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15/11/2018 | FRANCE | N°16BX03077

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 15 novembre 2018, 16BX03077


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 29 janvier 2013 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue l'a suspendu, à titre conservatoire, de ses activités cliniques et thérapeutiques à compter du 1er février 2013 et de condamner le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue à lui verser une somme de 58 958 euros, à actualiser mensuellement, en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de cette décision de suspens

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Par un jugement n° 1300803 du 24 juin 2016, le tribunal administratif ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 29 janvier 2013 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue l'a suspendu, à titre conservatoire, de ses activités cliniques et thérapeutiques à compter du 1er février 2013 et de condamner le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue à lui verser une somme de 58 958 euros, à actualiser mensuellement, en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de cette décision de suspension.

Par un jugement n° 1300803 du 24 juin 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la requête et mis à la charge de M. C...une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 5 septembre 2016, 4 février 2018, 27 avril 2018 et 20 juillet 2018, M.C..., représenté par MeD..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 juin 2016 du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) d'annuler la décision contestée ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue à lui verser une somme de 58 958 euros en réparation de ses préjudices ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier ; il n'a pas suffisamment répondu à ses conclusions indemnitaires et l'a condamné à verser une somme d'un montant excessif au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; le jugement repose par ailleurs sur une inexacte application des dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique ;

- les faits à l'origine de la mesure de suspension se sont tenus dans un contexte de harcèlement moral et d'accusations mensongères, dénoncé par plusieurs agents du centre hospitalier, et de dissension avec le docteurB..., condamnée par le tribunal correctionnel à raison de ses propos injurieux, et alors qu'il était affecté par un drame personnel ; ces faits n'ont cependant pas compromis de manière grave et imminente le fonctionnement du service ou mis en péril la sécurité des patients ; l'absence d'urgence est notamment révélée par la date d'édiction de la mesure de suspension, plus de deux mois après l'altercation en cause ; les évènements plus anciens dont le centre hospitalier fait état ne sauraient fonder la mesure de suspension litigieuse, subordonnée à l'existence d'une urgence ;

- les faits de violence qu'il aurait prétendument commis à l'encontre de M. E...ne sont pas établis ; les témoignages versés par le centre hospitalier, rédigés sur demande de l'établissement, ne sont pas probants ;

- les faits sur lesquels la suspension a été prononcée n'ont pas donné lieu à des poursuites disciplinaires ou pénales ;

- sa prétendue inaptitude à exercer ses fonctions n'a pas été reconnue, et il a été réintégré sur injonction du préfet ;

- la décision de le suspendre est entachée d'un détournement de pouvoir ;

- il n'a pas méconnu la réglementation relative à l'exercice, par un praticien hospitalier, d'une activité libérale ;

- le juge administratif n'est pas tenu par l'appréciation faite par la juridiction pénale, qui avait à connaître de la qualification pénale des faits au regard de l'incrimination, complexe, de harcèlement moral ; en outre, l'ordonnance de non-lieu dont se prévaut le centre hospitalier est entachée de nullité absolue.

Par des mémoires en défense enregistrés les 11 mai 2017 et le 9 mars 2018, le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue, représenté par MeF..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. C...d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué n'est entaché d'aucune irrégularité et est en particulier suffisamment motivé ;

- la mesure de suspension en cause était justifiée au regard du comportement violent et menaçant de M.C..., mettant en péril le fonctionnement du service et ayant notamment conduit au départ du chef de service, et caractérisé par une accumulation d'altercations violentes avec ses confrères et des sages-femmes ; d'autres incidents violents ont d'ailleurs eu lieu après sa réintégration au sein de l'établissement ;

- la mesure de suspension en litige ne repose pas sur un détournement de pouvoir ;

- M. C...n'a en outre pas respecté les termes de son contrat d'activité libérale ;

- les demandes indemnitaires de M.C..., qui s'est lui-même placé dans une situation entrainant son éviction, ne sont pas justifiées.

Par une ordonnance du 20 juillet 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 5 septembre 2018 à 12h00.

Un mémoire complémentaire a été déposé le 4 septembre 2018 par Me F...pour le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue qui n'a pas été communiqué.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,

- les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant M.C....

Considérant ce qui suit :

1. M.C..., praticien hospitalier en gynécologie-obstétrique au sein du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue, a été suspendu, à titre conservatoire, par une décision du 29 janvier 2013 du directeur de ce centre hospitalier. Il relève appel du jugement du 24 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à la condamnation dudit établissement à l'indemniser des préjudices subis du fait de cette décision de suspension et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Le directeur d'un centre hospitalier qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut légalement, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, sous le contrôle du juge et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné.

3. Il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport établi le 14 novembre 2012 par MmeB..., praticien hospitalier en gynécologie obstétrique qui exerçait alors les fonctions de chef de service, ainsi que des attestations établies par deux agents, que M. C...a eu le 8 novembre 2012 une violente altercation verbale avec MmeB..., au cours de laquelle il a haussé le ton, tenu à son égard des propos virulents et menacé de détériorer le bureau d'un confrère. Il ressort également des pièces que l'entente au sein du service était dégradée du fait, notamment, du comportement agressif de M.C.... Il n'est cependant pas établi que cet événement ainsi que les difficultés d'entente au sein du service auraient mis sérieusement en péril sa continuité. Il n'est pas davantage établi, ni même allégué par le centre hospitalier, que l'attitude de M. C...ait eu une quelconque incidence sur la sécurité des patients. Au demeurant, la décision de suspension n'est intervenue que le 29 janvier 2013, soit plus de deux mois après l'événement qui la motivait. Enfin, les autres griefs formulés à l'encontre de M. C... à propos d'incidents au cours desquels il s'est montré violent, tant physiquement que verbalement, avec certains de ses confrères, ont eu lieu entre 2008 et 2011 et, compte tenu de leur ancienneté, ne sont pas de nature à justifier légalement la suspension en cause qui, comme cela a été rappelé au point 2, ne pouvait être décidée que dans des circonstances exceptionnelles où auraient été mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients. Dans ces conditions, si le comportement agressif, violent et menaçant de M.C..., qui a d'ailleurs persisté après sa réintégration, pouvait éventuellement donner lieu à une procédure disciplinaire, il ne saurait être regardé comme ayant compromis de manière grave et imminente la continuité du service ou la sécurité des patients à la date du 29 janvier 2013 d'édiction de la mesure de suspension en litige. En conséquence, le directeur du centre hospitalier n'a pu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, légalement prendre cette mesure de suspension de fonctions à titre conservatoire à l'encontre de M.C....

Sur les conclusions indemnitaires :

4. L'illégalité de la décision du 29 Janvier 2013 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue a suspendu M. C...constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier. Il n'est en revanche pas établi par les pièces versées au présent dossier que cette mesure aurait été prise dans le cadre d'agissements constitutifs de harcèlement moral à l'encontre de l'intéressé.

5. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.

6. En premier lieu, le retentissement qu'a pu avoir la décision l'évinçant illégalement du service jusqu'au 10 juin 2013, date de sa réintégration, justifie, en raison du préjudice moral qui en est résulté ainsi que de l'atteinte portée à sa réputation, et eu égard aux circonstances ci-dessus décrites, que soit accordée à M. C...une indemnité d'un montant de 1 000 euros.

7. Il résulte en deuxième lieu de l'instruction que M.C..., dont le traitement a été maintenu au cours de la période de suspension litigieuse, a été privé de la possibilité d'assurer des astreintes opérationnelles , lesquelles lui procuraient, selon ses bulletins de paie des mois de novembre 2012 à février 2013, qui font apparaitre la rémunération versée au titre des astreintes effectuées le mois précédent, une rémunération complémentaire habituelle d'environ 1 000 euros bruts par mois. Le requérant a ainsi perdu une chance sérieuse de bénéficier de ces indemnités au cours de la période d'éviction illégale. Il n'est en revanche nullement établi que ce préjudice se serait poursuivi au-delà du 10 juin 2013, date de sa réintégration au sein du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue. Il sera fait une juste appréciation du préjudice ainsi subi en lui allouant une somme de 4 000 euros.

8. Il résulte enfin de l'instruction que, du fait de la mesure de suspension en litige, M. C...a été privé de la possibilité de poursuivre l'activé libérale qu'il avait déployée au sein du centre hospitalier en vertu d'un contrat d'activité libérale du 2 février 2010. Il résulte du document d'analyse comptable établi par un cabinet de gestion du patrimoine que cette activité procurait un chiffre d'affaires moyen de l'ordre de 8 000 euros par mois, que le taux de marge afférent à cette activité était de 66 %, et qu'un niveau de chiffre d'affaires équivalent a été retrouvé dès le mois de juillet 2013. Si le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue fait valoir que M. C...dépassait le volume d'activité libérale autorisé par le contrat susmentionné du 2 février 2010, il ne verse aucun élément probant à l'appui de cette affirmation. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre par M. C...en lui allouant une somme de 26 000 euros.

9. Eu égard à ce qui a été dit aux points 6, 7 et 8 du présent arrêt, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue a verser à M. C...une somme totale de 31 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa suspension illégale du 1er février 2013 au 10 juin 2013.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M.C..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge dudit établissement une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le requérant et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1300803 du tribunal administratif de Toulouse du 24 juin 2016 et la décision du 29 janvier 2013 du directeur du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue sont annulés.

Article 2 : Le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue est condamné à verser à M. C...la somme de 31 000 euros en réparation de ses préjudices.

Article 3 : Le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue versera à M. C...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C...et au centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 15 novembre 2018.

Le rapporteur,

Marie-Pierre BEUVE DUPUYLe président,

Aymard de MALAFOSSELe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX03077


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX03077
Date de la décision : 15/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-11-01-02 Fonctionnaires et agents publics. Dispositions propres aux personnels hospitaliers. Personnel médical. Personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : CABINET ALEXANDRE LEVY KAHN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-11-15;16bx03077 ?
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