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14/03/2018 | FRANCE | N°18BX00700

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, Juge des référés, 14 mars 2018, 18BX00700


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 19 février 2018, M. G...F..., Mme M...F..., la société civile immobilière La Faucherie, M. A...F..., Mme D...B..., M. H... N..., agissant en qualité de tuteur de Mme J...F..., majeure protégée, M. L...F...et Mme K...F..., représentés par la société civile professionnelle MarcC..., demandent au juge des référés de la cour, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 21 août 2017 du préfet de la Charente-Mari

time portant mise en application des servitudes aéronautiques de dégagement...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 19 février 2018, M. G...F..., Mme M...F..., la société civile immobilière La Faucherie, M. A...F..., Mme D...B..., M. H... N..., agissant en qualité de tuteur de Mme J...F..., majeure protégée, M. L...F...et Mme K...F..., représentés par la société civile professionnelle MarcC..., demandent au juge des référés de la cour, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 21 août 2017 du préfet de la Charente-Maritime portant mise en application des servitudes aéronautiques de dégagement de l'aérodrome de La Rochelle-Île de Ré.

Ils soutiennent que :

- ils sont propriétaires à La Rochelle, du domaine de La Faucherie et d'une propriété dénommée Le Potager, constitués de diverses constructions dont un château et un parc de près de 11 hectares ;

- la condition d'urgence est satisfaite ;

- en effet, l'exécution de l'arrêté litigieux aurait pour conséquence l'abattage de la majeure partie des arbres du parc, sans qu'un reboisement présentant des conditions équivalentes puisse être envisagé et alors qu'aucun intérêt public ne s'attache à cette exécution, laquelle est inutile pour permettre à l'aéroport de fonctionner, sachant que cet équipement est, de plus, appelé à être transféré ;

- il existe, par ailleurs, des moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté critiqué ;

- ainsi, la servitude dont la mise en application est l'objet du présent litige résulte du plan des servitudes aéronautiques de dégagement approuvé par un décret du 7 décembre 1984 modifié par un arrêté du ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer en date du 13 mars 2003 ;

- or, cette servitude est dépourvue de fondement législatif puisque lorsqu'elle a été instaurée elle ne trouvait son fondement que dans les dispositions de l'article R. 241-1 du code de l'aviation civile ;

- si l'article L. 281-1 du code de l'aviation civile, alors en vigueur, pouvait être regardé comme étant ce fondement, il devrait être regardé comme méconnaissant l'article 34 de la Constitution et les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'indiqué dans un mémoire produit par ailleurs et soulevant une question prioritaire de constitutionnalité ;

- de même, l'article R. 241-1 du code de justice administrative a méconnu l'article 34 de la Constitution ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs proclamé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les articles 2 et 17 du même texte, ainsi que précisé dans le mémoire, précité, produit par ailleurs et soulevant une autre question prioritaire de constitutionnalité ;

- par ailleurs et en tout état de cause, il n'apparaît pas qu'aient été prises les mesures de publicité requises à la suite de l'adoption de l'arrêté du 13 mars 2003 modifiant le plan des servitudes aéronautiques approuvé par décret du 7 décembre 1984, de sorte que la servitude litigieuse ne saurait leur être opposée ;

- l'arrêté en cause émane d'un auteur incompétent, seul le ministre chargé de l'aviation civile étant compétent, dès lors qu'il est constant que cet arrêté implique une modification de l'état antérieur des lieux et que cette modification détermine un dommage direct, matériel et certain eu égard à la qualité et à l'ancienneté de la Faucherie ;

- en tout état de cause la compétence ministérielle est justifiée en l'espèce eu égard, d'une part, aux engagements pris par le ministre en 1984 et 1985 en cas de mise en application du plan de servitudes aéronautiques et, d'autre part, aux changements de circonstances de droit et de fait depuis l'approbation de ce plan ;

- en outre, ils ne sauraient être privés de la garantie qui résulte de l'engagement pris par le ministre en 1984 de faire réaliser préalablement à la mise en oeuvre de la servitude une étude opérationnelle dans le but de déterminer si l'abattage des arbres du parc de la Faucherie est absolument nécessaire ;

- car l'utilité publique de la mise en oeuvre de la servitude n'a pas été établie ;

- à cet égard, l'absence d'enquête publique préalable a méconnu l'article 7 de la Charte de l'environnement et a violé tant l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement que le droit de propriété constitutionnellement garanti et protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'article L. 6351-2 du code de l'environnement et plus généralement l'ensemble du dispositif législatif relatif aux servitudes de dégagement constitué des articles L. 6351-2 à L. 6351-5 de ce code, selon lequel l'application d'un plan de servitudes aéronautiques n'implique pas la réalisation d'une enquête publique distincte de celle dont son approbation a fait l'objet, est, ainsi qu'exposé dans un mémoire distinct soulevant une seconde question prioritaire de constitutionnalité, entaché d'incompétence négative, en violation de l'article 34 de la Constitution au regard du droit de propriété garanti par les articles 2 et 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de ce même texte et des exigences constitutionnelles posées par l'article 7 de la Charte de l'environnement ;

- en l'occurrence et de surcroît l'atteinte à leur droit de propriété est majeure et s'analyse à une privation de leur propriété et non en une simple limitation de celle-ci, ce qui implique un dédommagement par une juste et préalable indemnité, en vertu de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- l'absence d'indemnisation méconnaît les dispositions de l'article D. 242-12 du code de l'environnement ;

- en tout état de cause, le décret du 7 décembre 1984 approuvant le plan de servitudes aéronautiques est illégal et, partant, prive de base légale l'arrêté querellé ;

- en effet, il est devenu illégal en raison des changements survenus dans les circonstances de droit et de fait, notamment l'évolution du trafic aérien et la modification de la règlementation européenne ainsi que le renforcement des mesures de protection dont le parc de la Faucherie fait l'objet et la perspective de la fermeture de l'aéroport concerné ;

- en tout état de cause, il était illégal dès l'origine, en ce qu'il reposait sur l'anticipation de besoins purement hypothétiques ;

- même dans l'hypothèse dans laquelle l'établissement d'un plan de servitudes aéronautiques correspondant au stade ultime de développement de l'aéroport auquel il s'applique aurait pu reposer sur les arrêtés des 31 juillet 1963 et 31 décembre 1984 fixant les spécifications techniques destinées à servir de base à l'établissement des servitudes aéronautiques, à l'exclusion des servitudes radioélectriques, respectivement en vigueur au moment de l'approbation du plan par décret du 7 décembre 1984 et de l'adoption de l'arrêté modificatif, ces arrêtés sont illégaux et ne pouvaient donc servir de base légale audit décret ;

- les mesures de protection dont fait l'objet le parc de la Faucherie font obstacle à la mise en oeuvre de la servitude dont s'agit ;

- l'arrêté en cause n'est pas justifié par un motif d'intérêt général qui tiendrait à ce que la mise en oeuvre de la servitude conditionnerait la certification de sécurité aéroportuaire de l'aéroport de La Rochelle conformément aux spécifications du règlement (UE) n° 139/2014 de la Commission du 12 février 2014 sauf à réduire l'état actuel de son trafic ;

- l'arrêté critiqué est disproportionné eu égard à l'atteinte qu'il implique sur leur propriété et aux mesures de protection dont bénéficie celle-ci, rapportée à l'absence d'utilité réelle de l'abattage d'arbres qu'il prévoit ;

- à tout le moins il est prématuré.

Par un mémoire, enregistré le 19 février 2018, M. G...F..., Mme M...F..., la société civile immobilière La Faucherie, M. A...F..., Mme D...B..., M. H... N..., agissant en qualité de tuteur de Mme J...F..., majeure protégée, M. L...F...et Mme K...F..., représentés par la société civile professionnelle MarcC..., demandent au juge des référés de la cour de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution de l'article L. 281-1 du code de l'aviation civile en vigueur au moment de l'approbation du plan de servitudes aéronautiques de dégagement de l'aéroport de La Rochelle par le décret du 7 décembre 1984 et, en tant que de besoin, de sa modification par arrêté du 13 mars 2003.

Ils soutiennent que :

- l'article L. 281-1 du code de l'aviation civile constitue le seul fondement législatif en vigueur au moment de l'approbation du plan de servitudes aéronautiques de dégagement concerné ;

- il doit être regardé comme applicable au litige alors même qu'il a été abrogé ;

- les dispositions de cet articles n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution ;

- la question posée revêt un caractère sérieux dès lors que l'article L. 281-1 du code de l'aviation civile est entaché, en violation de l'article 34 de la Constitution, d'une incompétence négative affectant le droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il n'assortit la limitation au droit de propriété qui découle de l'institution d'une servitude d'utilité publique d'aucune garantie de procédure ou de fond, rendant ainsi possible, sans enquête publique préalable rendue obligatoire par le législateur, l'instauration d'un plan de servitudes aéronautiques de dégagement dont la mise en oeuvre intervient 33 ans après.

Par un mémoire, enregistré le 19 février 2018, M. G...F..., Mme M...F..., la société civile immobilière La Faucherie, M. A...F..., Mme D...B..., M. H... N..., agissant en qualité de tuteur de Mme J...F..., majeure protégée, M. L...F...et Mme K...F..., représentés par la société civile professionnelle MarcC..., demandent au juge des référés de la cour de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 6351-2 du code des transports, et plus généralement le dispositif législatif relatif aux servitudes aéronautiques de dégagement, constitué des articles L. 6351-2 à L. 6351-5 de ce code, ainsi, en tant que de besoin, que de l'article L. 6351-1 du même code.

Ils soutiennent que :

- les dispositions en cause du code des transports sont applicables au litige ;

- elles n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution ;

- la question posée revêt un caractère sérieux dès lors que les dispositions concernées sont entachées, en violation de l'article 34 de la Constitution, d'une incompétence négative affectant le droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de cette même Déclaration, ainsi que les exigences constitutionnelles posées par l'article 7 de la Charte de l'environnement ;

- en effet, elles ne prévoient ni une réévaluation de l'utilité publique du plan de servitudes aéronautiques de dégagement au stade de la mise en oeuvre de la servitude ni une évaluation de cette mise en oeuvre elle-même, ni une participation du public à l'élaboration de cette dernière ;

- de plus, le plan de servitudes étant par principe regardé comme dépourvu d'inconvénients s'agissant des obstacles existants, l'utilité publique de la destruction de ces obstacles n'est jamais susceptible d'être discutée utilement, de sorte que les propriétaires concernés sont privés de tout recours effectif sur ce point.

Par un mémoire, enregistré le 12 mars 2018, la chambre de commerce et d'industrie de La Rochelle (CCI), représentée par la société exercice libéral à responsabilité limitée E...Baudry, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge des requérants la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas satisfaite, en effet la mise en oeuvre rapide de la servitude concernée est rendue absolument nécessaire afin de permettre la poursuite de l'exploitation de l'aéroport de La Rochelle-Île de Ré, pour lequel n'existe aucun projet de transfert, tandis que cette mise en oeuvre n'implique que l'étêtage de certains arbres du parc de la Faucherie, dont beaucoup sont morts ou en mauvais état ;

- les requérants ne sauraient utilement critiquer le fondement légal du décret du 7 décembre 1984 instituant le plan de servitudes aéronautiques pour l'aéroport précité ;

- ils ne sauraient pas davantage arguer de l'inopposabilité de la modification de ce plan décidée par l'arrêté ministériel du 13 mars 2003 ;

- le préfet de la Charente-Maritime était compétent pour prendre l'arrêté dont la suspension de l'exécution est sollicitée ;

- les lettres ministérielles de 1985 auxquelles se réfèrent les requérants ne peuvent être regardées comme constituant des actes administratifs contraignants ;

- la mise en oeuvre d'une servitude instituée par le plan de servitudes aéronautiques n'implique pas la réalisation d'une nouvelle enquête publique préalable ;

- aucun changement dans les circonstances de fait et de droit depuis l'approbation du plan de servitudes aéronautiques de dégagement, tel qu'ensuite modifié en 2003, n'est de nature à justifier une nouvelle évaluation de l'utilité publique de ce plan ;

- les mesures de protection dont fait l'objet le domaine de la Faucherie sont sans influence sur la légalité de la mise en oeuvre d'une servitude aéronautique, en vertu du principe d'indépendance des législations et, en tout état de cause, il n'est pas établi que l'étêtage d'arbres de ce domaine méconnaîtrait ces mesures ;

- la nécessité et la proportionnalité de la décision critiquée doivent être appréciées en fonction des modifications du plan de servitudes aéronautiques de dégagement introduites en 2003, qui n'imposent plus la suppression des arbres, ainsi qu'au regard de l'évolution du trafic sur l'aéroport en cause ;

- indépendamment de l'obtention d'une certification européenne, le respect du plan de servitudes aéronautiques est indispensable pour conserver la certification nationale.

Par un mémoire, enregistré le 13 mars 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire, représenté par la société civile professionnelle Lyon-CaenI..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas remplie ;

- ainsi, la mise en oeuvre de la servitude de dégagement n'entraînera pas l'abattage systématique des arbres du parc de la Faucherie ;

- du reste, les requérants sont responsables du fait que ces arbres ont dépassé la hauteur maximale prévue au plan de servitudes aéronautiques de dégagement ;

- de plus, la mesure querellée est rendue nécessaire pour que l'aéroport dont s'agit, dont le transfert n'est nullement envisagé, conserve sa certification de sécurité aéroportuaire ;

- par ailleurs, aucun des moyens de la requête ne présente un caractère sérieux ;

- ainsi l'arrêté du 13 mars 2003 a été publié au Journal officiel et est opposable aux requérants ;

- le préfet était compétent pour prendre la décision contestée ;

- l'engagement ministériel qui aurait été pris en 1985 n'est pas établi et, en tout état de cause, il ne pouvait lier le préfet ;

- aucune nouvelle enquête publique n'était requise ;

- il n'existe pas en l'espèce de dépossession du fonds des requérants entraînant une privation de propriété ;

- le développement de l'équipement en cause et les impératifs de la sécurité aérienne renforcent la nécessité de procéder à la mise en oeuvre de la servitude concernée ;

- le plan de servitudes aéronautiques de dégagement défini en 1984 n'était pas dépourvu de base légale ;

- il n'est pas démontré en quoi les mesures de protection dont fait l'objet le parc de la Faucherie seraient incompatibles avec la servitude de dégagement ;

- la mesure querellée est proportionnée avec les exigences de sécurité posées par le règlement n° 139/2014 de la Commission du 12 février 2014 ainsi qu'avec le développement économique régional ;

- les questions prioritaires de constitutionnalité sont dépourvues de caractère sérieux et ne sauraient, dès lors, être transmises au Conseil d'État ;

- ainsi, le fondement légal de la décision litigieuse est constitué par les articles L. 6351-1 et suivants du code des transports et non par l'article L. 281-1 du code de l'aviation civile ;

- les articles L. 6351-1 et suivants du code des transports prévoient expressément qu'une enquête publique doit avoir lieu, de sorte qu'il n'existe pas d'incompétence négative du législateur ;

- les consorts F...ont pu participer à l'enquête publique qui a lieu préalablement à l'adoption du plan de servitudes aéronautiques de dégagement ;

- le droit au recours effectif des requérants n'a pas été méconnu ;

- l'article 7 de la Charte de l'environnement ne l'a pas été davantage.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment ses articles 61-1 et 62 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le règlement (UE) n° 139/2014 de la Commission du 12 février 2014 ;

- le code de l'aviation civile ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative.

Le président de la cour a désigné M. P...en application du livre V du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rey-Bèthbéder, président,

- les observations de MeC..., représentant les requérants, qui a repris ses écritures en ajoutant que, contrairement à ce qui a été soutenu en défense, l'arrêté entrepris emporte effectivement la suppression des arbres du parc de la Faucherie ;

- les observations de MeI..., pour le ministre de la transition écologique et solidaire, qui a repris ses écritures en soulignant l'inaction des requérants qui ont laissé croître leurs arbres depuis 2003, les laissant dépasser la hauteur maximale compatible avec la servitude dont s'agit ;

- et les observations de MeE..., pour la chambre de commerce et d'industrie de La Rochelle, qui a repris ses écritures en précisant que l'expression " suppression des obstacles " qui figure dans l'arrêté litigieux signifie simplement écimage des arbres, pour la hauteur qui perce l'espace aérien, c'est-à-dire qui excède les cotes établies dans le plan de servitudes aéronautiques de dégagement de 1984, tel que modifié en 2003.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions tendant à la suspension de l'arrêté préfectoral :

1. En premier lieu et aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, dans sa rédaction issue de la loi organique du 10 décembre 2009 : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. L'article 23-3 de la même ordonnance prévoit qu'une juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité " peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires " et qu'elle peut statuer " sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence ".

2. Il résulte de la combinaison de ces dispositions organiques avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant, en première instance ou en appel, sur le fondement de l'article L. 521-2 de ce code. Le juge des référés peut en toute hypothèse, y compris lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant lui, rejeter une requête qui lui est soumise pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence. S'il ne rejette pas les conclusions qui lui sont soumises pour l'un de ces motifs, il lui appartient de se prononcer, en l'état de l'instruction, sur la transmission au Conseil d'État de la question prioritaire de constitutionnalité ou, pour le juge des référés du Conseil d'État, sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel. Même s'il décide de renvoyer la question, il peut, s'il estime que les conditions posées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies, prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires, compte tenu tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, en faisant usage de l'ensemble des pouvoirs que cet article lui confère.

3. En second lieu et aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. (...) ". Aux termes de l'article L. 522-1 de ce code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique (...) ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article R. 522-1 du même code : " La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit (...) justifier de l'urgence de l'affaire ".

4. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

5. Par l'arrêté litigieux, du 21 août 2017, le préfet de la Charente-Maritime a ordonné aux consortsF..., propriétaires de plusieurs parcelles constituant le parc de la propriété privée de " La Faucherie ", à La Rochelle, " la suppression des obstacles (arbres) identifiés comme dépassant les cotes limites fixées par le plan de servitudes aéronautiques de dégagement " de l'aéroport de La Rochelle-Île de Ré. Si les requérants soutiennent que cette décision aboutirait à l'abattage de la grande majorité des arbres de leur parc, d'une superficie de onze hectares, et à la réduction conséquente des autres arbres, alors que l'ensemble qu'ils forment bénéficie de plusieurs mesures de protection, notamment dans le plan local d'urbanisme, il résulte cependant de l'instruction que ladite décision, qui consiste à mettre en oeuvre le plan de servitudes aéronautiques de dégagement de l'aéroport précité, approuvé par un décret du 7 décembre 1984 et modifié par un arrêté ministériel du 13 mars 2003, n'a pour effet, en raison notamment de la modification intervenue en 2003, que d'entraîner l'étêtage de 43 arbres du parc de La Faucherie, soit de ceux dont la hauteur rapportée au nivellement général de la France dépasse une hauteur comprise, selon leur implantation, entre 32 mètres et 54 mètres, dont certains sont morts et une grande partie en mauvais état.

6. Par ailleurs, il résulte également de l'instruction qu'en raison de la présence des obstacles constitués par les arbres cités au point précédent et de la mise en oeuvre de dispositions du règlement n° 139/2014 de la Commission du 12 février 2014, la longueur de la distance utilisable à l'atterrissage de la piste de l'aéroport a été réduite, d'ores et déjà, à 1 746 mètres, soit la plus courte des aéroports français de la même catégorie, alors que la longueur totale de cette piste est de 2 250 mètres. Cette situation a pour effet d'empêcher l'atterrissage de certains avions, en cas d'intempéries et de dérouter les avions connaissant une avarie en vol, qui doivent disposer d'une distance utilisable à l'atterrissage plus longue, ce qui entraîne actuellement un risque pour la circulation aérienne. Il résulte également de l'instruction que cette situation entrave désormais le développement normal de cet équipement, dont le trafic est passé de 35 000 passagers annuels il y a une trentaine d'années à plus de 220 000 en 2016, alors qu'il n'est en rien établi, contrairement à ce que prétendent les requérants, que sa pérennité serait menacée à brève ou moyenne échéance. Enfin, il apparaît qu'en l'absence d'exécution de l'arrêté critiqué l'aéroport de La Rochelle-Île de Ré s'expose à perdre sa certification nationale de sécurité aéroportuaire.

7. Il résulte ce qui a été exposé aux points 5 et 6 que la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie. Par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un moyen susceptible de faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté et sur la transmission au Conseil d'État des questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par les consortsF..., les conclusions de ces derniers tendant à la suspension de l'arrêté litigieux ne peuvent qu'être rejetées.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative :

8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des consorts F...les sommes que demandent l'État et la CCI de La Rochelle au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1er : La requête n° 18BX00700 des consorts F...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'État et de la CCI de La Rochelle relatives aux frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. G...F..., à Mme O...veuveF..., à la société civile immobilière La Faucherie, à M. A...Q...F..., à Mme D...B..., à M. H...N..., agissant en qualité de tuteur de Mme J...F..., majeure protégée, à M. L...F..., à Mme K...F..., au ministre de la transition écologique et solidaire et à la chambre de commerce et d'industrie de La Rochelle.

Fait à Bordeaux, le 14 mars 2018.

Le juge des référés,

Éric Rey-Bèthbéder

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

2

No 18BX00700


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 18BX00700
Date de la décision : 14/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Procédure - Procédures instituées par la loi du 30 juin 2000 - Référé suspension (art - L - 521-1 du code de justice administrative).

Transports - Transports aériens - Aéroports.


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric REY-BETHBEDER
Avocat(s) : SELARL MITARD BAUDRY

Origine de la décision
Date de l'import : 20/03/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-03-14;18bx00700 ?
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