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26/04/2018 | FRANCE | N°16BX00928

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre (formation à 3), 26 avril 2018, 16BX00928


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La société l'Auberge du Pilori, représentée par son liquidateur amiable, M. A...B..., a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser une somme globale de 90 878, 80 euros, avec intérêts capitalisés, en réparation des préjudices qu'elle impute à l'arrêté préfectoral du 28 janvier 2011 prononçant pour une durée de six mois la fermeture de la discothèque " le Club le Vault ".

Par un jugement n° 1400585 du 3 février 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa

demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 mars 2016 et un...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La société l'Auberge du Pilori, représentée par son liquidateur amiable, M. A...B..., a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser une somme globale de 90 878, 80 euros, avec intérêts capitalisés, en réparation des préjudices qu'elle impute à l'arrêté préfectoral du 28 janvier 2011 prononçant pour une durée de six mois la fermeture de la discothèque " le Club le Vault ".

Par un jugement n° 1400585 du 3 février 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 mars 2016 et un mémoire présenté le 3 avril 2017, la société l'Auberge du Pilori, représentée par M.B..., son gérant et liquidateur amiable, et représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 3 février 2016 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser des indemnités de :

- 38 734,80 euros en réparation de son préjudice commercial ;

- 42 144 euros en réparation de la perte de valeur vénale de son fonds de commerce ;

- 10 000 euros au titre de son préjudice moral ;

3°) de lui accorder les intérêts à compter du 28 octobre 2013, ainsi que la capitalisation de ceux-ci ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- lors de l'examen de la légalité de la décision du 28 janvier 2011, le tribunal administratif s'est borné à retenir un moyen procédural tiré de l'absence d'avertissement préalable et n'a pas examiné les autres moyens, et en particulier ceux de légalité interne qu'il avait invoqués à l'appui de sa demande ;

- la mesure de fermeture est disproportionnée ;

- s'agissant d'une mesure de police administrative, elle ne pouvait être justifiée par des pièces de procédure judiciaire au risque de poursuites pénales pour recel de violation du secret de l'instruction mais devait être justifiée par des rapports administratifs ou des faits relatés par la presse ;

- en vertu de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, toutes les mesures de fermeture doivent être précédées d'un avertissement, lequel peut se substituer à la fermeture lorsque les faits susceptibles de la justifier résultent d'une défaillance exceptionnelle de l'exploitant à laquelle il lui serait aisé de remédier ;

- le tribunal ne pouvait se fonder sur les constations opérées lors d'un contrôle effectué le 10 décembre 2010 et sur un précédent avertissement du 17 novembre 2009 pour caractériser la réitération régulière des faits de tapage nocturne et d'ivresse des clients ;

- il y a eu ainsi privation d'une garantie procédurale qui aurait permis une mise en conformité avec la règlementation ;

- le tribunal ne pouvait considérer que les faits reprochés étaient suffisamment établis alors que le premier jugement ne s'est pas prononcé sur le bien fondé de la sanction ;

- il existe un lien de causalité entre l'illégalité procédurale en cause et les préjudices invoqués ;

- il n'y avait pas, en vertu de l'article D. 314-1 du code du tourisme, obligation de solliciter une autorisation d'ouverture jusqu'à 7h pour l'exploitation d'un débit de boissons ayant pour activité principale l'exploitation d'une piste de danse, ainsi que cela ressort de l'extrait Kbis de la société ;

- les articles de presse révèlent que le préfet de la Vienne a pris plusieurs arrêtés de fermeture de ce type d'établissement de manière illégale et que l'Etat a d'ailleurs été condamné à indemniser les préjudices en résultant pour les exploitants ;

- le fait que le bar soit resté ouvert jusqu'à 2h n'a pas été de nature à limiter la baisse du chiffre d'affaire dès lors que la presse a fait état, dès le 15 décembre 2010, de la fermeture décidée le 28 janvier 2011, ce qui a fait fuir sa clientèle ; de plus, les chiffres d'affaires produits démontrent que l'activité liée à la discothèque avait supplanté l'activité bar ; Le lien direct entre la fermeture et la baisse du chiffre d'affaires est démontré par l'existence d'une baisse de 65,47 % dès le mois de février 2011 ; le bénéfice étant de 8,12 % du montant du chiffre d'affaires, la perte de bénéfice s'élève à 7 487,80 euros ; si la perte de bénéfice afférente à l'activité discothèque est plus importante que celle liée à l'activité bar, cette différence n'a pu être mise en exergue dès lors que les dépenses des deux établissements étaient effectuées en même temps ;

- est dû aussi le remboursement des frais fixes exposés durant la fermeture de l'établissement ; ces frais, selon l'expert comptable, se chiffrent à la somme de 31 274 euros ; le gérant a d'ailleurs dû faire un apport personnel de 20 000 euros afin d'éviter la liquidation judiciaire de la société ;

- la perte de valeur du fonds de commerce, revendu 100 000 euros alors qu'il pouvait être évalué à 150 000 euros, date de son prix d'achat, selon l'étude notariale du 8 septembre 2011, a entraîné une moins-value de 42 144 euros ;

- la décision préfectorale est à l'origine d'un préjudice moral et de troubles dans les conditions d'existence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2016, le préfet de la Vienne conclut au rejet de la requête de la société l'Auberge du Pilori.

Il soutient que :

- les faits reprochés étaient suffisamment établis par les pièces du dossier, ainsi que l'a d'ailleurs souligné le jugement du 4 décembre 2013 ;

- la décision de suspension se fonde sur des troubles réels et répétés en lien direct avec le fonctionnement de la discothèque ;

- la perte du chiffre d'affaire n'est pas en lien avec l'arrêté ;

- les faits reprochés sont établis et l'arrêté n'a été annulé que pour un vice de procédure ; de plus, l'établissement n'ayant pas été fermé, les frais fixes devaient être exposés ; enfin, l'arrêté en cause n'a eu un impact sur l'activité que durant trois jours par semaine ;

- l'arrêté n'a pas engendré une perte de la valeur vénale du fonds de commerce ; cette perte est essentiellement liée à la fermeture de son établissement entre les mois de mai et juillet 2011, alors que rien ne l'y contraignait ;

- le préjudice moral n'est pas davantage établi.

Par une ordonnance du 5 avril 2017, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 4 mai 2017 à 12h00.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code du tourisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sabrina Ladoire,

- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville,

- et les observations de MeC..., représentant la société l'Auberge du Pilori.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 28 janvier 2011, le préfet de la Vienne a suspendu pour une durée de six mois l'autorisation d'ouverture jusqu'à 7 heures du matin de la discothèque " le Club le Vault " exploitée par la SARL l'Auberge du Pilori dont le gérant était M.B.... Par un jugement n° 1100223 du 4 décembre 2013, le tribunal administratif de Poitiers a prononcé l'annulation de l'article 1er de cet arrêté au motif qu'en méconnaissance de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, la mesure n'avait pas été précédée d'un avertissement. Par une demande du 23 octobre 2013, la société l'Auberge du Pilori a réclamé l'indemnisation des préjudices qu'elle impute à cet arrêté. Le préfet ayant implicitement rejeté sa demande, la société l'Auberge du Pilori, représentée par son liquidateur amiable, M.B..., a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande de condamnation de l'Etat à réparer ses préjudices. Elle relève appel du jugement n° 1400585 du 3 février 2016 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.

2. L'illégalité affectant l'arrêté du 28 janvier 2011 est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat. Toutefois, il ne pourrait être fait droit à la demande de réparation formulée par la société requérante que dans la mesure où les préjudices invoqués résulteraient directement de cette illégalité. Ce caractère direct du lien de causalité ne peut notamment être retenu dans le cas où la décision administrative illégale est seulement entachée d'une irrégularité formelle ou procédurale et où il apparaît, au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties devant le juge, que la décision aurait pu être légalement prise par l'autorité administrative au vu des éléments dont elle disposait à la date à laquelle la décision a été prise.

3. La société l'Auberge du Pilori fait valoir que la décision du 28 janvier 2011 est entachée de plusieurs illégalités, notamment internes, sur lesquelles le tribunal administratif ne s'est pas prononcé dans son jugement susvisé du 4 décembre 2013. Elle soutient en particulier que cette décision repose sur des inexactitudes matérielles et qu'elle serait disproportionnée.

4. Aux termes de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique : " 1. La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas six mois, à la suite d'infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements. Cette fermeture doit être précédée d'un avertissement qui peut, le cas échéant, s'y substituer, lorsque les faits susceptibles de justifier cette fermeture résultent d'une défaillance exceptionnelle de l'exploitant ou à laquelle il lui est aisé de remédier (...) ".

5. D'une part, la décision du 28 janvier 2011 rappelle que M. B...a déjà fait l'objet d'un avertissement le 17 décembre 2009 en raison des troubles à la tranquillité publique induits par le fonctionnement de son établissement, mentionne qu'un courrier du 14 novembre 2010 et une pétition déposée le 7 décembre 2010 font état de la réitération de ces troubles, et justifie la fermeture de cet établissement en se fondant sur les manquements au respect de la règlementation sur les débits de boissons relevés dans le procès-verbal de constatation établi le 10 décembre 2010 par les services de la direction départementale de la sécurité publique. Ce procès-verbal mentionne en effet la présence, durant la nuit du 9 au 10 décembre 2010, de onze personnes en état d'ivresse, parfois manifeste, il souligne que le personnel de cet établissement a continué à servir de l'alcool à des clients présentant des signes d'ivresse avancée, ce qui est au demeurant corroboré par les témoignages de ces derniers, et relève que contrairement aux exigences règlementaires, les boissons non alcoolisées étaient peu visibles ou non présentées au public. Or, la société requérante ne produit aucun élément de nature à remettre en cause le bien-fondé de ces constations opérées par des agents assermentés. Ainsi, la mesure de fermeture en litige, qui est principalement justifiée par des infractions aux lois et règlements relatifs aux débits de boissons au sens des dispositions de l'alinéa 1er de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, ne repose pas sur des faits matériellement inexacts. Par suite, le moyen tiré de ce que les faits sur lesquels le préfet de la Vienne s'est fondé pour prendre l'arrêté attaqué n'auraient pas été de nature à justifier légalement une mesure de fermeture de cette discothèque ne peut qu'être écarté. Enfin, eu égard au caractère répété des faits qui lui sont reprochés et à leur gravité, le préfet de la Vienne, en fixant la durée de la fermeture de cet établissement à six mois, n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des circonstances de l'espèce.

6. D'autre part, et eu égard à ce qui précède, les faits reprochés à l'exploitant de la discothèque ne peuvent être regardés comme résultant d'une défaillance exceptionnelle de cet exploitant. Si la première procédure initiée en décembre 2009 n'avait pas abouti à la fermeture de son établissement compte tenu des engagements qu'avait pris le gérant de la SARL de limiter la survenance des troubles à l'ordre et à la tranquillité publiques, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de son établissement, la pétition émise par le voisinage en décembre 2010 et la mesure de fermeture en litige témoignent du fait que ce dernier n'était pas parvenu à remédier aux difficultés rencontrées. Dans ces conditions, si le non-respect de la procédure prévue par l'article L. 3332-5 du code de la santé publique a effectivement privé la société d'une garantie procédurale qui lui aurait permis de se mettre en conformité avec la règlementation, il ne résulte pas pour autant de l'instruction que le préfet aurait, après la mise en oeuvre de cette procédure, substitué un avertissement à la mesure de fermeture administrative qu'il avait envisagée.

7. En deuxième lieu, la circonstance, révélée par des articles de presse, que le préfet de la Vienne a pris d'autres arrêtés de fermeture de ce type d'établissement dont l'illégalité a été reconnue par le juge administratif et qui ont entraîné le versement d'indemnités au bénéfice de leur gérant est sans incidence sur le droit à indemnité de la société requérante dans la présente instance.

8. En troisième lieu, la société l'Auberge du Pilori demande à être indemnisée de la perte de son chiffre d'affaires et de son bénéfice, ainsi que des frais fixes qu'elle a exposés durant la période de six mois au cours duquel son établissement a fait l'objet de la mesure de fermeture en litige. Cependant, l'irrégularité procédurale dont est entaché l'arrêté du 28 janvier 2011, lequel est justifié au fond, comme il a été dit, n'est pas directement à l'origine de ces différents préjudices. Enfin, la requérante n'apporte pas la preuve du lien direct entre l'illégalité commise et la dépréciation de son fonds de commerce. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à demander une quelconque indemnité en réparation des préjudices susévoqués.

9. En quatrième lieu, si la société requérante soutient que l'arrêté de fermeture de son établissement n'aurait pas permis à M. B...de maintenir son train de vie ce qui serait à l'origine de troubles dans ses conditions d'existence et aurait engendré la rupture de sa relation conjugale, ces préjudices, qui ne présentent aucun lien direct avec l'irrégularité dont est entachée la mesure en litige, ne peuvent, en tout état de cause, être indemnisés.

10. Il résulte de ce qui précède que la société l'Auberge du Pilori n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande indemnitaire.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par la requérante et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société l'Auberge du Pilori est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société l'Auberge du Pilori, représentée par M. B..., son gérant et liquidateur amiable et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2018 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président- assesseur,

Mme Sabrina Ladoire, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 26 avril 2018.

Le rapporteur,

Sabrina LADOIRELe président,

Aymard de MALAFOSSELe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX00928


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 16BX00928
Date de la décision : 26/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

49-05-04 Police. Polices spéciales. Police des débits de boissons.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Sabrina LADOIRE
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : DARRIGADE BENOIT

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-04-26;16bx00928 ?
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