La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/12/2017 | FRANCE | N°15BX04231

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 28 décembre 2017, 15BX04231


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A...C...ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à leur verser la somme globale de 326 845 euros assortie des intérêts légaux, en réparation des préjudices qu'ils subissent du fait du fonctionnement de la route nationale (RN) 89, située à proximité immédiate de leur habitation, et d'enjoindre à l'Etat d'exécuter des travaux de mise en conformité de cette route avec la réglementation relative au bruit des infrastructures routières.

Par un jugement n° 14

00794 du 3 novembre 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A...C...ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à leur verser la somme globale de 326 845 euros assortie des intérêts légaux, en réparation des préjudices qu'ils subissent du fait du fonctionnement de la route nationale (RN) 89, située à proximité immédiate de leur habitation, et d'enjoindre à l'Etat d'exécuter des travaux de mise en conformité de cette route avec la réglementation relative au bruit des infrastructures routières.

Par un jugement n° 1400794 du 3 novembre 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 décembre 2015, et un mémoire en réplique enregistré le 21 juillet 2016, M. et MmeC..., représentés par MeB..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 3 novembre 2015 ;

2°) de faire droit à leur demande indemnitaire en condamnant l'Etat à leur verser la somme globale de 301 845 euros assortie des intérêts légaux à compter de l'introduction de leur requête devant le tribunal, avec capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens ainsi que la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la prescription quadriennale ne peut leur être opposée ;

- la condition d'anormalité ne fait pas de doute ; il convient à cet égard de tenir compte de l'intensité des nuisances ; le code de la santé publique prévoit que les valeurs de référence doivent être appréciées en fonction de la durée cumulée du bruit ; il convient de tenir compte non seulement de l'implantation de leur maison mais aussi du fonctionnement de l'ouvrage ; leur propriété est classée en zone de bruit critique et point noir par l'arrêté préfectoral du 22 janvier 2009 portant carte de bruits stratégiques ; leur maison est située dans une zone où la valeur sonore est comprise entre 75 et 750 db pour 24 heures ; ces valeurs se sont amplifiées depuis l'ouverture des derniers tronçons de l'autoroute A 89 et la densification subséquente du trafic ; or dès l'origine, en 1996, une indemnisation leur avait été proposée ;

- le maire d'Arveyres a commis une faute en ne mettant pas en oeuvre ses pouvoirs de police ; en ne se substituant pas au maire, le préfet a également commis une faute ; une autre faute réside dans la circonstance que les services de l'Etat se sont toujours refusés à lui communiquer les documents d'information relatifs aux mesures de bruit ;

- les services de l'Etat n'ont pas pris les moyens propres à remédier au problème en mettant en place des dispositifs anti-bruits ; cette inertie est également constitutive d'une faute ;

- ils subissent d'importants troubles de jouissance, de jour comme de nuit, qui doivent être réparés par une indemnité de 95 000 euros ;

- ils subissent également une perte de la valeur vénale de leur bien, qui peut être estimée à 130 000 euros ;

- le coût des travaux d'insonorisation et de confort de leur habitation peut être évalué à 76 845 euros.

Par des mémoires enregistrés les 20 avril 2016 et 13 juin 2017, le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les dispositions de l'article R. 1334-33 du code de la santé publique ne sont pas applicables, en vertu des dispositions de l'article R. 1334-30 du même code ; c'est le plan de prévention du bruit dans l'environnement dans le département de la Gironde qui s'applique ;

- l'habitation des requérants n'apparaît pas dans une zone de bruit critique (ZBC) telle que définie par le plan de prévention du bruit ; le secteur de Goudon ne comporte qu'une zone de bruit critique, la ZBC 327, dans laquelle ne figure pas leur habitation ; la carte de bruits de 2015 n'identifie qu'une seule habitation point noir dans cette ZBC, qui n'est pas celle des requérants ;

- les agrandissements de cartes produits par les requérants ne sont pas pertinents ; seule la définition d'un bâtiment comme point noir permet d'établir que les seuils réglementaires sont dépassés ;

- les modifications apportées à la circulation générale ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnisation ;

- les nuisances sonores que subissent les requérants n'excèdent pas les limites du bruit acceptable par les riverains prévue par la réglementation en vigueur ; la condition d'anormalité du préjudice n'est ainsi pas remplie ;

- il existe plusieurs habitations sur les terrains jouxtant la RN 89 entre les échangeurs 8 et 9, le principe de spécialité n'est donc pas rempli non plus ;

- l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales n'est pas applicable au cas de nuisances sonores générées par la circulation automobile ; les requérants n'établissent pas que leur situation relève de l'exercice des pouvoirs de police du maire ; ils ne peuvent donc utilement invoquer une méconnaissance par le préfet de son devoir de substitution aux carences du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police ;

- les services de l'Etat n'ont pas davantage commis de fautes dans la communication de documents ;

- en tout état de cause la prescription quadriennale était acquise à la date d'enregistrement de la demande devant le tribunal.

Par ordonnance du 13 juin 2017, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 17 juillet 2017 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la circulaire interministérielle du 25 mai 2004 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Pouget,

- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme C...sont propriétaires sur le territoire de la commune d'Arveyres, au lieu-dit Goudon, d'une parcelle où est implantée leur maison d'habitation, située en bordure de la route nationale (RN) 89. Ils se plaignent des nuisances sonores liées au fonctionnement de cet ouvrage routier et ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à les indemniser des préjudices qui en résultent. Ils relèvent appel du jugement du 3 novembre 2015 par lequel ce tribunal a rejeté leur demande.

Sur la prescription :

2. M. et Mme C...invoquent notamment un dommage tenant à la perte de valeur vénale de leur propriété, liée à la proximité de la section à 2X2 voies de la RN 89 assurant le contournement de Libourne. Il est toutefois constant que les requérants avaient une entière connaissance de ce préjudice, dans son principe et dans son étendue, dès 1996, date de mise en service de cette section de la route. Par suite, les droits de créance qu'ils auraient pu détenir à cet égard étaient acquis à cette même date, en vertu des dispositions de l'article 1er de la loi susvisée du 31 décembre 1968. Faute pour M. et Mme C...de justifier d'un évènement susceptible d'avoir interrompu le délai de la prescription avant le 31 décembre 2000, l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre doit, eu égard au chef de préjudice considéré, être accueillie.

Sur la responsabilité de l'Etat :

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

3. Les époux C...ont la qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public routier dont ils mettent en cause le fonctionnement. La responsabilité du maître de l'ouvrage public est susceptible d'être engagée, même sans faute, à l'égard des demandeurs tiers par rapport à cet ouvrage. Il appartient toutefois aux appelants d'apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'ils allèguent avoir subis et de l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et leurs préjudices, qui doivent en outre présenter un caractère anormal et spécial.

4. Il résulte de l'instruction que l'habitation des requérants se situe à environ 60 m de l'emprise de la RN 89. Ils soutiennent que dès la mise en service de cette section de route à 2X2 voies, et plus encore depuis la mise en service progressive, entre 2004 et 2012, de l'autoroute A 89 à laquelle elle se raccorde et l'intensification du trafic qui en est résulté, ils subissent des nuisances sonores excédant les valeurs limites de tolérance, fixées pour cette catégorie de voies à 68 db (A) en période diurne et 62 db (A) en période nocturne. Ils se réfèrent, pour étayer leurs propos, aux cartes d'exposition au bruit annexées au plan de prévention du bruit dans l'environnement (PPBE) du département de la Gironde, dont ils tirent que leur maison est implantée dans une zone où le bruit excède 70 db (A), voire 75 db (A). Ces cartes sont cependant des représentations macrographiques dont l'échelle ne permet pas de localiser précisément la propriété des requérants par rapport aux différentes zones de bruit. Comme le souligne le ministre, elles ne peuvent donc permettre de déterminer précisément le niveau sonore en façade du bâtiment. S'il est incontestable que l'habitation de M. et Mme C...est située dans un secteur affecté par le bruit en raison de sa proximité avec la RN 89, et se trouve d'ailleurs incluse par le PPBE dans une " zone de bruit critique " (ZBC), correspondant à une zone urbanisée composée de bâtiments sensibles dont les niveaux sonores en façades dépassent ou risquent de dépasser à terme l'une au moins des valeurs limites, cette seule circonstance ne saurait suffire à caractériser des nuisances excédant les sujétions que doivent normalement supporter les riverains des grandes routes. Il est constant que les études acoustiques réalisées pour l'établissement du PPBE n'ont en revanche pas conduit à répertorier la maison des requérants en tant que " point noir ", c'est-à-dire en tant que bâtiment sensible localisé dans une zone de bruit critique et exposé à un bruit excédant l'une au moins des valeurs limites. Dès lors, les nuisances sonores auxquelles est exposée la propriété de M. et Mme C...ne caractérisent pas un dommage anormal et spécial actuel, ainsi qu'en atteste d'ailleurs la multiplicité des ZBC identifiées par le PPBE le long de la RN 89 et le nombre élevé de bâtiments qui y sont inclus. Par suite, et ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, les conditions de l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat à l'égard de M. et Mme C...à raison du fonctionnement de la RN 89 ne sont pas réunies.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

5. M. et MmeC..., en premier lieu, n'établissent pas que les services de l'Etat se seraient engagés à réaliser un dispositif antibruit au droit de leur propriété et n'auraient pas tenu cette promesse. Les mentions de l'étude d'impact de la mise à 2X2 voies de la RN 89 n'ont pu, en particulier, tenir lieu d'un tel engagement. Il résulte en revanche de l'instruction que les requérants ont refusé, en 1994, une proposition de prise en charge de travaux d'isolation phonique de leur maison, au motif qu'ils estimaient insuffisante l'évaluation alors faite du coût de ces travaux.

6. En second lieu, les requérants persistent en appel à invoquer les fautes qu'auraient commis les services de l'Etat, d'abord en ne respectant pas les dispositions des articles R. 571-44 et R. 751-47 du code de l'environnement au moment de la conception et de la réalisation la mise à 2X2 voies de la RN 89, puis en ne prenant pas dans un délai raisonnable les mesures propres à faire respecter les prescriptions fixées, en matière de bruit, par le code de l'environnement, le code de la santé publique et la circulaire interministérielle du 25 mai 2004. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 3, il n'est pas démontré que l'habitation de M. et Mme C...serait exposée à un niveau sonore excédant les seuils réglementaires de bruit admissible pour les infrastructures routières. Ils ne sont donc pas fondés à rechercher la responsabilité pour faute de l'Etat à raison d'une irrégularité commise dans la conception de l'ouvrage, d'une carence dans la mise en oeuvre des moyens de protection contre les nuisances sonores au droit de leur propriété ou encore d'une carence des autorités compétentes dans la mise en oeuvre des pouvoirs de police en matière de lutte contre le bruit.

7. Par suite, les conclusions indemnitaires des époux C...dirigées contre l'Etat et tendant à la réparation des troubles de jouissance nés du fonctionnement de la RN 89 doivent être rejetées.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que sollicitent M. et Mme C...au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme C...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A...C...et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2017 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président-rapporteur,

Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller,

Mme Sabrina Ladoire, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 28 décembre 2017.

L'assesseur le plus ancien,

Sylvie CHERRIERLe président-rapporteur,

Laurent POUGETLe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

6

N° 15BX04231


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX04231
Date de la décision : 28/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-03 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics.


Composition du Tribunal
Président : M. POUGET L.
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET L.
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : RONGIER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-12-28;15bx04231 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award