'administrateur lorsqu'il en a été désigné. / Le jugement qui arrête le plan emporte cession de ces contrats (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier que M. C...avait sollicité, ainsi que l'a d'ailleurs relevé le tribunal administratif, la réparation des conséquences dommageables de l'intervention de l'article L. 642-7 du code de commerce, en soutenant que ces dispositions avaient créé, à son détriment, une rupture de l'égalité des citoyens devant les charges publiques. Or, de telles conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait d'une loi relèvent de la compétence de la juridiction administrative indépendamment de l'existence d'un lien de causalité entre l'intervention de la loi invoquée et le préjudice allégué. Par suite, en rejetant, par l'article 1er du jugement attaqué, les conclusions de M. C...tendant à la réparation des conséquences dommageables de l'intervention de l'article L. 642-7 du code de commerce comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître au motif que le préjudice de l'intéressé ne résulterait pas de l'intervention de cette loi mais du jugement du tribunal de commerce du 29 mars 2012, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité.

5. Par suite, il y a lieu d'évoquer dans cette mesure, de statuer immédiatement sur les conclusions de M. C...devant le tribunal administratif de Limoges tendant à la condamnation de l'Etat du fait de l'intervention de l'article L. 642-7 du code de commerce, et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions indemnitaires de l'intéressé.

Sur les conclusions indemnitaires fondées sur la responsabilité sans faute de l'Etat du fait de l'article L. 642-7 du code de commerce :

6. Il ressort des pièces du dossier que le préjudice dont se prévaut M. C...consiste en la perte de chance de voir son contrat d'agent commercial repris par la société Nouvelle Gel Pat, cessionnaire de la société Gel Pat. Or, l'absence de reprise de ce contrat par la société cessionnaire procède du fait que le tribunal de commerce de Périgueux ne l'a pas mentionné, dans son jugement du 29 mars 2012 ayant arrêté le plan de cession de l'entreprise Gel Pat, parmi les contrats nécessaires au maintien de l'activité reprise. Ainsi, ce ne sont pas les dispositions législatives précitées du code de commerce qui ont, par elles-mêmes, causé le préjudice invoqué par le requérant mais l'application qui en a été faite par les juges consulaires, lesquels n'ont pas souhaité inclure son contrat d'agent commercial parmi les contrats devant être repris par la société cessionnaire, cette société ne l'ayant pas non plus inclus dans son offre de reprise. Par suite, et contrairement à ce que soutient M.C..., sa perte de chance de voir son contrat repris par l'entreprise cessionnaire n'est pas en lien direct avec l'intervention de l'article L. 642-7 du code de commerce mais procède du jugement susévoqué du juge judiciaire.

7. Ensuite, les dispositions de l'article L. 642-7 du code de commerce ne portant pas sur les voies de droit ouvertes contre les jugements arrêtant les plans de cession, lesquelles sont instituées par les articles L. 661-6 et L. 661-7 du code de commerce, M. C...ne saurait utilement invoquer, à l'appui des conclusions susvisées tendant à l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait de l'article L. 642-7 du code de commerce, la circonstance qu'il n'aurait disposé d'aucune voie de recours pour contester le jugement du tribunal de commerce de Périgueux du 29 mars 2012, en méconnaissance des stipulations combinées de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

Sur le bien-fondé des conclusions indemnitaires fondées sur la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des articles L. 661-6 et L. 661-7 du code de commerce :

8. Aux termes de l'article L. 661-6 du code de commerce dans sa rédaction applicable en l'espèce : " III.- Ne sont susceptibles que d'un appel de la part soit du débiteur, soit du ministère public, soit du cessionnaire ou du cocontractant mentionné à l'article L. 642-7 les jugements qui arrêtent ou rejettent le plan de cession de l'entreprise. Le cessionnaire ne peut interjeter appel du jugement arrêtant le plan de cession que si ce dernier lui impose des charges autres que les engagements qu'il a souscrits au cours de la préparation du plan. Le cocontractant mentionné à l'article L. 642-7 ne peut interjeter appel que de la partie du jugement qui emporte cession du contrat. ". En vertu de l'article L. 661-7 de ce code : " Il ne peut être exercé de tierce opposition ou de recours en cassation ni contre les jugements mentionnés à l'article L. 661-6, ni contre les arrêts rendus en application des I et II du même article. / Le pourvoi en cassation n'est ouvert qu'au ministère public à l'encontre des arrêts rendus en application du III, IV et V de l'article L. 661-6. ".

9. M. C...recherche l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des lois, en indiquant que l'impossibilité de contester le jugement du tribunal de commerce de Périgueux ayant arrêté le plan de cession, compte tenu du régime procédural institué par les articles L. 661-6 et L. 661-7 du code de commerce, lui a causé un préjudice anormal et spécial et qu'elle a porté atteinte à son droit fondé sur le développement de la clientèle qu'il avait apportée à la société Gel Pat, et ce, en violation des stipulations combinées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 13 de cette même convention.

10. La responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée, d'une part, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi, à la condition que cette loi n'ait pas exclu toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés, d'autre part, en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France, au nombre desquels figure le respect du droit à un recours juridictionnel effectif pour défendre les biens lui appartenant, reconnu par les dispositions combinées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 13 de cette même convention.

11. Le seul fait que les dispositions précitées du code de commerce ne permettent pas aux cocontractants de l'entreprise cédée de contester la décision du tribunal de commerce ayant déterminé les contrats devant être repris par l'entreprise cessionnaire, ne saurait, par lui-même, être regardé comme portant normalement en lui le préjudice invoqué par le requérant. Ce dernier ne soutient ni même n'allègue que cette impossibilité d'interjeter appel de ce jugement ou de présenter une tierce opposition l'aurait privé d'une chance sérieuse d'obtenir la reprise de son contrat d'agent commercial. L'adoption de ces dispositions législatives ne peut, dès lors, être regardée comme étant la cause directe du préjudice invoqué.

12. Au surplus, d'une part, M. C...se trouve dans une situation identique à celle des autres cocontractants de la société Gel Pat dont les contrats n'ont pas été mentionnés par le jugement arrêtant le plan de cession et n'ont donc pas été transférés à l'entreprise cessionnaire, la société Nouvelle Gel Pat. Il ne produit d'ailleurs aucun document de nature à établir qu'il aurait été le seul cocontractant à ne pas avoir bénéficié de la cession de son contrat de fournitures à l'entreprise cessionnaire. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que le préjudice de M. C... puisse être regardé comme présentant un caractère spécial. D'autre part, en vertu de l'article L. 134-12 du code de commerce : " En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. / L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits. / Les ayants droit de l'agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent. ". Ces dispositions, dont se prévaut d'ailleurs M.C..., reconnaissent le droit pour tout agent commercial d'obtenir une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi en cas de cessation de ses relations avec le mandant. Par suite, M.C..., dont le contrat d'agent commercial n'avait pas été repris par l'entreprise cessionnaire, aurait pu solliciter la résolution de ce contrat et, en conséquence, obtenir le versement d'indemnités compensatoires de son préjudice auprès du mandataire judiciaire de la société Gel Pat. Par suite, et contrairement à ce que soutient le requérant, celui-ci disposait d'une voie de recours pour obtenir l'indemnisation du préjudice lié à la perte des commissions que lui avait causé l'absence de reprise, par l'entreprise cessionnaire, de son contrat d'agent commercial.

13. Il résulte des points 9 à 13 du présent arrêt que les conditions permettant de condamner l'Etat sur le fondement de la responsabilité sans faute ne sont pas réunies. Par suite, et sans qu'il soit besoin de s'interroger sur l'existence d'une atteinte portée à un bien au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, M. C...n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande indemnitaire fondée sur la responsabilité sans faute de l'Etat du fait du régime institué par les articles L. 661-6 et L. 661-7 du code de commerce.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...n'est pas fondé, d'une part, à demander la condamnation de l'Etat du fait de l'intervention de l'article L. 642-7 du code de commerce, et d'autre part, à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté ses conclusions indemnitaires présentées sur le fondement des articles L. 661-6 et L. 661-7 du code de commerce.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. C...au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1300224 du 15 octobre 2015 du tribunal administratif de Limoges est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. C...devant le tribunal administratif tendant à la condamnation indemnitaire de l'Etat du fait de l'intervention de l'article L. 642-7 du code de commerce sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C...est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C..., et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2017 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Sabrina Ladoire, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 15 novembre 2017.

Le rapporteur,

Sabrina LADOIRE

Le président,

Aymard de MALAFOSSE Le greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 15BX03962


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX03962
Date de la décision : 15/11/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité sans faute. Responsabilité fondée sur l'égalité devant les charges publiques. Responsabilité du fait de la loi.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Sabrina LADOIRE
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : SCP GAFFET - MADELENNAT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-11-15;15bx03962 ?
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